Âge personnage : 37 ans Hiboux postés. : 363 Date d'inscription : 14/01/2023Crédits : awonaa Double Compte : Shura, Gaby & Rachel
Ajay « Aldric » Tivari
Sam 6 Jan 2024 - 22:07
- Alors, ils les ont relâché ? - Non, Trois heures que l’accord est signé et pas de nouvelles.
L’arrière du crâne contre le mur, le bassin en avant, les mains dans les poches et le regard dans le vide, je les écoute sans broncher. J’ai été réinterrogée sur mon attitude ce jour-là, classique. Comme j’ai été réinterrogée sur la mission avec Hampton. Une mise à pied. Pas tout à fait, il faut être honnête, mais en attendant que l’enquête interne ait été bouclée, je suis reléguée aux troupes de secours. En arrière, en soutien. Ça ressemble à une rétrogradation mais après un an de missions minimes, j’ai juste l’impression d’en revenir au cadre normal. Le seul truc c’est que je boue. J’ai dans la tête Lex et ses trahisons. La manière dont il m’a repoussée sur le lit, ses exigences, ses questions et puis son air hagard quand j’ai débarqué pour l’interroger. Mes crispations à voir la violence sur un mec que j’ai sans doute pu avoir la naïveté d’aimer. D’apprécier, tout du moins. Et puis la colère quand j’ai compris que jamais je n’aurai mes réponses. Et la culpabilité, une fois qu’il a été laissé sur un autre continent la mémoire défaillante, quelques sous en poche. Soyons honnête, il finira sous les ponts, comme moi j’ai fait. Les types comme ça, j’en ai vu défiler des pelles. Les portes de sorties ont jamais été très reluisantes, pas plus que les miennes.
- Tu vas où ? Siem ?
Le pseudonyme fait crisser quelque chose à l’intérieur. Une gamine frêle, paumée, qui a un jour claqué la porte en crachant tout son mépris sur ces types-là. Ceux dont le bras finirait nécrosé ou que les flics auraient tôt fait de coffrer. J’m’y habituerai pas. J’aurais dû prendre autre chose.
- M’entraîner. Mon corps a quitté le mur et mes mains mes poches. - T’attends pas de savoir, pour les otages ? - Ils sont morts ces gosses..
J’aurais pu marmonner. Les mots sont sortis comme on lâche une altère.
Une heure plus tard, j’ai rejoins le tatami. Cheveux brun attachés en arrière, les mains protégées, un film de sueur sur le front et le cœur en branle, je frappe. Entre chaque session de combat, c’est un tour de salle qui fait monter d’autant plus le cardio. J’ai pas d’adversaire. Ils sont tous là-bas, à attendre les résultats comme on materait un match au superbowl. Une heure de plus et je mets davantage de poids sur la barre. Les muscles hurlent, le coeur palpite, par moment la salle d’entraînement devient noire devant mes yeux. Chute de tension. Classique quand on pousse fort à la salle. D’ordinaire, j’avoue que voir les gars pâlir quand je soulève plus lourd qu’eux, ça me fait passablement kiffer. Mais là quand un type se pointe et se rapproche, j’augmente le volume dans mes écouteurs. Et quinze minutes plus tard, j’suis dans les douches.
Les gosses sont morts. Et moi j’ai rien à foutre ici puisqu’on me file pas de mission et que je ne peux pas aider en back tant que j’en ai pas le feu vert. Sauf que la Garde, c’est tout ce que j’ai côté quotidien pro. Du moins c’est ce dont ça se rapproche le plus. Y’a les potes, bien sûr. Mais si j’fais ça, je vais finir par craquer et aller fracasser Naveen et j’sais pas comment je réagirai si j’étais face à lui. Enzo se referme. Takuma s’inquiète. Sovahnn a, je cite, envie d’aller faire du paddle avec sa fille. Dorofei se ronge les sangs à propos des mômes assassinés pendant qu’on avait le dos tourné. Et Kezabel j’y pense pas. Ou plus exactement j’y pense trop. Chose stupide concernant le silence qui nous unies.
Sauf que tout ça, c’est pas exactement tout c’que j’ai. Et j'veux pas penser. A personne.
Alors la démarche change. Les pas lourds, les muscles tendus, les cheveux hirsutes de l’entraînement ; j’efface tout ça. Séance maquillage, cheveux bruns affublés de jolies boucles que je ne porterai jamais en temps normal, frange droite clipsée, lentilles colorées (les mêmes que la dernière fois), chemisier léger, ouvert sur l’avant et drapé féminin. Pantalon propre. Talons. Menton légèrement baissé, épaules en arrière, mouvements énergiques à la limite de l’enfantin. Yeux brillants. Sourire colgate. Franzë
Dans le sac à main, mon petit sac limé habituel, le seul truc que je traîne depuis l’adolescence. Celui qui comporte ce que j’ai toujours considéré comme mon “kit de survie” et qui s’est étoffé au cours du temps. Et des galères.
C’est comme ça que j’arrive là-bas. Je sors des chiottes de l’université où la demoiselle est censée bosser, arpente les couloirs comme si je les foulais tous les jours, noyée dans la foule, et je sors pour prendre le bus. Tout ça est étudié bien sûr. Google map, carte de l’université, réseaux de bus de la ville. Ça réveille des souvenirs. Quelque part entre Siem et Jo.
Quand il ouvre, je lui saute presque dans les bras, une main abandonnée sur le sien, un baiser claqué sur sa joue dont la barbe me pique, j’échange les mêmes banalités que lui avec une aisance qui vient d’ailleurs. De loin.
Loin, aussi, le type que j’ai retrouvé lors de cette première mission. Loin le tremblement interne qui m’a secouée jusqu’à ce qu’enfin, je me retrouve seule et vivante.
Un pied sur le pallier, le second qui pénètre l’appartement. Encore bien des raisons de retrouver mon cadavre à des kilomètres de Londres. Et la porte se referme sur cette pensée. Bien sûr, elle est toujours dans un coin, réveillée par quelques cicatrices. Mais il n’y a plus d’elle qu’une brume filasse. Je sais que t’y pense aussi. Dis pas le contraire.
L’atmosphère change dès lors qu’il n’y a plus que nous, qu’importent les noms qu’on se donne. Ni Franzë, ni Dietrich.
— T’as déjà géré des planques ? Sécurisé des planques ?
Frère et soeur ont disparu, la proximité avec eux. J’ai déjà les pieds à plat, la gestuelle de retour au naturel et le regard circulaire sur le salon. Les armes qui dépassent me filent un frisson, sa question crispe mes côtes. T’as pas des idées plus merdiques comme projet de vie que de t’enterrer avec lui, sérieusement ? J’ai pas.
Et toi, t’as l’air moins épuisé. T’as l’air plus fermé, aussi.
Quelques pas. “T’as cru que j’avais fait mes armes dans la mafia ?” ça n’a rien d’agressif. Un regard échangé. Après tout, la Garde en a peut être quelques airs par moment ; certes. Je hausse des épaules et balaye ma propre réflexion. “T’as sans doute pas mal à m’apprendre sur le sujet mais..” Les idées se rassemblent. J’m’y étais préparée, mais certaines choses émergent du passé que j’aimerai garder loin de moi. Cette “moi” qui se veut plus clean que l’ancienne. Faut sans doute faire des choix dans la vie. “Bloquer les entrées ; identifier les sorties ; ensorceler les fenêtres : acoustique, transparence ou illusion ; sortilèges de confusion ; je maîtrise mal ceux pour empêcher les inconnus de trouver un lieu mais c’est en cours ; trompe l’oeil pour des planques à taille humaine ; caches pour …” la dope… “.. Y foutre des trucs ; sacs et tiroirs ensorcelés ; faux fonds ; caméras et micros planquées ; verrous piégés ; systèmes d’alerte ; …. Moldus, magiques : un peu des deux.” Quand t’as pas dix-sept ans, t’as pas l'option "baguette" et quand tu vis dans un squat, tu fais sans. Et puis après… bah t’apprends la débrouille. “Là comme ça, c’est c’qui me vient.” Une liste de skills, parfois de la Garde, parfois d’une expérience que je nie avoir vécu. Comme un CV un peu bizarre. “J’ai aidé à sécuriser quelques coins, oui, mais jamais seule.” Même lorsque j’ai donné un coup de main pour la maison de Sovahnn - elle l’ignore - ou celle d’Alec, il y avait toujours d’autres sorciers pour gérer l’aspect le plus pointu. Quand à ce qu’il y avait avant la Garde… c’est différent.
