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Les putes comme moi portent les rêves des hommes - Léon

 :: Londres :: Est de Londres
Lun 19 Fév 2024 - 22:56


 10 mars 2017


Les sons sont mats, durs, cadencés. Un véritable jeu de percutions dont la rythmique a quelque chose d’hypnotique. Il faudrait pour ça oublier le raclement des gorges, le chuintement des râles et l’humidité acide des plaintes. J’ai rien à foutre là, je le sais. Pourtant ce bruit-là, c’est comme celui de la pluie sur la taule ondulée. Comme un arrière goût de déjà vu. Les remugles sales d’un lieu trop longtemps fréquenté. Un vieux fond de “chez soi” qui me donne la gerbe autant que ça me rassure.
J’ai les mains plantées dans mes poches, un hoodies trop grand sur le dos - trouvé je ne sais plus où - et sous les doigts, quelques putains de billet tellement tripotés qu’ils ont pris la texture du coton.
C’est une connerie.
A partir du moment où suite à trois nuits d’insomnie, t’es dans un hangar désaffecté où des types se pètent la gueule en parlant un argo crasse tout en s’accusant mutuellement d’histoire de dope et de tunes… c’est juste forcément une connerie. Et j’devrais pas être là.
J’devrais putain de pas être là.
Mais ça fait deux jours que je pense qu’à ça. Un fix dans les veines, un détour par le septième ciel et le but ultime : mettre la vie sur pause quelques minutes. Ne pas penser. Ne pas réfléchir. Oublier les absents, oublier mes conneries, oublier les affrontements dans les Balkans, oublier les deux salopards d’Inquisiteurs que j’ai eu entre les cuisses et qui se font passer pour des gens biens. Oublier Kezabel.
Ouais. Oublier Kezabel.

Elle me fumerait si elle savait que c’est ça, le truc qui me fait trembler, là, entre les seringues usagées, les vitres piquetées et les canapés râpés. Ça pue l’urine, l’aigre, la sueur. Ça pue la mort, celle qui n’a pas encore frappé mais qui n’est pas si loin, à surveiller de loin ceux qu’elle emportera bientôt.
Mais j’suis là quand même, comme la conne qui y revient, qu’importe ce qu’elle dit, qu’importe ce qu’elle pense, qu’importe la gueule solide qu’elle peut avoir en mission ou l’air assuré quand on lui demande si elle tient. La conne.

J’inspire. Le type là-bas se tors, son sang gicle au sol et je l’entends s’étouffer sous l’impact. Il suffirait de si peu pour le sortir de là… mais ici, c’est moi la proie. Alors quand je bouge enfin, je serais incapable de savoir si mes pas tendent à m’emporter loin de la scène ou droit vers le dealer et ses potes.
Lâche d’y aller. Ou lâche de m’barrer ? Pile tu gagnes, face je perds.

Et la suite vient… sans que j’ai vraiment eu l’impression d’y prendre part. Mes jambes s’activent, mon corps s’éloigne et le bruit des impacts et des râles devient petit à petit plus ténu. Je traverse un hangar, puis un second, trébuche sur un matelas piqueté et ignore les quelques regards qui se lèvent vers moi. Une meuf. C’est tout c’que je suis. Une meuf avec la capuche abaissée assez bas pour éviter ce moment de bascule que je connais trop bien. J’l’ai dit, la proie ; c’est moi. La belle gueule de poupée et l’envie de casser de la porcelaine vont souvent un peu trop bien ensembles dans ce coin merdique.
Mais personne ne fait gaffe. Parce que la vérité, c’est que tout le monde se fout de tout le monde, à commencer par la tarée qui sans vraiment savoir pourquoi se retrouve à faire demi-tour.
De nouveau, ça défile. Le matelas, le premier hangar, le second. La gueule des types paumés, les regards dans le vide. Et puis le calme de l’espace arrière, coincé entre les docks. C’est là que le type s’est fait fracassé. Entre deux hangars, là où le toit de tuile suinte de graisse et cliquette au son de la pluie.
Et le type est là. Forme immobile dans l’espèce d’asphalte rougeâtre qui sert de sol. J’pourrais penser à l’effet que ça fait, quand ta gueule râpe le bitume et que les coups pleuvent avec une cadence telle que tu finis par ne plus même savoir comment te protéger ou simplement où se trouve le bas du haut.
Mais j’cherche juste du regard les dealers qui se sont barrés. Aucune bonté là-dedans, juste mon troisième revirement de la soirée. Pas de dealer, pas de dope. Pas de dope, pas d’oubli.

Pas d’palais.
Pas d’palais.

Mais un porte-feuille qui traîne. Enfin ; quand je dis “un porte-feuille” : un truc limé proche des étuis de carte étudiant ou de carte vitale qu’on donne gratuitement et qu’on balance sans y prêter gare. Et si je fixe ça, c’est pas tant pour y trouver de l’argent, mais pour éviter de poser le regard sur le type qui bouge d’un rien à quelques pas de là. Il chuinte de bruits humides et j’ai une boule d’épines qui gonfle dans la poitrine au simple souvenir qu’évoque ce bruit. Sous les cotes, ça bat plus fort. J’inspire, force les poumons, oblige le corps à refuser le joug de la mémoire.
J’suis en vie.
C’est pour ça que je ramasse cette merde. Pour pas penser.

Et c’est comme ça que je fige. Dans mon hoodies trop grand rendu humide par la pluie, plantée sur la gomme rouge avec mes grosses godasses. Là où je devrais pas être.
Une carte d’identité crade sous la pulpe des doigts.

Leon Wargrave.
Wargrave.

Alors ouais, je pourrais imaginer que c’est juste une coïncidence voire même, plus romanesque, un message divin : arrête tes conneries ou tu vas finir avec une dalle de marbre sur la gueule.
Mais le marbre ça coûte un rein que personne ne paiera pour ma poire et j’ai pas l’âme poétique. Mon pragmatisme, par contre, bat la cadence au rythme du palpitant et l’instant suivant, j’ai rejoint mister gueule de Jelly et je le soulève sans trace de douceur. Par les cheveux d’abord, puis d’un coup de talon je le force à pivoter pour finir dos au sol.

Les paupières gonflées, la mâchoire défaite, des bulles rosées au coin des lèvres et la gueule en sang.
Le même type ? Pas la moindre idée.

- Tu t’appelles Léon ? Pas d’réponse. … Oh j’te parle ! Pas mieux. Putain d’camé. Ses globes oculaires roulent en arrière et quelques soubresauts agitent ses épaules.
J’ai connu plus concluant.

J’me suis connue plus empathique aussi, mais la boule d’épine s’est changé en modèle géant et ce genre de coin a tendance à me rappeler à l’ancienne moi. Celle qui se serait barrée sans plus pensé au déchet humain qui a croisé sa route.
Celle qui se serait répété une bonne centaine de fois qu’elle n’y pense pas.
Mais je sors mon téléphone d’un geste sec et compose un numéro.

- Ouais, Tak’ ; dis, tu m’as bien dit que le frère de Maxence avait disparu l’année dernière, je l’ai pas fumé ? Hm… Ouais. Nan j’crois que j’ai peu être une piste, t’as son numéro ? La question sonne absurde et il le relève en une seconde. Pourquoi moi je l’ai pas ? Le truc passe de main en main comme une barrette de shit depuis qu’on est sortis de Poudlard. On l’a tous, si ce n’est dans notre répertoire, au moins dans un coin de notre tête : le mec à appeler au cas où ça merde. Sauf qu’il est consultant pour la Garde, et moi membre à part entière, alors j’évite les liens faciles. Nan j’sais pas, j’ai changé de téléphone. On s’en fout, balance ! Hm .. Hm… Ouais ok merci. Eh Tak… ça va ?

Ça prend pas longtemps avant que je passe un coup de fil au principal intéressé. La voix si assurée du toubib se referme, s’érode. Il exige l’adresse. Et google map lui répond à coup de coordonnées.

Et j’reste plantée là, seule entre les deux hangars, avec ce type qui agonise, son possible frère qui débarque, et l’impression montante de ne plus réussir à respirer.
J’ai la voix tranchante et le regard assuré quand je rejoins le type. Pourtant c’est pas la perspective des gars qui lui ont fait ça, ou celle de faire face à un frère qui découvre la situation… c’est la simple idée que Maxence, l’infirmier de Poudlard, le mec que tout le monde apprécie et qui est là pour tout le monde… débarque ici. J’ai pris mon premier shoot dans un squat à deux rues d’ici. J’me suis pris ma première branlée dans le hangar de derrière. C’est l’égotisme de cette angoisse qui me coupe les jambes et me pousser à balancer une tarte dans la gueule de Léon avant de claquer des doigts devant son nez. Oh ! T’es avec moi ? Il sursaute, rentre davantage sa tête dans ses épaules. Ouais, t’es là, donc ça serait pas mal qu’on connecte un peu toi et moi. Ton frère arrive.

Et ça aura à peine pris quinze minutes avant qu’il ne se pointe.

Son regard passe partout, sur tous les murs, les morceaux de ferrailles entreposés dans un coin, les coulées couleur rouille qui coulent sur chaque surface comme un champignon envahissant.
Les traits tirés, le teint cireux. Il tremble. Maxence. Tremble. Il tremblait pas quand il faisait face aux Supérieurs. Il tremblait pas quand il opérait des gamins comme il pouvait. Il tremblait pas quand il allait chercher les moldus enfermés pour les soigner en douce. Et il tremblait pas quand il fallait annoncer aux proches la perte de quelqu’un. D’un gosse. D’un pote. D’un père.
Mais là il tremble. Il s’arrête même. Ça marche jamais comme dans les films ces trucs là. Le gars qui se précipite vers le corps, qui hurle à s’époumoner. Nan. Max fait comme n’importe qui d’autre, qu’importe le soldat qu’il était, qu’importe l’habitude des tranchées, du bloc ou des morgues. Il s’arrête, ses lèvres tremblent, son visage pâlit encore.
Un frère comme n’importe quel frère.
Il réagirait comment, Enzo, si c’était le sien ?
Elle réagirait comment, ma soeur, si c’était moi ?
Et bien sûr, j’ai l’image d’une autre amie, Riley, qui s’impose à moi. Elle qui a enterré une soeur dans l’année.

Et puis son corps se remet en branle. Il n’écoute pas ce que je lui dit, mais Maxence se charge de nouveau du masque de toubib qui le caractérise si souvent. Imperturbable, presque rigide, il n’a pas la douceur qu’il porte pourtant toujours en étendard. Et s’il fait solide, la fébrilité de ses mains porte un tout autre témoignage.
Il sécurise le type, prend son pouls, ré-emboîte sa mâchoire et nettoie le sang précautionneusement.
Et soudainement, il retombe en arrière, le cul sur ses talons et ses yeux se remplissent de larmes.

- C’est pas lui. Une voix plus blanche que de la craie.
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Jordane Suzie Brooks
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Lun 19 Fév 2024 - 22:57


 10 mars 2017
L’entrepôt. On est loin des docks cette fois-ci, loin des hangars. Mais dans l’idée c’est la même chose. Les hauts murs de brique, la même crasse rouille qui coule des jointures, les mêmes regards vides.
Si j’m’arrête pour réfléchir, je crève, c’est certain. Le mantra revient, il n’a jamais véritablement quitté la houle de mes pensées. Alors je passe la porte, traverse le hall entre les vieux cylindres de léton, bifurque derrière un amas de vieilles caisses et emprunte un escalier. J’suis entrée par le haut et l’arène est en bas. Elle me prend aux tripes. L’odeur de sueur, le sang cloqué, la terre battue. L’aigre et l’acide qui vous chopent les poumons comme on prend la tasse.
“On”. “Vous”. J’y ai à peine foutu trois pas que je dissocie.
La foule est massée autour de la piste et j’ai un tambour sous les côtes. J’ai pas quitté ma capuche, comme si ça pouvait me protéger de tout ça. D’eux, de moi-même. J’me revois, pourtant. Seize ans, assise sur ce tonneau, là-bas. J’me revois passer les soirées à prévoir mon entrée en piste, à refaire les mouvements dans ma tête. Les enchaînements, les poomsé , les katas.
J’avais deux ans dans les pattes. Deux ans d’entraînements à coup de trois à quatre fois par semaine, y compris là. Seize ans, pas une tune, pas un toit… mais quatre soirs par semaine, je me pointais dans un dojo, plus haut dans l’est pour m’entraîner. 177€ l’année. Tout un monde. Et des douches gratuites où j’me perdais jusqu’à ce qu’on m’en sorte.
Tout ça c’est vieux. Tout ça, ça témoigne surtout de la conclusion finale : je suis restée sur le tonneau, derrière, ou dans le coin là-bas, sur les marches. Et j’ai jamais foutu le pied dans l’arène. Deux ans de sports de combat, la volonté farouche de devenir assez solide pour me défendre si le besoin se faisait sentir, et j’étais pas foutue de passer le pas.
Tout comme j’ai pas été foutue de me défendre avant qu’Aldric me tombe dessus, deux ans après tout ça et bien des kilomètres pour me séparer de Londres.

Et voilà que j’suis là de nouveau. Le type a parlé. Jeremy, de son petit nom, a récupéré la carte d’identité d’un gars, pas loin d’ici. Bizarre, le gars.
Alors je tente, un peu au hasard j’avoue. Mais il a cité le fait qu’il l’ai déjà croisé vers “la box”. Maxence a tiqué. Cherché. Marmonné. Puis il a décidé d’enquêter de son côté.
J’mettrais surtout ma main à couper qu’il a d’abord soigné le camé.

Et moi j’suis là. La box Comme une putain de salle de crossfit, sauf que ça n’a rien d’approchant. C’est surtout de l’argent facile pour qui sait donner les coups et encaisser.
Et c’est pour ça que moi je finissais à l’étage, dans la petite pièce du contre-maître. Celle qui pue le foutre et la sueur.

Un frisson, une vague nausée, et je me perds dans la foule.

Ça aurait pu s’arrêter là. La quête cheloue d’une nana qui est censée se foutre passablement de ce qu’il peut advenir du frangin du super-héro national…
Sauf qu’un certain Jeremy est inscrit en lice. Et que je saute à pied joint sur la petite tribune où sont pris les paris et les inscriptions. J’hésite pas, quand il s’agit de donner un nom. “Sedm”.
A l’époque, un… “ami” m’avait appelé “Siem”, et c’est un pseudo que j’utilise toujours, au sein de la Garde. Toute une histoire.
Mais pas pour aujourd’hui.

Aujourd’hui j’me pointe. Je passe la grille du fond, je saute au dessus des bordures limées par les ans, creusées par les coups et tachées par le sang.

Et j’fais face au gamin.

Jeremy…

Ça braille tout autour : les Hommes ont toujours voulu du sang. Et ça les fait bander quand une nana se pointe pour le verser. Là encore… ils aiment voir la porcelaine se fendre tout comme ils aiment fantasmer sur une posture hollywoodienne d’une nana que je suis pas.
Parce que je crève de trouille. J’me bats tous les jours au sein de la Garde, j’ai même été dans les Balkans pour aider dans les conflits entre sorciers et j’me suis pris assez de raclées pour avoir cessé de les compter.
Il n’empêche ; dans cette atmosphère de surrexcitation, où des types crachent leurs poumons pour encourager leurs champions, là où ils se foutent de la gueule de “Jeremy” et me bavent des insultes et réflexions toutes plus casses les unes que les autres… bah j’ai peur. J’ai des ronces dans la gorge, les paupières qui battent non pour chasser la poussière mais les larmes et l’impression que je pourrais me rouler en boule dans un coin.

Au lieu de ça, je claironne.
Vieille habitude.

- J’suppose qu’on vous a déjà dit que vous vous ressembliez… Un grand sourire mordant, le menton haut et la gueule de l’emmerdeuse notoire je me contente d'attacher mes cheveux. J’le verrais presque perdre toute contenance à ces mots.
Ses prunelles s’étrécissent - ou bien est-ce juste un effet de lumière, quand l’ombre d’un type passe devant un projecteur - et il me semble le voir encaisser un tremblement.

C’est lui. C’est totalement lui.
Max. J’tiens ton frangin.
Et je vais lui refaire la face.

Mais bien sûr, “Jeremy” ne répond qu’à coup d’un putain de regard qui flambe plus que tous les spots de l’entrepôt.
Eh ouais. ‘Pas l’choix hein ? Alors j’souris. Parce que ça j’connais. J’connais même vachement mieux que le brouhaha qui pulse autour de nous. Ça parait stupide n’est-ce pas ? C’est moi qui l’agresse, moi qui, d’une certaine manière, le menace de mes paroles… et pourtant je m’accroche à la lave de son regard, à son menton brandit fièrement et à la crispation de ses muscles.

J’ai pas le temps de relancer la pique qu’il se précipite déjà et balance son genoux vers mon visage. Lent, grossier, et muni d’un tic évident en haut de la cuisse à l’instant où il s’apprête à frapper. Un coup de genoux. Ya rien de plus lent pour engager un combat.
Bien.
Pas un combattant, juste un type parmi d’autres qui a fait les choix qui se sont imposés. Un type qui, pourtant, a eu le courage de faire ce à quoi j’ai toujours renoncé. La facilité était ailleurs…
Mais si hier, j’étais incapable de faire autre chose que de prendre les coups en situation réelle… cette fois, j’esquive et plutôt que de reculer comme les réflexes primaires l’ordonnent, j’entre droit dans sa garde. Son genou part juste à droite de ma hanche, à côté de sa cible quand je profite de l’ouverture qu’il m’offre pour balancer un coup dans ses côtes. Coup qui remonte jusque sous le bras et choque l’épaule par en-dessous. Les tendons n’aimeront pas et pour être très honnête, j’aurais peut être pu en profiter pour lui faire perdre l’équilibre et le balancer en avant. Mais je saute hors de portée, derrière lui.

- Va pour une valse alors... Mais t’as tout intérêt à ce que je sois ko à la fin parce que si c’est pas l’cas, toi et moi on va avoir une petite discussion…
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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Mar 20 Fév 2024 - 11:10
 


TW : violence, langage grossier.

Même heureux, Léon n’avait jamais été croyant. Et il ne l’était pas devenu non plus lorsque son monde s’était écroulé lors du massacre de ses parents, merci bien. Par contre, cette année à vivre comme un démuni l’avait rendu particulièrement doué lorsqu’il s’agissait de critiquer Monsieur-Puissance-Superieure. Lequel, jusque-là, lui avait été aussi utile qu’une énième tentative foireuse de réadaptation des quatre fantastiques. Ce qui était ironique, c’est que cette fois il ne pouvait même pas blâmer Dieu, les saints ni même Taylor Swift parce qu’il y avait eu des signes. Mais il n’en avait fait qu’à sa tête, parce qu’il était soit stupide, soit suicidaire, allez-savoir. Toujours était-il qu’au pays des aveugles, il avait en plus choisi d’être borgne. Alors il était la, comme un con, prêt à se faire déchiqueter dans la gueule du loup. Et quel loup, songea-t-il en voyant la dénommée Sdem s’avancer vers lui d’une démarche… féline ? Un mètre soixante cinq au jugé, vingt-ans ou bien une trentaine timide, un air carnassier sur la bouche et une garde digne de Trinity dans Matrix, le manteau en cuir en moins. Elle avait l’air presque nonchalante, mais Léon avait assisté a suffisamment de ces combats de rue pour reconnaître un carnivore lorsqu’il en voyait un. Pas besoin d’entamer un pèlerinage pour deviner qu’il n’avait pas la moindre chance. Il le comprit tout de suite, à l’instant où cette nana pénétra la cage pour nouer sa longue chevelure. Et il en eu eu la confirmation quand elle ouvrit la bouche.

Quand ? Où ? Comment ? Est-ce que cette blondasse péteuse était une de ses connaissances ? Une ex de Fergusen peut-être ? Non. Trop... Trop. Fergusen ne pouvait pas se taper une nana comme elle. Une connaissance de Maxence, alors ?

Trop de question, pas assez de temps pour réfléchir. Un public en liesse, qui tapait sur le grillage de la cage comme pour exciter des chiens à mordre. Léon lui balança son genou dans la mâchoire en guise de réponse.

La garce.
La magnifique garce, songea Léon au moment où elle parait son coup d’un mouvement souple du bassin, si facilement que cela en était insultant. La suite dura à peine quelques secondes : son avant bras se logea entre ses côtes, lui coupant la respiration. L’instant d’après, son épaule se déboîtait dans un craquement immonde. Léon étouffa sa plainte en se mordant la langue, le goût ferreux du sang emplissant sa bouche. Il toussa et des gouttelettes pourpres repeignirent le sol. Un frisson épidermique le traversa alors qu’elle se glissait derrière lui, tel un chat, sa voix aussi suave que les coups n’étaient rudes cajolant son oreille :

«Va pour une valse alors... Mais t’as tout intérêt à ce que je sois ko à la fin parce que si c’est pas l’cas, toi et moi on va avoir une petite discussion… »

Il fit volte face, bondissant hors de sa portée en essuyant sa bouche d’un revers de main pathétiquement dramatique.

« Discuter ? » railla-t-il en réajustant sa garde et en la toisant avec ce qui lui restait de cynisme – c’est à dire encore des litres. Ça discute, les croisement entre un pitbull et un caniche nain ? Fallait commencer par dire bonjour, princesse, si tu voulais prendre le thé, » cracha le jeune Wargrave.

Quelque chose lui soufflait qu’elle n’allait pas aimer être appelée comme ça. Avec un corps comme le sien, pas besoin d’être Einstein pour comprendre qu’elle avait dû attirer les hommes – et pas les meilleurs millésimes - comme des mouches rendues folles par l’odeur du miel.  Mais rien que sa présence dans la box signifiait beaucoup. Les insultes, toutes plus sales les unes que les autres, glissaient sur elle comme de l’eau sur la roche longtemps polie par des torrents bien plus agressifs. Dans une autre vie, toute ces immondices jetées sans vergogne lui auraient donné la gerbe. Dans une autre vie, il aurait admiré la façon dont elle ignorait superbement tous ces connards en rut qui l’enjoignaient à écarter les jambes au lieu d’user de ses poings. Mais dans celle-là, il ferma les yeux. L’empathie, cela n’était pas vraiment une qualité requise quand on vivait dans la rue. Chacun pour soi, et peut-être que tu survivras une année supplémentaire, Léon.

« Allez Bambi ! » grogna d’ailleurs Djenco, le propriétaire des lieux en crachant sur le sol en terre battue à travers le grillage. « Montre-y à c'tte salope qu’elle n’est bonne qu’à s'mettre à genoux et ouvrir sa grande bouche ! »

Djenco avait les épaules et la mâchoire carrée et des dimensions proches d’un frigidaire américain. Le genre de type qui tabassait déjà des gens avant que cela ne soit devenu son gagne pain, dans des ruelles sombres que tous les parents avaient toujours déconseillé à leur progéniture de prendre. A présent, il se contentait de parier sur de pauvres gosses que la vie avait recraché dans son entrepôt en posant ses mains grasses sur son ventre proéminent. Chaque fois qu’il ouvrait la bouche, Léon se demandait qui du Bescherelle ou du genre humain aurait le plus honte qu’un reliquat d’immondice comme lui existe.

Léon emmerdait ce type. Mais il crevait la dalle et cette fille valait la coquette somme de vingt-et-un Livre Sterling avec une cote de deux-contre-un. Une petite fortune. Et il refusait de mourir là, sur le sol encore gorgé de la pisse du dernier mec qui s’était fait exploser les dents contre l’une des grilles de fer. Comme il refusait l’idée de passer l’arme à gauche comme Fergusen, sans savoir qui de l’héroïne, du dealer ou du VIH lui mettait l’ultime coup de grâce.

Il valait mieux que ça, putain.

Alors il estima rapidement ses chances en se jetant sur elle et arriva à la conclusion qu’il n'en avait aucune. Plutôt parier sur une éventuelle ouverture. Il la glorifia donc de son regard le plus libidineux, ses yeux marrons glissant sur sa silhouette avec toute la luxure dont il était capable en tâchant d’oublier à quel point toute cette comédie lui donnerait un jour de quoi se détester copieusement. Sa mère aurait probablement honte de lui.

Mais bon, Hannah Wargrave se décomposait quelque part il ne savait-où.
Va te faire foutre, Monsieur-Puissance-Supérieure.

« Alors, je ressemble à lequel des tes macs pour que t’aies tant envie de me cogner, Calamity Jane ? » l'invectiva-t-il d'une voix incendiaire.


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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Ven 23 Fév 2024 - 22:36


 10 mars 2017
Je bloque sur la tension des muscles de sa gorge, la manière dont il dégluti, l’ombre de son regard. J’saurais pas comprendre ce que j’y vois, même si je le voulais. De la colère. L’énergie d’en découdre. La peur, aussi, dissimulée derrière ses bravades… alors qu’en vérité, je vois surtout ce que j’y projette. Un miroir des battements furieux qui frappent mes côtes. Ça pulse chaque fois un peu plus quand mon regard tombe sur l’un des types en furie qui se prennent sur les grilles, les cognent et cherchent mon attention. Mais j’le lâche pas, lui. “Jeremy”. Jerem’ et toute la hargne de son regard. ‘Pas la moindre illusion ; s’il en a l’occasion, il fera en sorte que je ne me relève pas. Une part de moi a tendance à oublier, ici, ce que ces dix dernières années ont fait de moi. L’autre, en revanche, ne peut pas s’empêcher de percevoir bien des choses à l’orée de son champ de vision. Le type qui fait mine de faire un cuni à ses doigts, celui qui s’attrape les burnes en mimant quelques gestes du bassin. Et les cris. Des putains d’animaux enragés. Affamés, surtout. Par le sang, le cul, le mal dans tout ce qu’il a de plus bestiale. J’ai peur, oui. C’est une torsion dans mes entrailles qui me donne l’impression d’être à l’aube d’un gigantesque gang-bang dans le sable et la poussière.
Pourtant quand le corps se met en mouvement, il oublie le reste. Les chocs, l’analyse, l’adrénaline. J’ai le palpitant qui frappe fort mais les contractures des muscles injectent dans mes veines un sentiment de bien-être qui n’a rien à foutre ici.
Ouais. Mais si j’aimais pas ces merdes, j’y reviendrais pas.
Si ?

L’impact secoue mes articulations et le jappement de gorge qui lui échappe gonfle mon être d’un truc sombre ; avide. Soudainement, ce n’est plus comme si j’ignorais toutes ces sous-merdes ; je les survole.

Volte-face, Léon bondit plus loin et essuie du dos de la main la gerbe de postillons roses qu’il crache au sol. Très hollywoodien.

« Discuter ? » Sa raillerie, suit les postillons. Crachée au sol comme on crache un mollard. Ça discute, les croisement entre un pitbull et un caniche nain ? Fallait commencer par dire bonjour, princesse, si tu voulais prendre le thé ; Et bien sûr ça m’fait marrer… le pitbull davantage que la princesse, d’ailleurs. Ou comment enorgueillir une part de mon inconscient quand la seconde se ratatine dans un coin avec l’envie de hurler.
Story of my life.

Suis moi en haut princesse…

Mon sourire devient mauvais, mais plus large. Question de réflexes.
- C’est donc ça qu’il m’a manqué toute ma vie : ”Bonjour”.. La frontière était si mince entre moi et la tasse de thé…

Le cynisme pour toute réponse, menton haut et doigts que je fais jouer dans le vide pour les détendre de l’impact. Le dernier entraînement à la Garde date d’hier et je tais la fatigue du corps, les courbatures et les bleus que j’ai déjà sur les côtes et les cuisses. Je tais surtout la voix de Djenco qui éructe sur ma droite. Djenco. Le nom revient de loin. C’était lui à l’époque. C’est lui maintenant. « Allez Bambi ! Montre-y à c'tte salope qu’elle n’est bonne qu’à s'mettre à genoux et ouvrir sa grande bouche ! »
Je la sens, la tension dans ma mâchoire, celle qui tord légèrement ma bouche et assombrit l’azur de mon regard. Ça se crispe dans mes épaules et ma langue se colle à mon palais… l’espace d’une seconde. Puis je détend les muscles, retrouve ma souplesse et inspire sans jamais détourner le regard de Léon. Pas de réponse. Pas un regard. ‘Pas parce que le mec ne le mérite pas… juste parce qu’il y a des gars qui aiment le pouvoir et que si j’ai pas envie de me faire choper par trois gorilles en sortant de la piste histoire de faire un détour dans la pièce du haut pour “m’apprendre la vie”, mieux vaut la jouer discret. Pas de vague, comme ils disent.
J’ignore ; donc. Comme n’importe quelle nana. A regarder ostensiblement devant moi, aveugle à ceux qui m’traitent de pute.
Et lui, il gagne le droit de s’en bouffer une maintenant qu’il se met à jouer avec les mêmes armes. Un seul regard et j’ai l’impression absurde d’une forme de trahison. La poupée. La porcelaine. Ya marqué “morceau de chair” et “con ouvert” sur ma gueule il parait. Et c’est pas complètement faux.
Alors ce simple regard, de la part des deux orbes d’ambre auxquelles je me raccrochait jusque là, me fout une gerbe rageuse. L’air qui passe mes narines siffle. Le sable crisse sous mon talon. Mes phalanges ne blanchissent pas. J’t’emmerde, gars.

- Alors, je ressemble à lequel des tes macs pour que t’aies tant envie de me cogner, Calamity Jane ?
- Le genre qui sait pas baiser, donc il préfère cogner Réponse automatique.

Garde levée, j’esquisse un mouvement de la jambe droite. Mon poing se soulève d’un rien, prêt à frapper. Ça ne s’initie pas dans l’épaule ou la hanche. C’est plus central. Tout un corps au diapason, prêt à balancer la frappe… Et j’vois la crispation dans ses muscles qui répond en écho à mes gestes. Alors j’ai un sourire. Tu peux parler, Bambi, en attendant c’est toi ma pute à peur.
Et je ne frappe pas plus. Je me rapproche, petit à petit, la jambe droite en avant, le bras droit prêt à se détendre à tout moment pour toucher sa cible… Les jeux de jambes, j’ai toujours aimé ça. Aller d’un côté, forcer l’autre à se déplacer en miroir, jouer avec l’environnement… ya un morceau de grillage rouillé qui dépasse derrière toi bichon, me regarde pas avec l’intensité d’un prince Disney tu vas te la manger…
Et à nouveau, j’oublie le reste. J’ai les contours en tête, la conscience acide de la petite goutte humide qui atteint ma joue, l’éveil de penser à la canette là, juste à côté de l’entrée, et la flaque de sang à quelques pas de Léon.. Mais je suis centrée sur ses gestes. Sur ses tics. Sur ses regards.
Il y a toujours ce moment où l’autre cherche son point d’impact des yeux… Toujours cette crispation du torse comme si le corps projetait déjà les mouvements, les chocs, la douleur. Et j’me rend compte que j’aime ça. Encore. Toujours.
Et puisque je joue avec ses nerfs, ma détente qui tarde tant à arriver, part sans prévenir droit vers son menton. Elle s’arrête juste avant, comme si j’avais foiré mon coup et mal géré les distances. Mais le revers n’est pas loin ; je profite de l’ouverture offerte par ses réflexes. L’impact le prend en pleine mâchoire, moins puissant qu’il le pourrait. Moins que sous ses côtes un peu plus tôt. Le bras gauche, le plus faible ? Il semblerait. Et puisqu’il réplique, je balance un choc du talon en avant et recule pour le voir trébucher vers l’arrière.