Un instant, je bloque de nouveau sur le métal des guns qui dépassent. Une seconde d’un regard qui coule dessus, porté par un corps qui joue l’assurance quand mon palpitant s’agite un peu plus à chaque fois. Il a pas besoin d’une gamine paumée. Mais il a pas besoin de quelqu’un qui se croit apte quand il l’est pas.
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Ajay « Aldric » Tivari
Mer 17 Jan 2024 - 2:07
C’est vrai, elle n’est qu’une gamine. On n’a cessé de le lui dire. On n’a cessé de lui rappeler que son jugement n’a rien de pertinent, qu’elle est emportée et dangereuse de par son comportement. Jordane aimerait s’extraire de ce sentiment comme elle se défait des talons de Franze, mais il n’en est rien. Quand elle pose le regard sur le sac d’armes, elle reste l’ado d’hier qui ne sait pas tout à fait dans quoi elle s’engage. L’expérience d’hier lui semble disloquée, lacunaire. Celle d’une autre vie, pas tout à fait la sienne. Et puis, même à l’époque, qu’a-t-elle fait ? De la merde, majoritairement. Des petits jobs dans lesquels elle n’a jamais fait long feu. Toujours à la marge. Trop consciente des sables mouvants sous ses talons.
— Tu fais partie de la Garde.
‘Tu fais partie’. Amusante manière de dire les choses quand naturellement j’énonce ‘j’appartiens à la Garde’. La nuance est là, inquiétante.
L’inspiration lui fait presque mal lorsqu’elle repousse les sensations du passé. Aucune forme distincte. Pas de souvenirs en tant que tels. Mais les sons, les odeurs, les crispations des muscles, les poumons vides et la gorge sèche. Rien que la texture de l’air sans laisser refluer le reste. Pour autant, Jordane sélectionne dans sa mémoire ce qu’elle a appris à se cacher dans des coins sombres et humides, là où une lame à portée était un plus. Et qu’elle n’était jamais du bon côté de la gâchette d’une arme. — C’est pas mal. Un peu concis, mais t’as l’essentiel. Un sourire passe, sans fierté, rien qu’un brin d’amusement. ‘Un peu concis’, alors qu’elle s’étonne elle-même de la longueur de son listing… Si tu dois choisir une planque toi-même, jamais un rez-de-chaussée, et jamais de vis-à-vis avec les fenêtres. Un hochement de tête pour toute réponse, à songer aux quelques entraînements avec Margo. Puis viennent les trop longues minutes passées sur les toits de Poudlard, baguette en main, à shooter à distance des enfoirés qui n’auront pas même eu le temps de comprendre d’où la mort venait. Choisis un endroit avec de la circulation et des civils. De nouveau, elle acquiesce. C’est là ce qui l’a déjà sauvée une fois. Si tu installes des caméras et des micros, il ne faut pas lésiner sur leur protection, pour éviter toute tentative de piratage ennemie. Évident, mais hors de son champ d’habitudes. La Garde l’a toujours fait et avant ça, ce n’était simplement pas son problème. Qui aurait pu s’intéresser à elle ? Alors ses lèvres se pincent, agacée de ne pas avoir évoqué ces points elle-même. T’analyses le quartier où tu poses. Commerces de proximité, école, commissariat, lignes de bus, tout ce qui peut être utile. Tu repères des lieux sûrs pour transplaner dans le secteur. Du non dit : effectivement, quel que soit le lieu, Jordane s’assurera d’un moyen de fuite. Sinon elle ne connaîtrait pas les rames de bus ou les couloirs de l’université sans y avoir vraiment été. Pas tant la sécurité de la planque mais la sienne, donc. Et surtout, tu te prépares au pire.
Un sourire tord ses lèvres et tremble sous le souffle cynique qu’elle lâche sans réussir à le retenir. Il a raison, bien sûr et d’aucune manière Jordane ne sous-estime ces paroles. Pour autant une part d’elle ne peut s’empêcher de se demander quand elle ne se prépare pas au pire. Quand est-ce devenu une habitude si profondément ancré qu’envisager le contraire n’a d’écho que celui d’une mauvaise blague ?
“Noté.”
Elle aurait pu répondre l’une de ses cinglantes répliques ou seulement le toiser d’une insolente ironie un brin adolescente, mais Jordane se contente de ça. Dans le fond, elle écoute. Elle observe, aussi. Assez pour noter les flingues et leur signification.
— Pour l’instant ? Pas grand chose. Ainsi que cette éviction caractérisée. A deux doigts de lui ressembler. Sans commenter, Jordane lève à peine un sourcil et le laisse poursuivre. — Mais j’ai plus le réseau de la Garde, et si tu bosses avec moi, tu pourras pas l’utiliser non plus… Séparation de l'église et de l'état ; c’est déjà acté. Alors je constitue mon propre réseau. Un filet de sécurité, si tu préfères. Je tiens pas à causer des noises aux Sups’ sans prévoir le coup avant.
C’est donc bien là son idée. Aldric reste sur sa ligne directrice, il ne cesse de s’attaquer à la bande de connards en lice pour le prix du régime le plus totalitaire depuis les années 1900 et… comme ça ? A deux ? Probablement pas. Rien ici ne l’indique, d’ailleurs.
— T’inquiète pas pour les armes. C’est juste une sécurité supplémentaire… Une sécurité qui fait naître chez elle une anxiété nouvelle. Les baguettes c’est une chose. Comme les lames ou ses poings, il ne s’agit que d’un outil usuel. Un gun, c’est différent. Tu ne fais que la guerre, avec un flingue. Rien d’autre. Une inspiration brève et violente dans ses narines, pour chasser ces pensées. T’apprendras que face à un Sup’, un pistolet est nettement plus efficace qu’une baguette. - Tu l’as déjà dit ouais. J’écoute. J’ai pas forcément l’air ; pourtant c’est l’cas. J’écoute. Pas un reproche, seulement un constat qu’elle énonce en contournant le canapé pour jeter un coup d’œil plus avant vers les armes. Ces dernières l’inquiètent… donc comme toujours, la sorcière s’approche de ce qui l’angoisse. “Connaître son ennemi”, quelque chose comme ça. - Les appelle pas comme ça. Sups. Ils sont pas plus supérieurs à mon cul que n’importe quel autre connard. Les mots ont un sens, et même abrégé, le terme la dérange. Entre ses lèvres, ça se résume en “Suppos”, “trou duc’”, “raclure” et autres sobriquets. Un coup de menton désigne les armes de poings, snipers et autres fusils. Pas d’armes de guerre, certes, mais c’est bien ce qu’on fait avec ce genre de calibres.. - ça se finance, ce genre de trucs... Et je doute que ce soit par la vente de poésie chez Emaus… Là aussi, rien qu’un constat marmonné. Sans le considérer, elle détaille le contenu du sac en posant une fesse sur l’accoudoir du canapé. Le regard sombre, concentré. Y’a un glock là-dedans… Une arme de flics, pas le genre qu’on trouve à tous les coins de rue, qu’importe le pays. Une arme revendue un certain prix au marché noir, notamment dans les milieux où les sorciers issus ou imprégnés des milieux moldus se font leur place au soleil. Les glock, comme les Sig Sauer ou autres armes de ce type (toutes identifiées et répertoriées, donc perdues ou volées à des flics) s’y revendent à prix d’or : quelques malfrats les utilisent pour lancer la police moldue sur de fausses pistes et ralentir certains trafics ou pointer le viseur sur quelques bandes rivales pour gagner du temps. Les sorciers sont alors soit les malfrats en question, soit leur fournisseur. Rien n’est évidemment légal, où que ce soit, mais la pratique est courante. Assez pour que Jordane en soit au fait. Utiles, donc, pour détourner l’attention et gagner du temps. Sa présence ne veut rien dire de plus que celle des autres calibres soigneusement entretenus : tout ça vient de milieux craignos qu’elle n’a fait qu’effleurer quelques années plus tôt.
Les armes, les planques, le matos : tout ça se finance. Casser du connard, ça demande de l’oseille. Et l’oseille, ça se trouve par le sang, d’une manière ou d’une autre. L’héritage ou la rue.
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Ajay « Aldric » Tivari
Ven 2 Fév 2024 - 14:44
Inquiet ? Anxieux ? Non. Le regard n’hésite pas. Il a l’habitude d’être épié, de donner le change, d’assumer des choix qui tremblent parfois à l’intérieur. C’est le cas ? Je tremble ? Non. Et c’est bien ce qui craint. Je prend la mesure du danger à venir non avec froideur comme j’aimerai savoir faire, mais avec un calme rugueux, quelque chose qui pue l’angoisse, c’est vrai, mais qui sent la rage bien plus fort. C’est comme ça qu’on déborde. Comme ça qu’je foire. J’le sais. J’ai peur oui, bien sûr, mais c’est parce que j’ai peur - de moi, des autres - que je me plonge dans ce qui pourrait me détruire.
— Et pourquoi pas ? L’indifférence m’agace et un instant, je ne comprends pas vraiment. J’ai jamais dit à quoi ils étaient supérieurs, puisque ils tiennent tant à cette soi-disant supériorité. Certes. Et puis, “Sups”. Ça peut tout aussi bien dire “superflus”, ou “superficiels”. Ou “supérettes”, qui sait ? Vaut mieux prendre leur nom et le tourner en dérision. Suppôts. C’est et restera Suppôts. Estimons donc que c’est ce qui se cache derrière son abréviation. Je réponds pas, hausse des épaules. J’suis pas là pour jouer avec l’étymologiquement des mots ou pour remporter des débats stériles. Ok. J’entends l’argument. J’suis là pour savoir dans quoi je m’engage. Je sais ce qui traîne en périphérie de mes pensées. Ce que j’ai enfoui pour ne plus avoir à le poser sur la table. Les plaies du passé sont si lointaines qu’elles semblent appartenir à une autre vie. A une autre que moi. C’est pour ça que tu changes de nom ? D’identité ? C’est plus facile ? Je sais que c’est plus facile. J’penserai pas au premier gars que j’ai vu porter ce genre de jouets en dehors du club où j’allais ado. J’penserai pas au sang sur le bitume. J’penserai pas aux au regard vide de Sixten quand il s’est shooté le soir même, pour pas y penser lui non plus. À la texture de la seringue dans ma main, à ma lâcheté, au bruit de la télévision juste en dessous ou de la voisine qui se faisait tringler. J’penserai pas à ta gueule, à toi, ton regard d’aigle et la détonation qui devrait suivre la douleur dans ma chair. J’penserai pas à mon estomac qui s’est révulsé quand je tenais tes papiers, à deux kilomètres de là, en découvrant les plaies sur ma peau et la proximité de la mort. J’penserais pas au flingue qui était sur le bureau d’un type quand… Nan, j’pense pas.
Bien sûr que j’ai peur. ‘Faudrait être con pour pas avoir peur. La peur c’est c’qui te maintient en vie quand le reste a foutu l’camp. Mais j’ai pas peur comme un enfant a peur. J’ai peur comme quelqu’un qui sait qu’il a une guerre à mener, qu’être debout à la fin n’est pas assuré… et qui sent ce truc en lui. Une excitation malsaine. Un goût du sale et de la crasse. Un goût du sang peut être. Le goût de la peur, surtout. De l’adrénaline, plus exactement. Jamais dit que c’était sain comme comportement.
Mais ça toi tu l’sais pas. Comme je sais pas ce qu’il y a derrière le regard que tu me jettes.
— Tu crois quoi ? Que je me dorais la pilule à Cilaos ? Ou encore à Port-Louis ? Ah. Tu sais que c’est la première fois que tu fais ça ? Que t’assumes frontalement sans que ma vie ne soit sur le fil, cette rencontre qui a été notre première ? Ou peut être que c’est le cas, que ma vie est sur le fil. Mais j’crois pas. J’crois que je pose des questions et t’aime pas ça parce que toi non plus, t’as pas envie de penser. À ce que tu étais. Pourtant, là, t’y fais référence. Derrière les deux canons de flingue que tu me braques dans la gueule et qui font office de pupilles.
— Ça fait des années que je mets de l’argent de côté. Pour ce genre de situation, justement. Les faux papiers, ça rapporte, peu importe le pays.
C’est donc ça ta came ? Les faux papiers ? Ça change des dealers et des putes. J’sais pas si c’est mieux cela dit, mais t’as lâché des infos, finalement. Comme quoi tout est possible. Et tu me lâches pas de ton air inquisiteur.
Une demi-fesse sur l’accoudoir du canapé, les épaules lâches, le visage de biais je t’observe un instant. T’as forcément encore des contacts. Sans doute des merdes au cul, assez pour faire cramer l’identité d’Aldric je-ne-sais-quoi. Des concurrents ? Les flics ? Des clients mécontents ? Ou des adversaires des dits clients qui remontent ta piste ? Ça peut venir de plus loin, d’anciennes affaires ou de trucs de famille. Est-ce qu’on tombe là-dedans comme ça ou est-ce qu’il faut y être trempé depuis le début ? Va savoir. C’est pas moi qui poserait la question. C’est surtout que ça te regarde. Je connais juste trop la sensation d’un piège qui se referme sur moi pour avancer à vue.
- Arrête de râler. Tu m’excuseras de vouloir savoir dans quoi je mets les pieds. Pas une demande, ni un ordre. C’est dit avec le même ton grinçant que j’ai si souvent, sans même chercher à échapper aux billes sombres de ton regard. T’as de quoi en faire plier pas mal avec cette gueule-là. J’attends pas la suite, et me redresse.
- Bon ! Sécuriser les planques du coup ? Tu me fais un bilan sur la situation ou j’le devine dans ton r’gard de braise ? Un sourire passe, en coin. Ouais, j’me moque. Ah, et concernant tes jouets, si le but c’est que je m’en serve en cas de besoin, va falloir assumer ton côté donneur de leçons et m’en faire une ou deux.” Là encore, c’est dit avec un ton aussi dégagé qu’affirmé. Une note de jeu dans le fond de la voix ; pas que je prenne quoi que ce soit à la légère, simplement une habitude. Tu comprendras vite que j’y suis pas complètement étrangère, au tir, je le sais. Mais ça, j’ai aucune envie de l’aborder. Ni les cours pris à l’adolescence dans un stand de tir, qui n’ont évidemment jamais servi avant les quelques séances d’entraînement avec Margo à la Garde. Toujours des armes de poing. Quand aux cours que je devais donner à Sanae… tombés dans l’oubli depuis l’embrouille. J’ai surtout la décence de connaître mes limites. De savoir que t’as des trucs à m’apprendre. Ya des calibres là-dedans que je ne saurais pas manier - titre ; titre chiant mais titre quand même - et tout skill est un skill à prendre.
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Ajay « Aldric » Tivari
Mar 27 Fév 2024 - 10:36
La fluidité qui ripe, le risque de décevoir ce regard sombre qui me fixe dans ce que j’interprète comme une possibilité de doute… J’le vois tout ça. J’le vois, mais si je sais que ton problème pourrait devenir le mien si j’ai l’erreur de décevoir un mec comme toi.. Là pour l’instant, ça reste ta merde. La vérité, c’est que j’ai des souvenirs qui remuent sous la surface et que je repousse le plus loin possible sans leur donner corps. J’ai pourtant l’odeur du fer dans le nez, la texture du métal contre ma joue et un goût âcre dans la bouche. J’ai peur, ouais c’est vrai. Une angoisse que j’admettrai pas et que je ravale à chaque mouvement, chaque regard et chaque prise de parole. C’est stupide, d’avoir peur d’un truc du passé. Ça l’est d’autant plus que le monde moldu n’est pas pire que le monde magique. Et que les armes à feu comme les armes de poing ne font pas plus de dégâts que la magie.
Ça fait pas sens. Et puisque j’aime pas être esclave de la peur qui me noue les veines, je repousse tout ça comme je me redresse hors du canapé. Pas que je lui fasse confiance, pas que j’oublie à quel point j’ai pu déboucher en enfer quand ce genre de jouets entraient dans l’équation. J’sais pas si je suis inconsciente, si je me fais confiance ou si je pense juste que je saurais gérer. Je suppose que j’ai plus seize ans. C’est surtout ça. Qu’il y a des abysses qu’il convient de ne pas regarder trop longuement.