J’en fais trop. J’me fais choper par ce truc avide à l’intérieur de moi qui aime le sang et les coups. Sauf que c’est con. J’ai pas besoin que qui que ce soit ici me prenne pour une pro. Alors mes coups suivants se font moins précis, plus aisés à parer. Le juste niveau pour que ça ne paraisse pas suspect. J’encaisse les impacts, esquisse quelques grimaces quand ça me prend aux articulations, admet une droite et un coup au ventre qui me tord en deux… et puis en lui faisant croire à une victoire possible. La vérité, c’est que le dernier coup, j’me le suis vraiment pris. J’ai mal géré. Et d’un coup mesuré, mon coude part droit vers son foie pour me laisser possibilité de reculer pour me redresser, le souffle court.
J’me déplie, dégluti ma souffrance et j’me dis qu’il en faut pour débarquer ici, quand t’as rien d’un combattant aguerrit.
Jambe gauche en arrière, droite en avant, solide sur mes appuis.
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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Lun 26 Fév 2024 - 13:22
Certaines choses coulaient de source comme la médiocrité de la dernière saison de Lost ou le désastre amoureux de la vie de Jennifer Anniston. C’était aussi le cas de l’aversion de son adversaire pour tout ce qui semblait toucher à la mention de la prostitution. Il n’y avait qu’à soupeser l’énergie qu’elle mettait à ignorer les cris salaces de la foule et la manière dont son visage se figea quelques infimes secondes lorsque Léon prit le partie de mentionner un éventuel mac. Avant, Léon aurait évité les sujets sensibles avec toute la délicatesse d’un garçon de bonne famille. Maintenant, il s’en servait de centre de table et organisait tout le service restauration autour de ce genre de met.

Parce que c’était ce que la rue laissait, une fois qu’elle avait volé tout le reste : l’esprit de survie, coûte que coûte.
Et puis aussi, parce que cette fille pouvait bien aller se faire foutre.
Et tant pis si cela écorchait sa propre morale.

Parce que Léon ne se sentait plus d’humeur magnanime, de toute façon : elle ne pouvait qu’être une des personnes ayant découvert sa carte d’identité sur ce drogué de Fergusen. Elle ne pouvait que savoir qu’il était en réalité Léon Wargrave. Et si cela signifiait quelque chose pour elle, c’était qu’elle était mêlée à toute cette histoire. Et puisqu’elle s’acharnait à vouloir lui dynamiter les os et à ainsi faire geindre ses tendons, c’était qu’elle n’était pas ici de la part sa part à lui. Parce que si Léon avait été déçu de bien des manières, au sujet de Maxence – et rien que ce prénom réveillait un monde de douleur qu’il préférait ignorer en cet instant -  il pouvait encore se raccrocher a l’idée que jamais il n’aurait choisi de revenir vers son petit frère à coup d’uppercut dans le thorax. Du reste, il n’avait jamais cru aux coïncidences et il avait perdu toute définition de chance depuis bien longtemps : alors, il ne restait plus que la cauchemardesque vérité. Aussi belle soit l’enveloppe, cette fille était probablement pourrie de l’intérieur, gangrenée par la magie et à la solde de ceux ayant décidé que sa famille était soudainement une espèce en voie d’extinction. Le tout au nom d’une soit-disant guerre dont Léon n’avait jamais entendu réellement parler avant qu’elle ne s’invite chez lui.

Alors oui, oui, et re-oui, que cette fille aille se faire foutre.
Il voulait bien être un connard, pour elle.
Il voulait bien perdre tout contrôle, pour elle.
Il désirait oublier toute politesse, juste pour elle.

« Le genre qui sait pas baiser, donc il préfère cogner, cracha-t-elle.
Oh. Corde sensible ? Dommage.
- Mince, se désola Léon dans un souffle, du miel dans la voix et de la lave dans les yeux, tout en la gratifiant d’un sourire curieusement tendre, j’aurai préféré que tu saches me baiser plutôt que me cogner. »

C’était faux, évidemment. Mais qu’importe, puisqu’elle n’était pas là par hasard et qu’il aurait très bien pu lui réciter la notice d’un lave-vaisselle qu’elle aurait quand même décider de l’atomiser. Parce qu’elle était là pour ça, n’est-ce-pas ? Finir le travail. Au nom d’il ne savait qu’elle ressemblance, pour il ne savait quel précepte de sorcier au cerveau atrophié par leur putainde magie. Sauf que Léon n’était pas un panda attendant bêtement de mourir parce que sa race n’était même pas fichue de se reproduire. Il s’était découvert une rage de vaincre à force de ses longs mois à devoir se battre pour survire là où il aurait été tellement plus simple de crever quelque part dans un coin.

Oh, oui, cette nana pouvait bien aller se faire foutre dans il ne savait quel recoin morbide aux prises d’il ne savait quelle paire de mains tout aussi sales que son âme de meurtrière.

Alors, quand elle avança, Léon se campa sur ses appuis, le corps tendu à l’extrême et le cœur battant le rythme cadencé du doux mélange d’adrénaline et de cortisol. Il était à la fois terrifié et soulagé. Terrifié, parce qu’il ne s’était jamais senti aussi susceptible de mourir depuis le début de sa fuite qu’en cet instant. Soulagé, parce que quoi qu’il advienne, il avait le sentiment que la ligne d’arrivée n’était plus très loin. Et cela tombait plutôt bien : il en avait marre de courir. Une partie de sa colère était là, juste sous ses yeux, enfermée dans ce corps de nymphe dont il rêvait, au contraire de ces types autours, d’écorcher jusqu’aux muscles. Il ne voulait pas la désaper. Il ne voulait pas la baiser, comme ils disaient avec poésie.

Il voulait qu’elle souffre.
Quoi qu’il n’en coûte : honneur, moral, reins, humérus, vie.

Plutôt crever là plutôt que d’être la petite chose déplorable qui agoniserait quelque part pour punir son frère d’il ne savait quoi. Hors de question de rester dans le grenier, cette fois. Aujourd'hui, il rendrait les coups.

Ou du moins, il allait essayer.

Parce que lorsqu'elle tendit sa jambe en direction de sa mâchoire, Léon eu tout juste le temps de s’amortir pour espérer amoindrir le choc. L’impact ne vint pas, cependant : sa chaussure s’immobilisa à quelques millimètres de sa joue, comme une caresse. Comme une insulte. Un frisson le traversa, d’excitation, cette fois. Et il lui balança le regard le plus brûlant à sa disposition, une pointe de provocation étirant la commissure de ses lèvres alors qu’elle le forçait à reculer, jouant avec lui comme une chatte tenant entre ses pattes l’oisillon capturé dans le jardin.

« Tu prends ton pied, hein ?» lui murmura-t-il, provoquant, entrant dans son jeu, lorsque son dos percuta le bout de la cage.

Un morceau de métal lui entailla le flanc.
Léon n’en avait cure.
Il ne la lâchait plus du regard et ce fut peut-être ça, qui déclencha de nouveau les coups. A moins qu’elle n’ait deviné que Djenco allait finir par s’impatienter d’assister au Lac des Cygnes plutôt qu’à Fight Club. Léon encaissa, répliqua sans réussir, s’essouffla, reparti à l’assaut. Ses yeux étaient plus incendiaires que ses coups n’étaient productifs. De loin, elle avait eu l’air vaguement fragile, avec ses jambes fuselées et ses cheveux blonds éparpillés autour de sa gueule d’ange. Mains fines, épaules musclées, peau diaphane que les néons bleus luisant au dessus d’eux assortissaient de reflets violacés. Mais de plus près ? C’était un monstre. Une machine à coup de pieds arrêtés, une encyclopédie sur patte de Taekwondo et de MMA, un putain de bulldozer qui roulait sur ce qui lui faisait face, évitant de justesse les zones vitales de son corps mais ne se gênant pas pour briser quelques côtes au passage. Il n’avait pas la moindre chance.

Wow.
Dans une autre vie, il aurait pu tomber sous le charme.
Dans celle là, il l’insulta mentalement en basculant droit dans la flaque de sang du type précédent, un liquide poisseux repeignant son tee-shirt blanc comme si quelqu’un lui avait ouvert le le dos en deux.

« Bouge ton joli p’tit cul de puceau Bambi. Little Cindy a tout misé sur toi, et t’sais comment elle déteste perdre ! » hurla Djenco avec assez de décibel pour déchausser les dents d’un sourd, alors que le jeune homme se relevait en se tenant les côtes, tâchant de reprendre son souffle.

S’il lui était resté suffisamment d’air dans les poumons, Léon se serait esclaffé. Devenir le favori de la fiancée de Djenco, c’était un peu comme être satisfait d’avoir eu rapidement un rendez-vous chez le proctologue : on n’avait pas vraiment le choix, mais on s’en serait bien passé. Parce qu’hormis son quotient intellectuel, Little Cindy n’avait rien de petit : elle faisait un bon mètre quatre-vingt cinq, quatre-vingt dix-huit si on rajoutait les talons sur lesquels elle était juchée. Qui auraient eu toutes les raisons de porter plainte pour tentative de meurtre à chaque fois qu’elle faisait peser ses cent vingt kilos sur eux. Du reste, elle était tellement bourrée de plastique à cause de la chirurgie esthétique qu’en cas de naufrage elle était sûre de remonter à la surface. Pour compléter ce Picasso, ses faux cils lui déformaient le regard, à tel point que lorsqu’elle posait les yeux sur vous, on aurait dit que deux tarentules lui servaient d’essuie-glace.

En d’autres termes, elle et Djenco formaient un couple terriblement bien assorti.

Mais Léon, veuillez l’excuser, n’avait pas franchement le temps de saluer son fan-club, étant donné que Miss-Buldozer revenait déjà à la charge. Pour être tout à fait honnête, le jeune homme n’en menait pas large. Et le plan qui venait de germer dans son cerveau avait à peu près autant de chance de réussir que Mike Tyson de devenir patineuse artistique. Néanmoins, il continuait à la crucifier du regard. Impertinent jusqu’au bout. S’il fallait comparer tout cela à un incendie, alors il en était le pyromane. Mais la cage lui avait appris une chose : ne jamais montrer qu’il avait peur. C’est à peu près le même conseil que donnait toutes les chaînes du règne animal dans le genre. Et, d’une certaine façon, il n’y avait pas d’animaux plus féroces que deux humains abîmés par la vie réduits à se passer à tabac sous les encouragements de leurs congénères.

Ça suffit, songea-t-il lorsqu'il réussit par ce qui tenait du miracle à lui placer, enfin, un seul et unique pauvre uppercut dans le ventre.
Il n'avait pas la moindre chance.
Alors il espérait que Mike Tyson savait patiner.

Parce que Léon ne baissa pas les yeux, tandis qu’elle réajustait sa garde. Non, à la place, il rajouta de l’huile :

« Hé. Mais je te reconnais ! S’exclama-t-il théâtralement en se retournant vers Djenco et sa greluche. Dis-moi Big Cindy, et rien que cet affront aurait suffit à rendre Djenco aussi caressant qu’une balle de M16, mais Léon enfonça le clou en montrant la jolie poupée un poil agressive du doigt, ça serait pas la meuf qui a écrasé Little Pouet-Pouet ? »

Little Pepette, dont Léon avait volontairement écorché également le nom, était l’affreux chihuahua qu’une berline bleue avait transformé en chaire à saucisse la semaine précédente. Personne ne savait qui conduisait la voiture et le raccourci était grotesque. Mais Djenco étant à la dentelle ce que le parpaing était à la lithotérapie, cela serait largement suffisant.

D’abord, le silence tomba brusquement sur la salle. Ensuite, ce fut comme si Léon venait de flamber une allumette dans un air vicié par le gaz. Djenco claqua ses gros doigts boudinés et les trois cerbères qui lui servaient de garde du corps se laissèrent lourdement tomber dans l’arène, contraignant Léon et la fille à faire volte-face, reculant jusqu’à se retrouver dos contre dos, malgré eux. Les cerbères firent craquer leurs jointures et levèrent leurs bras aussi gros que des pelleteuses, prêts à ravaler des façades sans s’embarrasser de soigner les finitions. On n’insultait pas Little Cindy, ni sa mascotte courte sur patte. Et Djenco de rajouter :

« Allez fini d'jouer, faites moi de ces deux gadjo un paillasson surl'quel essuyer mes pompes... »

Maintenant, ils étaient deux à ne plus avoir aucune chance, ce qui, dans l'esprit tordu du jeune Wargrave, constituait un énorme progrès. Alors, il murmura, juste pour elle, juste suffisamment fort pour qu’elle n’entende, ainsi dos l’un à l’autre :

« Si je peux pas te buter moi-même, je vais laisser les autres s'en charger, quitte à mourir dans la mêlée. J'avais pas vraiment prévu de m'en sortir depuis que tes trois potes ont décidé d'exterminer ma famille il y a un an, de toute façon. Mais ce qui est sûr, c'est que je pars pas sans toi. »

( :rouleau: )
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Léon Wargrave
Mar 27 Fév 2024 - 10:37


 10 mars 2017
Il y a de la rage qui envahi son regard. De proche en proche, de minutes en minutes. Et je sais qu’il me manque des infos. Bien sûr, j’aurais pu interroger Maxence avant de lui cacher une partie de ce que je sais. J’aurais pu trouver une excuse pour lui filer l’adresse de l’arène et le laisser se démerder. Ne pas m’impliquer. De pas débarquer ici. Mais ça m’est même pas venu à l’esprit. Comme l’idée de le laisser se faire fracasser par un autre type sans bouger mon cul.
Pourtant j’le sens bien : je suis pas tout à fait moi. Ou plus exactement, je suis de nouveau un peu elle. J’ai le cœur en vrac, l’impression que cette bande de chiens va se refermer sur moi façon Inception et m’écraser jusqu’à ce que ma gorge ne craque. J’le sens, jusque dans mes tripes. Je sais que la lueur de mon regard a changé, que ma posture n’est pas la même. Ici, je suis encore un peu cette gamine-là. J’crois surtout qu’elle n’a jamais tout à fait disparu.
C’est elle qui a commencé à lever le menton trop haut. Qui s’est mise à parler fort. A rire à la gueule des coups qu’elle se prenait. C’est elle qui a fait “comme si”. Comme si ça allait. Comme si elle gérait. Comme si elle avait décidé de chacun des évènements.
Elle qui a décidé que ce qu’elle taisait n’aurait jamais existé.

Elle qui, pourtant, sent presque le goût de chacun de ces types, ici, quand ils me gueulent leurs saloperies à l’haleine acide.

Elle, aussi, qui se crispe et manque d’air à l’idée que ce type-là, soit de la même trempe que les autres alors que moi, je devrais m’en foutre. Le job c’est de débarquer, de lui en coller quelques unes, de l’coucher ou de le laisser gagner, et de repartir avec lui. Loin.
Qui il est, c’est pas censé compter.
C’est pas censé me donner cette putain d’impression de manque d’air quand son regard lèche chacune des courbes que je cache pourtant sous l’immense hoodies de Dorofei.
Pourtant c’est le cas. Et derrière mes sourires : j’ai peur.

- Mince… j’aurai préféré que tu saches me baiser plutôt que me cogner.

Et j’ai envie d’te cracher à la gueule. Mais je souris d’autant plus et redresse mes épaules pour lever le menton dans un air de défi. Ça s’achève sur un rire. Ça s’achève souvent par un rire ce genre de trucs.

- On va commencer par les coups.

J’en oublie presque qui il est et ce que j’fous là. Tout bourdonne. Mais ce sont bien les coups qui me rattrapent au vol. Comme à quatorze piges quand je perdais pied et qu’il n’y avait que sur le tatami que je retrouvais un semblant d’ordre à tout ce foutoir qui m’attendait dehors.
Je braque, m’engage dans le combat comme on plongerait dans une mer trop salée. La respiration coupée, mais avec la sensation d’être portée vers la surface. Le corps en mouvement retrouve une forme de contrôle. Il esquive, pare, encaisse. Chaque impact pulse une forme de satisfaction sauvage chez moi et chaque fois que je chope son regard, je le vois : il sait que je pourrais le foutre à terre à tout moment. Lui et son regard de charognard. Mais cette colère là reflue par moment, car j’y vois la sienne. Je vois cette couche de lave qui recouvre la peur. J’la connais trop bien pour l’avoir si souvent contemplée dans mon reflet. Alors ouais, j’en ai conscience. Et j’me rappelle par moment qu’il n’a pas les clefs de la situation. Qu’il ne fait que subir.
Mais pour tous ceux qui se branleront ce soir sur mon souvenir ; ouais, l’idée de diriger le combat injecte chez moi ce plaisir malsain de le tenir au bout de mes poings.
Et par moment, j’ai l’impression qu’il comprend. Que je fais que jouer, que j’accepte de me prendre certains coups, que je m’assure de ne pas le blesser véritablement. J’suis pas une experte, je fais au mieux. Mais il fatigue vite, n’a pas de technique. On dirait Alec s’il cessait de s’alimenter pendant deux semaines. Facile à anticiper, donc.

L’adrénaline afflue, et ce qui devrait me glacer m’amuse. Le regard brûlant qui joue de provocation, le murmure qu’il lâche en frappant du dos les grilles qui cerclent l’arène. Le sourire à la commissure des ses lèvres.
- Tu prends ton pied, hein ?
- Assez ouais ! et de manière très absurde, ce n’est pas un mensonge.

Peut être que j’ai juste parfois l’impression qu’il joue un jeu, comme je le fais moi même. Qu’on a les mêmes masques. Qu’on pourrait fonctionner ensembles. Et puis parfois, l’illusion se brise et j’y perçois une véritable haine, profonde et viscérale. Un de plus qui pourrait me faire tant subir s’il m’avait à sa disposition.
Pas le premier. Pas le dernier. Alors tout l’enjeu c’est de se ressaisir.

Les coups s’enchaînent, j’accepte le plus violent d’entre eux et me demande s’il n’y a pas une côte fragilisée dans le lot qui grince sévèrement sous son uppercut. Pas si mal côté puissance, pour un mec qui s’essouffle vite.
Malnutrition.
Ça aussi je connais.

Comme la sensation d’être balancé au sol par un adversaire plus fort...Moi. Là, je la verrai presque, l’insulte qui te passe par le crâne.

« Bouge ton joli p’tit cul de puceau Bambi. Little Cindy a tout misé sur toi, et t’sais comment elle déteste perdre ! »

Personne n’a parié sur moi. J’le sais. J’l’ai jamais fait non plus. Et une fois de plus, je ne tourne pas le regard vers ce type. Garder les yeux baissés, ne pas jouer de ma grande gueule.
J’peux me faire croire que je suis en maîtrise, il n’y a que ce combat-là que je peux gagner. Allez, reste au sol, acceptes-toi vaincu et on passe à autre chose. Te relèves pas.
Mais bien sûr que tu te relèves. Alors je mène le prochain assaut en me demandant combien de temps ça va te prendre avant de capter ce que mon silence te demande.

Mais t’entends pas. Bien au contraire. Les passes s’enchaînent et l’illusion se fracture petit à petit.

La colère boue sous la surface, elle donne de la force à ses coups. Une vivacité qui n’était pas là avant. Ce sourire, il a quelque chose de désaxé tant il arrive en contradiction avec ce que dit son corps.
Si je ne lâche pas ma propre posture, je vois la sienne changer. Ses talons plus lourdement ancrés dans le sol, les crispations de ses avants bras plus prononcées, les gestes plus brusques et percutants. Je vois ce qu’il vise, chaque fois. Les ouvertures que je n’offre pas, les axes que j’esquive. Le crâne, la gorge, le foie, les genoux. Il cherche à faire mal. Vraiment mal. La moindre ouverture et ce mec me tuera, je le sais. Qu’importe le sourire, qu’importent les joutes verbales : ce mec me tuerait s’il le pouvait. Alors parfois il me surprend, et parfois je n’esquive l’impact qu’à la dernière seconde. Et parfois je me laisse aller à me prendre certains chocs pour éviter d’exposer des parts trop fragiles de mon organisme.
Et, par moments, je réponds plus fort pour le forcer à reculer et reprendre le dessus sur les échanges. Par peur d’être emportée dans la frénésie, d’ouvrir trop mes gardes, de faire une erreur qui pourrait coûter cher.

Est-ce que je pourrais me planter ? Assumer que c’est bien lui alors qu’il n’en est rien ?
La réflexion me tord les tripes quand j’esquive un coup, me décale sur la droite, frappe à mon tour et…. Me retrouve prise dans un enchaînement que j’anticipe pas. J’échappe de peu à ce qui aurait pu me foudroyer la colonne et à la place, me prend un uppercut droit dans le plexus.
Un éclat blanc frappe mes pupilles et je recule hors de portée avec l’impression nette de m’être mangée une pelle droit dans le torse. Ou une batte.

Ça peut pas continuer, il va falloir que j…

Hé. Mais je te reconnais ! Hein ? Dis-moi Big Cindy, J’comprends rien et je manque d’air. J’ai dû rougir sous l’impact, ou pâlir par le vertige qui me prend quelques secondes. Mais je relève la tête calmement et me force à reprendre mon souffle par petites inspirations. ça serait pas la meuf qui a écrasé Little Pouet-Pouet ? »

- Quoi ? La voix est faible et m’agace, alors je tousse et racle de la gorge avant d’inspirer franchement pour retrouver contenance. La douleur frappe mes côtes mais dégringole bien loin de ma conscience quand j’intègre le blanc qu’il vient de provoquer. C’est pas son clébard, ça, little truc ?! Mon regard part droit vers lui, incendiaire. Trop vite même pour que j’intègre que j’admets de fait connaître le coin, les gens et les sales bêtes qu’il vaut mieux ne pas toucher. T’es sérieux toi.. mais j’ai pas assez de voix pour la faire entendre quand je gueule aussi vite que je le peux que je n’ai rien fait. Qu’importe : dans ces milieux, le doute n’existe pas.

Au silence de l’assistance, je sens l’acide pulser dans mes veines et inonder mes neurones. Putain ça c’est pas bon. Pas bon du tout.
C’est quoi là ton plan abruti, nous faire tuer ?!

Djanco se redresse. Lève la main. Claque des doigts.
Je frémis.

« Allez fini d'jouer, faites moi de ces deux gadjo un paillasson surl'quel essuyer mes pompes... »

Bingo. Nous faire tuer, donc.

Un instant, je ne vois plus Léon, plus les types autour, plus même tout à fait Djanco sur sa tribune. Je vois les cerbères se déplacer et jouer des muscles. Les marches. La foule. Un instant je les perds de vue. Puis la grille qu’ils passent et le sable qu’ils foulent.

Putain.
De bordel.
De merde.

C’est son murmure qui me force à revenir à moi et j’arrive pas à retenir une réflexion cynique : c’était maintenant. Là. Dans mon élan d’angoisse. A l’instant ; il aurait pu me tuer.

« Si je peux pas te buter moi-même, je vais laisser les autres s'en charger, quitte à mourir dans la mêlée. J'avais pas vraiment prévu de m'en sortir depuis que tes trois potes ont décidé d'exterminer ma famille il y a un an, de toute façon. Mais ce qui est sûr, c'est que je pars pas sans toi. »

Nan mais tu l’as mis en gage ton cerveau ou t’as juste oublié de rallumer les plombs ?
- Alors ça tu vois ça m’arrange pas du tout parce que l’idée c’était justement de rester en vie… Je recule, fixe le trio qui passe les “portes” de l’arène et fait ses premiers pas dans le sable. J’arrive pas à les quitter des yeux, quitte à oublier une seconde qu’il n’y a pas qu’eux, dont je dois me méfier. Quatre contre une.
J’suis morte.
Y’a pas quarante options.
J’suis morte.

Et puis je tilte à retard. Attends quoi ?! Mes yeux quittent les cerbères pour revenir vers lui et remettre les pièces du puzzle dans l’ordre. “Mes trois potes” ? La famille exterminée… La famille de Maxence s’est faite tuer l’année dernière ?! Ils lui ont fait payé .. Bien sûr qu’ils lui ont fait payé. Mais je ne m’intéresse pas assez aux autres, et j’ai eu trop à gérer pour me rendre compte d’à quel point eux aussi ont morflé. Y compris le type qui a perdu Zach sur la table et qui a un jour fait le choix de laisser mourir la mère de ma… ex.
Bref.

- Hey princesse, t’as entendu le boss, c’est le moment de serrer les dents..!
Prends un ticket.

Je l’ignore. Écoute, Jeremy.. j’insiste sur ce nom. J’suis pas là pour te trahir. ..mon but c’est de parler. Et en option, te mettre en sécurité j.. Les cerbères nous invectivent, à trois, d'une même voix mais pas à l'unisson, et j’y comprends rien. Mais l’impression d’avaler un glaçon m’indique sans mal que la papote se termine et l’heure du jugement dernier… pas si loin.

Alors j’le pointe d’un doigt tendu. T’évites de crever. balancé avec une assurance que j’ai pas quand je ramène le regard vers les trois types. L’un a les bras aussi gros qu’un tronc d’arbre. J’suis pas la seule à lever de la fonte ici. Sauf que moi c’est pour compenser la puissance que j’ai pas à la base. Lui l’a déjà. Quand aux autres… ils ont dans le regard un truc que j’aime pas et que je connais trop bien.
Et mon coeur roule sur mes côtes avec une célérité folle. Ma respiration accélère. Mes mains sont moites.
Non, elles ne sont pas que moites. Elles tremblent. Je tremble. Et mes yeux passent des uns aux autres, des trois types à Léon. Lequel donnera le coup final dans tout ce bordel ?
J’suis morte.

Combien de fois tu t’es dit ça dans ta vie, connasse ?
Les images défilent.

Tant j’suis pas mort,
J’suis invaincu


Je souffle. Et le souffle aussi tremble.

Et en face, c’est le retour des insanités. Ils parient mon cul et le sien à priori. J’en profite pour arracher de quelques gestes vifs mon sweat et rouler mes cheveux dans l’élastique. Le pull tombe au sol.
On joue pu’.
Ça sera déjà quelques prises en moins. Et de quoi faire briller le regard de deux d’entre eux d’un truc lubrique qui vibre plus fort encore quand je défais ma ceinture.

- V’la qu’elle connaît sa place finalement !

Ta gueule enflure.
Je l’ignore je l’ignore je l’ignore, je l’ignore. Et j’enroule la ceinture sur mon poignet droit et en retient l’autre bout à gauche. Ils ont sans doute des armes. Ne les sortiront pas pour faire jouer leur petit égo de mâle qu’a besoin de bander pour se sentir exister.
“C’est qu’elle est bien roulée la salope” Un connard derrière moi. Ouais, j’le suis. La musculature joue sous ma peau, le regard coule d’une lave acerbe et en douceur, je me place dans l’arène.

J’vais crever.

A ma gauche, les trois types. A ma droite, Léon. Légèrement en arrière. Mon regard va et vient. Si j’m’avance davantage, il pourra m’avoir par surprise et j’ai pas confiance. Mais moins et les gorilles pourront lui foncer dessus sans que je puisse intervenir.
“Que je puisse intervenir” nan mais écoutez-la moi celle-là. Ça va Lara Croft, t’es sûre d’avoir le niveau ?
Non.

Et mon souffle tremble d’autant plus que mes poings vibrent quand je monte ma garde.

J’revois en quelques secondes Dorofei au dessus de moi, ses mains m’écraser la gorge.
J’revois Aldric me faire face et sa lame planter ma peau.
J’revois le Suppots d’mes couilles frapper, encore, jusqu’à m’ouvrir la porte de la mort. La sienne.
J’revois Kezabel. Mon corps trembler de désir sous le sien, les coups s’arrêter, nos lèvres se joindre. Ses mouvements incendier les miens.

Je souffle. Plus doucement, plus profondément.

« Parait que quand tu touches le fond, tu n’peux que remonter. Donc bouges-toi le cul, arrête de te planquer derrière ta fierté. » M’a dit Margo.

Les conseils de dizaines de coachs, d’instructeurs, de généraux, s’enchaînent dans mon cerveau.

Le type de droite se tient légèrement décalé. Genou ou hanche. Celui de gauche a quelques doigts en moins. Celui du centre regarde Léon d’un air de chien enragé. Obnubilé. Et tous, se marrent.
Des faiblesses et de la bêtise. Je prends.

Ma cage thoracique se gonfle, je souffle. Une certaine forme de constance. Mieux. On détend les muscles, décrispe les épaules. T’as pas le luxe de perdre de l’énergie ma fille.

“Sur le terrain, on a pas besoin d’une nana qui joue les grandes devant, mais qui s’fout la gueule à l’envers dès qu’elle touche le fond. On a besoin d’une nana qui accepte de faire face, qui a l’esprit clair et qui est capable d’assurer nos arrières.” A-t-elle dit. Margo.

- Tu vas voir, Bambi comment on fait !

L’homme de droite me fonce dessus, celui du milieu fond sur Léon, je tiens ma position. Frappe à droite, j’avance dans une esquive offensive. Le poing me passe à devant le visage, me permettant de me trouver à droite de son torse. A peine décalée. La ceinture le frappe en pleine gueule et mon poing percute l’ouverture, droit dans le foie. Pleine puissance cette fois. Un bond en arrière, réception sur le talon. Frappe du mien. Droit sur son genou. De biais.
Craquement et hurlement rauque me répondent, mais j’ai déjà fait demi-tour. Un de moins. Droit vers le duo Léon/Centriste.
Interceptée par le type de gauche qui se jette sur moi. Esquive. Pas assez vite. Le coup me prend l’épaule et je réplique par un direct du gauche. Surprise, tête de teub, j’ai jamais été droitière.
Cette fois, aucune retenue. Je retrouve la précision des entraînements, la force de mes impacts est là pour blesser, briser des os, impacter les organes. Mes muscles propulse ce que je peux de puissance. Je cherche à profiter de l’effet de surprise, avant qu’ils ne fassent vraiment gaffe à la nana que je suis. Mes seules limites s’imposent pour ne pas perdre l’équilibre ou épuiser mon corps trop rapidement. J’fais gaffe.