Cet assentiment, c’est celui de ne pas tout à fait savoir dans quoi il trempe mais d’avoir assez effleurer la surface pour en avoir une idée qui me suffit. C’est aussi que je suis plus solide face à ce que sont ceux qui s’appellent Supérieurs que ce que la crasse des milieux les moins fréquentables a à m’offrir. Je m’attends surtout à ce que le reste de ses emmerdes finissent par le retrouver. Je doute qu’il ai quitté la Garde à cause des “Sups”, ça se limite à ça.
— Je t’emmènerai sur des terrains vagues pour t’apprendre.
Je hoche de la tête, me remet au boulot, lâche un assentiment. Ca marche. Dans ma langue, c’est même un remerciement. Mais je ne m’y attarde pas et me met à ranger à sa suite, en l’écoutant reprendre.
— Pour l’instant, y a pas grand chose à savoir. Je constitue notre filet de sécurité. Des planques, à droite à gauche - Angleterre, pays d’Europe, mieux vaut pas se limiter. J’accumule les ressources. J’m’attendais pas à ce qu’il ait tant de ressources. Et je sais dans quel milieu je l’ai rencontré la première fois. Alors oui, naturellement, je m’attendais à frayer de nouveau avec des activités que je n’ai fait que frôler en étant jeune. Je m’y suis déjà assez abîmée, c’est vrai. Mais j’étais déjà prête à y replonger jusqu’à la gorge. Il n’en évoque rien, c’est donc rassurant. Je recrute, aussi.
Ce regard, je mets un moment à le capter, occupée à faire le tri, rassembler de quoi constituer une “trousse de secours”. Il me surprend mais je n’y répond que d’un sourire. J’ai l’air de lui demander s’il me croit jalouse au point de lui taper un scandale à l’idée qu’il y en ai d’autres que moi et cet échange, tout en silence, me fait sourire d’autant plus.
— Et une fois le réseau constitué et solide, on pourra passer à l’offensive. Glaner des infos sur leurs actions, les saboter, ce genre de choses. Nouveau sourire, plus mordant. J’aime quand un mec me dit du sale. Millième degré. Et jamais il n’a évoqué de techniques glauquaces de ramener de la tune.
Bon.
On avance, donc.
Pieds à plat en contact sur le lino tiède, j’attache les boucles brunes qui me dérangent et me mets au boulot. Petit à petit, on convient de ce qu’il y a à faire. Répartir les ressources, en planquer dans cet appartement là, s’assurer d’avoir des armes, de la bouffe, de quoi se soigner à portée de main. On passe tout ça en revu ; les sorts, les accès, le verni extérieur pour faire passer tout ça pour un appartement tout ce qu’il y a de plus normal. Par moment, je songe à “ces autres”. Ceux à qui il faudra apprendre à faire confiance, alors même que rares sont ceux qui ont gagné la mienne au sein de la Garde. Je songe à ce qu’on m’y reproche, à cette dernière année passée à perdre tant le compte des missions que des morts. J’parle pas et mon air goguenard a disparu. Pas par crainte, replis ou anxiété, juste parce que concentration et efficacité ont pris le dessus.
Âge personnage : 37 ans Hiboux postés. : 363 Date d'inscription : 14/01/2023Crédits : awonaa Double Compte : Shura, Gaby & Rachel
Ajay « Aldric » Tivari
Jeu 7 Mar 2024 - 22:14
Déposer les cartons, ouvrir les fenêtres, mettre la musique, fermer le portail. Attacher les cheveux sombres et bouclés, resserrer les baskets blanches immaculées, ajuster le petit gilet sans manches façon blazer et le foulard de trois tours autour de son cou. Ne pas penser aux circonstances dans lesquelles elle a reçu le texto d’Aldric, quelques jours plus tôt, en planque pour la Garde. Ouvert bien après que la mission ai mal tourné. Je repousse la frange en essuyant mon front et inspire. Cette vie là se doit d’être tenue à l’écart. Ne pas croiser les mondes. Tout à sa place. Ça a toujours été un peu comme ça depuis ma fuite des squats londoniens. Ou depuis que je m’y suis pointée d’ailleurs. On quitte un lieu et on laisse les visages derrière soi. On y laisse ses brouillons de soi. Ces tentatives foirées. Ces reliquats d’une personne qu’ils ne connaîtront jamais vraiment. J’ai jamais changé de noms comme j’le fais là, pour des raisons pratiques. Mais l’idée a toujours été la même. Demi-tour, sans se retourner. Ça fait cinq ans que ça foire et plus le temps passe, plus j’ai l’impression de créer des vies qui se télescopent. Plus encore, même, depuis qu’Aldric a ressurgit. Comme s’il initiait un point de bascule. J’en chasse l’idée en faisant demi-tour dans l’allée quand je m’arrête. Mes talons crissent dans les gravillons : derrière moi le portail s’est arrêté en cours de fermeture. Je râle. Jure. En allemand. Un mois que j’ai dans les oreillettes des bouquins en allemand avec ses conneries de Bavière à lui ! J’y retourne. Le battant grince sans bouger. Le moteur tourne dans le vide. Je m’y accroupis, manipule les bras métalliques et replace du poignet les écouteurs dans mes oreilles - pas de casque, comme ce que je porte, moi. Franze tient à ses boucles - et esquisse une grimace. Pas bien compliqué à réparer. Mais j’avorte l’idée de m’en occuper et me contente de repousser le second battant pour refermer le portail à la main. Pourrait-on m’observer d’ici ? A la ronde, des champs, des moutons, un champ avec un vieux cheval qui n’a sans doute pas vu autre chose que les bordures électrifiées depuis un moment, et une vieille maison défraîchie du voisin… tout aussi défraîchis. Une large bordure de haies. D’autres voisins un peu plus loin. Et moi qui me suis démerdée pour m’assurer d’arriver sans que personne ne me voit. Comme si j’étais arrivée la nuit.
Je me retourne, fixe l’un des grands arbres qui bordent les champs non plus. Tique. De là-haut, on peut avoir vue sur la maison.
Jardin fermé. Je rentre. Sur la petite tablette dans l’entrée, coincée entre deux poutres porteuses, traîne mon sac vert émeraude. Celui qui ne me ressemble pas et dans lequel traîne en vérité ma sacoche. Celle de cuir clair, limée depuis les années, que je balade partout depuis mes quinze ans et qui renferme, surtout, ce que j’ai toujours considéré comme un kit de survie.
L’idée c’est d’appliquer ce que j’ai mis en place dans ce tout petit espace, mais partout autour de moi.
Alors les heures, puis les jours qui passent, je m’y attable.
Je mets en place des trousses de secours en plusieurs endroits accessibles de la maison. Avec elles, d’autres trucs. De quoi distraire, nourrir, soigner. Le genre de coups de pouce que je balade depuis des années, au fil de mes découvertes. Métamorphoses obligent - ou simples bidouilles - je m’arrange pour les rendre accessibles. Commence le rangement. Ensorcelle certains tiroirs pour permettre d’y planquer le nécessaire. J’y mets quelques potions, du dictame, de la gaze, des pansements. Puis quand mon stock se tarit, je passe au reste. Aldric apportera ce qu’il manque. J’ai pas la tune, frère. Le reste, donc. La cave communique avec une ouverture extérieure, une trappe que je m’occupe une nuit de rendre fonctionnelle. Sécurisée. Un lieu de fuite, pas un lieu d’entrée.
Le 26, quand il arrive, il y a un récap des choses à savoir dans le quartier. Planqué dans un bouquin de recette abandonné avec d’autres livres du même genre. Papier ensorcelé ressemblant à une recette notée à la main, comme toutes les autres dans les autres bouquins. Tous achetée dans une foire-à-tout à distance plus que raisonnable. Même écriture.
Des moustiquaires aux fenêtres. Justifiées par la présence d’une marre non loin - ensorcelées au préalable. J’ai aucune idée de ce qu’il a en tête. Mais en campagne, tout le monde connaît tout le monde. La moindre lumière allumée à un horaire étonnant sera notifiée par les commères du quartier. Il a peut être en tête des trucs que j’ignore. Auquel cas il faut que les lieux aient l’air le plus normales possibles et fonctionnelles en cas d’attaque. Clairement pas le plus simple ici. Pouvoir monter et abaisser les moustiquaires permettra d’empêcher qui que ce soit de voir à l’intérieur. Idem pour l’isolation phonique.