“Ton pied gamine. Ton appuis n’est pas bon…”

J’ajuste. J’sens plus ni le cœur qui frappe à tout rompre ni la douleur qui pulse dans mes nerfs. Avancer. C’est tout ce qui compte. Avancer. Les coups s’enchaînent, j’évite ce que je peux, limite l’impact pour le reste. La majorité du temps, Gauchiste me loupe et ne fait que me frôler ce qui, vu la gueule de ses bras, m’arrange. Un homme qui frappe et votre corps part en éclat. J’le sais. Toutes les meufs le savent même sans l’avoir expérimenté. Mais une fois que c’est fait… t’oublies pas.
Les parades viennent et s’enchaînent, le corps réponds sans que l’esprit n’intervienne toujours. Il y a sept ans, je freezais. L’incapable à son paroxysme. Sachante mais ignare. Inutile y compris à elle-même. Aujourd’hui j’ai un fusil dans le regard et une rage infâme à le voir reculer une lueur d’étonnement dans la gueule quand j’impacte sa trachée. A un rien, je m’en débarrassais. Mais un coup me prend par derrière et m’envoie valser sur Gauchiste. Léon. Putain de saloperie de gueule d’ange à la manque !! Mon poing le frôle au passage sans atteindre sa cible et le revers de Gauchiste me propulse au sol. La ceinture est loin. Shit.
Debout !
Une roulade, je frappe ses jambes, me mets debout d’un bloc. La suite est floue. Gauchiste réplique, je répond, évite l’impact de Centriste qui se mêle au truc, me fait choper aux reins par Léon, prend dans la gueule le coup d’un des deux gorilles et vole plus loin.
Dernier truc que ma conscience capte : - Tu vois qu’on valse finalement ? avant de passer de poings en poings et de finir au sol. P’tit con. P’tit con drôle mais p’tit con quand même.

Un battement de paupière, Gauchiste est sur moi. J’ai dû avoir une absence. Je frappe, me cabre, l’empêche de me tomber dessus. J’atteins la trachée, droit dans la pomme d’Adam, ses tempes ensuite, son plexus. Il tousse, manque de me gerber dessus, mais se laisse surtout tomber.
90 kilos qui écrasent mon corps et chopent mes épaules, mes jambes, me pivotent. Je frappe. Encore et encore. J’essaye de ne pas penser à la suite, de ne pas voir Dorofei et ses coups qui n’en finissaient plus, ou les autres types, plus anciens, dont le bassin impactaient le mien. J’essaye. Mais ça vient quand même et je manque d’air quand il me frappe à la poitrine, au buste, au ventre, et plaque son bassin sur le mien.

J’vais crever.

J’vais crever
J’vais crever
J’vais crever.

Mains levées, j’amortis plusieurs coups sur ma gueule mais me les prend malgré tout. Nouveau coup dans la trachée, nouvel impact à son oreille. Il râle, recule un peu et son bassin roule sur le mien. Je balance du sable qui ne l’atteint pas.
Ce putain d’enfoiré bande. Ce putain d’enfoiré pèse lourd, surtout, et plante un genou sur ma cuisse. Je hurle. Je m’entends hurler plus exactement.
Et j’entends au dessus, ailleurs, derrière mon cri, derrière ceux des spectateurs, derrière le grondement sourd de Gauchiste… un appel.

- SIEM
Et un truc qui tombe à côté de moi.

Ma main se referme dessus. Le fil d’une tranche de métal est froid quand se plante dans ma paume et vole droit vers le type.

Pas le temps de comprendre ou d’y voir clair que le liquide me coule sur le cou. Chaud. Ferreux. Le mec se relève et je le vois tenir sa gorge les yeux écarquillés.
Coudes dans le sable, j’ai pour réflexe de reculer mais m’arrête quand j’entends les cris arrière enfler et des mains m’effleurer.
Le type titube, presse sa gorge d’où le sang coule entre ses doigts. Il pâlit, esquisse une insulte de ses lèvres entrouvertes et presse plus fort. Ça pisse. Mais pas tant. Si ? Il ignore son pote au sol qui lui hurle son nom - un truc en “an” - en se tenant le genou, et le second, au sol avec Léon, plus loin. Puis après un arrêt d’hésitation, bifurque quand on l’appelle en dehors de l’arène. Dans les yeux, la mort. Ou du moins la peur de la mort. Dans celle des spectateur, la faim du sang.

Gauchiste disparaît en dehors de l’arène et j’en vois plusieurs se jeter sur lui. De l’aide sans doute.
Alors seulement, avec le couteau suisse, poisseux de sang et de sable, encore serré dans ma paume, j’me relève. Un instant, j’ai l’impression d’être sonnée, mais l’expérience de la Garde et des Balkans tonne et m’empêche de plonger dans un état d’hébétude. Pourtant mon regard passe sur l’assistance. Je cherche.
Je cherche Sixten. Mais j’le vois pas. Je vois qu’une bande de chiens enragés. Bouffis, rouges, aux dents sales.  

Et là bas, au fond de l’arène, Léon qui se débat avec le type qui me fait dos. Et je réaligne les infos.
- LE TOUCHE PAS !! ça sonne pas super crédible, si vous voulez mon avis. La lame glisse entre mes doigts, je chope le manche. Un geste fluide envoie le couteau droit sur le dos de Centriste.

Et rebondit.
Ok c’était con.

Lorsque mon pied s’enfonce dans le sable, j’ai davantage l’impression que c’est lui qui me propulse, plutôt qu’une véritable décision de ma part. Qu’importe : je sprint vers Léo et Centriste, chope ma ceinture au sol au passage, glisse un pan de la lanière dans l’anneau de métal, fond sur le dos du gorille. Mes mains ripent sur son visage, contre son cou, sur sa clavicule. Et je me redresse en manquant d’y laisser un doigt accroché.

Et je tire. Un pied sur son dos, je tire.
La lanière s’enroule autour de son cou et un geignement rauque parvient à mes oreilles quand il se redresse. Alors je tire plus fort. Les crans de la lanière ripent sur sa peau, il se débat, je manque de voler mais résiste. Et j’ai le temps de voir le visage halluciné de Léon croiser mon regard.

Puis deux bras passent autour de mon cou comme la lanière l’a fait pour le type. Et je bascule en arrière, dans les bras du Droitiste qui serre à son tour. J’lâche et Centriste retombe en avant, les avants bras dans le sable avant de tenter de se défaire de la ceinture qui peine à se desserrer.
Mais j’vois déjà plus véritablement la scène. Ni ce que fait cet homme, ni ce que fait Léon. Je frappe, me cabre, tente de choper son genou de ma jambe, ses côtes de mon coude, son nez de mon crâne. Comment peut-on être aussi solide sur ses appuis avec un genou pété ?!
J’arrive à rien et l’air me manque. Je me propulse, en arrière, tente de l’emporter de ma force.

Mais ma force n’est rien face à la sienne.
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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Mer 28 Fév 2024 - 0:26
Un sourire se voulant satisfait sur les lèvres, Léon avait pourtant l’impression d’avoir avalé une pierre lui tombant tout droit dans l’estomac, écrasant toute sa personne pour le laisser en bouillie sur le sol. C’était facile, évidemment, de se convaincre que l’on était prêt à mourir. Sauf qu’en définitive, l’espèce humaine avait été programmée pour que le système nerveux mette tout en œuvre pour l’auto-conservation. Et l’on annihilait pas des millénaires de réflexes reptiliens comme ça. Ce qui lui donna davantage de courage, en revanche, c’était que dos contre le sien, Léon pouvait sentir que la fille tremblait, elle aussi. Alors, il ne répondit pas à sa maigre tentative de l’amadouer, le regard figé sur les trois armoires à glaces qui les encerclaient dans une chorégraphie sûrement rondement menée.

Et à moins d’une intervention divine, leur fin promettait d’être douloureuse, effectivement.
Bien sûre, qu’elle tremblait.
Et bien sûr, qu’il était satisfait qu’elle tremble.

« Mes trois potes ? » Sembla-t-elle réaliser soudainement, et Léon, attention toute focalisée sur la faucheuse version trente-trois tonnes qui avançait vers lui, fut à deux doigts de lui proposer de la fermer.

Pourquoi avait-elle l’air surprise ? C’était quoi, cette nouvelle ruse ? De quel venin allait-elle encore frapper ?

La ferme, la ferme, la ferme.

« Ils lui ont fait payé … » renchérit-t-elle, comme si elle le faisait exprès.

Évidemment qu’elle le faisait exprès, se désola intérieurement Léon, alors que l’homme qui lui faisait face faisait soudainement craquer ses jointures dans un bruit à rendre nauséeux un comprimé d’anti-vomitif. Rapidement ? On aurait dit une bouteille aussi ronde qu’une pomme, sur laquelle on aurait enfoncé difficilement un bouchon en liège à coup de marteau. Il devait faire trois fois son poids, quatorze fois sa masse musculaire et à peu près la simple addition de ses deux valeurs en quotient intellectuel. Alors Léon n’avait pas vraiment le temps de réfléchir.

« Écoute, Jeremy.. J’suis pas là pour te trahir. ..mon but c’est de parler.
- C’est ça, on se revoit en enfers, Je serais le mec qui t’attends à l’entrée avec une pancarte,  tâcha-t-il d’abréger tandis qu’il cartographiait son nouvel adversaire du regard.
-  T’évites de crever. »

Et ça sortait d’où, ce nouveau retournement de situation ? Du cul d’une poule, peut-être ? Il avait l’air de bouffer des œufs à la coque ?

Léon marqua un temps d’arrêt, suffisamment pour que son nouveau partenaire de jeu ne lui décroche un crochet en direction de la mâchoire. Il sentit alors sa pommette exploser et ses dents s’entrechoquèrent. Ce n’était plus des mains, à ce stade, mais des battes de baseball. Y’avait pas à tergiverser, néanmoins : ça avait toujours le mérite de vous remettre l’ordre des priorités en place, un pain dans la gueule. Alors il se mit en mouvement, frappant avec l’énergie qu’il lui restait, encaissant quelques mauvais coup et en plaçant d’autres. Et, quand une tignasse blonde fit irruption dans son champ de vision, Léon fit exactement ce qu’il avait prévu de faire lorsqu’il avait songé à ce plan. Pas une seule fois, depuis l’assassinat de ses parents, il n’avait eu d’idées suicidaires. Tout ça, toute cette vaste connerie, c’était dans l’unique but de se venger. Alors, il la poussa droit dans les bras de ses adversaires. Il se moquait bien que cela soit moche et traître. C’était un combat, pas une œuvre de charité. Non, plus que ça. C’était son combat. Sa vengeance. Qu’elle crève. Il n’était plus que vengeance et colère, désormais. Et tant pis pour les insultes obscènes qu’elle se prenait, tans pis pour son joli visage qui finirait sans doute écrabouillé quelque part, tant pis si elle poursuivait le but complètement incompréhensible de le protéger. Tout ça, c’était juste son plan. Tout ça, cela n’était que du vent.

Parce qu’il était aveugle à tout ça. Parce qu’il se battait depuis de trop longs mois. Qu’il était fatigué, épuisé, éreinté. Parce qu’il fallait que quelqu’un paie pour ce putain de désespoir, pour tout ce qu’il avait vécu et qu’elle avait choisi de débarquer là, parlant sans jamais être claire, supposant sans jamais clarifier. Il avait les yeux fous et les poings suivaient, curieusement prolifiques, tenant passablement en haleine son propre adversaire, comme si la motivation de la voir passer l’arme à gauche avant lui était suffisante pour réussir à le rendre un peu moins mauvais que la fois précédente. Il faillit d’ailleurs croire que ce moment était arrivé, lorsqu’elle se trouva enfin acculer.

Mais évidemment, Monsieur-Puissance-Supérieure avait un sacré sens de l’humour. La providence arriva sous la forme d’un poignard. Léon en aurait perdu son latin sous tant d’injustice, mais il n’en eut malheureusement pas le temps.

« C’par là que s’passe, bambi,  fut-il subitement rappelé à l’ordre par sa propre brute. T’inquiète pas pas pour ta fiancée.

Fais chier, fais chier, fais chier.

Il allait mourir avant même d’assister à sa propre victoire. L’autre le tenait au dessus du sol comme une vulgaire poupée de chiffon et le secouait comme s’il était une putain de pinata suspendu à un arbre. Sa main se referma sur celle qui empoignait son tee-shirt et il balança sa tête droit sur le nez de Gargantua version mafieux des bas quartiers. L’autre esquiva, rigola. Puis, brusquement, Léon s’écrasa au sol. Il se redressa, poings dressés, ses yeux cherchant déjà la femme pour savoir si elle avait enfin fini de crever quelque part.

Elle était là.
Le type était en train de l’étrangler.
Et Léon se figea, la regardant agoniser au sol, comme fasciné. Un peu comme tous ces conducteurs sur l’autoroute ne pouvant détourner les yeux d’un accident de la route. Il ne voyait même plus l’autre type, celui qui était toujours debout et qui allait probablement le tuer sous peu. Il ne voyait rien d’autre qu’elle, cette femme, sa vengeance. Là, étendue sur le sol, comme un poisson hors de l’eau.

On se rejoint en enfer, princesse.

Et puis, soudain, des sirènes de police leur vrillèrent les tympans. Probablement le type au poignard qui récidivait, visiblement désireux de pas les voir crever ici. Fin de partie. Tout le monde dehors. Les participants se mirent à courir dans tous les sens, son adversaire avec, fuyant la descente de flics comme un troupeau de bisons poursuivi par les loups. Et au milieu de ce capharnaüm, Léon se tenait toujours là, immobile, les yeux rivés vers la silhouette inerte de la jeune femme, dont le cou était toujours maintenu fermement serré dans l’étreinte morbide de son adversaire. Il regarda ses pieds bouger dans tous les sens, ses mains agripper le sable, ses hanches se vriller, pleines de suppliques. C’était probablement la pire des façon de mourir. Et quelque part, Léon sentait qu’il aurait dû se sentir effrayé d’assister à ça. Parce qu’il n’était pas comme ça. Avant.

Mais c’était ce qui l’avait maintenu en vie. C’était ce qui l’avait poussé à se battre pour se remplir le ventre, à renier ses principes, à dormir dans des caniveaux, à s’abrutir d’héroïne. La vengeance était devenue son oxygène, son moteur, sa ligne de conduite. Alors elle devait mourir, parce que c’était pour ça qu’il avait mis sa vie en jeu, c’était pour cette unique raison qu’il avait provoqué Djenco. Parce qu’il fallait que quelqu’un paie pour leurs morts. Parce qu’ils n’étaient personnes, sans doute, aux yeux de tous, mais qu’ils avait été tout pour lui. Parce qu’il ne lui restait plus rien.  

Elle ne bougeait presque plus, maintenant.
C’était bientôt fini.
On se reverra en enfer, comme promis.

« Marckles, laisse c’te chienne, faut dégager, » hurla soudain quelqu’un à travers la cohu.

Non ! Supplia intérieurement Léon. Ne bouges pas Marckles, tu dois la tuer. Tu dois finir. Tu dois…

Mais Marckles était déjà loin. Alors, après un moment de flottement, Léon se ressaisit avec toute la rigueur d’un militaire rompu au combat. Comme il l’avait dit, il avait espéré pouvoir se venger depuis tant de temps que ses gestes étaient calibrés par l’anticipation que cela n’advienne. C’était son moment.  Alors, il se précipita sur elle, passa ses mains sous son corps inerte mais encore vivant, et la souleva comme une foutue princesse. Filant à contre sens de la sortie de secours– plus personne ne faisait attention à eux, de toute façon, il y avait de plus gros poissons à ferrer et donc, par déduction, Djenco avait de bien plus gros problèmes que les deux gamins entre-tuant jusqu’alors dans son arène – il gagna le laboratoire de boucherie qui jouxtait les entrepôt. Puis, après avoir vaguement envisagé l’un des billots encore sales, il se dirigea vers le fond. Il aurait besoin de plus de temps. Il fallait d’abord se mettre hors de portée, à l’abri des regards.

Et puis, il le trouva enfin. Le monte charge

Il la laissa retomber sur le sol sans aucune délicatesse, puis écrasa le bouton rouge. L’ascenseur se mit en branle dans un concert métallique, les emportant péniblement vers le toit du bâtiment. Une fois certain qu’ils étaient en sécurité, le jeune Wargrave se retourna vers elle. Elle bougeait à peine, ses poumons certainement encore en feu et Léon avait l’avantage de la surprise. Et surtout, de son hypoxie récente. Son cerveau devait être encore saturé de monoxyde de carbone, naviguant sur des mers trop embrumées pour être capable d’autre chose que de simplement oxygéner les tissus trop longtemps privés d’oxygène. Le type n’y ait pas allée de main morte : quelques secondes de plus, et elle y serait sans doute passée. Quelques secondes de plus, et il n’aurait pas eu à se salir lui-même les mains.

Alors, d’un mouvement souple, il s’assit à califourchon sur elle, profitant de son inconscience. Il plaça ses mains autour de son cou, veillant à bien aligner les pouces sur sa trachée pour l’étrangler le plus efficacement possible. Il avait fait des autopsies, au cours de ses études, alors il connaissait très bien la théorie. Après tout, c’était bien le but de tout ça ? A quoi bon sinon les côtes fêlées, la mâchoire en berne, les bleus et tout le reste ? Il frémit. Resserra ses doigts. Il suffisait de ne pas réfléchir. Il suffisait juste de serrer, de penser à autre chose. A maman, par exemple, torturée sur le sol du salon entre la table dressée pour le repas du midi et la panière du chien.

Allez, Léon. C’est facile. Ou de penser à son père, qu’ils avaient forcé à regarder. Il faut juste serrer. Vas-y.

Les mains de l’étudiant amorcèrent un mouvement. Et puis, il constata que ses doigts épousaient les traces violacées laissées par les paluches de celui qui avait déjà tenté de la tuer un peu plus tard. La symétrie lui glaça le sang et il eut soudainement la nausée.

Non. Non. Cela n’avait rien de facile.

Il retira ses mains subitement, comme si la peau de sa presque victime était soudainement devenue aussi brûlante que des fers à repasser chauffés à blanc. Il resta quelques secondes là, perché à califourchon sur sa taille, terrifié par ce qu’il avait été sur le point de faire. Puis, ses doigts réagirent à l’instinct : il chercha son pouls, faible, vérifia que sa trachée était indemne. Sa main descendit ensuite, méthodique, passant le long de son ventre tout en respectant sa pudeur, juste suffisamment appuyé pour s’assurer de l’absence de défense abdominale. Pas d’hémorragie interne. Son examen gagna ensuite ses épaules, libres de toutes luxations, puis les coudes et les mains. Il termina par les doigts, lui réamboitant le pouce gauche dans l’articulation d’un geste rendu précis par de nombreux stades d’externat aux urgences. Elle bougea, sans doute tirée un peu de sa brume par la douleur. Elle avait, il le remarquait juste, les yeux d’un bleu gelé, comme un lac piégé par une période glacière.

Va te faire foutre, Monsieur-Puissance-Supérieur.

Il se baissa, entrouvrit la bouche, puis posa ses lèvres sur les siennes pour lui insuffler de l’air à plusieurs reprises, lui offrant plus d’oxygène qu’elle n’était capable d’en inspirer péniblement. Elle toussa. Une fois. Deux fois. Happa son air, comme une noyée remontant à la surface.

Léon se laissa alors glisser hors de son corps et s’allongea à côté d’elle, les yeux rivés vers le plafond de l’ascenseur qui était arrivé à destination depuis il ne savait quand. Lui, par contre, ne savait plus vraiment où il allait, en revanche. Il avait le souffle court et l’impression que son esprit allait se fissurer. Il ferma donc les yeux, une main en travers de son abdomen, passablement vaincu par les évènements.

«Tu me cognes, puis tu me sauves… articula-t-il dans un souffle, mais bordel, qui es-tu ? »
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Sam 2 Mar 2024 - 11:13


 10 mars 2017


Je cabre tout ce que je peux. Il faut l’atteindre, le forcer à basculer, retomber de l’autre côté, renverser la situation. Il faut… Je sais comment faire. J’l’ai déjà fait en entraînement. L’emporter sur l’avant, ou en arrière, profiter de l’inertie, forcer le … mais rien ne marche. Il serre trop fort, j’perds pied.
J’vais crever.
Mes doigts ripent sur ses bras, griffent tout ce qu’ils peuvent et je sens à peine la brûlure cuisante sur l’un de mes ongles. Je cherche même en arrière, à lui planter l’œil, atteindre ses oreilles ou … ou je sais même pas quoi à ce stade. Dans mon dos, son cœur bat fort, ou bien est-ce le mien ? Il écrase ma trachée. Est-ce que mon crâne pourrait sauter, là comme ça, comme un bouchon de champagne ?! Ça serait la dernière image de moi. Un bouchon de champagne.
J’ai jamais bu de champagne de ma vie.
Et l’autre qu’a de nouveau chopé Léon…
J’m’en fous. Si tu savais comme j’m’en fous pourtant. Lâche-moi. Lâche-moi ! Lâche-moi…

Mais j’la sens. La bascule. J’ai eu la connerie de penser qu’ils fatigueraient avant moi… Mon corps ne se soulève plus qu’à peine et je sens l’autre tomber à genoux. Comme une poupée de chiffon, je sens que je retombe avec lui, que mes jambes glissent dans le sable, que mon torse se tord en deux contre le sien. Je tente encore. J’aurais plus de prises comme ça. Il est blessé j’peux le faire… j’peux…
Je sens que mes talons ne font que creuser des sillons dans le sable et mon torse se soulever d’un rien sur lui. Quant à ma main, elle frôle sa joue, accroche son épaule. Ça ressemble plus à une caresse qu’à une riposte.
Et puis brusquement il me lâche et j’aspire ce que je peux d’oxygène. J’essaye. Mais ça hurle sous mes côtes, dans ma gorge, et je retombe mollement le dos dans le sable. L’arrière de ma tête y cogne et j’ai confusément l’image de la plage où Kezabel et moi on a mangé des churros avant de rester allongées l’une à côté de l’autre.
Je cligne et entre deux mouvements, j’le vois lui. Léon. Planté à regarder. La gueule ahurie maculée de sang et de crasse, les pupilles dilatées, la poitrine haute. Une seconde, il me fait penser à quelqu’un d’autre. En une seconde, je comprends surtout qu’il m’observera mourir.
Et les mains se referment de nouveau sur mon cou. J’le vois à peine. Je sens à peine mes bras se lever comme ils le peuvent pour attraper … tout. N’importe quoi. Et mes talons qui repoussent le sable. Mais j’suis pu là. J’suis en Espagne, à côté d’elle. Ouais, c’est mieux ça comme image pour crever. Mieux que le bouchon de champagne.
La lumière éclate sous mes paupières. Elle devient néant. Un néant si clair. Si lumineux. Comment le sombre peut-il être clair ?! Et la plage s’efface. J’crèverai pas dans les bras de cette femme. J’crèverai dans l’image confuse de tous ceux qui se sont un jour tenus au dessus de moi, avec la même lueur dans les yeux.
Et mon cœur explose dans ma poitrine, mon corps brûle. Un éclat de vie.

Juste avant de sombrer.

J’bascule en arrière, au travers du sable, au travers de l’arène. Comme ce vertige quand on s’endort. Quelque chose gueule dehors. Hors de la chambre peut être ? Hors de mon lit. Quel lit ? J’ai pu d’lit depuis longtemps. J’bascule. Loin. J’dégringole.

Et j’touche le sol, brutalement. Pas le lit. Le sol. Lequel ? Ils se succèdent et j’crois que je m’y accroche. Le plancher d’un bureau sale, le papier pain arraché au mur, les meubles de grands parents. Et Sixten qui propose une bassine d’eau pour se laver. Un autre peut être ? La moquette d’un bel hôtel, la brûlure sur la peau. Les coudes. Le cul. Et l’autre qui s’agite en suant comme un porc. Nan, pas ça. Le tissu plastique d’une tente, la terre en dessous, et ces petits cailloux qui te prennent par surprise quand tu t'y assois. Les rires, l’alcool, l’air si froid autour, l’impression de vivre. Ouais, j’vais par là. J’vais pas sur la terre d’Irlande, les poings de Dorofei sur ma gueule, l’arrière du crâne propulsé, le… J’ai des mains sur ma gorge. J’ai un bassin sur le mien.
Je bouge. Faut qu’je bouge. Bouge j’t’en supplie !

Mais à la place mon crâne s’enfonce dans la surface froide, métallique, derrière moi. J’bascule à nouveau. En avant, en arrière. La conscience s’effondre et confusément je sens des mains sur moi. Épaules. Ventre. Refais surface putain !
Nan. J’veux pas. Fais c’que tu veux, j’veux pas y aller.
Si.
Nan. Pitié nan.

Bras. Bras ? Qui fait ça ?
Et une douleur sourde qui pulse du pouce jusqu’au coude et électrise mon épaule.

La bascule, de nouveau, dans le sens inverse. Vers la surface.

J’les rêve, les doigts qui m’accrochent en arrière et coulent sur mon corps quand je sens de nouveau distinctement chacun de mes muscles se contracter ? Sans doute. Une jambe se soulève, les abdos jouent. J’entrouvre les yeux, vois une cuisse, sens la forme tendue d’un jean quelque part sur mon bassin. De l’air. Pitié de l’air. Mais ça veut pas. Comme si mes poumons étaient collés. J’essaye. Ça veut pas.
Les mouches devant les yeux, le vertige qui m’appelle. Les doigts sur ma gorge pour me tirer en arrière. Nan. Ils sont pas là. Il me tient encore la main. Ne les a pas autre part. J’hallucine, forcément, j…
De l’air… Pourquoi ça marche pas ?
J’ai mal putain. De l’air..

Puis la luminosité baisse et un instant, je crois avoir replongé. Mais je comprends à retardement, lorsque ses lèvres trouvent les miennes. Frisson glacé. Mes ongles ripent sur la fibre de son jean, je sais pas trop où. Mais à défaut d’une langue, c’est de l’air qu’il insuffle en moi. Vicié. Acide. La meilleure chose au monde. Une fois, deux, ça induit un sifflement rauque dans ma gorge et l’impression que mes poumons s’ouvrent enfin. Une seconde, avec ce souffle, j’ai l’impression que c’est Sixten, au dessus de moi. Mais le monde se re-calibre quand je tousse et me crispe contre lui. Il se redresse et je tousse encore, happe l’air et retombe en arrière le menton vers le ciel, la gorge au clair quand la fraîcheur du monde entre de nouveau en bourrasques. Par réflexe, cette fois, mes doigts se crispent sur la fibre, un ongle s’y accroche et une douleur vive pulse dans mon annulaire jusque dans l’os. Ça aussi, meilleure sensation du monde quand elle se couple à celle de mon corps qu’on libère de la présence du sien.
Je tousse, respire, grimace sous les douleurs qui refluent dans tout mon organisme. Vivante.
Vivante.
Chaque souffle est rêche quand je réaligne les informations. Léon - c’est Léon son nom - se laisse retomber à côté de moi et s’y allonge, laissant libre champ à la vue des piliers de métal qui supportent le toit grillagé d’un monte-charge. Monte-charge… j’ai aucune putain d’idée d’où on est et un instant, j’m’en fous, je bats des paupières, inspire, expire. Voilà, ça c’est pas mal. Inspire. Expire. Pas de signe de danger. Inspire. Expire.

« Tu me cognes, puis tu me sauves…Mais bordel, qui es-tu ? »  

Un corps délabré. Voilà tout ce qui vient. Un putain de corps délabré. Mais en vie. Et respirer est dur bordel.. Ma cage thoracique pèse des tonnes… Je repousse comme je peux mon bassin d’un côté. Nope, ça veut pas. De l’autre alors ? J’ramène mes jambes, bascule les genoux, pousse sur le bras gauche et me bascule avec la célérité d’une grand mère.
Vers lui. J’le comprends qu’une fois que ma main ripe sur son bras tandis que je me réceptionne. Non pas pour me lever, mais simplement pour rester là, sur le flan. PLS. Dans tous les sens du terme. Ou du moins pas loin. Qu’importe, j’y respire mieux et sens l’air brûler ma gorge et flamber mes poumons. D’abord par grandes goulées qui provoquent des toux et un chuintement rauque dans ma gorge. Par petites ensuite. Douloureuses mais plus régulières. C’est tout sauf le moment de glander, j’en ai une conscience confuse, mais j’arrive pas à faire autre chose que de rester là un moment, à simplement sentir l’air aller et venir en moi. J’ai l’impression d’être un putain d’océan de douleurs. En vie.
Tant qu’t’es vivant, t’es invaincu.
Une journée sans morts est une bonne journée.

Des tas de mantras que j’me répète depuis des années sans plus vraiment savoir d’où ça vient. Une chanson, une série peut être. Reliquat d’une vie où j’rentrais prendre le goûter et allumer la télé. A cette pensée, mon torse se soulève dans un spasme. Un rire. Un sanglot sans larmes. J’sais pas. Un peu des deux. J’arrive pas à déterminer.

- Une gonzesse qui fait des choix de vie sacrément merdiques.. Et je ris d’autant plus, percluse de soubresauts douloureux qui mettent un moment à se calmer. Mon souffle fait vibrer d’un rien son t shirt un peu plus loin et un instant, je m’arrête sur cette vision. Sous nos corps, les rainures sales du sol de métal, leur contact glacial sur mes bras nus. Monte charge. Derrière le truc de boucherie. Ça me revient difficilement, mais ça me revient. Comme l’impression que le monde se réaligne avec une latence folle, comme isolés dans une pièce de puzzle pas encore tout à fait assemblée au reste.
Qui je suis. Concentres-toi deux secondes Jordane.

- J’veux t’amener voir ton frère. Y’t’cherche..

Et si cette nouvelle pouvait éviter de te donner de nouveau envie de me buter ça m’arrangerait.
Alors seulement, j’intègre les sirènes au loin. Des flics. Ça fait sens. Ça fait surtout l’effet de la poudre qu’on allume  dans mes veines. Et je pousse sur mon bras pour me lever. "J’peux pas être arrêtée." J’me redresse de quelques centimètres. Mais putain ce que mon corps est lourd. Je retombe. " Et toi non plus.." Le front sur ma main que je ne comprends blessée qu’à retardement. Luxation ? J’sais pas, j’m’en fous. Je sais n’avoir fait que marmonner la gueule au sol sans véritable force de me relever plus que ça… et c’est putain de pathétique.
Un instant, j’entends la sirène s’éloigner et l’idée est tentante de simplement rester là, tronche par terre et le corps à même de fusionner avec la crasse.

Je suis un lichen. J'suis un putain de lichen : laissez-moi là, j’vais vous retarder.

Arrête tes conneries.

J’me redresse avec toutes les peines du monde. Mais qu’importent les grimaces et le vertige qui me prennent une fois le buste droit, j’y suis mieux. Déjà parce que j’ai moins l’impression qu’on peut me tomber dessus - une illusion, je sais, elle est confortable m'emmerdez pas - et ensuite parce qu’il est plus simple de respirer ainsi.
Un instant, j’observe le sang sur sa main gauche. Puis j’me souviens de celui qui m’a coulé dans le cou. J'y passe quelques doigts... encore rouges. Le même sang. Si près de la carotide.

Inspirer. Expirer. Je le regarde un instant, sans rien dire. Le cul sur mes talons, au milieu d’un monte charge dégueulasse, au dessus d’un vieil entrepôt de boucher immonde, le tout près d’une arène tout aussi crade.
Et j’ai perdu le hoodies de Dorofei. Fuck.

- Allez Bambi. Debout. On peut pas rester ici. Ta course est pas finie mon gars. Pas plus que la mienne.
Pourtant j’ai qu’une envie : me laisser basculer en avant et fermer les yeux. "J’peux te la jouer vieilles répliques de film c’tu veux : si j’avais voulu te buter, ça serait fait. Et tu…" En aurait fait de même si tu me voulais vraiment morte. Mais ça j’le dis pas. Je déglutis, fixe ses mains, remonte vers ses yeux. Y reste un instant. Un trop long instant.
C’est vrai qu’il lui ressemble. Mais j’ai du mal à voir Maxence dans une telle situation. Nan, lui il est sur l’autre face de la pièce. Bien loin de ce genre de milieux. Léon non plus, n’a pas la gueule à être là pourtant. J’le vois derrière les contusions, la crasse, la pâleur de sa peau. La fureur devenue terne dans son regard.

J’y reste, ouais, dans ces billes d'ambre. J'inspire à fond et ignore l’impression que tout mon être crisse comme une machine mal huilée.

T’aurais pas fait ça si t’avais pas à minima un doute.

- Debout.

J’sais pas si c’est pour lui ou pour moi que j’le dis, mais j’le dis.

T'es attendu.

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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Dim 3 Mar 2024 - 0:48
Yeux clos, Léon écoutait les bruits qui montaient des étages inférieurs comme s’il les entendait à travers du coton d’ouate : tout lui semblait étouffé, des cris des flics aux coup de feus que certains des participants tiraient et qui faisaient pourtant exploser la nuit. Main sur son ventre, quelque part entre sa peau moite de sueur et de sang et son tee-shirt qui avait connu de meilleurs jours, il se contentait de respirer. Les râles que poussaient la fille étaient les seules notes qui l’empêchaient de totalement abandonner la partie pour glisser dans l’inconscience – mélange d’hypoglycémie et de corps qui décidait subitement de lâcher, comme un élastique sur lequel on avait tiré jusqu’au point de rupture. Chacune de ses inspirations lui évoquait la course des ongles sur un tableau de craie. Elle devait souffrir à peu près autant que si l’on s’était amusé à lui arracher les cordes vocales avec une pince à épiler chauffée à blanc. Et le plus jeune des Wargrave n’avait pas envie de décortiquer ce que lui évoquait cette respiration laborieuse digne d’un doublage de The Walking Dead ou de The Grudge. L’ancien Léon se serait probablement senti désolé pour elle, se serait mis en quête de quelque chose de froid à lui faire ingurgiter pour apaiser la lave qui devait lui servir de trachée. Celui d’aujourd’hui avait remis de l’ordre dans ses priorités, reléguant la compassion au rang des émotions pouvant l’envoyer directement six-pieds sous terre. C’était bien là la théorie de Max Brooks : pour survivre, ne vous attachez pas, ne vous excusez-pas, ne vous arrêtez-pas, ne culpabilisez-pas. Un livre sur l’apocalypse lui avait bien était bien plus utile pour affronter la rue que n’importe quelle autre doctrine. Il n’y avait aucunement besoin de zombies, de toute façon, puisque ceux-ci n’étaient jamais les pires raclure de l’histoire. Il y avait bien assez à faire des hommes. Monsieur-Puissance-Supérieure pouvait bien aller se faire foutre avec sa Bible remplie de compassion et d’âmes charitables.

Alors non, il ne s’excuserait pas. Depuis le début, elle s’était comportée comme une énigme. Et Léon n’avait pas besoin d’énigme supplémentaire, merci bien. Il avait besoin d’un côte de bœuf bien saignante et d’une armada de frites bien croustillantes. T’entends Monsieur-Puissance-Supérieure ? Pria-t-il avec cynisme. Enfin bref, le croyant n’avait jamais était récompensé d’autres chose qu’un peu plus de malheurs. Et puis, ça se saurait si UberChrist se mettait à nourrir les plus démunis.  Il inspira de nouveau. Lorsqu’il expira, sa main rafla contre ses côtes, comme pour lui rappeler qu’avoir la peau sur les os tenait plus de la description que de l’expression linguistique. A côté, le corps de la fille s’agita. Une main effleura le bras de Léon, le forçant à sortir de sa soudaine torpeur pour pivoter son visage vers le sien.

Fais chier, songea-t-il en sentant quelque chose se serrer dans son ventre alors qu’il la dévisageait.  

Elle lui évoquait un champ de bataille, même à la lueur du faible éclairage que conférait le monte-charge. Noir et bleu. Sa peau était recouverte d’ecchymoses, de différentes tailles et formes. Elle ressemblait à un dalmatien, avec toutes ces taches mouchetant son teint de porcelaine. Et là, juste sous son menton, l’empreinte des mains de Marckles en guise de collier et du sang séché qui traçait un sillon, partant de son oreille et glissant sous le coton de son tee-shirt noir. Ses lèvres sèches s’ouvrirent et un son gutturale que Léon ne réussit pas à identifier s’en échappa. Et la pierre dans son estomac lui sembla de plus en plus lourde alors qu’il la dévisageait sans comprendre. Peut-être que le monoxyde de carbone lui avait grillé la cervelle, en définitive.

Fais chier.

« Une gonzesse qui fait des choix de vie sacrément merdiques, articula-t-elle laborieusement.

Sa voix lui évoqua un curieux mélange entre un Grizzli agonisant et un piano complètement désaccordé. C’était douloureux à entendre, mais sûrement bien moins qu’à expérimenter. Et puis, alors que Léon s’apprêtait à lui conseiller d’arrêter de parler – pour sa propre torpeur, d’abord, puis pour ses cordes vocales, un peu, qui suppliaient pour une pause – les lèvres de la fille s’écartèrent pour laisser échapper une nouvelle fois ce curieux son. Cette fois, ce fut plus prononcé, plus franc. Léon pu donc conclure que son cerveau avait effectivement grillé, quelque part entre les mains de Marckles et les siennes, à moins qu’elle n’ait rendu l’âme des années auparavant dans il ne savait quel micro-onde à désespoir.

« Wow, murmura-t-il, soudain fasciné, plus pour lui-même que pour elle. T’es complètement barée, en fait. »

Mais  elle continuait de rire, là, sur le sol du monte-charge, avec sa gueule éclatée et son corps à demi blotti contre lui alors qu’elle n’avait pas pu ignorer toute la rage qu’il avait mis jusque ici à la laisser crever sans la moindre hésitation. Ou presque. Elle aurait dû se méfier, mais c’était comme si elle était justement devenue une combattante hors paire pour qu’on arrête de la lui balancer au visage, justement, sa vulnérabilité. N’empêche. Là, elle avait l’air fragile et cela l’emmerdait royalement. C’était plus facile d’assumer les coups et la tentative d’assassinat lorsqu’elle ressemblait à une tueuse à gage tout droite extraite d’un mauvais film de série B. Mais là, dans son tee-shirt à l’effigie du groupe des Eagles qui baillait sur ses épaules , avec le haut de son crâne saveur litchie qui effleura presque son menton quand elle fut prise d’un nouvel éclat de rire désordonné, c’était… emmerdant, donc. Elle lui évoquait une machine mal programmée, avec des logiciels dysfonctionnels et un packaging complètement mensonger. Ce fut cependant lui qui se trouva court-circuité lorsqu’elle lui balança la cyberattaque la plus à même de complètement anéantir son propre système.

 « J’veux t’amener voir ton frère. Y’t’cherche...»

Et le voilà qui refaisait surface là, dans la bouche de cette fille qui sortait de nulle part, alors même que Léon avait tout fait pour que cette théorie n’arrimes pas sur le ponton de sa conscience. On pouvait survivre à beaucoup de chose – la douleur, le manque de sommeil, la faim et la soif dans une certaine mesure, mais on ne survivait pas à l’espoir. Quand les Wargrave étaient morts, Léon avait dû faire des choix, dont celui de ne plus rien espérer de son frère. Évidemment, cela n’avait pas fonctionné. Il avait d’abord espéré le voir débarquer pour le sauver, parce que c’était ce que faisait toujours Maxence. Puis les mois avaient passé. Alors, il l’avait crû mort, parce que c’était plus simple que de songer à l’idée qu’il n’était même pas foutu de lui mettre la main dessus. Maxence, le grand-frère. Le sorcier. Le Super-Héros. Il  n’avait pas pu l’abandonner. Alors bien sûr qu’il était mort. Il devait être mort. C’était plus facile s’il était mort. Mais avec ces quelques mots, ce fut toute la boîte de pandémonium qui s’ouvrit . Le jeune Wargrave se figea, puis se tourna lentement vers le plafond dans un geste aussi long que son monde intérieur ne lui semblait pourtant exploser à grand fracas. Maxence. Maxence était en vie. Maxence le cherchait. Sa main froissa le tee-shirt poisseux dans un geste inconscient, comme pour s’assurer de la réalité de la situation. Il fixa le plafond du monte-charge sans le voir, à des années-lumières de l’entrepôt, de la fille, de ses côtes douloureuses et de son cœur qui pulsait à un rythme frénétique.

« J’peux pas être arrêtée, continua-t-elle, et ses mots lui semblèrent venir des confins d’un univers lointain. Et toi non plus…
- Ouai, acquieça-t-il d’une voix complètement atone.

La vérité, Léon la connaissait déjà. Il n’avait aucune envie de voir Maxence. Pas qu’il ne lui avait pas manqué, pas qu’il n’en avait pas longuement imaginé les retrouvailles, jouant et rejouant cela dans sa tête le soir, blotti entre deux poubelles et la porte close d’un énième restaurant, juste pour renifler l’odeur de la bouffe qu’il ne mangerait pas. Mais comme dit, il avait dû faire des choix : l’espoir ne nourrissait pas plus que les odeurs ne vous remplissez le ventre. A la longue, c’était même de la torture, comme de savoir que vous pionciez à côté des ordures pleines de tous ces restes que vous ne pouviez même pas manger, parce que ce con de gérant avait balancé du liquide vaisselle par dessus. Alors non, évidemment, qu’il ne voulait pas revoir son frère. Le Léon d’avant en aurait crevé d’envie. Mais celui qui avait dû prendre le relais avait tout fait pour ne pas crever, justement. Quitte à anéantir tous ces satanés espoirs qui ne menaient à rien. La vérité, c’était que lorsque vous reniez tous vos principes en refusant d’inscrire votre nom au registre de la grande faucheuse, la rue finissait par vous avaler tout cru. Et plus vous y passiez du temps, plus vous deveniez l’une de ses mauvaises herbes particulièrement difficiles à arracher. Et après un an passé dans son ventre, les bas quartiers de Londres avaient choisi de le déglutir là, dans un amas de chair et d’os qui s’entrechoquaient douloureusement, la peau pleine de crasse et les mains encore recouvertes du sang dont la fille était tartinée. Il avait failli étrangler quelqu’un, ce soir. Il avait vraiment failli la tuer. Et il n’en ressentait qu’une vague culpabilité. Et c’était très bien comme ça.

Alors, non, Maxence ne le cherchait pas.
Le petit-frère qu’il voulait retrouver était mort dans ce salon, carbonisé au même titre que leurs parents sous les vestiges de la maison qui les avait vu grandir.
Il n’irait pas voir Maxence.
Fin de la négociation.

« Allez Bambi. Debout. On peut pas rester ici,» reprit-t-elle avec sa voix rocailleuse.
Je t’assure que si. La mère de Bambi a clasmé dans le premier épisode et il aurait dû finir en civet juste après. Je corrige juste cet ineptie.
- J’peux te la jouer vieilles répliques de film c’tu veux : si j’avais voulu te buter, ça serait fait.
Mais tu viens de le faire, Princesse. Fibrillation cardiaque suivi d’un arrêt en bonne et due forme. Sabre le champagne, tu as gagné.
- Et tu…"
Et je...?

Mais sa voix ne termina pas et Léon se surprit à ouvrir les yeux, maudissant sa curiosité. Et elle était là, debout – mais où avait t-elle trouvé la force de se relever, au juste ? -  à l’observer. Un frisson épidermique lui traversa le corps :  c’était la première fois depuis plus d’une année qu’on le regardait en sachant qui il était réellement. Et oh. Oh. Elle avait les yeux d’un bleu javellisé, comme délavé au fil de ses noyades successives. Son regard le transperça, plein de bravade et provocateur, incisif jusqu’à l’excès, comme si elle cherchait à le disséquer, couche par couche. Alors, Léon détourna les yeux le premier, mal à l’aise. Parce qu’il n’avait pas la moindre envie de savoir ce qu’elle pensait de lui, finalement. Et qu’il n’avait pas plus le courage d’affronter tous les hématomes qu’elle avait encaissé pour lui sauver la vie. Ni les pétéchies qui rougeoyaient dans ses iris givrées, témoins de sa récente asphyxie. Une vague sensation de nausée lui souleva le ventre.

Fais chier.

« Debout, exigea-t-elle.
- Non, »  refusa-t-il immédiatement, ses yeux résolument fixés sur le plafond de l’ascenseur.

Sa respiration s’accéléra. Trébucha. Léon avait subitement l’impression de manquer d’air, lui aussi. Maxence n’était plus son super-héros, c’était juste sa kryptonite. La seule chose qu’il restait de son passé, à même de dissoudre toutes les parades qu’il avait dû trouver pour survivre.

« Je ne peux pas, confia-t-il, haïssant la détresse qui suintait de cette confidence.C’est au dessus de mes forces. »

Voilà ce qui l’attendait, s’il la suivait : il se dissoudrait sous la honte de ce qu’il était devenu.
Et il n’y survivrait pas.
Ils n’y survivraient pas.
Alors il devait la convaincre d'abandonner, parce que si elle parlait, alors Maxence finirait par le trouver.

« Je ne sais pas ce que mon frère représente pour toi, reprit-il alors en se redressant difficilement pour lui faire face, désireux d'appuyer son refus avec plus d'aplomb, mais si, comme je le penses, tu tiens à lui alors tu devrais mettre fin à tout ça.»

Ses yeux défiaient les siens, difficilement. Mais il ne flancha pas et leva sa main vers elle avec lenteur, pour qu’elle puisse s’assurer de l’absence de menace. Du bout des doigts, il effleura les marques violacées sur son cou. Et la nausée le reprit. Il laissa de nouveau tomber son bras, ravalant un soupire.
Non.
Il n’y survivrait pas.

« Rentre chez-toi. Personne ne mérite de crever pour nous réunir, crois moi, » lui assura-t-il avec force.

Parce que sa présence était un aveu à elle seule : elle était là, debout, chaque millimètre carrées de sa peau tabassée pour la sacro-sainte mission de ramener le petit-frère perdu, à repousser ses limites au nom d’il ne savait quel sentiment de reconnaissance. Sans surprise, il avait donc continué de se comporter comme cet abruti de Superman. Après tout, c’était de Maxence dont on parlait, n’est-ce-pas ? Toujours prêt à se mettre entre parenthèse pour les autres, toujours prêt à crever sous une bannière suffisamment grande pour qu’il ait l’impression de compter suffisamment pour ne plus jamais se retrouver apatride. Toujours prêt à faire croire aux autres que leurs sacrifices avaient du sens. Mais au final, il était toujours ce gamin de huit ans qui ne comprenait pas pourquoi sa mère l’avait abandonné deux fois : une première aux mains d’inconnus, une seconde en s’enfonçant une aiguille chargée d’héroïne dans chaque bras.

« T’as vécu ici, lâcha-t-il d’un ton chargé d’évidence, ses mains s’étendant autour de son corps comme pour embraser tout l’espace du monte-charge, métaphore de la cage dont on ne sortait jamais vraiment. Dans la rue. »

Il n’aurait pas su l’expliquer. Peut-être que l’on sentait toujours la misère, même des années après. Peut-être que c’était fiché dans le fond de ses yeux glacés, dans les inflexions de sa voix, dans sa manière d’être sans arrêt sur le qui-vive. Ou bien que les égarés étaient capables de se reconnaître à travers la foule et le temps, d’un seul coup d’oeil. Mais il était sûr de lui.

« Alors toi qui sait à quel point la crasse s’incruste profondément dans l’âme, même des années après, dis moi. Est-ce que tu crois qu’il sera capable de supporter ce que je suis devenu ?


( Les putes comme moi portent les rêves des hommes - Léon  2881813723 )
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Léon Wargrave
Dim 3 Mar 2024 - 20:29


 10 mars 2017


Je les sens, ces yeux posés sur moi. Je sens sa présence. La chaleur de son corps, les odeurs de l’arène, le rythme de ses respirations. Trop proche. Putain d’trop proche. J’l’ai choisi tu m’diras. J’ai jamais été la meilleure pour assumer mes choix il faut dire. Daubés du cul, les choix. Ça aide pas. Il y a peut être des gens qui peuvent faire ça, se tourner et contempler leurs décisions sans trembler. Qui ne s’engagent pas dans les pires des voies. J’suis pas de ceux-là.
Moi je suis la loque qui se marre dans la crasse. Pas si loin du mec qui…
J’y peux rien, ça me chope aux tripes et me fracasse de douleurs mais j’arrive pas à l’endiguer.

« Wow… T’es complètement barrée, en fait. » Rien de plus qu’un murmure qui soulève plus encore mon torse. Le rire est plus profond, il n’éclate pas, se mure dans ma cage thoracique, me fissure les côtes et cisaille ma gorge. J’m’y accroche.
‘Pas mon premier rodéo’, a dit Alec avant de tomber aux mains des sangs purs pour y passer une série d’interrogatoires. Chacun sa croix. Pas mon premier rodéo. C’est sans doute ce qu’il y a de plus fendard dans la situation…
Je mets une éternité à me calmer. Une éternité dans laquelle je sens son regard. Celui qui endigue les larmes et rappelle à la rage que son temps n’est pas passé. Barrée. Ouais. Barrée. Exactement ce que je voudrais être : barrée. Loin de l’attention, loin de la conscience, loin de ces yeux qui m’observent et dont j’ai pas la force de m’extraire. Je ne fais pas mieux que de regarder vers le bas, vers son t-shirt poisseux, vers les rainures du sol, vers sa hanche.
Ça me fous la gerbe. Ça tonne, en écho avec l’image que j’ai de moi. Si fragile quand il était sur moi. Si fragile, maintenant que me tourner au sol est une épreuve. Ça tourne, j’ai l’âme en carafe et l’impression d’être passée sous un tram.
Pas mon premier rodéo.
Pas mon putain de premier rodéo.


Mais c’est pas si courant, les moments où j’suis pas seule pour me remettre debout. Quant à ce que j’pense de ce mec-là… clairement pas un allié. Alors j’me calme. Parce qu’à force, le rire va se fendre en sanglots. Et j’m’arrêterais pas. Donc j’m’arrête là, maintenant, vite. J’m’arrête pour ramener le propos sur lui, l’éloigner de moi. Oublier la teinte bleue qu’a ma main gauche au niveau du pouce, les évidentes marques sur les bras qui encadrent mes tatouages et l’impression que ma gorge est enroulée de barbelés. Ça peut s’écraser une trachée ?
Pas la question. Oublies toi. Oublies la douleur. Avance. Un pied devant l’autre. Pas un regard en arrière.
Me r’garde pas.
Et pourtant à vouloir me redresser, j’arrive seulement à finir la gueule dans le métal. J’en gerberai s’il me fixait encore mais quelques mots ont suffit à détourner son attention. Je pourrais le voir, je pourrai m’y arrêter, noter la voix atone avec laquelle il me répond quand j’affirme que ni lui ni moi ne pouvons être arrêtés. Il a mal. J’le sais. Très bien.
J’y trouve un peu d’espace pour retrouver la force de me redresser. Les bras hurlent, la tête tourne, les articulations râlent et les côtes flambent. J’la sens, cette humidité sous mes paupières quand mon dos retourne à la verticale et que mes jambes s’ouvrent de chaque côté de mon cul pour me laisser m’y poser. Un peu comme les gamins quand ils sont petits. La position en W, mauvaise pour les articulations. Celle que ma sœur prenait sans cesse et qu’il fallait absolument lui refuser, disait maman.
Une seconde, le souvenir m’écrase la poitrine plus violemment que chacun des types qui me sont passés dessus aujourd’hui.
Et je rouvre les yeux, pour l’observer lui. Je la connais, cette manière de fermer les yeux ou d’observer le plafond. Je la connais cette voix atone. Lointaine. Je connais le manque de crispation de son être et la neutralité de ses traits. J’y vois trace de chacun des impacts. Vaincu. Vaincu par la seule mention de son frère.
A noter le sang sur ses doigts, j’en sens le contact sur ma gorge. Combien de temps cette sensation restera-t-elle ?
Il rouvre les paupières et un instant, l’échange est muet. Deux épaves qui se contemplent. Deux corps fracassés. Mais je suis redressée et pas lui. J’en éprouve une fierté acide, déjà bien trop incrustée dans mes veines. Lui et ses mains sales. Sa rage désespérée. Ses bravades acerbes. Et il détourne le regard. L’influx électrique perce mes nerfs. Enfin une sensation autre que la douleur.

Debout.
- Non.
Si.

Et il refuse de faire autre chose que de fixer le plafond grillagé du monte-charge.
T’y vois quoi ?
Une seconde, le plafond de chez Alec m’apparaît. La musique à fond dans le casque, la main sur le ventre. Même position.
Je cligne. Dégage le parallèle de mes pensées.

« Je ne peux pas. C’est au dessus de mes forces. » Pourtant la voix que j’entends chez lui transpire de la même détresse. Elle résonne, en écho.
Et en contradiction avec ses propos, Léon se redresse.
Tu vois qu’tu peux.
Bien sûr, je sais ; il ne parle pas de ça. Mais ça j’suis pas prête à le lui accorder. Debout.
« Je ne sais pas ce que mon frère représente pour toi, Oulah, tu t’engages dans des voies boueuses mon gars. mais si, comme je le penses, tu tiens à lui alors tu devrais mettre fin à tout ça.»
T’imagines quoi ? Que j’suis sa meuf, prête à tout faire pour qu’il retrouve son frangin ? Un truc dantesque, un récit épique entre deux âmes qui se répondent. J’tiens pas à lui. J’le connais pas.
Mais d’autres, si.

Mais j’me tais. Parce que répondre à ce genre de choses ne me ressemble pas. Et par… j’en sais rien. Fascination ? Pour ce regard. Il s’affirme avec force, se plante dans le mien. Ou plus exactement, il essaye de le faire. Il y a de nouveau face à moi un reliquat de l’homme que j’ai rencontré dans l’arène. La colère, l’assurance. Des putains de masques que tu peines à remettre en place.
Ils ont pris trop de coups durant la dernière heure passée, n’est-ce pas ? Ils sont fendus. Branlants. Ils s’émiettent quand tu lèves le bras vers moi, droit vers ma gorge. Et je voudrais dire que je n’ai aucun geste de recul. Que j’ai les nerfs pour éviter ça. Que je suis solide. Mais le frisson est glacé sous ma peau et ma tête recule d’un centimètres ou deux.
Son bras retombe.

« Rentre chez-toi. Personne ne mérite de crever pour nous réunir, crois moi, »  

L’idée me semble incongrue, d’autant plus ce qu’il sous-entends. Pourtant là, rouée de coups, le cerveau assez en rade pour que les bruits d’une descente de flic ne me semblent concrets qu’une fois sur mille… je ne suis pas certaine d’avoir tout à fait intégré cette version de l’histoire : j’ai failli crever pour les réunir. C’est absurde. Ça fait pas sens. Comme s’il parlait de quelqu’un d’autre.
Nan. Moi j’ai failli crever parce que je planque mes secrets avec plus d’acharnement qu’un vieil alcoolique. Pas pour eux. Pour moi. Alors j’esquisse un sourire cynique - douloureux - quant à cette vision très romanesque de ce que je suis. Tu m’as prise pour l’héroïne d’un putain de roman de gare ? Le seul truc qui marche là dedans, c’est “héroïne”. Et pas pour la bonne raison.

Et c’est pour ça que la suite ne devrait pas m’impacter. J’suis pas censée me le prendre dans la gueule. Je suis censée le savoir, l’assumer. Le brandir presque.

« T’as vécu ici Pourtant je cesse de respirer. Pendant une seconde, je vois à peine sa belle gueule délabrée. J’ai de la brume dans le cerveau et un tremblement dans les mains. Que je plaque par réflexe sur mes cuisses. Dans la rue. » J’appuie mon pouce, celui qui est bleu. Je force sur la surface pour faire naître les pulsations de douleurs. J’appuie plus fort. « Alors toi qui sait à quel point la crasse s’incruste profondément dans l’âme, même des années après, dis moi. Est-ce que tu crois qu’il sera capable de supporter ce que je suis devenu ? »

Une nouvelle seconde. Le visage de mon père qui s’empourpre quand je suis ramenée par les flics la première fois. Son réflexe d’éloigner Suzie, de lui dire de monter dans sa chambre. Ces mots, qu’on n’a jamais dit. Ce silence qui nous a emmuré.
Et le départ, la nuit suivante. Comme si ce passage n’avait jamais existé. Ni lui, ni ceux d’après, ni les engueulades. Ni les regards lourds de sens.
Un instant, je me revois chez Dorofei, le téléphone à la main, à envisager le coup de téléphone envers ma sœur.
Et puis renoncer, comme toujours.

Je plonge une main dans ma poche. La gauche. La douleur rigole le long de mes nerfs et remonte dans mon coude. J’en sors ce qui ressemble à du boeuf séché. J’enlève l’emballage. Ensorcelé. Marketing classique. Puis j’en arrache un morceau. J’essaye. Mes dents refusent la pression que je leur soumets, la mâchoire renâcle, les tissus pulsent. Alors j’abandonne l’idée et l’extrait d’entre mes lèvres pour utiliser mes doigts. En dessous, des éclats de voix, des coups de feu. Je frissonne. Mon cœur s’emballe.
Je plaque le reste de la barre protéinée sur son torse. Là où ça fait mal. J’le sais, c’est moi qui ai cogné.

- Mange. Au lieu d’dire des conneries. Toujours ce timbre. J’aimerai dire que ça ne ressemble pas à ma voix, mais je l’ai déjà entendu. Et sous son regard sceptique, je mâche doucement la fibre. Sucrée et amère. Un truc filé après les impacts de Dorofei. Mélange d’une viande dont j’ai aucune idée - et connaissant les sorciers ; je veux pas savoir - de dictame et d’autres végétaux curatifs. Je soupçonne Logan de me l’avoir laissé, mais c’est un truc que je ne dirai pas. J’en ai racheté sur le chemin de traverse, les ai planqués sous des emballages moldus métamorphosés. Le genre de trucs qui pullulent dans la petite sacoche que je balade toujours avec moi et qui me manque aujourd’hui. Laissée dans la chambre. Au cas où. Les poches de mon jean sont ensorcelées et font le taff, à défaut de mieux.
L’effet du dictame est immédiat. Les douleurs s’apaisent un peu et les vertiges aussi, je crois. Mais ma première tentative de déglutition s’oppose farouchement à cette réflexion. La douleur est intenable et j’ai l’impression que ma gorge se ceinture - j’espère que l’autre ressent la même chose - les parois se pressent l’une contre l’autre et mon estomac se soulève. Verte, probablement.
Ma main vole sur l’épaule de Léon et je manque de l’écraser de mon poids quand je me relève. Un poids mort est toujours plus lourd, et c’est ce que je manque d’être, avec tout le corps qui s’affaisse au lieu de se lever. Pourtant les jambes repoussent le sol et mon bras m’éloigne de Léon et de quelques pas, je m’envoie vers l’avant et chope la bordure du monte-charge. J’voulais rester debout : je tombe à genou. Et mon estomac se soulève plus fort encore. Pourtant ça sort pas. Effet du produit, sans doute. Et étonnamment, après quelques minutes, je déglutis.

A deux doigts de gerber sur des flics, c’est con, l’image était drôle. Enfin, pas que je vois qui que ce soit, mais l’idée me fait marrer.
Je respire, avale ce qui reste dans ma bouche, lutte contre la nausée, la douleur, le vertige. Mais la magie me rattrape et seconde après seconde, il y a du mieux.

Alors d’une main sur le cadre de métal, les jambes tremblantes et l’esprit en fuite, je me redresse pour le fixer un instant. Sa position m’évoque celle d’un ado, posé dans un parc et j’imagine qu’avec un autre décors, dans d’autres frusques, avec un meilleur teint, on aurait presque pu avoir l’air de jeunes de notre âge. J’inspire. Savoure l’effet antalgique que je sens couler en moi.

- Survis. La morale on verra après.

On. Pas tu. J’le capte après coup. Je repousse l’idée et enchaîne avec l’impression que ma voix se dégage un peu.

- S’ils te chopent, ils prendront tes empreintes et l’info remontera. T’enterreras ta belle gueule et celle de ton frère du même coup. Je déglutis, grimace. Debout. Un ordre, cette fois, pour toute conclusion.

J’entends, au loin, le son d’une ambulance et l’image du connard revient. Sa gorge. Le couteau. Le sang.
Pour peu qu’il y soit passé, Léon sera pas mon seul problème de la journée.

Avec un temps de latence, je saisi les pans de mon t-shirt et l’arrache plus que je m’en défais. Mes mains tremblent quand je le plaque sur le sang sur la droite de mon cou. Pas tant, mais assez pour barrer un peu de ma joue et de mon oreille. Le goût ferreux sur ma langue m’évoque des menottes et je presse plus fort le tissu pour absorber la poisse sombre. Je le tourne, je frotte.
Le débardeur du dessous, bien que révélant davantage les contusions, sera plus discret que le t-shirt maculé d’un sang qui n’est pas le mien. Moins incriminant du moins.

Je me rends alors compte esquiver son regard depuis un moment. Ses yeux brillent, d’un rien trop. La mâchoire serrée. Les épaules hautes.