Une haie véritablement impénétrable. J’ai fais le tour du jardin, comble les trous dans la haie, les quelques thuyas morts ou à la base trop clairsemée à mon goût ; entachant le bel hermétisme de l’enceinte. D’ici une semaine, il n’y aura plus une ouverture.
Une cache à l’arrière de la cheminée, dans l’alcôve de briques. Pour ça, j’ai galéré. Mais elle fonctionnelle et je manque de sommeil.
— Franzë ! Je suis arrivé !
J’écrase un bâillement et me relève. — Tu viens me donner un coup de main avec les courses ? Les fringues de mon arrivée ont été troquées par celles, plus basiques, de la nana qui emménage depuis deux jours. Les cheveux enroulées dans une pince à cheveux. J’lâche pas le rôle. Le sourire, l’accueil joyeux, la main qui vole sur son épaule et glisse dans son dos tout en lui faisant la bise, sur la pointe des pieds, comme si je n’étais pas consciente de mon propre mètre quatre-vingt.
- ça a été la route ? Talons au sols, je chope l’un des sacs au passage. Oh tant que j’y pense, t’as dû voir, le portail déconne, j’crois qu’il y a un mauvais contact quelque part !
Âge personnage : 37 ans Hiboux postés. : 363 Date d'inscription : 14/01/2023Crédits : awonaa Double Compte : Shura, Gaby & Rachel
Ajay « Aldric » Tivari
Mar 19 Mar 2024 - 22:45
— Des problèmes en particulier ?
La fatigue tire mon dos et mes muscles. Elle se répand dans mon cou où chaque fibre me semble renâcler au mouvement. La fatigue. Ça a toujours été un état d’entre deux eaux. Une sensation qui appelle au décalage. Un sentiment familier, rassurant. Le genre dans lequel deux gamins assassinés n’ont pas tout à fait leur place, pas plus que les guerres à venir, les occasions manquées, les relations détruites et les décisions du passé. Un besoin d’immédiateté qui se cristallise dans ces petites tensions du corps et des nerfs quand l’organisme manque de sommeil.
- A priori non.
Mes épaules reviennent vers l’avant. Mon menton se relève avec davantage d’impertinence que n’en aura jamais Franze et sa jovialité nauséeuse. Pas que je cherche à l’être, impertinente. C’est bien au contraire la pertinence que je cherche depuis quelques jours. L’impression d’être sur tous les fronts fait du bien. D’être ici et ailleurs. Mais ici, surtout. Loin de toi, loin de Jordane et de ses échecs. Sa distance me rassure. Elle contraste avec la familiarité tendre du frangin qu’il joue quand la porte n’est pas encore fermée. Rend cette dernière plus aisée. Ironique même, amusante. Les masques et leur facilité à tomber ont quelque chose qui me plaît. Quelque chose d’assumé avec lui, qui n’avait jamais eu lieu où que ce soit d’autre. J’ai souvenir de quitter Londres, les marques des impacts de Sixten sur la peau, la gorge encore brûlée des exigences d’hommes dont j’ai plus dans la mémoire rien d’autre que la nausée constante de cette époque. Je me revois devant le miroir d’une boite, en Pologne. Un truc en sous-sol, là où la barrière de la langue m’isolait de l’univers autour de moi. Les mèches qui tombent les unes après les autres dans l’évier et l’impression de pouvoir, ici et si loin de tout, couper court aux dernières heures passées à Londres. J’enfonce mes mains dans mes poches et redresse le regard à l’une de ses questions. Le tour des chambres passe sans que ni l’un ni l’autre ne prenions le temps de nous attarder sur ce qu’on est l’un et l’autre. Il pose le regard sur chaque meuble, observe de son œil inquisiteur chacun des arrangements que j’ai fait. Des lampes choisies de part et d’autre d’un lit à large édredons d’un style que j’ai jamais vu ailleurs que chez une grande tante éloignée. L’inspiration du passé, sans rapport avec le présent. Que mes réponses à ses questions plaisent ou dérangent, Aldric n’en montre rien et je laisse couler ce silence. A peine prête-t-il attention à moi. Là aussi, ça me va. Concentré, il ne s’attarde pas plus sur le regard que je laisse couler sur cet air de prof bourru qu’il se forge pour l’occasion. J’y cherche signe non pas de validation mais d’assentiment. J’ai combiné ses conseils avec les souvenirs qu’il me reste de la rue. Pas certaine que les habitudes de camés et de paumés soient les meilleures qui soient. Pas certaine de vouloir y songer. Lorsque ma main passe sur ma gorge, j’intègre mon geste avec agacement et en ramène la paume sur ma nuque pour y masser les muscles douloureux. Nouvelle réminiscence du passé. Retour des mains dans les poches, réponses factuelles, coup d’œil aux planques dans le dossier du lit. Ravie de sortir des chambres, on passe dans les salles de bain, puis le dressing, le bureau. Puis la cave. J’y garde le regard fixe, balaye un instant les ustensiles laissés sur place. Rien n’est parfait encore mais je n’ai pas chaumé, c’est une chose certaine. Toujours le silence.
Je remonte le regard vers son visage de rocaille. Attend une info, un retour. Mais de nouveau, il reste de marbre et se détourne sans ne m’accorder autre chose que des questions froides. En d’autres temps, ça m’aurait énervée. Mais j’ai la froideur minérale acquise à la Garde. J’ai la distance que trop d’hommes m’ont enseignée. Si ça te plaît pas, ça me va. C’est d’ailleurs une sensation qui me fait du bien. Loin de l’affect développé auprès des proches, des amis, de ces gens que j’aurai d’ordinaire largué depuis longtemps. Loin des attentes.
Mes pieds foulent le carrelage passé de la cuisine quand Aldric remonte un œil sur moi. Je sais, pourtant, je vois les marques du jugement mutique. Il coule au loin.
— J’ai apporté le reste. D’un geste, le sorcier désigne les armes dans le sac abandonné dans le salon. Tu sais où tu veux les installer ? Comment tu veux les installer ? - T’as une planque derrière la cheminée. Ignifugée et tout le reste. Position centrale dans la maison. Idem en cuisine. Cave, chambre. Les lieux isolés de la maison qui empêchent le repli. De quoi se réapprovisionner en cas de besoin, faciles d’accès mais invisibles. Du moins dans l’idée.
Mon regard s’y perd une seconde. Des flingues dans un cabas en plastique. Assez loin de l’univers dans lequel je l’ai rencontré, et pourtant si proche. Assez loin, surtout, de ce que cette vue fait ressurgir en moi. La sensation d’un canon sur la joue, les ordres en russe qui tonnent et le carrelage râpeux et froid sous les genoux. Je redresse les yeux, trouve un instant ses prunelles si sombres.
T’as quoi toi, comme réminiscence de tes vies passées ? Pourquoi Aldric et les autres en sont passés par un incendies pour te permettre de mettre un pas devant l’autre ? Ou alors il n’y a là que des projections à la con de ma part.
- Il y a un puits dehors ; je reprend. Derrière la maison, dans le verger, en accès quasi direct par la cave. Ça peut être un bon endroit si on en gère bien l’accès. Tout le jeu c’est que ça ne puisse pas servir à l’adversaire.
Un nouveau bâillement me prend par surprise et j’attends qu’il soit passé pour reprendre ; “J’ai repéré quelques lattes mal foutues dans deux chambres. Faudra étudier les plans, ya peut être moyen d’un faire une cache à taille humaine avec quelques sorts. Et au pire, de quoi planquer ne serait-ce qu’un nécessaire de soin, une lame et l’un de tes jouets, ça se prend.”
Âge personnage : 37 ans Hiboux postés. : 363 Date d'inscription : 14/01/2023Crédits : awonaa Double Compte : Shura, Gaby & Rachel
Ajay « Aldric » Tivari
Lun 1 Avr 2024 - 13:41
J’ai parfois l’impression de marcher sur un fil et je ne veux pas être cette femme-là. Enchaînée, endiguée par ses souvenirs. Ils sont là pourtant. Ils planent à chaque cache, à chaque réflexes autrefois acquis, aux réflexions sous-jacentes et aux idées mal-acquises. Je pourrais basculer pour un rien. Trouver Sixten dans les jointures des planques, là où il cachait sa came et m’apprenait à dissimuler les indices. “Les camés, ça a le flair plus affûtés qu’un flic”, disait-il. La loyauté plus branlante, aussi. Une leçon apprise plus tard. Difficilement. Sentir l’odeur de la poudre et le regard d’un homme, les souvenirs profondément remisés en quelques lieux poussiéreux au fin fond de ma mémoire. Là où la crasse englobe tout. Où ça colle, ça suinte, ça s’agglutine comme une poisse filandreuse dont je ne saurai me défaire. Les odeurs. La moquette brûlée par le temps. Les textiles rêches. Tout m’effleure par moments avant d’être embarqué dans les abysses, les souvenirs accrochés à une enclume pour couler loin de ma conscience. Je crois que cette grande maison, les planques à la chaîne d’Aldric, ses instructions et même sa manière d’être n’ont rien à voir avec tout ça.