‘...toi qui sait à quel point la crasse s’incruste profondément dans l’âme, même des années après…

Un éclat de colère répond à cette affirmation, soulevé par l’image d’un face à face avec mon père, dans la petite cuisine du rez-de-chaussée. Le bruit de la tempête à l’extérieur et ma sœur qui dort à l’étage. J’avais dix-sept ans.
‘Je te demande d’arrêter de lui faire ça.’ Des mots qui m’écrasent encore la poitrine. ‘C’est mon rôle de la protéger et…’ Et la tempête qui me gobe, quand je laisse la porte ouverte, à battre dans le vent.
La mâchoire serrée, les épaules hautes. Et sans doute ces mêmes bouclettes un peu crades qui rebiquent sur sa peau tannée par la poussière, le sang et la sueur. Nan, c’était pas le cas. J’avais fait bonne figure ce jour-là. Je mélange juste tout.

Et ma famille à moi, elle le supporterait, si elle savait toute la vérité ?
Mais ma famille à moi, elle est morte la gueule dans la boue, il y a dix ans.

Il y a un soubresaut dans ses doigts, une manière de fermer les épaules et de presser ses lèvres l’une sur l’autre ; des tics du mec qui retient tout ce qu’il peut.
Et ces yeux qui brillent trop..
J’inspire sèchement, coupe l’élan tant il est douloureux et lève les yeux au ciel en fixant la grille au dessus de nous. Au loin, j’entends des coups, des cris, des ordres. Combien de temps mettront-ils à débarquer ici ?

- Mise en sécurité d’abord. La voix rêche. On verra si on l’appelle une fois là-bas.

Compromis.

Et je sors une autre barrette de viande séchée pour en prendre un morceau et recommencer mon manège. L’enfer entre mes lèvres et mon estomac. Mais des coups de feu plus loin me font sursauter et cette simple réaction du corps est bon signe : je me souviens du danger, du réel, de la nécessité d’avancer plutôt que de papoter comme des putains de personnages Disney.
Du nerf, Bambi !

De même, Princesse

J’avale. Le dictame rend les choses plus faciles. Ni aisées, ni gérables, mais ‘moins pires’. Un coup d’œil sur le t-shirt. Est-ce que ça suffit pour faire disparaître les tâches de sang sur ma peau ? J’en doute. Mais sortir ma baguette pour larguer un aguamenti sur la fibre est exclu.
Je laisse tomber le t-shirt au sol et me force à bouger. Petit à petit, je tiens davantage sur mes pieds. Ça tourne, j’ai mal, j’ai des lointains airs de chèvre quand je respire trop fort et la voix d’une camionneuse. Mais ça le fait.

- Par où on sort d’ici ?

Naturellement, je le contourne et passe derrière lui, là où n’est pas la sortie. Je plonge ma main dans ma poche, chope la baguette, à portée dans le recoin magique, esquisse un sort informulé et en une seconde, avant de reprendre ma posture initiale, j’ai ensorcelé son haut d’un sort de confusion destiné à ceux qui le regarderont. Rien de suffisant, bien sûr. Mais les passants auront tendance à moins prêter attention à nous. A lui. S’il me laisse une ouverture, j’en ferai de même pour moi.

De même, je m’arrangerai pour qu’il parte avant moi. Le temps de transformer le t-shirt tâché de sang en bouteille de bière vide et sale.


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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Lun 4 Mar 2024 - 21:56
« Mange. Au lieu d’dire des conneries, » fut sa réponse, fuyante.

Comme celles que les parents lançaient à leurs progénitures pour éviter les sujets délicats. Léon se renfrogna tout en se saisissant du petit sachet qu’elle venait de lui éclater sur le torse avec la délicatesse d’un rhinocéros qu’on aurait déranger de sa sieste. Soit il avait touché une nouvelle corde sensible, soit elle avait la conversation d’un mufle. Néanmoins, il n’en rajouta pas. Parce que ce qu’elle venait de lui filer avait l’air putain de comestible. Et ceux qui disaient qu’une mauvaise nouvelle vous coupait l’appétit n’avaient jamais eu réellement faim. Ses doigts tremblants entamèrent un combat ridicule contre l’emballage récalcitrant et il ne regarda même pas ce qu’il contenait avant de le fourrer dans sa bouche. Tant pis pour son honneur, parce qu’il en aurait clairement pleuré de soulagement tandis que ses dents mâchouillaient avidement ce qui ressemblait à un curieux mélange entre de la viande séchée et un pain détartrant pour urinoir. Non pas qu’il en ait déjà mangé, mais c’était forcément infect. Un peu comme ce qu’il avala sans réfléchir. Et parce qu’il était franchement à des années lumières de faire le difficile, il en arracha un autre bout et l’engloutie sans même grimacer – ni mâcher, d’ailleurs. A côté de lui, par contre, la fille fut prise d’un haut le cœur qui la propulsa en avant. Il ne s’offusqua pas du broyage d’épaule en bonne et due forme tandis qu’elle prenait appuie sur lui : il préférait ça, plutôt que de lui servir d’haricot humain pour déverser le contenu de son estomac. Son tee-shirt avait suffisamment souffert, merci bien. Léon la suivit quand même des yeux alors qu’elle se raccrochait à la rambarde en acier de l’ascenseur. Ses longs cheveux blonds lui frôlèrent les hanches quand elle fut secouée de tremblements des pieds à la tête dans un concert humide de toux et d’efforts vomitifs avortés. Charmant. Le jeune Wargrave se redressa sur ses fesses, se demandant s’il devait s’approcher d’elle pour..

Quoi ? Lui tenir les cheveux ? Lui taper dans le dos ?
Fais chier.

Elle se reprit néanmoins avant qu’il n’eut à esquisser le moindre geste – ce qui l’arrangea. Cette fille allumait chez lui quelque chose à mi-chemin entre le désir de s’excuser, immédiatement suivi du besoin de l’insulter de nouveau. Cette schizophrénie le déconcertait presque autant que toute cette situation. Alors, les yeux nichés au creux de son dos qui venait d’arrêter de se secouer dans tous les sens, Léon se demanda très sérieusement s’il n’aurait pas été plus simple de l’assommer alors qu’elle lui tournait le dos. Mais le bruit des flics dans la cage d’escalier, puis les foutus yeux bleus qui se tournèrent vers lui alors qu’elle reprenait contenance sapèrent les derniers vestiges de ce plan foireux. Il n’y arriverait pas. A la frapper de nouveau pas plus qu’à l’étrangler. Ni à s’échapper de ce toit sans son aide, sans doute. Même s’il n’avait aucune envie de l’admettre.

Elle le faisait vraiment royalement chier.

« Survis. La morale on verra après » déclara-t-elle comme si elle était un de ces foutus mantras dans un Fortune cookie.

Léon la crucifia du regard, à deux doigts de lui proposer de se carrer ses ordres dans un endroit très peu protocolaire. Mais sa remarque venait surtout de le piquer au vif et il se sentait comme un gamin jusqu’ici bon élève à qui l’on remontait les bretelles pour sa récente mauvaise note. Lui qui avait mis tant d’application à survivre, justement, venait d’être pris en flagrant délit d’abandon. Alors, il renoua avec ce qui lui avait permis de s’en sortir jusque-là, enfermant de nouveau Maxence à double-tour, quelque part entre le canapé qu’ils transformaient en bateau pirate étant gamins et les flammes ayant faits de leur maison un brasier. Puis, il se débarrassa de la clé. Il était devenu particulièrement doué pour ce qui était de se mentir.

« S’ils te chopent, ils prendront tes empreintes et l’info remontera. T’enterreras ta belle gueule et celle de ton frère du même coup. Debout, ordonna-t-elle une nouvelle fois.
- Fais chier, répondit-il pour faire emphase à sa pensée, les yeux profondément ancrés dans les siens pour bien lui signifier qu’il avait été à ça de mettre le deuxième pronom du singulier quelque part dans la phrase.

Elle n’avait pas tord, surtout, mais plutôt s’arracher sa langue pour lui en faire des boucles d’oreille que de l’admettre. Il avait vu juste en se méfiant tout autant des moldus que des sorciers, par contre. Il n’avait que suspecter les imbrications de leurs deux mondes, mais elle venait de corroborer ses suspicions. Ce monde était vraiment corrompu jusqu’à la moelle. Il décolla donc ses fesses du sol  avant de finir par faire corps avec le monte-charge. Curieusement, se lever fut plus facile que cela n’aurait dû l’être. Il aurait dû en être horrifié. Mais il n’avait strictement aucune putain d’envie de réfléchir au fait que ces quelques bouchées de nourriture venaient de mettre à mal sa résolution à fuir la magie, sous toutes ses formes. Il n’avait pas franchement le temps de négocier les détails. Ça aussi, c’était une des leçons que la rue vous prodiguait dans ses amphithéâtres miteux que constituaient les squat : on ne crachait pas sur de l’aide, même si l’aide en question reniait les sus-mentionnés principes. En d’autre terme ? Les juifs et les musulmans se mettaient à bouffer du jambon et les catholiques tendaient des chapeaux pour faire la quête sans avoir besoin d’une église au dessus de leur tête. Loué soit-il. Alors, il avait beau exécré la magie, il n’allait pas faire la fine bouche. Au contraire, il se surprit à remercier la divine sensation de son estomac arrêtant de supplier et de ses muscles qui se déliaient peu à peu. Et il était temps, parce que dans la cage d’escalier derrière eux, des bruits de courses se faisaient entendre.

« Mise en sécurité d’abord. On verra si on l’appelle une fois là-bas, négocia-t-elle.

Léon soupesa ses mots du regard en même temps qu’il évaluait leur pitoyable état. Concrètement ? Sur un champs de course, on les aurait carrément achevé pour ne pas avoir à payer des frais vétérinaires astronomiques. Mais elle était sans doute la plus mal en point, désormais. Parce que quoi qu’elle leur ait filé comme herbes magiques ou branches ensorcelées, cela avait eu plus d’effet sur lui que sur elle, parce qu’elle avait définitivement bien plus à soigner que lui, hormis une intense dénutrition à laquelle son métabolisme s’était néanmoins habitué. Alors, il accepta la trêve d’un hochement de tête. Il n’était pas dupe, cependant : elle lui mentait très certainement et en bonne négociatrice, elle lui promettait la cerise au dessus du gâteau alors qu’elle prévoyait de ne jamais lui laisser la moindre part. Mais il n’avait pas vraiment le temps de construire une contre-attaque alors il devrait se contenter de la promesse de l’avocat du diable. D’autant que le diable en question peinait encore à respirer et il était presque sûr de l’avoir vu vaciller quand elle s’était redressée. La variable baguette magique en moins, Léon était presque sur qu’il aurait eu le dessus, cette-fois. Mais comme il était déjà arrivé à la conclusion qu’il était incapable de la tuer et qu’il était tout aussi convaincu qu’elle finirait par tout raconter à sa sainteté-Maxence, il n’avait pas vraiment d’autre choix que de lui coller aux basques pour essayer de repousser l’inéluctable. Quelle emmerdeuse, s’agaça-t-il encore, tout en suivant malgré lui les mouvements de son corps alors qu’elle se glissait hors de son tee-shirt, son regard finissant par se détourner alors qu’elle entreprenait de nettoyer sommairement le sang séché qui lui peignait la moitié du visage. Mécaniquement, il frotta sa propre main ensanglantée contre son jean, ne récoltant qu’une sensation de verre pilé sur la peau. Le liquide avait séché depuis longtemps, bien plus rapidement que sa culpabilité. Cela n’était pas le moment de songer à la manière dont le sang était arrivé sur sa main, ni à la symbolique que tout cela revêtait. Il se confesserait plus tard.

« Par où on sort d’ici ? lança-t-elle dans son dos alors que les bruits de pas se rapprochaient dangereusement.

Léon embrassa le toit du regard, estimant qu’il n’avait même pas une minute devant eux. Au même instant, une curieuse sensation de chaleur lui caressa la peau. Mais il n’eut pas le temps de plus s’interroger sur cet évènement qui à lui seul lui provoqua un frisson d'angoisse : la porte en face du monte-charge trembla de nouveau, non loin de céder à présent. Oui, définitivement, il demanderait des réponses, l’absolution et l’hostie un autre jour.

« Là-bas. »

Et sans plus réfléchir, il s’empara du poignet de la fille – le droit, pas le gauche violacé, parce que… parce que, putain ! - pour l’entraîner à sa suite. Peter Wargrave avait été pompier –  et à cette ironie non plus, il n’avait pas la moindre envie de réfléchir. Et d’aussi loin que l’ex-étudiant en médecine ne se souvienne, son père lui avait toujours appris à identifier les sorties de secours à chaque fois qu’il pénétrait quelque part. Une fixette salvatrice qui avait sauvé la vie de son fils un nombre incalculable de fois depuis qu’il était réduit à ne plus espérer aucun autre secours que la fuite, justement. Léon déglutie son souvenir et accéléra l’allure, traînant le corps de la jeune femme derrière lui, les faisant traverser le toit tant bien que mal, tirant sur son poignet lorsqu’il la sentait chanceler. Et là, coincée entre les pompes de refroidissement des laboratoires de la boucherie, une seconde porte de service. Ils s’écrasèrent lourdement contre elle, seulement pour constater qu’elle était fermée à clé. Et que d’autres bruits de pas se faisaient entendre dans les escaliers, prêt à les prendre en tenaille.

Fais chier, fais chier, fais chier.

Il fit volte face,  les doigts toujours noués autour de son poignet, essayant d’ignorer qu’ils ripaient sur les restes de ce qui ressemblait à une longue estafilade qui rendait sa peau granuleuse au toucher. Il ne savait pas vraiment combien de fois cette fille avait été prise pour un punching-ball, mais une chose était sûre : il était sûrement impossible de compter jusqu’à ce chiffre d'une seule traitre sans avoir à reprendre sa respiration. Il la dévisagea sommairement, comme l’on examinait un patient en salle de tri. Et, même avec ses maigres connaissances en magie, il savait qu’elle n’était pas capable de les faire transplaner. Quant à lui, il n’était pas plus à même de se lancer dans un nouveau marathon. La porte s’ébranla. Léon l’empoigna donc par la taille et la jeta à terre avant de l’aider en la poussant sans ménagement à passer sous les énormes ventilateurs qui vrombissaient tout autour d’eux, se pressant contre elle alors qu’il la rejoignait en se tortillant au sol comme un ver. A l’instant où il réussissait enfin à les faire tenir tous les deux dans l’espace exiguë, les flics firent irruption sur le toit dans un concert de cris et de sommation.

« Metropolitan Police ! » hurla une voix juste au dessus d’eux, faisant presque manquer un battement au cœur du jeune Wargrave.

Au dessus d’eux, les moteurs crachaient un air brûlant et lourd de poussière qui leur chauffait la peau. Ils ne pourraient pas rester ici trop longtemps : on y suffoquait.

« Montrez-vous ! »

Les pieds bougèrent et Léon se mit à compter mentalement les secondes, les yeux rivés sur la rotation hypnotique des pâles. Un instant, il se revit dans le grenier, impuissant. Fait comme un rat. Maxence tapa quelque part au fond du trou dans lequel il avait essayé de l’enfermer. Léon le repoussa fermement. Il était hors de question de perdre pieds.  Pas deux fois. Une idée germa, comme pour appuyer qu’il n’était plus le même qu’il y a un an.

« Mcknight, Samson, faîtes le tour par la droite. Waller, tu viens avec moi. »

Le genre d’idée que Maxence aurait détesté à coup sûr. Et ce fut peut-être pour cette raison que Léon décida d’immédiatement la suivre. De quoi rendre fier tous les John Mcklane de l’histoire. A ceci près que lui ne disposait pas de doublure. Mais après tout, Tom Cruise faisait lui-même ses cascades, n’est-ce pas ? Et lui n’avait même pas besoin d’impliquer un Airbus M400 Atlas pour impressionner la galerie.

Il en avait de la chance.

« Tu te souviens tout à l’heure, chuchota-t-il alors en tournant son visage lentement vers elle, son nez effleurant l’une de ses joues. Lacs givrés contre pierres d'ambres. Quand il était question de s’envoyer en l’air après s’être cogné dessus en guise de préliminaire ? »

Il lui offrit un sourire qui se voulait provoquant. Ses lèvres tremblaient, pourtant.

« Et bien je crois que c’est le moment de tenir ta promesse,» la provoqua-t-il, plus pour se donner du courage qu’autre chose.

Et il la planta là, s’extirpant de leur cachette dans un mouvement souple. S’il avait bien compté et analysé le rythme de leurs pas, ils venaient de sortir du champ de vision des Boobies pour au moins quarante secondes. Il s’élança alors, droit vers le bord du toit à peine cinq mètres sur leur gauche. Soit la fille lui emboîtait le pas sans réfléchir, soit elle loupait le timing et se faisait attraper, soit elle transplanait. Il était gagnant dans les trois scénarios. Sauf s’il se trompait de façade. Mais il ne se trompait jamais concernant ce genre de chose. Il tenait de son père. Alors, sans se laisser le temps d’avoir peur, il enjamba la rambarde et poussa sur ses poignets, sans un regard, ni vers le vide qui s’étendait sous ses pieds, ni en arrière pour voir si elle le suivait. Et il bascula, emporté par son élan.

Prend en de la graine, Tom Cruise.

Trois bons mètre plus bas, il s’écrasa lourdement sur l’échafaudage, entre les seaux pleins de colle et l’armada de rouleaux abandonnés par les ouvriers. Le faible éclairage de ce côté de la rue rendrait leur position difficile à identifier et si Léon n’avait pas consciencieusement étudié les lieux un peu plus tôt comme il le faisait toujours avant de pénétrer dans un endroit clos, il n’aurait pas été capable de remarquer l’installation. Et jusqu’à ce qu’il ne s’écrase contre les planches, il n’aurait pas été non plus capable de dire si le providentiel échafaudage aurait été capable de supporter son poids. Cela avait l’air solide, néanmoins. Assez pour deux, même. Il se dégagea de son point de chute en gémissant et jurant douloureusement. Et quand il rouvrit les yeux, George Clooney en en format géant, un bout du visage en moins, le regardait de son unique œil torve. What Else ? semblait-il ironiquement lui dire le panneau publicitaire qui était en train d’être installé sur la façade de l’entrepôt.

Oh. A peu près tout, connard.
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Léon Wargrave
Mar 5 Mar 2024 - 16:09


 10 mars 2017


Va te faire foutre avec ton regard. Avec la nausée, les douleurs et mes jambes qui flageolent comme celles d’une putain de pucelle, c’est sans doute le truc qui me bouffe le plus. Le truc que je fais genre d’ignorer. Ces yeux qui se posent sur mon dos quand je me retourne. Non pas par confiance, mais parce que j’ai pas mieux pour me planquer quand je sens le corps flancher. Façon animal qui part se planquer en forêt pour clamser. Ça n’a rien de personnel. Combien ils sont, dans mon entourage, à s’éloigner quand ils faiblissent ?
Et pourtant j’ai la sensation d’un point planté sur ma nuque. Comme en plein dans la mire d’un sniper.
Se redresser, parler, le forcer à bouger. Car dans l’histoire, de mon côté c’est le corps qui peine. Lui c’est le mental. Et y’a rien de pire que ça. C’est lui le chien d’la casse qui se planque derrière un vieux pneu pour lâcher la rampe. Lui, pourtant, qui mange.
Il peut m’envoyer tous les regards assassins du monde. C’est qu’il y en a encore, quelque part au fond des tripes. La rage pour se relever et avancer. Vas-y, fusille-moi. J’préfère ça à ce que j’imagine. Ce qui passe de manière fugace dans ton regard quand tu t’arrêtes un peu trop longtemps sur mon cou ou quand tes yeux remontent vers moi quand je me relève. T’as pas bougé.
T’avais pas intérêt de bouger.

Quant à ton … - Fais chier
Ouais. J’fais chier. Mais j’le vois à ta gueule : j’ai visé juste. Et tu te lèveras. Sans doute davantage par peur et par égo que par décence, mais tu le feras et là tout de suite, j’en attends pas plus.
Je respire. Pas le choix. Le corps doit se remettre même si l’oxygénation fait un mal de chien et que rester repliée dans un coin semble plus enviable que de négocier avec une putain de tête de bûche. Mais j’respire. Et j’enterre ses dernières résistance par un pas vers lui. Pas physiquement, mes mains s’accrochent encore aux barres de métal rouillées qui soutiennent le monte-charge. Moralement. Ne pas appeler Maxence ? Est-ce que j’l’envisage seulement vraiment ?
Là n’est même pas la question. La question c’est qu’il avance. La suite on verra après.

Il a beau être vexé comme un môme, il le comprends : c’est le moment de prendre son courage, deux pagaies et de ramer.
J’ai le début d’un sourire lorsqu’il acquiesce en silence. Le genre qui perd de son cynisme durant quelques secondes tout au plus.
Et moi j’me la ramène mais c’est la même. Et j’crois qu’on n’en n’a qu’une et demi pour deux et un trou dans la coque. En bref, on part pas bien. Mais on part. Et c’est déjà pas si mal.
En quelques instants, le monde bascule de nouveau. Les flics sont là, il est debout, il chope mon poignet et me tire en avant.

« Là-bas. »

J’sais pas où je chope le temps d’envoyer un sort en arrière, ni de voir le t-shirt devenir bouteille, rouler, basculer par dessus le sol de métal… et tomber. Loin, ma culpabilité. Explosée à l’étage du dessous, parmi les éclats obscures du sang que je porte déjà sur les mains. Comment s’étonner, ensuite, de celle qui me tire en avant ?
Léon m’emporte. La colère qu’il exhale pour trouver l’énergie d’avancer, c’est celle à qui j’ai mis le feu quand il la croyait endormie. Et moi je trébuche. Plusieurs fois. Un pas, deux, ça allait. Mais rapidement j’ai la gerbe et je sens que le corps ne réagi que parce qu’il a trop couru dans sa vie pour ne pas avoir comment mettre un pied devant l’autre. Et pourtant, je sens que mes cuisses ne propulsent pas assez, que l’avant de ma chaussure se prend plusieurs fois sur la surface pourtant lisse. J’ai la tête qui tourne et les poumons en feu.
C’est rien pourtant. Quelques mètres. Mais j’vois flou et plusieurs fois le sol se dérobe. Soyons honnêtes : ya qu’lui qui me fait vraiment avancer, sinon je me serais seulement étalée au sol comme une merde.
D’un autre côté, s’il n’était pas là, j’aurais transplané depuis longtemps.

Il pile.
J’m’étale dans son dos.

Putain.

Tu faisais ça aux Balkans, t’étais morte ma fille.
Mais j’me sens pas vraiment cette nana-là. Et j’crois que cette nana-là se sentait ni spécialement victorieuse ni vraiment apte à survivre ces jours-là non plus. Ce sentiment marche seulement quand on tient une manette.

Je chancelle, inspire, fait un pas en arrière sans chercher à me défaire de son emprise. Pourtant, là maintenant, il pourrait me balancer. Ça serait si simple. Du toit ou vers les flics. Une pensée qui pulse à rythme cyclique dans mes veines. Ses contours reparaissent, la porte avec lui. Et j’comprends à retardement.
J’peux l’ouvrir.
Mais c’est déjà trop tard. Tant pour les flics qui débarquent sur le toit que pour ceux que j’entends de l’autre côté du battant. Foutu.
Il me ceinture. Pour la fucking deuxième fois de la journée. Et mon cœur loupe un battement quand je m’écrase au sol et qu’il me repousse.
Réflexe de relever la tête. Le métal souple des cheminées de ventilation me frôle -  comme s’il était celui qui bougeait dans l’affaire - et je réaligne ce qui n’était qu’un kaléidoscope d’informations éparses.
Pousser le sol. Ignorer celui qui me repousse sous la surface brûlante. Inspirer, expirer. S’y caler au mieux en espérant que rien ne dépasse. Là aussi, le corps réagi mieux que je le fais. Il se cambre, pourtant, quand Léon se glisse en se tortillant contre moi. Non par sa présence - pourtant vraiment trop proche. T’y tiens, c’est pas possible….
Nan. J’me cambre pour retenir la toux qui menace déjà. La poussière brûlante me vrille les nerfs et je ferme les yeux pour me centrer sur le calme imposé au corps. Inspirer, expirer. Doucement. Définitivement, étalée sur le dos : pas ma position préférée.
Enfin…
Bref.

Le son mat d’une porte dont les gongs lâchent. Les cris. Les avertissements. Les bruits de pas. Militaires. Organisés. Du déjà vu.  J’entrouvre les paupières.
La peur reflue. Ça a pas de sens. J’ai les côtes qui se soulèvent par saccades, irritées de garder pour elles la toux qui menace. Y pulsent des salves de douleurs. J’suis qu’une gamine, une moldue, qui a commis un crime et qu’on va débusquer. Pourtant, la peur reflue.
Les ordres tombent à quelques mètres de nous et la chaleur de Léon irradie contre mon bras, mes hanches, mes jambes. Je souffle doucement, régule les séismes qui menacent sous la surface, ces simples soubresauts qui pourraient nous faire griller. La chaleur s’insinue, comme un four qui cracherait au dessus de nous.
Je passe ma main dans ma poche, effleure ma baguette, puis pose le doigt sur autre chose. J’ai là l’une des capsules de la Garde. Celles qui m’enverront droit en enfer si un jour on venait à me choper. Pas que j’y songe. Mais il y a dans ce contact quelque chose d’étrangement réconfortant. Un truc qui éloigne la gamine et appelle l’adulte au calme.

Il bouge et en repoussant l’idée qu’il aurait été particulièrement simple de me lâcher au plein centre du toit, je me retourne vers lui et croise son regard. Entourées de cernes, de crasse, de quelques capillaires sanguins qui ont pétés : deux billes d’ambres. Laisse-moi deviner : t’as supposé que je t’aurais dénoncer si t’avais fait ça ?
Pas tors. Mais la réflexion s’échappe hors de mes pensées et j’esquisse un sourire quand il prend la parole. « Tu te souviens tout à l’heure… ça devrait pas me faire marrer. Ça devrait me faire flipper. Ça devrait me donner envie de l’étrangler pour qu’il se taise. Son souffle roule sur ma joue et le mien doit s’échouer quelque part sur sa pommette. Il y a quelque chose de complice là-dedans. Avant le grand saut. Quand il était question de s’envoyer en l’air après s’être cogné dessus en guise de préliminaire ? » Putain j’te déteste. Et j’me déteste d’esquisser un sourire quant au trait d’humour que j’ai vu venir à des kilomètres.
Le rire pointerait si j’empêchais pas de toutes mes forces mon corps d’émettre les sons rauques de la toux qui menace. Le rire pointerait, surtout, si j’identifiais le mélange absurde qui me chope sous le plexus.

J’vais l’tuer.
Pour l’amusement mêlé de peur. Pour son idée débile. Pour ces tentatives désespérées dont il fait preuve pour survivre.

« Et bien je crois que c’est le moment de tenir ta promesse,» Il sourit et ses lèvres tremblent. Il sourit et son regard s’affirme trop alors que ses pupilles se dilatent.

Fais pas ça, crétin, je peux nous…

- Att…

La toux. Elle roule dans ma gorge comme un buisson d’épines.

Il s’est déjà barré.
J’te jure : va te sécher les cheveux au micro-onde.

Qu’il m’emmerde bordel !

30 secondes.

Je plante mon talon dans le sol et pousse brutalement. M’extraire de là. Courir. J’le laisse pas se tuer cet abruti fini. Ça rappe sur ma peau, j’attrape la cheminée des paumes et me tracte. L’épiderme cloque quand il frappe le sol et me permet de pivoter. Un genou plié. Le bout de mon pied au sol. La première jambe qui se déplie.
La seconde suit.

Je suis le mouvement.
Courir. Droit devant. Droit derrière son dos. Droit vers le vide.

J’te déteste.

J’me revois, des années plus tôt, sur le même genre de courses, avec le même genre de poursuivants.
Sauf que j’avais les jambes solides et là je sens mon manque de vitesse.
Sauf que, surtout, j’étais effectivement une gamine sans armes dans un monde qui veut pas d’elle.

Il disparaît devant. Pas la moindre hésitation. Une foulée, deux ; les paupières qui clignent, le cœur qui part en live, les tissus en souffrance. Je plante ma main dans ma poche qui bat au rythme de la course. Le pied sur la rambarde, la jambe arrière qui pousse. Et l’espace entre les deux immeubles, si large. Lui plus bas.

J’aurais jamais la force.

Echafaudage. Deuxième étage. Trois piliers. Des seaux à droite. Des rouleaux de peinture. Une latte décalée. La fenêtre pétée en arrière. Du matériel de chantier qui dépasse de la gauche.

Et la propulsion m’emporte. Rien qu’au mouvement, c’est certain : je saute pas. Je chute.
Baguette sortie. Un second vertige enroule le premier et mon corps entier est emporté par le sortilège.

J’ai chacune des images tatouées sur les rétines. L’echafaudage, le deuxième étage, la couleur des briques rouges, le seau, la latte, la fenêtre, le matos. Tout est glanés en un instant et j’y projette mon être à la seconde où j’y atterri.
C’était la pire idée au monde mais mon corps frappe seaux et rouleaux. La latte décalée oscille sous mon poids. Les tiges de métal grincent.  La douleur ne vient pas.
Baguette à la main, j’agite les doigts. Les mains. Les chevilles. La douleur au pouce me chope d’angoisse par les tripes avant de me souvenir qu’elle était là avant ma connerie.
Entière.
J’ouvre les paupières pour tomber sur le regard fixe de Léon.

Call me Nightcrawler, motherfuckers !

Mais c’est pas cette voix-là, qui prend la parole. Non, la mienne tremble et flippe. Merde. Inversion technique.
- Tu savais ? Pitié dis moi que tu savais ! C’est pas la question Jo, debout. Mais à sa gueule, je comprends que oui. Putain, tu savais.. ça vaut bien le coup de s’emmerder ! J’y crois pas.. Je bascule comme je peux mon bassin dans un grondement rageur et plante une main là où je peux pour me redresser.
J’pourrais penser que, oui, depuis le début, j’ai une arme sur moi pour me sortir de ces merdes. Mais ça serait admettre que par moment, je l’ai oublié. Ça me traverse, immédiatement remplacé par le plus important : s’il sait, alors j’ai pas un putain d’œil de Sauron braqué dans mon dos. Alors je lâche un soupir rassuré rapidement secoué d’un rire nerveux.
L’instant suivant, j’ai lancé un sort de dissimulation avant de plaquer ma baguette en travers des lattes de l’échafaudage en tentant de reprendre souffle et contenance.