C’est là sans y être.
Comme une part de mon histoire. Dans les planques évoquées, la facilité à passer d’une langue à l’autre, l’habitude de ne pas être tout à fait moi-même et l’obstination à laisser les faiblesses et les emmerdes au placard. C’est plus facile, je crois, quand on ne s’appelle même pas par nos véritables noms. La raison, sans doute, à ses changements de pseudonymes.
— Le puits nécessitera des aménagements supplémentaires pour empêcher des ennemis de s’en servir. J’acquiesce. C’était sous-entendu dans ma prise de parole. Chose qui m’agace un poil, cela dit en passant. Des choses à savoir sur le voisinage ? Il observe la cuisine, note en silence un faux tiroir et la cachette sous le four ; moi j’écrase un bâillement et reprend. Suivre des ordres est plus simple après un an à la Garde. - Une vieille possiblement commère à quelques rues. En face on a un papy en fauteuil qui ne sort pas de chez lui et communique avec personne, véritable ermite abandonné par tous. Et incapable de voir au delà de sa fenêtre. Y’a un bouquiniste en centre village pas loin de fermer, une supérette et une buvette. Trois bus aux horaires… partiels. Dont un chauffeur qui semble connaître tout le monde. De toutes les langues que j’ai appris à parler, celle-là n’est clairement pas la plus naturelle et freine l’efficacité de mes écoutes. “En trois jours j’ai pas mieux.” La fatigue tiraille et je laisse mon dos retomber sur les poutres lustrées qui séparent la cuisine de la salle de vie. Je l’observe sans le faire, à la fois en attente de la suite, de ce qu’il pense peut-être mais en refus obtus d’en être là. Chercher son approbation ? Ça serait ridicule. Pas mon boss, pas mon pote, pas mon mec, pas mon père et côté partenaires… ça se discute encore. Ce genre de choses se construisent, comme la confiance. Pourtant d’une certaine manière, ça s’installe. Dans les regards, les silences. Dans des choses qui valent plus pour moi que des déclarations absurdes et des moves grandiloquents. Ça suit son rythme.
La réflexion passe quand son mouvement brusque attire mon attention. Un éclat métallique passe et j’attrape l’objet en vol sans comprendre. — T’as fait du très bon boulot. Elles sont à toi. C’est ta planque. Mon regard tombe sur la paume de ma main, circonspect. - Quoi ? La question sonne incrédule. Voix blanche, faiblarde. Alors je me racle la gorge et l’éclaircit pour reprendre plus fort. “Qu’est-ce 'tu racontes comme conneries ?!” Les sourcils froncés et le timbre affirmé sans hausser le ton pour autant. Sa main tendue me chope aux tripes et les compliments bourdonnent dans ma tête. - C’est illogique au possible. Se raccrocher aux branches, faire preuve de logique. “J’peux pas être sur place, monter un narratif solide ou juste… on est dans une petite campagne : les gens du coin remarqueront que quelque chose cloche… Et d’où tu m’files une planque ?!” Je l’aime pas, cette voix que je maîtrise au mieux mais qui me semble trahir les tambours qui battent mes côtes.
Une baraque. Genre tu m’offres une baraque. J’ai passé des années à la rue, j’ai pas eu un “chez moi” depuis dix ans et toi tu …
Je renvoies les clefs.
- C’est débile. Et dangereux. Trouve quelqu’un qui parlera parfaitement la langue et dont l’histoire collera à celle mise en place ici.
Quelqu'un en qui tu pourras avoir confiance. Cette personne c’est pas moi.
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Ajay « Aldric » Tivari
Jeu 25 Avr 2024 - 18:11
Pourquoi tu ferais ça ? Ça fait pas sens. Tu t’adresses pas à la bonne personne. T’en trouveras des tas d’autres, qui ne disparaîtront pas du jour au lendemain. Des tas de gens pour qui le métal coincé dans ma paume ne semblera pas chauffé au fer rouge. C’est idiot mais l’idée même accélère mon cœur plus brutalement que n’importe quelle menace. Idiot mais les clefs repartent d’où elles viennent comme si elles laissaient véritablement la marque d’une brûlure sur ma peau. Idiot mais ma voix fait faible sur la seule inflexion d’un mot, puis trop brusque sur la suite. Ça n’a rien d’une colère fébrile. Des inflexions enfantines d’une crise de nerf. Le ton est plus froid que d’ordinaire, dénué de mes habituelles piques. Braque. L’idée est pas envisageable, c’est comme ça.
Un coup de chaud, un coup de froid. Un élan de rejet brusque et immédiat qui ne souffre d’aucune concession.
Et Aldric qui rattrape les clefs sans en sembler plus surpris que ça. Si c’était un test, je viens de le foirer et l’idée ne m’est même pas venue à l’esprit. Il me fixe un instant, de ces prunelles sombres qu’il a trop souvent planté dans les miennes. Celles dans lesquelles j’ai vu la colère, le meurtre, la suspicion et une forme étrange de compréhension mutique. J’aurais pu, je sais, avoir peur de la menace qu’il représente si d’aventure je m’oppose à ses idées. Peur de l’abandon, même, s’il s’agit de faire de moi une jeune fille effarouchée. J’ai pas la faiblesse de me considérer à ses ordres, ni en attente de son approbation. Mais j’ai celle de paniquer à l’idée d’une accroche. D’un point de repère. De ce qu’une simple clef peut signifier pour quelqu’un qui n’en a pas tenu depuis longtemps.
Puis Aldric se laisse tomber calmement sur le canapé et dépose le petit objet de métal sur la table basse. Doucement. Avec les doigts qui la retiennent une seconde avant de la laisser sur le bois lustré. Puis sans un mot il passe une main dans sa poche, dans les plis de ses vêtements, sous la veste et le pantalon. Un instant après l’autre, se posent sur la table un gun, plusieurs lames, sa baguette et des munitions. Même un canif que je le taxerais bien de l’avoir sorti de son cul. Mais j’en dis rien, parce que derrière mon humour facile, je sais reconnaître les accents de la sincérité. Je sais aussi ce que c’est de se désarmer et de faire face à quelqu’un qui s’en fout. Ou qui l’utilise. Alors je ferme ma gueule et observe en silence cette prise de position que j’attendais pas. Une part de moi arrête le regard sur l’ensemble des lames, incrédule de voir le nombre d’armes cachées là-dessous. T’as combien de gars à tes trousses pour vivre avec une telle artillerie sur le dos ?
Puis sans un commentaire, Aldric s’adosse au canapé, les bras en croix sur le dossier.
— Si je te faisais pas confiance, je t’aurais poussée ce jour-là.
Ou plantée, je songe en soupesant le temps qu’il aurait fallu pour qu’une lame apparaisse dans sa paume et se fige dans ma gorge. Ce jour-là ou un autre. Mais je redresse le regard dans le sien et réalise qu’il aborde un sujet qu’on a toujours laissé de côté. Désarmé, donc.
— Et si t’avais pas ma confiance, je t’aurais pas confié la sécur’ de la planque. T’as eu mille occasions de truffer les lieux de pièges en tout genre, comme t’as eu mille occasions de me dénoncer à la Garde. Vrai. Et je l’ai même pas envisagé.
Il se redresse et appuie plus profondément son regard dans le mien.
— T’en as rien fait.
Un frisson passe, qui n’a rien à voir avec ses faux airs d’assassin tout droit sorti de Kill Bill. S’il est désarmé, je me sens à nue. Pas que j’ai jamais eu l’impression d’être armée à ses côtés cependant.
— Je me fiche de ce que raconte la Garde à ton sujet. Ce que d’autres ont pu te dire. T’es débrouillarde. Tu réfléchis vite, tu t’adaptes à la situation pour ne pas rester démunie. Instable. Non Fiable. Butée. Impulsive. Écervelée. Suicidaire. Égoïste. Lâcheuse. Salope. Ta réactivité t’a sauvé la vie plus d’une fois. Elles passent derrière mes rétines et dans l’une d’elles, tu tenais les armes. T’as jamais cherché à me faire chanter. Avec les documents ou avec ma survie. T’as accepté de me suivre sans même savoir de quoi il en retournait. Tu me suis encore, alors que t'en sais toujours rien. Peut être parce que je le suis ? Instable, butée, impulsive écervelée et suicidaire ? Que parler de toi à la Garde ça serait me dévoiler, moi. Égoïste, donc.
Et ces yeux qui ne m’ont jamais lâchée d’un iota. Il y a bien des ombres qui se meuvent là-dedans. Quelque chose de fascinant dans la force que j’y lis. D’autant plus marquant, sans doute, que j’y vois des fêlures qui devraient sans doute passer inaperçu.
— Si t’es pas digne de confiance, t’es quoi au juste ? Ou je suis trop con pour comprendre pourquoi t’es pas fiable ?
L’interrogation me plante sous les côtes et mon souffle s’arrête un instant.
Je suis..
Je lève les yeux au ciel un instant et me défait de cette immobilité qui m’a saisie dès l’instant où il s’est désarmé, m’épinglant comme un papillon sur un tableau de liège avec chacun de ces compliments sortis de nulle part. Et puisque je n’ai jamais aimé la passivité, je contourne la table, pose ma main à plat sur l’ensemble d’armes et sans prêter attention à la texture du métal sur mes doigts, j’écarte le tas pour me laisser la place de m’asseoir face à lui. Cul sur la table basse. Mon regard droit dans le sien, aussi clair que le sien est d’ambre. Après un instant, ma baguette suit le chemin de la sienne et si une hésitation traîne une seconde, un opinel la rejoint finalement. Retour vers son regard de tueur et ses compliments de bisounours.
- Tu d’viens sacrément sentimental quand tu parles de m’assassiner dis-moi…
‘Jamais dit me défaire de mon cynisme. Pas plus que de l’ombre d’un sourire qui flotte quelque part à l’orée de mes lèvres.
Mes talons ancrés dans le sol, le regard droit, les genoux proches des siens et le dos un peu rond. Quand au reste ; un avant bras sur la cuisse, le coude sur la seconde je mord l’ongle de mon pouce avant de me défaire de ce réflexe d’ado. Je me redresse d’un rien et laisse retomber un souffle en même temps que ma main dans le vide.
- Accro à une veine insolente.” Tu le sais. “Réactive”, certes, mais aussi chanceuse. Sinon tu m’aurais tuée à la première seconde de notre rencontre. “On va espérer que la chance serve tes intérêts en même temps que les miens.” Tu l’es toi ? Loyal ? Ou Cilaos risque de voir mon cadavre un jour prochain ? Mes épaules roulent quand je me redresse encore sans défaire mon regard du sien. - Foutraque. Égoïste. Butée. Un poil orgueilleuse. Et apparemment décidée d’arrêter de courir d’un enfer au suivant.” Je hausse des épaules. ”Question d’acclimatation.” Je sais pas d’où ça vient. Si ma conclusion provient qu’un simple bilan de ce que je sais de lui ou pas, mais je crois qu’on a ça en commun. Cette sensation partagée s’ancre de mon regard au sien. J’en parlerai pas. Lui non plus sans doute. Je recule le dos, d’un rien et lui adresse un signe du menton. “Effectivement, ton opinion n’est pas partagée par grand monde.” Une ombre dans mon regard. Pas même par moi.“Ta survie tient du miracle avec une jugeote pareille…” Sur cette réflexion en revanche, un petit sourire moqueur apparaît, porteur de cette forme de complicité étrange et encore balbutiante qui s’est mise à avoir cours entre nous.
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Ajay « Aldric » Tivari
Sam 27 Avr 2024 - 15:32
— Attends que j’porte des fleurs sur ta tombe.
Seule la froideur porte sa voix mais le sourire en coin qui se dessine ricoche sur ses lèvres et atteint les miennes. Définitivement sentimental… quand il s’agit de parler de m’assassiner. Ça a quelque chose d’étrangement rassurant. Le détachement qui devrait être absurde, l’éclat que je trouve dans ses prunelles et la manière de faire face à la vérité, sans concession. J’ai jamais supporté les beaux discours, les certitudes mièvres et les espoirs futiles. Pas que la rue ne soit jamais porteuse des espérances les plus illusoires. Mais j’y ai puisé l’aptitude à contempler des horizons crevassés. Je l’ai cherché. Ce calme étrange qui bourdonne sous la surface. Devient-on plus solide ou plus fragile face au danger ? J’ai jamais su trancher.
— Ouais. Tellement pourrie la jugeote qu’elle m’offre la belle vie depuis treize ans. Tout comme je ne saurais trancher la pertinence de cette réflexion. “La belle vie” ? Cet homme me semble écorché vif, seul et incertain. Il a la même assurance que la mienne, toute en craquelures. — Tellement pourrie la jugeote que le “bon sens” que tu cherches à m’faire gober m’atteint pas. Je fronce des sourcils et tique sous la pique. L’instant suivant, Aldric détache son dos du canapé et bascule vers moi. Ainsi positionnés face à face, nos genoux ne sont pas bien loin l’un de l’autre et l’ancrage qui nous rapproche dégage quelque chose qui me plaît assez malgré la certitude de ne pas être prête à entendre la suite. Je ne recule pas sous les yeux incisifs et sent les miens se plisser d’un rien. La chance ? C’est le bobard qu’on se raconte parce qu’on sait pas expliquer une situation. Parce qu’on croit pas à ses propres capacités. Parce qu’on oublie qu’on est pas seul à jouer. “On”, pas “tu”. Une pensée qui passe en météore et m’abandonne à l’instant où la portée de ses mots m’atteint. La chance, c’est pourtant ce qui me maintiens en vie depuis des années. Ça et.. Égoïste ? Tant mieux. Faut garder les pieds sur terre. Se donner corps et âme pour une cause, c’est bien joli, mais c’est courir au suicide. Exactement. J’ai un souffle amusé. Il y a dans ces quelques mots toute une histoire de vie en filigrane. Ce que d’autres reprochent sonne pour lui comme une évidence. C’est mon cas aussi. Tant mieux. Et butée ? Ouais. T’as ton caractère. T’as tes opinions. Ça t’a sauvée plus d’une fois. Ça te sauvera encore. C’est pas parce que tu rentres pas dans le moule de la Garde que c’est à jeter.
C’est absurde mais la mention à la Garde me surprend, comme si elle avait cessé d’exister quelque part entre la porte d’entrée et l’échange de clefs.
Lorsque son corps se rabat en arrière, je n’ai pas bougé d’un pouce. Chopée par l’intimité brusque d’une telle conversation, c’est vrai, mais pas dérangée pour autant. Étrangement.
— J’ai tué mon premier homme à dix piges. C’est peut être pour ça. D’instinct, je sais qu’il a pire sous le cuir que j’en aurais jamais. Avant de lâcher cette bombe qui devrait me crisper mais n’en fait rien, Aldric a tiré paquet de clopes et briquet de sa poche avant de s’en allumer une et de poser l’ensemble sur la table à côté de ma cuisse. Un appel du menton auquel je ne répond qu’après un temps, une fois que l’évocation du mort prend sa place dans mon esprit et qu’il rajoute quelques détails que je n’attendais pas plus. Le premier d’une longue liste. Les impératifs de la famille. Du beau-père, surtout. Un vrai connard. Je compte plus le nombre de fois où j’ai torturé des gens selon son bon vouloir. Une manière pour moi d’entraver ce regard que je sais apparaître dans la clarté de mes iris. S’il s’est reculé et tire lentement taff sur taff, il brise pourtant le silence mis en place entre nous. Les contours qu’il dessinent devraient me saisir et m’étonner. Ils semblent pourtant étrangement familiers. Comme un souvenir d’enfance qui revient et qu’on aurait oublié momentanément. Des parts de lui déjà perçues sans en avoir fait un portrait si précis. Des contours tracés à coup de poignards. — La liste de mes crimes ferait pâlir un flic. ça, j’en avais une petite idée oui. Là encore, tu me diras : je suis là. ‘Jamais dit ne pas être suicidaire. Tu crois que la Garde m’aurait fait confiance, s’ils avaient su ? Non. Ou peut être que si. J’en sais rien, je ne comprends pas ces gens. Je sais qu’à moi, ils ne font pas confiance. Je sais que je ne ferais pas partie de leurs rangs s’ils savaient. Alors toi ?