- Putain j’te déteste. Et le rire agite mes épaules. C’était une saloperie d’idée de merde. Mais j’me marre. Parce que c’est absurde et qu’on est en vie.
Pendant une fraction de seconde, j’en oublie même la gravité de la situation.

*

Chaque pas est un enfer. Faire “comme si” n’est plus si long. Il faut encore tenir. Rester droit, marcher lentement.
Les regards se tournent parfois mais nous oublient tout autant. Pourtant on fait peine à voir. J’ai détaché mes cheveux, caché le sang comme je peux. Tenté d’amélioré son état à lui tout autant. Mais c’est pas glorieux.
J’me revois, au moment de passer une petite ruelle pour retourner vers cette ville que les gens normaux connaissent, m’arrêter un instant vers lui et lâcher un “Eh bah je bosserai pas chez fedex moi…”.

Et je mâchonne toujours mes morceaux de viande. De nouveau, j’ai séparé en deux. De nouveau, il en a un dans la main. Et de nouveau, je me dit que c’est profondément con de lui filer de l’énergie que j’ai pas.

En passant près d’une terrasse ouverte, là où des gens parlent fort et me donnent toujours envie de leur en coller une, je profite du corps de Léon pour passer à côté de lui, jeter un sort et voir dans l’espace ouvert le serveur trébucher et faire tomber les consommations.
Au moment où je nous fait contourner l’extérieur du pub, je ralentis à peine et chope une veste brune abandonnée sur une chaise, quand personne ne regarde.
L’instant d’après, on a disparus dans une autre ruelle et je passe dans une grimace le vêtement.
L’énergie du désespoir, les réflexes qui réémergent. Je plonge la main droite dans une poche, en extrait un portefeuille. J’en sors quelques billets. Vingt balles à tout péter. Trente peut-être. Le portefeuille fini au sol, plus loin.
Et je plaque - pas vraiment de douceur, pas la même violence que sur le toit non plus - les billets sur le torse de Léon avant de remonter le regard vers lui.
Puis je hausse des épaules.

- Tu m’as eue non ? Je maintiens le regard, ne baisse à aucun moment le menton. Dans l’arène. J’utilise pas le nom “box” ; c’est volontaire. T’as fini debout et pas moi. Ça pèse pas lourd mais j’crois que la cotte était sur toi.

Croise mon regard. C’est pas de l’aumône. C’est une forme d’estime.
Grinçante, colérique, accusatoire. Mais de l’estime quand même.

*

On passe les portes d’un petit hôtel comme il en existe mille autres à Londres. Devant, quelques instants plus tôt, j’ai lâché un “J’avais prévu la vanne du post-préliminaires mais tu me l’as volée…”. Avant d’engager le mouvement.
Loin des flics, des sirènes, de la cohue. Personne à l’accueil, personne dans le hall. Le genre pas cher, aux escaliers étroits, aux lits grinçants et aux draps douteux. Pas tout à fait des pires que j’ai pu faire, mais loin de l’étoile au Michelin. Le genre où personne ne fait gaffe à qui entre et qui sort, surtout.
Dans le hall, une télé accrochée au mur diffuse un match sans aucun spectateur que des fauteuils au faux cuir aussi limé que la moquette au sol. J’entraîne Léon et m’autorise un soupir lorsque les portes de l’ascenseur se ferment. Du coin de l’œil, je vois mon reflet. Détourne le regard. Le pose sur lui.
Longtemps. Trop.

C’est maintenant que j’appelle Maxence ; c’est ça ?
J’te file le numéro de Suzie en miroir s’tu veux, on échange nos enfers.

Je déglutis mes ronces et ferme les paupières quand le tintement du troisième étage annonce l’ouverture des portes.

Et puis vient celle de la chambre, que je referme derrière lui. C’est à me demander si je le sors de là où s’il est un otage tant j’envisage de bloquer la serrure magiquement.
J’le ferai. Il le sait, je le sais. Mais j’ai pas encore dégainé mon téléphone.

Et qui est la tarée qui s’enferme avec un mec dans une chambre d’un hôtel miteux quand elle n’est pas si loin de l’apoplexie ?
Réponse attendue.

Je ferme le loquet de deux doigts et m’appuie sur le battant quand il avance dans la pièce.

Depuis combien de temps t’as pas été face à un lit ? Avec une salle de bain à côté ?
Ça m’a fait quoi à moi la première fois ?
J’inspire.
Les ronces.
Souffle.

Il n’y a rien ici. A peine cinq fringues dans un coin, une bouteille d’eau sur une table, et ma petite sacoche. Les draps sont pas défaits. Il n’y a pas de valise.
J’vis pas ici.
J’y ai juste passé une nuit, pour me défaire de celle que je suis avant de plonger droit dans le passé.

Je le dépasse, ouvre le mini frigo et attrape la première petite bouteille qui passe, dont j’arrache quelques gorgées en sortant un club sandwich sous plastique de l’autre main. Que je lui tend.

- Léon… Je vois son regard face à un truc si con que ça. Un sandwich de merde acheté en passant, pour m'assurer d'avoir quelque chose à graille si besoin. Ce foutu "si besoin" que tu seras le premier à comprendre. J'sais pas ce que je m'apprêtais à dire, mais je m'arrête, consciente de l'appeler ainsi pour la première fois. Putain ce qu’il me tord les tripes ce regard. Un seul. Sinon tu s’ras malade. Et après pitié, va prendre une douche, tu schlingues.
Le tout en attrapant un sweat - toujours à Dorofei - qui traîne sur le dos de la chaise. J’ai pas mieux pour se changer, mais je lui balance avant de craquer et de me laisser m’asseoir sur le bord du lit, à côté d’une petite sacoche au cuir limé contre laquelle je me cale par réflexe. C’est stupide mais ce contact me rassure.
Je tremble. Il tremble aussi sans doute. L’adrénaline retombe et je sais que c’est le pire moment pour ça. Alors même si j’aurais aimé rester debout, m’appuyer contre l’un des murs et me la jouer solide… j’y arrive pas. Le bord du lit, donc.
Je ferme de nouveau les paupières, passe la main sur les coutures de la sacoche, les fils qui dépassent, le fermoir griffé.

- A toi de voir si je l’appelle. Et je pose mon téléphone à côté de ma cuisse, sur la couverture.

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Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Jeu 7 Mar 2024 - 22:45
« Léon… »

Le prénom, prononcé pour la première fois à voix haute depuis une éternité, lui fit l’effet d’une gifle, l’arrachant à la contemplation de ce qu’elle venait de sortir du réfrigérateur. La bouche de l’étudiant s’ouvrit promptement avant de se refermer de justesse, ravalant les mots qui lui brûlaient les lèvres. Dans sa poche, ses doigts caressèrent les billets qu’elle lui avait refilé un peu plus tôt, toujours aussi peu sûr de les mériter. Mais certain de ne pas se sentir plus vainqueur que maître de la situation. Il ne connaissait toujours pas son prénom, en plus.

« Un seul, ordonna-t-elle en lui fourrant sans délicatesse un club sandwich dans les mains.
- Oui. Je sais, » rétorqua-t-il immédiatement, un reste de fierté ayant résisté il ne savait comment à toute cette avalanche de commodités.

La bouffe, l’eau, la table, le lit, le chauffage. Cela faisait beaucoup de choses à intégrer. Lorsqu’il avait vu l’établissement dans lequel elle s’apprêtait à les faire entrer,  il s’était un instant demandé s’il n’était pas en train de rêver – leur déambulation à travers les rues londoniennes, leur fuite en grande pompe du toit de l’entrepôt, les coups échangés dans l’arène. Maxence. Mais, flashnews il n’avait pas l’imagination aussi prolifique pour imaginer la personnalité de celle qui lui faisait face. Et puis, flashnews suivante, il se serait au moins épargné le collier de bleus et les pétéchies dans ses yeux pâles. Et sur lequel il butait à chaque fois qu’ils se faisaient face. Un instant, il eut l’impression de la revoir basculer dans le vide comme l’on trébuchait du haut d’un escalier : d’abord doucement surprise, puis en chute libre. Un nouveau frisson le parcouru : si elle n’avait pas été une sorcière, alors il aurait réussi l’exploit de la tuer malgré lui alors même qu’il avait échoué à l’assassiner de sang froid. Son ventre refit une pirouette, dans l’autre sens cette fois-ci. Elle avait manqué le point de chute. Elle avait failli s’écraser au sol.

Il aurait dû s’en foutre.
Mais, au lieu de ça, il effleura une nouvelle fois les billets dans la poche de son jean.
Deux contre un, c’était bien ça la cote ?
Quelle vaste blague.
C’était lui, qui s’était pris une raclée.
Mais plutôt remettre le couvert, plutôt que de lui avouer.

« Et après pitié, va prendre une douche, tu schlingues, exigea-t-elle, encore, usant des injonctions comme s’il s’agissait d’une ponctuation.
- Oui. Je sais, » répéta-t-il, insistant lourdement sur le mot, usant de la mauvaise foi comme s’il s’agissait d’une religion.

Le pull propre se rajouta à la liste des commodités. Léon l’attrapa au vol, sans savoir par où commencer. Monsieur-Puissance-Supérieure avait probablement dû prendre des vacances, où bien préparait-il un nouveau déluge et jouait-il ironiquement avec ses nerfs juste avant de tout lui reprendre. Mais tant pis. Il comptait bien manger, se doucher et peut-être même dormir sur un vrai matelas. A vrai dire, il était même prêt à se contenter du tapis miteux et sûrement plein de poussière qui trônait au pied du lit. Ses yeux glissèrent vers le sandwich – un classique jambon beurre qui n’avait en cet instant rien à envier à la carte du Ritz à ses yeux.

« A toi de voir si je l’appelle, » déclara-t-elle.

Léon, qui avait entreprit de décortiquer soigneusement l’étiquette – allergie aux arachides oblige – releva brusquement la tête pour la fixer intensément. Elle s’était laissée tomber sur le bord du lit. Il suivit des yeux son téléphone, qu'elle tourna un instant entre ses doigts avant de le déposer à côté d’elle sur le lit, hypnotisé par ces gestes. Alors, seulement, il remonta son regard pour chercher le sien. Le trouva. Et s’y ancra. Puis, pour la première fois de la soirée, sans préavis, il lui exprima sa reconnaissance.

« Merci, » lâcha-t-il avec une sincérité presque naïve, désarçonné.

Puis, parce que les remerciements étaient devenus une langue étrangère, il lui tourna précipitamment le dos et s’enferma dans la salle de bain. Sans un regard pour le miroir, il jeta le sweat noir sur la cuvette fermée des toilettes et s’extirpa de ses vêtements pour se glisser dans la douche. Un jet d’abord froid, puis brûlant, l’accueillit et pendant une très longue minute, le jeune Wargrave s’immobilisa, les yeux résolument clos. Il avait eu la chance de prendre quelques douches de temps à autres grâce aux centres mobiles de Hope for Food mais à chaque fois, cela lui faisait le même effet. Cette impression qu’il n’y aurait jamais suffisamment de molécules d’eau pour nettoyer toute la crasse accumulée. La fille n’avait pas menti : il puait. Alors, il commença à frotter de manière méthodique. D’abord juste avec ses propres mains, pour retirer le plus gros de la terre et des restes de sang et de sueur. Puis, il actionna le distributeur automatique de savon derrière lui et continua son œuvre, passant et repassant sur chaque parcelle de son corps comme s’il voulait poncer son épiderme. Sous l’effet de l’eau brûlante – aseptisante – et de ses gestes dénués de douceur, la teinte maladive de sa peau fut remplacée par une couleur rougissante. Mais il ignora la brûlure : s’il s’était écouté, il se serait même décapé à la paille de fer et baigné dans de l’eau bouillant. Faute de pouvoir laver sa conscience. Alors, il n’épargna rien, de ses côtes meurtries aux hématomes qui peignaient son abdomen et léchaient jusqu’à ses clavicules. Rapidement, la céramique de la baignoire vira au noir.

Il contempla alors le mélange terreux et sanguinolent qui tourbillonna avant de disparaître péniblement dans le siphon de la baignoire.

Et sans avoir besoin d’y réfléchir à deux fois, il recommença. Il frotta avec entrain ses cheveux et son visage. Sa pommette droite protesta vivement, mais Léon n’en fut pas plus doux tandis qu’il désinfectait la plaie à coup de savon bon marché au ph plus qu’agressif. Et il repassa une nouvelle fois sur son corps, se contorsionnant pour atteindre chaque recoin de son dos, insistant lourdement sur ses jambes et ses pieds. Et quand chacune de ses terminaisons nerveuses implora une trêve et que l’eau sous ses pieds fut enfin claire, il s’arrêta. Le souffle court, sans bien savoir si l’eau qui coulait sur son visage provenait du pommeau de la douche ou de ses yeux, il contempla ses mains.

Elle tremblaient.

Et elles tremblaient toujours lorsqu’il s’extirpa de la baignoire pour s’enrouler dans l’une des serviettes rêches mises à disposition par le motel. L’air était lourdement humide et brûlant – les systèmes de ventilation n’étant jamais le point fort de ce genre d’établissement low-cost – et Léon dû passer l’une de ses paumes sur le miroir embué pour réussir à y croiser son reflet. Ses yeux étaient rouges, la fatigue suintant de ses iris marrons jusqu’au fond de ses poches de cernes et ses cheveux  partaient dans tous les sens, leur couleur d’asphalte accentuant sa pâleur. Il avait connu de meilleurs jours. Mais il avait surtout connu bien pire. Alors il fit abstraction de l’arc-en-ciel de couleur du reste de son corps – du bleu, du violet, du noir, du jaunâtre et du vert se disputant des territoires – et se sécha plus délicatement qu’il ne s’était lavé. Après un regard profondément dégoûté sur son jean, il prit parti de n’enfiler que son boxer noir, relativement épargné. Puis, il fouilla méthodiquement la petite armoire à pharmacie qui servait de miroir, tombant sur toutes sortes d’échantillons de savons séchés, de coton-tiges usagés, de lingette démaquillantes noircies et de préservatifs solitaires. Il mit néanmoins la main sur ce qu’il cherchait désespérément : un tube de dentifrice mal re-bouchonné, dont il écrasa copieusement les parois pour en extraire de quoi recouvrir tout son index. Puis, faute de brosse, il se frotta les dents à s’en décrocher les gencives. Et tant pis s’il mangeait juste après. Parce que cette sensation mentholée était divine.

Le nez niché dans le col du sweat qu’il venait de passer, inspirant à plein poumon l’odeur de linge propre et la saveur litchis qu'il avait senti sur cheveux de la fille, Léon sortie enfin de la salle de bain. Seulement pour constater que celle dont il ignorait toujours le nom s’était endormie de l’autre côté du lit, blottie à même le sol.

Fais chier.

Léon récupéra le sandwich, tira l’une des chaises de la table et s’installa face à elle en silence, tout en découpant son repas en plusieurs petits morceaux, les déposant sur la table de manière presque méthodique. S’il avait écouté les gargouillis de son ventre, il aurait tout ingurgité sans même prendre le temps de correctement mâcher. Néanmoins, il récupéra un simple petit bout et le porta doucement à sa bouche. Cela lui donnait l’air d’un lion se mettant à picorer des graines, mais son estomac ne survivrait pas à un appétit trop rapide et vorace. Il le savait. La fille le savait et ça l’agaça sans qu’il ne réussisse à correctement identifier pourquoi. Au cinquième morceau, il la lâcha enfin des yeux pour fixer le téléphone portable qu’elle avait abandonné sur le lit, comme si ce dernier l’avait personnellement offensé. Ses doigts tapèrent longuement sur la table, dans un rythme lent, puis frénétique, à l’image de son pouls. Et puis, une idée stupide lui traversa la tête.

Si c’est une tentation, Monsieur-Puissance-Supérieure, sache que je vais y céder.

Il se leva précipitamment, manquant faire tomber la chaise, et franchit la distance vers le lit, récupérant l’appareil entre ses mains fébriles. Après avoir mémorisé le numéro de téléphone, ses doigts volèrent sur le clavier pour en composer un autre à la hâte. Et sans plus réfléchir à l’absurdité de tout cela, il plaqua le téléphone contre son oreille, le regard dans le vague et l'impression que son cœur venait de stopper sa course. Et quand la voix sortie de l’appareil, ses yeux se voilèrent immédiatement.

Bonjour, vous êtes bien chez les Wargrave ! Nous ne sommes pas là pour l’instant, mais vous pouvez nous laisser un message, claironna la voix de sa mère, intacte.
Douloureusement intacte.
Léon inspira profondément.
Raccrocha.
Se laissa doucement retomber contre le matelas, les yeux rivés vers le plafond. Une main s’était infiltrée dans son corps et lui broyait la cage thoracique. Et putain que ça faisait mal. Mais il devait être masochiste, parce qu’il fut incapable de se contenter de ça et qu’il pressa de nouveau la touche de rappel. Parce qu’il se rendait compte qu’il était presque en train d’oublier les inflexions de sa voix, le léger accent du Midwest quand elle finissait ses phrases et la manière dont elle avait de prononcer leur nom de famille. Son odeur s’était déjà évaporée depuis des mois, et il n’avait plus aucun moyen de la récupérer.  Mais sa voix était juste là, entre ses doigts. Accessible.
Bonjour, vous êtes bien chez les Wargrave ! Nous ne sommes pas là pour l’instant, mais vous pouvez nous laisser un message.
Sa respiration manqua un battement.
Il rappuya.
Encore.
Une larme roula, glissa sur la blessure de sa pommette, dévala l’angle de sa mâchoire et s’échoua dans le col du sweat.
Bonjour, vous êtes bien chez les Wargrave ! Nous ne sommes pas là pour l’instant, mais vous pouvez nous laisser un message.
Léon pressa instantanément la touche de rappel.
Encore.
Encore.
Bonjour, vous êtes bien chez les Wargrave ! Nous ne sommes pas là pour l’instant, mais vous pouvez nous laisser un message.
Et tant pis pour le forfait de la fille.

Et peut-être que la voix de sa mère y fut pour beaucoup. Ou peut-être était-ce par respect pour la famille qu’ils avaient été. Peut-être était-ce que la fille blottie à côté du lit lui évoqua subitement tout un futur dont il voulait arrêter la course. Parce qu’il connaissait la réponse à la question à laquelle elle avait pris soin de ne pas répondre : non, la crasse ne s’enlevait pas, jamais. Aucune douche n’y changerait quoi que ce soit. Elle s’infiltrait dans l’âme, grignotait tout jusqu’à  ne laisser plus qu’un ramassis de peurs et de solitude. Ses yeux glissèrent sur elle, sur la sacoche qu’elle tenait dans ses bras comme une désespérée. Comme lui avait tant dormi en enlaçant son sac à dos, seul vestige de ce qu’il lui restait. Il longea sa silhouette des yeux, s’arrêtant sur le sang mal nettoyé sur sa joue, celui qu’il l’avait vu essayer de retirer avec obstination. Non. Il ne voulait pas finir comme ça. Il lui restait quelqu’un. Il leva sa main et sécha ses joues tout en recomposant le numéro de Maxence. Il ne voulait pas être le type qui étranglait des femmes dans un monte-charge derrière les laboratoires d’une boucherie et essayait ensuite de se persuader que cela n’avait pas la moindre importance. Il ne voulait pas devenir celui qui basculerait dans le vide, prêt à s’écraser contre l’asphalte et qui en rigolerait ensuite. Il n’était pas un sorcier : il n’y avait pas de joker dans sa main. Bien sûr que si, il en avait un. Juste au bout de ce téléphone. En fond sonore, les râles laborieux de la fille lui crevèrent soudainement les tympans, de plus en plus insupportables. Il entendait l’air racler contre ses cordes vocales, les difficiles inspirations rendues encore plus hachées par son état de sommeil profond. Comme un rappel de ce qu'il avait manqué faire. Et ce fut trop. C’était trop depuis bien longtemps.

Sans plus réfléchir, il pressa la touche d’appel. Il était trois heures du matin. Mais évidemment, Superman ne connaissait pas le mode silencieux.

« Salut, MaxGiver » l’accueillit Léon d’une voix tremblante et fatigué, lorsque la tonalité d’appel laissa place au Allo ensommeillé de son frère.

La sienne aussi, de voix, il l’avait un peu oubliée. Le surnom, par contre, avait jailli tout seul. Un jeu de mot qui lui sembla tristement déplacé en cet instant, comme appartenant à une autre époque. Il poursuivit rapidement, profitant d’avoir pour la première fois l’ascendance dans leurs échanges. Avant que le courage ne s’essouffle et qu’il  n’opte encore une fois pour la fuite, il débita à toute vitesse l’adresse de l’hôtel, l’étage – troisième – et le numéro de la chambre – trente quatre. Et Maxence avait dû sentir qu’il ne fallait pas l’interrompre, parce que seul sa respiration prouvait encore qu’il était là. Léon avait toujours été celui qui attendait ses appels. Et il réalisa qu’être celui qui reprenait contact n’était pas plus facile. Sa voix vacilla, proche de la rupture, lorsqu’il rajouta :

« Et emmène ton équivalent enchanté de morphine, de corticoïdes et de Ventoline. »

Puis il raccrocha, avant qu’elle ne se rompe totalement. Quand il tourna la tête vers l’inconnue, deux orbes d’un bleu rendu électrique par la pénombre lui faisaient face. Il s’y abîma quelques secondes, se demandant s’il avait la même foutue détresse de nicher à l’intérieur de ses propres iris. Et il n’aurait pas su dire depuis combien de temps elle était réveillée, ni ce qu’elle avait entendu. Alors, puisqu’aucune répartie ne venait, il lui tendit simplement le téléphone, sans un mot. Il n’avait rien à dire d’autre.

Dans la coque, il avait pris soin de glisser les billets qu’elle lui avait refilé un peu plus tôt. Parce que c’était elle qui avait gagné, ce soir. De toutes les manières possibles.
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Léon Wargrave
Ven 8 Mar 2024 - 13:03


 10 mars 2017


Je vois l’élan que tu ravales, l’ombre qui passe dans ton regard, devine le choc que ça fait d’entendre de nouveau ton prénom. De sceller le retour de ta vie d’avant. Je vois, et j’me tais, rattrapant du même temps ce que moi j’ai failli dire. Je songe un instant ce que c’était pour moi, quand j’étais chopée par les flics et ramenée chez moi, là où “mon père” faisait tout pour aplanir les angles et faire comme si la situation était normale. Avant de m’éloigne de Suzie et me laisser repartir sans rien rajouter que quelques éclats de voix contenus dans la cuisine. J’me souviens de la première fois, des gestes larges, des cris, de la boule dans la gorge. Et d’l’impression de manquer de souffle. D’être officiellement déclarée coupable. Et coupable je l’étais. Coupable je le suis.

‘Tu crois pas que la famille a assez souffert Jodie ?!’

Comme si j’étais le père absent. Comme si j’étais la mère assassinée.

Un simple nom et j’me le prenais en plein plexus. Jodie.

“Jo”, c’est jamais venu de la famille. Et ça n’y a jamais véritablement fait son entrée. “Jo”, c’est le surnom donné par un maître d’arme - un sensei - à mes quatorze ans. Référence à l’arme. Le Jo. Un bâton à hauteur d’épaule, utilisé comme arme par les paysans, à défaut de mieux, dans le japon médiéval.
C’est resté.

- Oui. Je sais ; fait-il quand je conseille de ne pas davantage manger qu’un seul sandwich sans préciser que le second est à lui malgré tout. Il sait. Par fierté ou par faits, j’en ai aucune idée.

- Oui. Je sais ; renchérit-il, sur le ton tranchant de l’ado qui ne supporte pas d’être pris pour un con.

Les armes qu’on a ne sont pas toujours bien affûtées…

‘Ecoute Jodie, Suzie a largement assez souffert, elle n’a pas besoin de la merde que tu rapportes avec toi.’
‘Je sais…’

Les voix de mes souvenirs remontent et je les laisse s’écouler avec le ton grinçant de Léon. C’est pas moi qu’il attaque. C’est l’impression d’être baladé comme un petit chien qui n’a pas d’autre choix que de suivre. D’être pris pour un enfant inapte incapable de s’occuper de lui-même sans quelqu’un pour lui tendre la main.
D’être sous contrôle de l’autre.

De pas être capable de mordre cette putain de main, parce que dans l’fond t’as trop faim. Donc tu fermes ta gueule et tu suis.
Alors j’ui file le pull et détourne le regard. Je bois trois gorgées de vodka, le laisse en face à face avec sa bouffe et consent à m’asseoir. Essentiellement parce que j’ai le corps en rade.

Et parce que rien de tout ça me concerne vraiment, que j’ai jamais juré allégeance à Maxence ni même ne lui ai promis que je ramènerai son frangin (entier ?), je mets fin à mes hésitations et délaisse mon téléphone à côté de ma cuisse, sur le couvre lit rêche.
J’ui rend la décision.
Quant à Maxence… il fera avec.
Pas mon histoire. J’suis personne pour lui dire quoi faire.

Léon, penché sur l’étiquette du sandwich club, s’arrête un instant. Je le vois dans ses prunelles qui cessent d’aller de droite à gauche à la recherche de je ne sais quelle info. Allergique. Le risque de crever s’il se précipite, ça vous fait apprendre la mesure je suppose. J’en avais pas. J’ai jamais été très douée pour la mesure.

Mais aujourd’hui j’me tais. Je ravale les piques derrière lesquelles je me planque et soutiens les rivières d’ambres qui tombent dans mon regard. J’me tais, parce que ces yeux-là coupent mes mots plus efficacement que ses sarcasmes.

« Merci. » Mon souffle se suspens et j’aspire les reliquats d’air stockés entre ma langue et mes lèvres. Première fois qu’il a cette voix-là et je crois que même si j’avais voulu, j’aurais rien trouvé à dire.
Alors j’aimerai pouvoir balancer que j’ai seulement hoché de la tête pour lui dire que je comprends, dans un élan de sincérité partagée. Mais je l’ai seulement vu filer dans la salle de bain sans préavis.
La porte a claqué, le silence a rejoint la pièce.
Alors seulement, j’ai lâché un souffle et arrondi mon dos.

J’crois que j’en ai pavé ma vie, de ces occasions manquées. De ces fuites mal assumées. De ces trop-pleins qu’on ne sait pas gérer.
J’ai une chieuse en moi qui a envie de lui gueuler un “tu sais que j’aurais pu avoir envie de pisser ?!” juste pour faire passer la gêne qui me grésille sous la peau. Mais j’me tais et je passe mes poignets contre mon front.
Envie de m’allonger. Envie de m’écrouler. Mais si j’le fais, je crois que je ne me relèverai pas de si tôt. Et l’idée qu’il me trouve étalée sur le lit, incapable de me redresser, me file la gerbe. Alors j’me lève.
Ça tourne mais j’me lève.
Elle fait toujours aussi mal, cette chute en avant, le down après la tempête. Et vu le temps que j’ai pu passer dans la douche ces dernières années, j’suis pas prête de le revoir.
Alors je balaye la pièce du regard pour chasser mes souvenirs. Ils sont pourtant nichés partout. Dans le vide, l’absence d’affaires, la moquette qui part en miettes, le mini-bar vide et la petite bouteille de vodka abandonnée sur une tablettes. Les trois cercles que j’y devine, deux traces de verres et une brûlure de cigarette. Les capotes dans la salle de bain. L’absence de gel douche. La sacoche. J’y passe une main, caresse le cuir limé.

Jodie.
Jo.
Siem.
Rebecca.
Beck.
Sedm.

J’inspire. Me rassoies.

Après un temps immense, je pose le regard sur mes mains. Tremblantes, toujours. Comment peuvent être paraître si frêles et longues, dans un tel état ? Large hématome à la base du pouce gauche, étendue à la seconde phalange. Ongle cassé et arraché à l’index. Estafilade à droite. Entaille à la base de la paume. Marques des bagues enlevées avant de descendre au combat. Sang séché. Sable. Crasse.
Je remonte. Tâches violettes au poignet, jusqu’à l’auriculaire droit. Puis sur les bras. Multiples.
Déglutition.

Souvenir du sable sous mon dos, des impacts à répétition, les bras qui encaissent ce qu’ils peuvent, des chocs qui m’atteignent par ricochet. De Dorofei, des mois plus tôt, comme un filtre qu’on superpose sur une photo. Du bassin du type contre le mien. De celui de Doro. Puis celui de Léon, plus haut.
Inspiration. Douleurs. Toux. Côtes fêlées. Toux avortée.

Et le regard qui part vers le plafond et s’attarde sur les fissures et la peinture qui cloque.
A côté, l’eau coule.
Je souffle doucement et sors ma baguette. Méticuleusement, je m’attaque à chaque point de douleurs. Le pouce d’abord, tentant d’ignorer le souvenir confus d’une main étrangère en train de le manipuler. Le poignet droit. Les bras. Pour les côtes je ne peux rien. Quant aux hématomes, si j’ai un onguent, l’étaler sur la couche de crasse, de sable et de poussière ne rimerait à rien. Alors je me contente de plonger un bras dans la sacoche, derrière l’une des poches ensorcelées. Je m’y enfonce jusqu’au coude puis le bras y disparaît aux trois quarts, passe au toucher les compartiments cachés, en extrait une potion dans une fiole, que je sors et descend en grimaçant.
Le kit de survie. Il y a là-dedans une maison que je traîne depuis des années. Ma définition d’une maison. Du soin. Des armes. Quelques souvenirs épars que je ne sors jamais de là. Une bouteille. Un sachet de cachets sans inscriptions. Des trucs et d’autres, pour changer de gueule et de fringues. Il doit même rester une teinture moldue, de l’époque où je ne pouvais pas user des potions comme j’le fais aujourd’hui. Des médocs aussi, moldus avec ou sans leurs boites.
J’en décroche un, le prend sans eau, range le tout et ferme les paupières. Mes doigts se referment sur le rabat de la sacoche et referment le fermoir à tâtons.

L’eau coule toujours.

L’idée vient. De transplaner, là maintenant, et d’aller autre part. Ailleurs. Seule. Quelque part où m’allonger et lâcher l’affaire pour quelques heures… Mais ce qu’il me restait de liquide est parti dans cette chambre, j’envisage pas une seule seconde de me pointer chez Dorofei comme ça et l’option “Naveen” était finalement salement daubée du cul. Reste la boutique de Takuma, dernier recours, que je repousse sans m’y arrêter.
J’entends les bruits. Le coude qui cogne sur le mur de la salle de bain, le sifflement de la faïence qui couine sous un pied. Une seconde, je me rends compte que je guette le bruit lourd, mat, du mec qui s’effondre, et je ne peux retenir la nervosité du rire qui me prend. Et s’arrête sous la douleur qui ceinture mes côtes. Physiquement, c’est celui qui tient la route là tout de suite.

Petit à petit, je comprends que je ne tiens pas. Sous ma caboche, j’ai l’impression nette que mes neurones pétillent. L’air inspiré m’est froid et traverse ma chair alors même que certaines zones de mon corps me semblent brûlantes.
Le down, donc.
Et la migraine qui pointe.
Ça vaut bien le coup de taper dans le tramadol tient.

Je me lève. Chope la mini-bouteille de vodka. La vide. La balance à la poubelle que je loupe à cause d’une douleur imprévue dans l’épaule gauche.

Pour le reste… Honnêtement, j’en ai assez peu de souvenirs. Le corps qui reprend ses réflexes, sans doute. Vaincu par l’épuisement. Contourner le lit, choper la sacoche, s’asseoir. Caler une cheville contre le mur d’en face. Tourner le dos à la porte - pas une habitude pourtant - enrouler les bras autour du sac, les soutenir d’un genou. Cesser de respirer le temps que la douleur s’apaise. Fermer les paupières. Se centrer sur sa respiration. Sentir son dos s’arrondir et le crâne s’appuyer sur le matelas derrière moi, le socle du lit en travers de la colonne.
Sombrer.

Ni rêves ni pensées, seulement une longue dérive sur un sol instable. J’pourrais me croire sur un bateau, à regarder les baleines avec Enzo. J’y suis pas. Pas plus que dans l’arène, en Irlande ou où que ce soit d’autre. Je sens parfois mes muscles se contracter et se détendre d’un coup. Je sens la douleur pulser. Le monde, pâteux, dans lequel je m’enfonce.
Et les cliquetis qui tintent et agacent mes nerfs. Ça bouge quelque part, ça bouge depuis un moment. J’en ai une conscience mal alignée, trop souvent rattrapée par la boue de ma fatigue.
C’est un bruit plus brusque qui m’arrache au sommeil, alors même que je doute avoir compris m’être assoupie.
La pièce se réaligne en un instant. Chambre, troisième étage, lit, moquette, Léon, Maxence.
Mais je ne bouge pas. J’écoute. Je récuse la chape de plomb qui m’enroule dans une envie impérieuse de me laisser couler sur le côté et de sombrer totalement. A la place, mes paupières restent fermées et je laisse le monde me parvenir autrement. Pas la force, de toute manière.
Tapotements. Ses doigts pianotent sur l’écran. J’ai rien dans ce téléphone, n’est-ce pas ? Pas de photos. Quelques numéros enregistrés, les autres jamais rentrés dans la boucle. Un historique vide. Des pages internet bateau.
Même la carte sim est pas à mon nom.
C’est moi qui lui ai laissé ; malgré tout, ça me crispe.

Une note longue, aiguë. Qui coupe soudainement. Puis la voix d’une femme. Cinq secondes. Pas beaucoup plus. Je tique.
Il inspire.
Raccroche.
Derrière moi, le matelas bouge légèrement et je devine qu’il s’y est assis en douceur. Il inspire. Bloque. Ça tapote de nouveau sur le verre de l’écran. J’ai pas besoin de l’entendre à nouveau pour comprendre.
Mais la voix résonne de nouveau dans la petite chambre et me serre le cœur. J’entends à peine, c’est vrai. Un “bonjour”, c’est certain. Quelques phrases que je devine bateau. Quelques phrases qui ressurgissent comme la bile, droit du passé.
‘Bonjour, Ameline Brooks Fontaine, je ne suis pas disponible pour le moment mais vous pouvez laisser un message et je vous rappellerai dès que possible. A bientôt !’
J’entends sa respiration louper un cycle. Je sens la mienne qui se coupe et l’humidité qui surgit sous mes paupières, prise par surprise par le genre de souvenirs que j’enterre très loin.
Tu fais chier, Léon Wargrave. Tu fais putain de chier.
Et la voix reprend.
Encore.
Et encore.

Comme une ado, un jour, il y a dix ans. Les genoux contre la poitrine, le dos calé dans le canapé et le regard braqué sur le téléphone posé sur la table du salon. J’avais le second dans ma main. Je rappelais, encore et encore. Comment accepter que cette seule phrase serait le dernier truc que j’entendrais de ma mère ? Comment accepter qu’un jour, une compagnie de téléphone allait simplement engager une ligne de code et que ce timbre là disparaîtrait loin de tout. Ils l’effaceraient. Aussi facilement qu’une sous-merde, un jour dans un parc, me l’a arrachée.

Il rappelle, instantanément. Et j’appuie la sacoche contre ma poitrine.

Tu dirais quoi, toi, si t’étais là ? Comment tu m’regarderai ?

Mes traits se tordent d’une grimace et j’écrase mes paupières à les fendre. À extraire cette larme dont je veux pas et que je devine sur les joues de l’autre môme de la pièce.

On donnerait combien, toi et moi, pour avoir un parent, là tout de suite, pour nous rattraper au vol ? Pour réparer ce qui merde. Comme si les adultes avaient véritablement cette capacité. Comme s’ils étaient mieux que nous. Comme s’ils avaient les clefs qu’on cherche, nous, comme des cons. Mais ils sont pas mieux.
Ils sont pas là.

Un instant, je suspens ma respiration. Et mon pouce passe sur le cuir. Il tourne autour du fil d’une des coutures.

Arrête ça, pitié.

Et il arrête.

J’voudrais m’être barrée.
J’m’en veux de pas m’être barrée.

Déglutir. Inspirer.
Putain d’douleur. Qui va mieux pourtant.

Nouvelle sonnerie.
J’vais te tuer.

Mais cette fois, ce n’est pas la voix d’une femme qui me parvient. C’est celle, rauque et endormie, du mec que j’imaginais déjà hors game.
Ouais.
Sauf que toi t’en as un, n’est-ce pas. Un adulte qui te cherche.

« Salut, MaxGiver » Et la colère roule dans mes veines, déjà rattrapée par ce timbre à la fois fuyant et bravache dont il fait preuve. J’imagine ses épaules crispées hautes, sa poitrine ouverte d’avoir trop inspiré avant d’appeler. Ses poings serrés et son regard fixe. Ou incapable de se fixe justement. L’un ou l’autre.

T’avais quelqu’un, Jo. T’avais une maison. T’avais une famille. T’avais pas des tarés à tes trousses. T’as fait le choix de t’enterrer ici. Et t’as jamais appelé. T’es lâche.

J’te déteste, Léon.

Débite l’adresse. Balance les infos sans penser à respirer. « Et emmène ton équivalent enchanté de morphine, de corticoïdes et de Ventoline. » Et clôture avant que Maxence n’ait eu le temps d’en placer une.

Il l’a entendu, tu crois, la rupture ? Celle qui sonne à mes oreilles comme une branche qu’on brise. Non pas celle de la relation que tu renoues, mais celle de ta voix qui pourrait partir en sanglots si t’y laissais la possibilité.
D’une manière assez cruelle, ça calme ceux qui menaçaient dans ma gorge et la rendent plus inflammée qu’elle ne l’était déjà.

Et puisque je refuse que recommence le petit jeu de boite vocale tord-boyaux, je retourne le visage pour croiser ton regard. J’voudrais avoir la colère dans les tripes. J’crois que si elle est là, c’est une force proche de l’extinction. J’crois surtout qu’elle fout le camp à s’emparer des nuances ocres du regard qui tombe dans le mien. J’m’y arrête. J’devrais dire un truc je le sais, mais ça vient pas. Je sens mes molaires glisser les unes contre les autres et mes lèvres se pincer d’un rien. Ouais. Ça vient pas. T’as l’air aussi fracassé que moi, étalé sur le lit comme ça, les jambes à l’air et les cheveux en vrac.
J’crois que je voudrais avoir la force de te vanner. La force de m’en foutre. La force d’être cruelle.
De t’balancer par le toit plutôt que de sauter après toi…

Mais c’est une main qui se tend et coupe court à mes réflexions. Je ramène un bras aux mouvements mécaniques et saccadés, saisi mon téléphone et abandonne la partie. Je reste ainsi, le bras en travers du matelas, l’épaule calée. Il retombe, écran sur les draps et j’aperçois l’argent, sous la coque transparente.

Un sourire tord le coin de mes lèvres et un souffle roule sur ma lèvre. Je me vois baisser le visage un instant avant de le redresser vers lui. De toutes les répliques qui me viennent, seul le silence passe mes lèvres entrouvertes.
Lorsque j’abandonne le téléphone où il est, je m’avoue vaincue. Ok Tête de bûche, j’les garde.



*


J’ai fini par me lever. Difficilement, et sans dire grand chose à part un “Tu lâches jamais rien toi hein ?” Suivi d’un “Tu m’luxes les trompes j’te jure…” avant d’emporter fringues et sacoches dans la salle de bain.
J’y ai pas jeté un coup d’œil au miroir. J’ai pas dit que je voulais pas voir Maxence dans cet état. J’ai pas plus assumé la forme d’affect que j’ai entendu dans ma voix en le laissant là.
La salle de bain, ce lieu de replis. Des soirées trop bondées aux repas de famille en passant par deux gosses fracassés dans un motel pourri.

Trois minutes sous la douche. Pas plus.
La véritable attendra. Celle qui décape la peau et accompagne les larmes. Celle pendant laquelle on se fait face. Pas pour tout de suite.

En attendant, je passe la porte dans un jogging large et t-shirt tout aussi lâche que je tord sur l’avant pour le coincer dans la ceinture de coton. Mes cheveux gouttent. J’me sens mieux. Potion, médocs, douche. Plus que l’onguent, le fond-de-teint et ça repart. Mais pour ça il faudrait regarder le miroir.

La moquette s’émiette sur mes pieds nus et je sens les endroits où Léon a marché, juste avant moi.
Il est toujours là et un éclat d’étonnement passe mes prunelles.
Moi j’serai partie.
Mais après tout, lui a passé les grilles de la Box et est entré dans l’arène…

Je laisse retomber la sacoche au sol, près du lit et l’observe une seconde. Sur ses jambes maigres, une brûlure attire mon regard et j’ai le réflexe un peu bête de passer un doigts sur celle qui a cessé de me ronger les chairs sur le bras gauche. Je remonte le regard dans le sien.

- Jordane. ça sort comme on lâche un galet dans une flaque. “Jo.”  Je hausse des épaules, rétablit l’équilibre. “Ecoute.. Wonder-Toubib doit être en train de tracer à l’heure qu’il est, et ça me regarde pas tout ça alors.. J’vais vous laisser. Vous avez sans doute pas besoin de public.” De quelques pas moins assurés que je les voudrais, je me saisi de la clef de la chambre et la balance sur le lit. “Deux nuits sont payées. Et j’ferais raquer ton frangin pour me rembourser alors …” J’hésite, fais un truc avec mes mains en les pivotant vers le plafond sans trop de conviction. J’me crois dévot apparemment. Je soupire, surtout. “Bref, hésite pas. Autant que ça serve.”

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Jordane Suzie Brooks
Jordane Suzie Brooks
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Jordane Suzie Brooks
Mer 13 Mar 2024 - 15:15
Inspirer.
Expirer.

« Tu lâches jamais rien toi hein ? l’entendit-il dire sans la regarder ni trouver l’énergie de contredire une telle absurdité. Tu m’luxes les trompes j’te jure… »  

Répéter.

La porte de la salle de bain claqua sans qu’elle ne reçoive de réponse.
Parce que si Léon possédait bien un talent – hormis celui de collectionner les départs de Maxence – c’était bien celui de laisser tomber. Son esprit combatif rencontrait ses limites lorsqu’il sortait du plateau d’échec ou de la box dans laquelle il avait appris que sacrifier des os n’était pas aussi simple que de sacrifier des pions, mais tout aussi efficace. Mais les relations sociales, en particuliers celles où il fallait pédaler en solitaire lorsque l’autre n’espérait qu’à descendre, n’avaient jamais été sa spécialité. Ou plutôt, si : c’était quelque chose dont il avait fait à de multiples reprises l’expérience, rencontrant sempiternellement la même réponse. Alors, il avait lâché, justement, pour reprendre les paroles de la fille. Il excellait même dans ce domaine : des années et des années de pratique lui avait permis d’élever sa technique au rang d’art. C’était l’une des nombreuses raisons pour lesquelles Léon n’avait jamais cherché à mettre la main sur un téléphone pour essayer de joindre son frère. Il avait découvert le changement de numéro en voyant celui composé sur le téléphone de la jeune femme. Et s’il tenait de prêtes des dizaines d’excuses toutes faites, de la crainte que les sorciers ne géolocalisent son téléphone à celles que son frère soit aussi en fuite, Léon savait que la vérité était bien plus simple.

Il n’avait juste pas envisagé Maxence comme une solution jusque-là.

Surjouer.

Voilà ce que des années à prendre la porte bien plus facilement qu’à en retrouver le chemin avaient laissé comme héritage. Au fil du temps, Léon avait fini par se caler dans le script de cette gymnastique de retour et de fuites de la manière la moins douloureuse possible. A force d’attendre, il avait cessé d’avoir des attentes, justement. Il avait déplacé leur niveau comme l’on descendait la barre d’un seuil, rendant ses expectatives réalisables. Ne plus envisager Maxence comme une constante lui avait permis de ne plus être déçu, ce qui était toujours mieux que d’alterner les ascenseurs émotifs à chacun de ses retours. Alors, lorsque son frère se décidait à rentrer, Léon tenait son rôle : il prenait ce qu’il y avait à prendre, feignait l’intérêt sans s’autoriser de renouer avec leur ancienne complicité enfantine, surjouait la surprise lorsqu’il était question de bientôt repartir, puis rejoignait son quotidien en considérant ce nouveau départ et ce prochain retour comme une évènement calendaire à la date incertaine et à l’obsolescence programmée. Et c’était bien mieux comme cela.

Abandonner.

Alors, la fille se trompait. Téléphoner à Maxence n’était pas une nouvelle preuve de sa ténacité. C’était tout le contraire : un aveu de faiblesse, survenu après des années à maintenir efficace ce moyen de protection. Et maintenant, Léon fixait ce maudit plafond alors que se dynamitait une par une toutes les murailles lui ayant permis de rester à flot depuis l’assassinat de ses parents. Il avait fallu soigneusement compartimenter, ranger, cadenasser, oublier, éviter, fuir, fuir, fuir. Les sorciers, les moldus, Maxence. Les mauvais souvenirs comme les bons. Il avait fallu survivre. Et à présent, le corps usé par ces longs mois de privation et l’esprit fracturé, Léon ne pouvait que constater l’érosion de ses murs intérieurs. Tout partait en lambeaux, se mélangeait, remontait à la surface dans un imbroglio de souvenirs qui jaillissait sans qu’il ne réussisse à n’en attraper véritablement aucun et qui le vomissaient là, sur les draps délabrés d’un lit tout aussi miteux qu’il ne se sentait.

Se noyer.

Dans le salon dans lequel son père s’était déguisé en père Noël et où sa mère s’était faite torturer. Dans le grenier dans lequel trônait le baby-foot familial et sous lequel Léon s’était réfugié pendant que son monde s’écroulait. Sur le perron où il avait embrassé Hazel Ponders après le bal de promo et sur lequel il avait vu brûler les cadavres des Wargrave.

Stop.
Stop.
Stop.

C’était tellement trop. Parce qu’au milieu des flammes, Léon avait tout perdu et qu’aucun supplément d’âme ne lui rendrait sa vie d’avant. Il le savait tout à fait. Et Maxence avait appartenu à cette existence révolue, alors il avait stupidement pensé que de laisser brûler son souvenir avec le reste de sa famille était la meilleure des choses à faire. Mais la voix de sa mère, berceuse d’une autre époque, lui avait intimé de faire machine arrière. De faire confiance. Et quelque part, Léon aurait aimé que Maxence puisse surgir instantanément au milieu de la chambre d’hôtel, plutôt que ne se prolonge cette insupportable attente dans laquelle il avait de nouveau la possibilité de réfléchir. Et de fuir. D’éviter, d’oublier, de cadenasser, de ranger, de compartimenter. Encore.

Parce qu’elle avait totalement tord.
Parce qu’il était tout à fait du genre à lâcher l’affaire.
Parce qu’il ne savait pas ce que l’on pouvait dire à quelqu’un que l’on avait probablement autant fuit que les assassins de leurs parents.
Parce qu’il ne savait pas non plus ce que l’on pouvait dire pour engager la conversation avec quelqu’un que l’on ne connaissait plus.
Parce qu’il ne savait pas non plus comment il était sensé rester intact quand tout à l’intérieur de lui s’effritait.

Bouger.

Léon se redressa légèrement, embrassant sa solitude du regard. La fille était toujours sous la douche. Autrement dit : personne ne le retiendrait. Maxence devait courir quelque part entre son point de transplanage et leur adresse. Autrement dit : il avait sans doute encore le temps de partir. Il avisa son jean sale qui pendait misérablement sur une chaise, prêt à l’enfiler de nouveau pour filer en douce. La voix d’Hannah était en train de s’estomper et son courage avec : sa santé mentale ne survivrait pas à Maxence, il en était de nouveau intimement convaincu. Son frère était le choix le plus improbable lorsqu’il s’agissait de renouer avec sa confiance en les autres. Et Monsieur-Puissance-Supérieure était bien ironique de lui laisser comme seul famille la personne en qui Léon avait le moins confiance lorsqu’il s’agissait de constance.

Va te faire foutre, Maxence.

Avant d’abandonner, Léon avait été ce petit-frère toujours prêt à toquer à des portes résolument closes pour quémander une affection qui n’advenait que pour un temps rigoureusement limité et trop vite confisqué. Il avait déjà joué le rôle de l’imbécile aveuglé par l’héroïsme du plus grand, merci bien. Il refusait de remettre ça. Il refusait d’attendre après un courant d’air pour ne récolter qu’un énième vide.

La porte de la salle de bain s’ouvrit.

Fais chier. Fais chier. Fais chier.

Léon se laissa brusquement retomber sur le lit, comme un enfant pris en faute. Son cœur tambourinait si fort contre son sternum qu’il était presque certain que la fille pourrait l’entendre, même à cette distance. Alors, il s’exhorta au calme, cherchant à se convaincre qu’elle n’était pas en train de deviner ses intentions d’un simple regard – qu’il sentait glisser le long de son corps avec l’intensité d’une brûlure. Il avait pourtant l’impression que sa tentative de fuite venait de s’imprimer en lettres capitales sur son front. Et le plus absurde dans tout ça, c’est qu’il ne savait même pas pour quelles raisons il aurait dû avoir honte de tourner les talons. Il n’y avait rien de bien surprenant là-dedans, après tout. Combien de sans-abri refusaient les coups de fils à leur famille ou les transports jusqu’à chez eux proposés par les associations ? La lâcheté était l'opium de la rue.

Et pourtant, Léon était tétanisé à l’idée qu'elle ne devine la course de ses pensées.

« Jordane, lâcha-t-elle, à des années lumières de l’endroit où Léon s’attendait de voir s’échouer la conversation. Jo, » précisa-t-elle.

Léon fixait toujours le plafond, immobile, refusant de lui faire face, la respiration laborieusement accélérée par l’idée qu’elle était peut-être en train de faire diversion mais lisait en lui comme un livre ouvert. Il était un poisson rouge dans un bocal sous les yeux perspicaces d’un félin. Il ne fallait surtout pas bouger la moindre écaille.

« Ecoute... Wonder-Toubib - et Léon tiqua ironiquement sur le surnom - doit être en train de tracer à l’heure qu’il est, et ça me regarde pas tout ça alors.. J’vais vous laisser. Vous avez sans doute pas besoin de public. »

Il hocha la tête mécaniquement, tout en calculant la probabilité de réussir à s’enfuir si elle partait rapidement. Il faudrait lui laisser un peu d’avance, puis sortir à sa suite, le tout en espérant que Maxence n’allait pas débouler quelque part au milieu de tout cela. Timing serré. Mais jouable. Son frère avait toujours été nul en athlétisme, de toute façon. Elle balança quelque chose sur le lit et en s’en emparant, Léon releva machinalement les yeux vers les siens.

« Deux nuits sont payées. Et j’ferais raquer ton frangin pour me rembourser alors …,» embraya-t-elle.

Elle avait toujours la voix de Dark Vador, celle qui clamait haut et fort la souffrance de ses cordes vocales et les raisons pour lesquelles elle en était arrivée là. Léon déglutie doucement sa salive. Dans sa main, la clé lui sembla subitement peser des tonnes - bien trop lourde d'une gentillesse qu'il savait ne pas mériter - alors qu’elle tournoyait entre ses doigts qu’aucune douche ne lui permettrait plus jamais de trouver propre. Dans ses yeux, un éclair de culpabilité passa, alors qu’elle poursuivait ses adieux à rallonge qui, peu à peu, lui ôtaient toute possibilité de s’enfuir. Quelle emmerdeuse.

« Bref, hésite pas. Autant que ça serve,
- Okay. D’accord. Merci. A plus ! » lâcha-t-il avec desinvolture, pressé d'abréger.

Il la suivit pourtant des yeux lorsqu’il fut certain qu’elle lui tournait le dos pour regagner la porte. Et il ne pu s’empêcher de penser que tout dans la vie n’était finalement qu’une question de timing : quelques heures plus tôt, il essayait de l’étrangler après qu’un des hommes de main de Djenco n’ait échoué. Et en cet instant, il se sentait idiot de la congédier de la sorte. Et alors qu'il faisait tourner la clé dans sa main une autre fois, elle vacilla légèrement sur ses appuis.

Fais chier.

Alors, environ zéro virgule neuf secondes après qu’elle n’ait eu posée la main sur la poignée de la porte, Léon changea brusquement d’avis.

« Tu devrais rester, » fut-il le premier surpris à s’entendre demander.

C'était sa langue, qu'il aurait dû faire tourner, et non la clé. Évidemment, elle se retourna et son propre cœur frôla la crise cardiaque, en silence. Il détourna les yeux pour les vriller une nouvelle fois vers le plafond, hésitant entre ravaler ses mots ou bien poursuivre sur sa lancée.

Fais chier. Fais chier. Fais chier.

Une – très longue - seconde lui fut nécessaire pour se reprendre. Puis trois tour de clés supplémentaires pour qu’il ne se décide.

« Trois des tes côtes ont été fracturées nettes par les hommes de mains de Djenco, énuméra-t-il finalement, avec l’assurance retrouvée d’un médecin faisant ses transmissions médicales. En grande partie parce que tu as stupidement décidé de négliger ta garde pour protéger un parfait inconnu, parce que...comment tu as-dis déjà ? Questionna-t-il rhétoriquement avant de reprendre, insolent depuis le berceau lorsqu’il était question d’enclencher ses mécanismes de défense « ça ne te regarde pas tout ça  » ? »

Avant de poursuivre sur le ton laconique et intransigeant de celui connaissant son sujet sur le bout des doigts :

«L’une d’elle affleure ton poumon droit. Si elle finissait par le perforer, tu te noierais dans ton propre sang. »

Et il connaissait le sujet sur le bout des doigts, du reste. Au sens propre comme au figuré. Quelques heures auparavant, perché au dessus d’elle, ses mains avaient parcouru son corps à demi inconscient pour en lister méthodiquement les blessures. La plupart d’entre elles auraient donné des sueurs froides à pléthores de résidents en traumatologie et justifiées à elles seules une admission en centre de réanimation, magiques comme moldus.

« Tu as également deux autres côtés de fêlées. Ça, marqua-t-il une pose en se redressant sur ses coudes pour capter son regard délavé une nouvelle fois, ce sont les coups que je t’ai mis en traître pendant que tu continuais à essayer de me sauver parce que cela ne te regardait toujours pas,» l’accusa-t-il de façon tout à fait déloyale.

Mais les fondations de sa logique avaient fondus depuis bien longtemps en cette soirée. Et il se rendit compte que de la voir ainsi esquiver Maxence, alors qu’il n’en avait plus la moindre occasion lui-même, l’agaçait presque autant que les risques inconsidérés qu’elle avait pris pour le sauver sans que tout cela n’ait le moindre sens. Il ne croyait plus en l’héroïsme depuis bien longtemps. Mais il croyait en la capacité de cette fille à se jeter dans le vide sans filet de sécurité, par contre.

« L’une d’elle caresse ta rate, l’informa-t-il en la crucifiant sous son regard mordoré, comme passablement agacé de son diagnostic. Ta chute du haut du toit a peut-être précipité leur rencontre. Parce que transplanage ou non, balaya-t-il immédiatement une éventuelle contre-attaque, tu t’es écrasée comme une masse.

Si elle tenait encore debout, c’était principalement grâce à sa magie, sa fierté et l’overdose d’adrénaline – dans cette ordre. Et peut-être trois inspirations tout contre ses lèvres bleuies, pour reprendre le ticket de la faucheuse que Léon lui avait composté quelques instant auparavant.

« Et enfin, déclara-t-il d’une voix lourde d'une colère qui se trompait de destinataire, il y a la fracture de ton os hyoïde. Strangulation, précisa-t-il d’une voix qui se se consuma tout à fait lorsque ses yeux descendirent jusqu’à son collier en perle d’ecchymoses et diamant de culpabilité.

Il s’y attarda un instant avant de remonter vers ses yeux aux reflets d’Arctique. Soutenir son regard lui fut soudain très difficile. Encore plus peut-être depuis qu’elle était sortie de la douche et qu’elle lui paraissait encore plus mal en point qu’un peu plus tôt. Sous la peau diaphane de son visage, ses veines dessinaient des sillons violacées qui serpentaient sous la glace de son regard. Chaque hématome faisait ressortir son teint de porcelaine, lui donnant des airs de ces poupées qu’un mauvais genre gothique aurait tartiné d’ecchymoses au nom d’il ne savait quel romantisme. Quant à ses longs cheveux blonds, ils gouttaient sur le sol et faisaient frissonner le jeune homme de froid, même à cette distance

«En soit, t’endormir de nouveau avant d’être soignée pourrait déjà t’être fatal : les deux tiers de ta trachée sont déjà passablement écrasés, ce qui sera exacerbé en phase de sommeil profonde lorsque les tissus mous retomberont vers l’arrière de ta gorge. Mais ce n’est même pas ton principal problème, haussa-t-il les épaules avant de laisser sa phrase en suspend quelques instants.

Il fallait bien doser. Ajuster leurs égos et négocier une trêve, quelques part entre leurs errances respectives. Tous les deux voulaient fuir cette chambre, il le savait. Mais Léon savait aussi qu'il était probablement le plus égoïste.  

«Non, ton principal problème est ce que l’on appelle en médecine légale l’Immortelle de Kasparov, en référence à la célèbre partie d’échec qui s’était achevée par la spectaculaire traversée de l’échiquier du Roi de Topalov,»expliqua-t-il en inclinant légèrement sa tête sur le côté, comme pour avoir un meilleur angle sur son cou.

Léon venait d’inventer toute cette partie. Mentir pour protéger les autres, ça aussi, c’était un talent familial. Mais celui-ci, il ne le tenait pas de son père. Oh non. Non.

« Aucune potion ne pourra empêcher le fragment de ton os qui s’est délogé de la capsule de flirter avec tes artères carotidiennes, lâcha-t-il comme l'on déposait une bombe. Et si l’une d’elle se fait disséquer, c’est l’hémorragie cérébrale. »

Non. Ça, il le tenait de Maxence. Alors il répéta, sa voix s'enroulant autour de son prénom tandis qu'il la défiait du regard :

« Alors, tu devrais rester, Jordane ».

Parce que comme je te l’ai dis tout à l’heure, ce qui est sûr, c’est que je ne pars pas sans toi. .
Et que je ne reste pas non plus.

( :baille: )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Mar 19 Mar 2024 - 22:45


 10 mars 2017


C’est un pas en avant. Un pas vers lui autant qu’un pas pour me barrer. J’ai perdu mes réflexes, mis à mal mes murailles. Je tente des moves et dans le même temps, je baisse les bras.
Assister au mélodrame des retrouvailles ? Très peu pour moi.
Pas ma came.
Mais c’est pas ce qui me fait fuir. J’associe pas tout à fait, pour être honnête. Nan, j’suis pas la grande sœur qui pense à sa propre famille. Eux sont trop loin pour moi. Suzie est trop loin pour moi. J’ai trop d’années d’expertise à éloigner ce poison de mes pensées. Non. C’est plus terre à terre que ça. Plus actuel. J’veux juste pas qu’il constate les dégâts. J’assume ni d’être celle qui s’est fait rétamer, ni d’avoir failli faire tuer le petit frère. Encore moins la raison pour laquelle je l’ai fait. On me reprochera encore de me la jouer perso, de ne pas être fiable. Si Maxence n’avait pas la mémoire effacée après nombre de ses interventions pour la Garde, il pourrait même faire remonter l’info et me coûter ma place.
Des tas d’excuses, qui rattrape le move initial : j’essaie d’être sympa. Parce que j’comprend la position qu’il a et si j’ai eu plus d’un an pour baisser les stores de mon égo, je l’ai jamais fait.
Et parce que la seule fois où mon m’a tendu la main, j’ai fini par la mordre et me barrer avec la tune d’une famille qui vivrait bientôt le pire des deuils.
Et parce que j’m’attend à ce qu’il la morde, la main, je devrais pas être surprise de ce qui suit.

- Okay. D’accord. Merci. A plus ! »

Mais la crispation me prend au plexus et fourmille jusque dans ma colonne vertébrale. Mes lèvres se pincent, mon regard se glace.
Sale con. Vas te faire foutre.

Et l’impression de me prendre une porte en pleine gueule. À peine ouverte mais refermée violemment. Trop bon trop con. La colère pince mes nerfs et sort dans un souffle sec et ironique qui glisse sur ma lèvre supérieure.

- Salut.

C’est absurde. J’avais prévu d’y aller. Alors je fais claquer ma langue sur mon palais, retient à grand mal l’envie de le fusiller du regard et me détourne en levant les yeux au ciel.
J’avais prévu d’y aller, certes, mais j’ai soudainement la sale impression d’être sa bonniche, parfaitement docile à chacun de ses ordres et ça m’emmerde profondément. Pourtant, parce que je sais que Maxence ne traînera pas, je m’assoie pour passer mes pompes et je sens bien que la colère est le dernier truc qui me fait tenir quand mon corps se plie pour passer le talon dans la basket vieillissante. J’y renonce et le tissu fini plié sous mon pied quand je rejoins la porte, sacoche sur l’épaule.
Inspirer.
Expirer.
Doucement.

C’est bon, démerdes-toi.

Ma main se referme sur la poignée de la porte, violemment…

- « Tu devrais rester, » …Et se bloque.

Non mais quel emmerdeur de première !!