— La confiance, elle sort pas de nulle part. Elle s’achète pas. Elle se crée. La confiance est la pire des conneries qui soit. Elle vous arrache en lambeaux dès qu’elle s’en va. J’ai jamais été très bonne pour ça. La Garde t’a toujours prise pour une gamine incapable d’obéir. Ils n’ont jamais voulu voir plus loin. T’as jamais coché les cases, parce que t’es pas la bonne soldate parfaite qui s’exécute sans réfléchir. En portant une clope à mes lèvres, je l’observe sans mot dire. Touched. Alors je tire sur le cône de poison et m’en emplis les poumons. A défaut de trouver quoi que ce soit à dire. Alors ils t’ont jamais permis d’apprendre. De développer ton potentiel. Tant que tu cochais pas leurs cases, c’était impossible. Et je ne les cocherai pas. Chaque décision est remise en question. Si je m’écarte des protocoles, j’ai tors. Quand d’autres le font, on ne dit rien. Je lève les yeux au ciel et lâche dans l’air un cercle de fumée qui s’achève en brume filante. J’ai toujours fonctionné seule, c’est un fait. Ils le savent et là dessus, ont raison. Tout comme de supposer que je présente un risque de tout larguer du jour au lendemain. Comme au détour d’un incendie… La pensée m’assène quand je ramène le regard sur Aldric. Puis des flammes succèdent aux suivantes et je revois Néolina, Générale en fonction, m’ordonner de quitter les lieux. Je revois mon demi-tour, les sorts enchaînés, les types que j’ai vu tomber sans y prêter attention. D’instinct, j’évite de poser les yeux sur les marques laissées sur mes bras, là où un feu sorcier avait déjà tracé des volutes violettes lors de l’attaque de Poudlard. Rien que des marques de plus, au même titre que l’encre qui décore bras, doigts et côtes. Ton histoire, tu l'as déjà partagée dis moi ?
— T’aurais pu me planter un nombre incalculable de fois. Avec les documents. A la Garde, avant, avec mon passif criminel. Après, avec ma prétendue mort. Maintenant, avec le réseau. Mais t’en as rien fait. T’es là. Prête à apprendre. A surpasser tes peurs. Il pose un regard sur le flingue, je ramène mes yeux droit dans les siens et tire de nouveau sur la cigarette. C’est pas des flingues dont j’ai peur. Mais des hommes qui les manient. Et t’es le genre de spécimens qui devrait me terrifier. On a tous nos faiblesses, mais ça veut pas dire que t’es pas digne de confiance. Clope entre les lèvres, il se penche de nouveau pour choper les clefs puis calant la cigarette entre deux doigts, ramène l’ensemble entre nous. De nouveaux ancrés au sol, face à face. — Les clefs, c’est un tout. Ta récompense pour ton travail, parce que t’en as gagné le droit. La marque de ma confiance. Parce que je sais ce que tu vaux, ce que t’as encore sous le pied. Et la signification du réseau. Égal à égale. Tu fais partie du réseau. T’as droit à sa protection. Tu m’aides, je t’aides. C’est aussi simple que ça.
Un souffle s’échappe de mes narines. Ça, ça me va. Je sens sur ma cuisse le poids de mon avant-bras qui s’allège lorsque je ramène ma paume juste sous la sienne.
- Ok. Et y sens les clefs tomber.
Un instant en silence, j’acquiesce à ses propos sans vraiment le faire, le regard ramené dans le sien. J’essaye d’imaginer la scène. Celle du môme qui prend une vie au lieu de vivre sa vie. De la mention des tortures. Aurais-je jamais imaginé faire face à un tel profil, le jour où j’ai claqué la porte, dix ans plus tôt ? Je referme en silence les doigts sur l’objet de métal et le porte-clef associé. Refait le fil. La première rencontre, les invectives, les coups, la peur. La fuite, la surprise et la rage. La promesse mutique de me faire la peau. Les retrouvailles et les longs doigts de l’angoisse enroulés autour de mes tripes. Les échanges sur le toit. La prise de position, la manière dont il a imposé un mensonge tissé de toute pièce. L’arrêt sur image au moment de partir, mon refus de suivre une connerie, l’histoire que je remanie à ma façon. Puis la mission. Celles qui ont suivi. Le livre posé sur la table devant lui. Et puis ce verre à Cilaos.
Je passe un doigt dans le petit cercle de métal qui maintient la clef et laisse mon visage retomber une seconde en avant, pour étirer mes épaules endolories.
- T’es conscient qu’à dix piges, je matais pokémon à la télé ? Toi et moi on joue pas dans la même cour.. Un sourire cynique passe sur mes lèvres, barré par les quelques mèches qui retombent sur ma joue, échappées de l’élastique mal mis.
Ya pas vraiment de jugement de valeur là-dedans. Ni pour lui ni pour moi. Juste une vérité balancée comme ça.
Et le cynisme s’érode face à un véritable amusement. Lorsque je redresse le regard pour le planter dans le sien, un éclat nouveau dans le fond des rétines.
- J’dois m’attendre à ce que tu m’en fasses sacrément baver, pour voir jusqu’où il peut aller, mon foutu potentiel, c’est ça ?
Âge personnage : 37 ans Hiboux postés. : 363 Date d'inscription : 14/01/2023Crédits : awonaa Double Compte : Shura, Gaby & Rachel
Ajay « Aldric » Tivari
Hier à 11:44
Un instant encore, les regards se mêlent avec autant de force que le silence. Rien de plus. Rien de moins. Surtout “rien de moins”.
De sais ce dont est porteur le vide et je sais qu’ici, il n’y a rien de tel. Le silence est plein, bruyant même. Mais étrangement doux face à cette relation que seule la violence a construit. Ou du moins telle en est l’apparence.
Je sers un instant les clefs dans ma paume sans vraiment relever le regard quand Aldric se lève. Mon attention a un temps de retard, bloquée sur cette clope qu’il écrase sans la finir. J’ai une ado en moi outrée d’un tel constat. Celle qui pouvait ramasser des mégots au sol quitte à fumer quelque chose quand tout se barrait en couille et qu’elle n’arrivait plus à tenir sans prendre le large. Puis mes yeux dérivent vers le tas d’armes qu’il n’a pas touché, et se redressent pour accompagner son mouvement. Il se serre un verre d’eau, lâche un rire à ma réflexion. Il y a là dedans une normalité qui prend ses aises sans que je l’ai véritablement vue venir. Quelque chose de cru mais confortable. Peut être confortable car elle est crue, justement.
— T’en as bavé pour faire cette planque ?
Non. Et je ne répond que de l’ombre d’un sourire. Ou plutôt si, mais pas dans ce que mon référentiel appelle “en chier”. Je fatigue, c’est tout. Le corps fatigue, plus exactement. Mais être ici, loin du reste, loin de Naveen et des emmerdes, me soulage plus que je l’exprimerai jamais. Comme à la Garde, quand il s’agit de débrancher du réel.
— T’en baveras jamais plus que le nécessaire.
Le sentiment qui prédomine soudainement, pourtant, n’a rien à y voir.
C’est ok. On ne joue pas dans la même cour. Point. Fin de l’histoire.
Je devrais me relever, m’y remettre. Pourtant je l’observe vider son verre et le rincer avant de le poser sur l’évier. Tout à la fois le truc le plus absurde et le plus ordinaire jamais observé. Exactement comme le suivant, quand il se retourne vers moi.
— Va dormir, t’en as besoin. Je fronce les sourcils pour le toiser d’un ai sceptique. Il pourrait être cynique mais il y a quelque chose dans ce sourire mince qu’il m’adresse qui a raison de mes dernières barrières. Je gère le reste.
Alors je lâche un souffle et me lève, vaincue, en glissant le trousseau dans ma poche.
Lorsque mon pied se pose sur la première marche de l'escalier, je lâche dans un sourire :
- Fais gaffe à l’eau quand même… je m’en voudrais pour le poison.
Spoiler:
Bien sûr, elle fermera la porte à clef. Bien sûr elle ne dormira pas. Mais elle se sera couchée.