Je me retourne et son regard m’échappe comme l’eau vive passe au travers d’une main glissée dans le courant. Ils partent droit vers le plafond. Et une seconde, la peur me pète à la gueule. La sienne. L’évidence est cynique mais timide. Elle claque dans l’image de ce con qui fixe le plafond et fait tourner la clef entre ses doigts. Elle brûle sous mes côtes et charge entre mes lèvres le souffle d’un sarcasme acide.

Et puis il reprend, avec le ton affirmé de celui qui surcompense sa vulnérabilité écorchée. J’avais l’air de ça, quand je faisais face à William ? A l’attaquer plutôt que d’entendre sa venue comme une main tendue. D’un type venant de sortir de l’enfer, envers une connasse qui s’est fait son mec et qui trouve encore le cran de sortir les crocs plutôt que de fermer sa gueule.

- Trois des tes côtes ont été fracturées nettes par les hommes de mains de Djenco… Alors l’offensive ne me surprend pas cette fois. Par fois fois pourtant, mes paupières battent et dans l’ombre de l’épiderme, j’ai les flashs des impacts qui frappent ma mémoire. Les muscles bandés des types, les poings sales, le regard de prédateur. Je ne frémis pas et me redresse d’un rien pour planter les yeux sur Léon sans chercher ni à renier la douleur qui me bat les flans, ni à combattre ce ton protocolaire qu’il s’invente pour jouer le mec cinglant. En grande partie parce que tu as stupidement décidé de négliger ta garde pour protéger un parfait inconnu, parce que...comment tu as-dis déjà ? Deux flashs. Le talon enfoncé dans le sable de l’arène, le corps qui pivote et choisi de rejoindre Léon plutôt que d’affirmer l’offensive. Stupide. J’ai même pas envie d’le nier ; ça l’était. « ça ne te regarde pas tout ça  » ? »
- C’est pas.. Mais il me coupe.
- «L’une d’elle affleure ton poumon droit. Si elle finissait par le perforer, tu te noierais dans ton propre sang. » Et j’me tais, parce que je sens de nouveau ses paumes sur mon corps et la chaleur absurde de ses doigts sur mes côtes. Il a raison, j’le sais dans la douleur qui émane de chaque parcelle de mon organisme. Pire encore, à l’entendre, j’me rend compte que si la situation est celle-là, il est hors de question que je me pointe chez Dorofei.
Et que j’viens de lui filer ma seule solution de repli sans l’option “regards extérieurs.”

« Tu as également deux autres côtés de fêlées. Ça Et c’est justement cette dernière qui me dérange quand il se redresse sur un coude pour affronter le tranchant de mon visage fermé. ce sont les coups que je t’ai mis en traître pendant que tu continuais à essayer de me sauver parce que cela ne te regardait toujours pas,» Nouveaux flashs :
La respiration lente qui devient profonde juste avant le combat, et à laquelle je me raccroche pour m’enfermer dans les sensations du corps et le vertige du combat.
Le coup paré, l’ouverture, l’impact qui me prend par derrière et me balance droit vers les bras de l’adversaire.
Puis l’autre, celui qui m’accueille et m’envoie valser au sol pour la première fois.

Je redresse le menton d’un rien, fusille son accusation et ne desserre pas les lèvres. D’une certaine manière, j’ai cru qu’on laisserait ça au silence. Qu’on enterrerait l’épisode sans jamais en parler.

« L’une d’elle caresse ta rate Et je dégluti difficilement. Tant parce que le verre pilé que j’ai dans la gorge peine à reculer, mais surtout parce que chacun de ses mots rendent réel ce à quoi j’évite de faire face depuis qu’on est arrivés ici. Pas un regard dans le miroir, j’ai même pas déballé autre chose que quelques potions, comme si me soigner face à lui risquait de mettre à mal les derniers filaments de résistance que j’ai encore. Ta chute du haut du toit a peut-être précipité leur rencontre. Je refais le fil, imagine ce qui peut merder dans mon corps pour me faire si mal. J’essaye d’en balayer le réel mais sa voix étrangement posée me rattrape à chaque fois. Parce que transplanage ou non, tu t’es écrasée comme une masse. Six mètres plus haut que l’issue fatale, oui.
Qu’on soit clairs : une fois de plus ; j’ai juste eu du bol. J’le sais, merci.

« Et enfin.. Et puisque je suis son regard et le déroulé de ses pensées, j’ai les mâchoires qui roulent l’une contre l’autre et le souffle qui se coupe une seconde. Parce que je me rend compte me tasser sur moi même, je me redresse et l’onde de douleur passe encore et toujours sur mes traits que je veux stoïques. il y a la fracture de ton os hyoïde. Sa voix n’a jamais cessé de vibrer, lourde d’une colère sourde qui se fracture pourtant sur le dernier mot. Strangulation Dans un battement de paupière, j’ai l’image des flics devant la porte, à mes quatorze piges et j’imagine que c’est comme ça que ça se termine, entre les quatre murs blancs d’une morgue. Par ce type de diagnostiques morbides qu’on annonce de la même voix neutre qui porte ces quelques mots “heure du décès, 06h47”. Et je frissonne. Mes doigts s’enfoncent dans mon poing gauche et crissent mes nerfs d’une tension lancinante. Je le plante dans ma poche et ne desserre pas la main droite de la poignée.

Je lui en collerai une, s’il était à portée. Pour ce simple mot. Pour ce simple regard qu’il coule sur ma gorge. Pour le temps qu’il y met et le cran qu’il assume, à remonter ses prunelles d’automne dans les miennes. J’ui en collerai une, pour continuer à parler. Pour énumérer chacune de ces plaies que je mets toute mon énergie à ignorer.
J’lui en collerai une, pour avoir dans le regard, le reflet d’une poupée à la porcelaine brisée.

«En soit, t’endormir de nouveau avant d’être soignée pourrait déjà t’être fatal : les deux tiers de ta trachée sont déjà passablement écrasés, ce qui sera exacerbé en phase de sommeil profonde lorsque les tissus mous retomberont vers l’arrière de ta gorge. Mais ce n’est même pas ton principal problème Et plus il parle, plus j’ai l’impression de tourner. Je visualise les tissus, les os brisés, les diagnostics balancés à la volée façon Dc House et entre ces mots, j’ai l’impression acide que tout me fait d’autant plus mal.
J’lui en collerai une, pour ce haussement d’épaules que je reconnais pourtant trop bien.
J’crois que je comprends pourquoi on m’en colle si souvent. Finalement.

«Non, ton principal problème est ce que l’on appelle en médecine légale l’Immortelle de Kasparov, en référence à … Je sais ce qu’est l’immortelle de Kasparov, crétin. ..la célèbre partie d’échec qui s’était achevée par la spectaculaire traversée de l’échiquier du Roi de Topalov,» J’sais pas le rapport que ça a avec la médecine légale en revanche, et l’image persistante du corps de ma mère à la mise en bière me fracasse la mémoire. J’veux pas entendre ce qu’il a à dire. Comme j’ai pas voulu écouter quand on m’a dit ce jour-là “tu ne devrais pas y aller Jodie..” Des mots d’une grande tante aujourd’hui disparue. Alors quand il incline le visage en toute théâtralité, je comprend à retardement avoir lâché et détourné le regard. « Aucune potion ne pourra empêcher le fragment de ton os qui s’est délogé de la capsule de flirter avec tes artères carotidiennes Le retour de l’imagerie façon docteur House, le pouls qui s’accélère et la sensation de vertige. Comme des bulles qui crépitent dans le cerveau.
Fermes-la putain. Et si l’une d’elle se fait disséquer, c’est l’hémorragie cérébrale. »

Pas ton fort de la fermer.

« Alors, tu devrais rester, Jordane. »

Ton putain de discours là, c’est pour te faire te sentir plus solide ou plus misérable dis-moi ? J’ai quelques doutes là.

L’air mauvais, je ramène la glace pilée de mon regard dans le sien. Et j’y reste un moment. A observer les nuances ocres et pourpres. Les iris d’or sombres, la sclère rougie par la fatigue et les coups. Sous ma paume, la poignée est humide. Dans ma poche, j’ai saisi au creux de mon poing le tissu du jogging pour le serrer fort.
Alors je lâche la poignée et passe le tissage de coton entre le pouce blessé et l’index intact. Et je plonge mon deuxième poing dans la seconde poche du jogging. Regard dur, visage fermé. J’t’emmerde, avec ta manipulation à la con.
J’m’en veux d’avoir lâché mon prénom, devenu soudainement balle dans ma chair.

- T’as une aptitude mélodramatique assez évidente pour ce qui est d’annoncer fièrement mon décès prochain…

Ma voix vibre et crisse, entre le craquement d’une banche morte pliée trop fort et le verre sous les semelles de chaussures qui vous portent hors d’un squats, entre les tessons de bouteilles et les seringues abandonnées.

Je fais quelques pas, pourtant, vers lui, et le rejoint pour me planter devant lui, mes tibias tout près du matelas. De quoi surplomber son air de s’en foutre et y laisser peser mes certitudes mutiques.

- C’est pas Bambi qu’il fallait t’appeler, c’est Sartre.

L’enfer, c’est les autres. Toi et moi enfermés dans un putain de purgatoire délimité par quatre murs tâchés et une moquette sale…
Je hausse des épaules sans le quitter des yeux, trop lentement pour que ce soit naturel. Dans un mimétisme cynique.

- Ils avaient vidés les stocks de bienveillance mièvre à gerber quand ils t’ont pondu ou t’as perdu ça sur le tard ?

J’me sens petite, malgré mes 1m80, les muscles taillés par la fonte et mes faux airs de juge de la morale. Trop fine, dans le t-shirt large. Trop instable, malgré l’assurance que je lui crache au visage comme il me balance la sienne. Les deux sous couvert de colère. Deux gosse terrifiés. C’est pas ce que je vois, c’est ce que je sais.
Mais l’admettre nous tuerait toi et moi.
Alors quoi ? On s’arrange une trêve au travers des batailles ?

- T’es imbuvable comme mec. Une ombre de sourire passe pourtant sur mes lèvres et, s’il répond, je lève une main pour le faire taire. J’ignore aussi la sensation de houle dans mes jambes et l’impression que je risque de faire un malaise, non pas réellement à cause de l’état de mon corps mais de l’idée qu’il m’en a dressé. "La seule chose qui permet à l’homme de vivre, c’est l’acte." J’crois que t’as de la visite, JP… “Ne pas choisir, c'est encore choisir.”
Définitivement, c’est pas mal Sartre. JP, donc.

Et je dégaine mon téléphone en sentant mes jambes osciller doucement dans mon indifférence totale.

La voix de Maxence résonne immédiatement, tremblante et saccadée, de l’autre côté du combiné.

- Vous êtes toujours là ? Une simple question qui me serre les côtes. Et franchement elles n’ont pas besoin de ça. Peut-on percer une rate à coup d’empathie guimauve ?
- Toujours. On s’est mis aux mandalas en t’attendant.
Une seconde d’hésitation comme s’il butait.
- Elle n’existe pas, la chambre 307.. Je sens la certitude qui gonfle en lui, d’être face à un piège.
- Ca c’est parce que t’es un sorcier mon biquet. Et que j’suis pas intégralement suicidaire.. Je fais, en fixant Léon un instant. ’Tu t’es écrasée comme une masse.’ Une seconde, j’hésite encore à simplement transplaner. Après tout… ça ne me regarde pas.   T’es là ? Il acquiesce. Ça ne me regarde pas, mais je reste. J’aimerai affirmer que c’est par bravade, mais son discours m’a filé des palpitations et l’impression de ne pas passer la nuit si un toubib m’ausculte pas. En songeant aux noms ajoutés sur la liste de ceux que Maxence a perdu sur la table d’opération, je bute une seconde,  puis tranche sans un dernier regard pour Léon. J’t’ouvre.

Je raccroche sans écouter sa réponse. Et retourne mes prunelles claires vers le petit frère et ses armes de métal buriné.

- Prêt ?

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Jordane Suzie Brooks
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Mer 20 Mar 2024 - 19:25
L’avantage, lorsque l’on rencontrait quelqu’un ayant globalement les mêmes mécanismes de défense que ceux que l’on employait soi-même, c’était que l’on y voyait comme en plein jour dans l’obscurité de l’autre. Alors, Léon n’avait même pas besoin qu’elle ouvre la bouche pour savoir le fond de sa pensée : en cet instant, main sur la poignée de la porte et corps pourtant immobilisé dans sa fuite, elle le haïssait. Pour la manière dont il mettait en exergue ses faiblesses, pour la cruauté avec laquelle il avait choisi ses mots, pour cette façon qu’il avait de les lui balancer à la volée sans se préoccuper d’en amoindrir les impacts. Il n’était pas dupe : tout, dans l’imperturbable posture qu’elle avait réussi à maintenir tout au long du listage de ses blessures, indiquait sa volonté de fuir loin d’ici et son incapacité à admettre une tel repli. Parce que c’était bien la raison pour laquelle elle se jetait dans des quêtes perdues puis ensuite se battait comme une forcenée pour sauver la vie qu’elle avait elle même confié au prêteur sur gage. Parce qu’elle voulait tordre le cou aux pronostics l’ayant déclarée perdante depuis ce que Léon supposait être de trop longues années. Parce qu’elle voulait faire un doigt d’honneur à Monsieur-Puissance-Supérieure, elle aussi, le narguant de ne pas réussir à la ramener à lui dans une énième rencontre qu’elle avait pourtant bien elle-même organisée. Parce qu’elle voulait avoir le dernier mot, tout le temps, partout, en toute circonstance. Surtout concernant son destin. Puisqu’elle était en danger de mort, elle voulait vivre. Et quand elle était trop en vie, sans doute souhaitait elle flirter un peu avec la mort.

Une emmerdeuse.
Mais une emmerdeuse prévisible.

« T’as une aptitude mélodramatique assez évidente pour ce qui est d’annoncer fièrement mon décès prochain… » sembla-t-elle enfin retrouver l’accès à la parole.

Elle avait cessé de serrer – écraser jusqu’à ce qu'amputation s'en suive- la poignée de la porte et se dirigeait à présent vers lui. Ses pas étaient lents et Léon la suivit machinalement des yeux. Son regard remonta dans le sien lorsqu’elle choisit de se planter au dessus de lui. Il retint, de justesse, un éclat de rire alors qu’elle le toisait de toute sa hauteur, visiblement désireuse de reprendre un peu de pouvoir sur son empire mis-à mal. Il lui concéda pourtant la domination fantoche en se réinstallant confortablement sur le lit, coudes vers l’arrière, menton relevé vers elle dans une fausse attitude d’indolence et de soumission. Elle lui évoquait un oisillon contrarié de constater qu’il avait besoin d’aide, mais conscient qu’il n’arriverait pas à fuir parce que ses ailes étaient trop petites et ses plumes, trop abîmées. Il ne savait pas ce qui était le plus insupportable pour elle : sa faiblesse, le fait qu’il y ait un spectateur à sa chute ou bien que l’on s’inquiète pour elle. A moins que cela ne soit un mélange des trois.

« C’est pas Bambi qu’il fallait t’appeler, c’est Sartre, » dégaina-t-elle, tout croc dehors, sans grande surprise.

Elle haussa ses épaules avec une lenteur exagérée et Léon en profita pour suivre avec curiosité la manière dont ses clavicules roulèrent sous le coton de son tee-shirt. Elle en faisait trop. Et parce qu’elle l’avait habituée à plus de réparties et de conviction, Léon s’autorisa un insolent sourire, sourcille arqué et yeux légèrement plissés dans sa direction, comme un enseignant cherchant à savoir s’il fallait ou non souligner l’effort. Ou pas. De toute façon, Sartre avait refusé le prix Nobel de la paix, alors il ne faisait pas vraiment honte à son nouveau titre.

« Crois le ou non, ne put-il donc s’empêcher de la provoquer, du bout de ses lèvres joueuses, mais Djenco n’était pas franchement branché philosophie.
- Ils avaient vidé les stocks de bienveillance mièvre à gerber quand ils t’ont pondu ou t’as perdu ça sur le tard ? » rempila-t-elle.

Pour toute réponse, Léon haussa insolemment ses épaules à son tour, parodiant ses défenses de pailles. Et puisque c’était plus fort que lui, à ce stade, il décida de répondre à sa question qu’il savait pourtant rhétorique.

«Chute de vélo. Bitume contre lobe frontal,  expliqua-t-il comme si elle aurait pu réellement s’inquiéter de sa santé. J’ai perdu. Mais j’avais sept ans, en même temps » précisa-t-il, avec cette expression longuement travaillée au cours de la dernière décennie.

Innocente extérieurement, victorieuse intérieurement. Celle où l’on avait envie de lui écraser la première chose à portée de main pile entre les deux yeux. Juste à l’endroit où son grand-frère avait appliqué de la glace, des années auparavant, avec cet air affreusement coupable de tous les malheurs de l’Univers de flanqué au visage. Ce même air que Léon redoutait – craignait, détestait, haïssait - d’avance de voir franchir la porte sous peu.
 
« T’es imbuvable comme mec,» livra-t-elle sa conclusion tout en continuant de l’affronter du regard, un sourire néanmoins de suspendu quelque part à la commissure de ses lèvres.

Quant à elle, elle avait exactement le regard que Léon lancerait probablement bientôt à Maxence lorsqu’il serait question d’inverser les rôles de chacun. Celui qui voulait dire Je t’emmerde, je suis capable de m’en sortir seul, en insistant sur chaque consonne et chaque voyelle. Alors, le plus jeune des Wargrave n’avait pas besoin qu’on lui enseigne la langue de l’évitement, que cette fille – Jordane – avait choisi comme dialecte de prédilection. Il en connaissait déjà l’argot, la ponctuation, les inflexions ainsi que les limites. Question d’expériences et de perspectives.

« Tu n’aimes vraiment pas que l’on s’inquiète pour toi, hein ? la décortiqua-t-il donc, enfoiré jusqu’au bout, ne récoltant qu’une main levée en guise de bouclier faiblard.

Et parce que le jour où une palissade de doigts serait capable de stopper son insolence n’était pas encore advenu, il poursuivit sa réflexion dans un murmure :

« Je serais curieux de savoir ce qui te terrifie le plus : d’être vulnérable devant témoin, ou bien que l’on ait envie de prendre soin de toi ? »

La sonnerie du téléphone eut le mérite de résonner comme un gong providentiel sonnant le glas de leurs échanges – de la diversion, plutôt, dans laquelle Léon s’était plongé corps et âme pour oublier celui qui recrachait probablement ses poumons quelque part dans le hall d’entrée du motel miteux. Dans son ventre, Léon eut l’impression que ses organes se solidifiaient d’un seul coup, menaçant de l’envoyer comme une enclume jusqu’au sol miteux, sans perspective de se remonter à la surface.

« J’crois que t’a de la visite, JP...» fit-elle, et Léon lui accorda au moins un sourire pour le surnom qu’elle venait de lui donner.

Pas qu’elle soit spécialement devenu hilarante, mais c’était toujours mieux que de se concentrer sur le début de sa phrase. Et puisqu’il n’avait pas la moindre envie de laisser son esprit divaguer vers ces prochaines retrouvailles, il se contenta de suivre chacun des gestes de la jeune femme, mécaniquement. La main qui se glissa dans son survêtement – la gauche, celle dont le pouce bleui par la luxation demandait grâce depuis des heures mais qu’elle malmenait sans en écouter les suppliques – récupéra le smartphone, le déverrouilla, puis le porta à l’une de ses oreilles. Et ce fut mécaniquement qu’il manqua se redresser pour la rattraper lorsqu’elle vacilla légèrement.

Fais chier.

« Vous êtes toujours là ? » Entendit-il sans mal à travers l’appareil.

En moins d’une demi-seconde, Léon eu l’impression d’avoir été ramené des années en arrière. Dans ses souvenirs, cependant, la voix de Maxence n’avait jamais été si désespérément proche de la rupture. Mais peut-être était-ce surtout la première fois qu’il l’entendait évoquer à voix haute sa plus grande crainte : celle de se retrouver tout seul. Alors il expira enfin l’air qu’il avait inconsciemment retenu en apnée, ravalant ses souvenirs - ceux d’un Maxence âgé de moins huit ans que l’on arrachait à leur famille - pour se concentrer sur celle qui reprenait subitement une contenance que lui peinait à conserver. Il avait tout un visage de distraction à cartographier, après tout. De quoi, peut-être, éviter de penser à son cœur qui frappait sa cage thoracique comme s’il souhaitait être le premier à fuir l’inexorable rencontre qui se rapprochait de secondes en secondes, comme une voiture que l’on aurait lancée à plein régime face à un mur de brique. Son regard remonta alors vers son visage qu’il observait en contre-plongée, toujours allongé sur le lit. Il s’attarda un instant sur la manière dont ses longs cils blonds caressaient ses hautes pommettes à chaque fois qu’elle clignait des yeux.

« Toujours, rassura-t-elle Maxence avec une familiarité que Léon nota malgré lui. Et puis, elle rajouta, comme allergique à la simple gentillesse – et il se garda de l’en blâmer : On s’est mis aux mandalas en t’attendant. »

Ce qui est mieux que lorsque l’on se mettait des mandales.

Ses longs cheveux gouttaient toujours sur la moquette délavée de leur chambre d’infortune. Elle allait attraper froid, en plus du reste ce qui était clairement hors propos. Mais il n’avait jamais été doué pour les distractions. Il imaginait Maxence, juste derrière le mur mal isolé de la chambre. Il se demanda si son frère avait changé. Et se reconcentra sur le tee-shirt de la fille, dont les pans collaient à ses flancs au fur et à mesure que l’eau  gouttait de sa tête.

« Elle n’existe pas la chambre 207, » entendit-il douter par dessus ses efforts d’oblitération.

Il n’y croyait pas. Évidemment. Toujours prompt à supposer que les autres ne voulaient pas de lui.  Léon inspira. Elle aurait pu se sécher les cheveux, donc. Expira. Elle allait attraper froid et mourrait probablement d’une pneumonie en plus du poumon perforé, de la rate en lambeaux  et de son os hyoïde en kit. Mais Maxence était là, alors la pneumonie pouvait probablement aller se faire foutre avec tout le reste de son corps en pièces détachées. Léon secoua la tête, redirigeant son esprit vers l’angle de sa mâchoire, suivant la courbure mandibulaire pour descendre inexorablement vers...

Non.
Pas par là non plus.
Fais chier.

« Ca c’est parce que t’es un sorcier mon biquet. Et que j’suis pas intégralement suicidaire…, » fit-elle en sa direction.

Cela, au moins, eut le mérite de le faire réagir et lui tirer une moue peu convaincue. Là n’était pas la question. Rendre sa planque indétectable ne faisait pas d’elle quelqu’un souhaitant survivre, cela faisait simplement d’elle quelqu’un qui n’avait confiance en personne, même une fois à l’agonie. Les chats se cachaient bien pour mourir, après tout. Alors, il articula en sa direction, distinctement pour qu’elle ne réussisse à lire sur ses lèvres, ravie de pouvoir reprendre consistance dans la reprise de leurs affrontements silencieux.

Menteuse.

« T’es là ? » s’assura-t-elle et lorsque Maxence confirma, Léon s’accrocha à sa contemplation, comme l’on s’arrimait à une bouée.

Et il ne la lâchait toujours pas du regard lorsqu’elle lui promit d’ouvrir. Ni quand elle raccrocha et rangea son téléphone dans la poche de son jean. Pas plus lorsqu’elle ficha de nouveaux ses iris glacées dans les siennes.

« Prêt ? » lui demanda-t-elle, visiblement maîtresse d'elle même présent.

Et Léon eut sincèrement envie de rire à toute l’ironie de la situation : à ce contrôle qu’elle reprenait et qu’il lui cédait sans livrer bataille, à son sourire retrouvé et au sien qui s’effaçait et à sa fausse confiance alors que lui était à deux doigts de trembler. Peut-être qu’en d’autres circonstances, il y aurait eu beaucoup à dire sur ce jeu qui s’était installé sans qu’ils n’en établissent pourtant les règles. Peut-être qu’ils échangeaient simplement leurs places au bord du précipice, dans une étrange chorégraphie. Et peut-être que métaphoriquement parlant, Léon rêvait de passer ses mains autour de ses hanches et de leur imposer une rotation, pour regagner la sécurité illusoire au bord de la falaise et la laisser égoïstement du côté du vide.

« Et toi... » lui retourna-t-il alors la question d’une voix douce, un brin vacillante.

Et parce qu’elle était restée au bord du lit, ses tibias frôlant ses  genoux, Léon se retrouva donc collé à son visage lorsqu’il se redressa. Il marqua un arrêt, affrontant son regard. Soigneusement. Dans l’arène de Djenco, il était passé à côté de la couleur hypnotisante de ses iris. Lorsqu’il avait manqué l’étrangler, il avait constaté deux orbes d’un bleu d’une pâleur rarement égalée. Mais là, tout de suite, il n’y voyait qu’une lueur bien difficile à interpréter, rendue confuse par son sourire en tranche de melon et cette fausse assurance qu’elle avait enfilé comme une seconde peau à l’instant où elle avait dû décrocher son téléphone. Comme dans le monte-charge, il était de nouveau convaincu d’avoir viser juste : quelques parts dans leurs enfers respectifs, ils avaient parcouru les mêmes routes, pavées des mêmes incertitudes. Mais peut être pas pavées des mêmes remords ni erreurs. Ses yeux glissèrent vers son cou, comme des aimants attirés par le métal. Les différentes forces de pressions étiraient déjà leur morbide palette en déclinaisons de jaune et noirs, jouxtant le trajet de sa jugulaire. Et au centre, l’empreinte laissée par Marckles, immanquable, tant et si bien que l’on avait encore l’impression que des mains épousaient sa peau laiteuse. A certains endroits,  on pouvait même deviner la lutte contre l’asphyxie à la manière dont les ongles lui avait écorché l’épiderme.

« … tu l’étais ? » questionna-t-il humblement, son souffle roulant contre ses joues, entre milles autres regrets qui restèrent bloquer à l’orée de ses lèvres.

( aloha )
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Léon Wargrave
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Léon Wargrave
Dim 24 Mar 2024 - 9:25


 10 mars 2017

La haine, c’est parfois tout ce qu’il reste. La seule raison d’accepter de bouffer le parquet, trop certaine de se relever après. De frapper, un jour, profondément. Elle m’a portée quand j’avais plus la force d’avancer. Cette rage, qui ne s’exprime d’ordinaire qu’au travers des sourires. En coin ou affirmés, cyniques ou joyeux, mauvais et bravaches. Ceux qu’il me balance à la gueule, qui se répondent entre nous. Tous crocs dehors ? Non. L’hypocrisie, oui. Je joue d’ironie. Tente de raccrocher mon propre air détaché, de ne pas laisser filer le masque pourtant trop bien vissé sur mes traits d’ordinaire. Mais faut croire qu’à force de ne plus être tout à fait la Siem des rues, mais la Jordane qui apprend à s’ouvrir, j’en deviens plus malléable. Et c’est très exactement parce qu’il connaît les codes qu’il me désarçonne, provoque et sourit alors qu’il est clair que je m’effrite face à ses accusations…
De quoi me rappeler à l’ordre.
« Crois le ou non.. mais Djenco n’était pas franchement branché philosophie.”
Le résultat est là : j’me raccroche aux branches et hausse des sourcils, cinglante.
- Sans blague… ‘Pas son fort, encore moins en privé qu’en public.

J’m’entends. J’entends le timbre de gravier de ma voix, la manière dont elle craquelle sous mes lèvres et j’ai conscience que l’état de ma trachée n’en est pas la seule raison.
Je suinte la peur.

Alors je rempile. Tente d’ignorer la violence des pronostics et l’impression que mon corps part en miettes. Il y a des situations dans lesquelles on peut lâcher. D’autres où c’est impossible. Acculée, je m’agace, contre lui, contre son frère, contre cette putain de famille dans laquelle j’ai pourtant rien à faire.

«Chute de vélo. Bitume contre lobe frontal, J’ai perdu. Mais j’avais sept ans, en même temps »

Ça c’est ma réplique, tocard.
Une réplique qui me fait lever les yeux au ciel mais qui, au travers de la colère, a le don de m’amuser.
J’avorte les coups, renonce. Elle m’emmerde cette colère. Parce qu’elle est véridique.
Et parce qu’elle est véridique, je ne m’autorise pas à l’exprimer.

Championne du silence, donc. Contrairement à la langue de vipère qui me fait face et que la situation amuse manifestement beaucoup.

« Tu n’aimes vraiment pas que l’on s’inquiète pour toi, hein ?

Pourquoi ? Pourquoi tu fais ça ? Ça t’éclate à ce point de souligner ce qui merde ? T’as que cette option pour détourner l’attention ? Me faire mal ?
Ça vibre, dans ma poche, me donnant l’occasion rêvée pour ne répondre à cette affirmation que par un lever d’yeux au ciel de qualité or. Je lève une main vers lui, espère le couper dans son analyse, mais quand je plonge la main dans ma poche pour en sortir le téléphone, il rempile.

« Je serais curieux de savoir ce qui te terrifie le plus : d’être vulnérable devant témoin, ou bien que l’on ait envie de prendre soin de toi ? »
D’y croire.

Mais je ne dis rien. L’appel est passé des vibrations providentielles à la sonnerie ex machina. Là encore, c’est l’envie de frapper qui emporte les pensées.
Sensation d’être à poil sous ses mots.
C’est cruel : je me rassure de voir son visage se figer un instant. La voix de Maxence retenti dans la chambre miteuse et suffit - je n’en doute pas - à rebattre les cartes de nos valses à l’orée du précipice. Un instant, je me désintéresse de lui, puis en reviens à son regard fixe, bloqué. Mes sourcils se froncent, je lui adresse un claquement de doigts - main droite - et la conversation s’engage. Maxence rame et me confirme par ses errances que mes sorts marchent comme ils se le doivent. Quant à Léon, ses yeux rejoignent mes hanches, butent, remontent, butent d’autant plus. Qu’est-ce qu’il fout ce con ?

« Ca c’est parce que t’es un sorcier mon biquet. Et que j’suis pas intégralement suicidaire…, »

Cette fois, il tique et relève vers moi une moue peu convaincue. La sève de son regard remonte dans le mien, moqueur. Va chier.
Comment peut-il seulement tenir cette posture ? Il doit avoir à minima une côte fêlée. Les barres de viande séchées suffisent-elles à limiter à ce point son accès à la douleur ? L’idée me glace, pour ce qu’elle peut dire de mon état.
Mais c’est un fragment de colère qui me rattrape au vol quand il articule “Liar” sans prononcer un son. Pour toute réponse je m’assure que Maxence soit dans le couloir et balance à Léon un majeur tendu, à moitié violet de ses mésaventures du soir.
La main retombe comme tombent les instructions pour le toubib.
Vient le moment de bascule, celui que contient le simple “bip” d’un téléphone qu’on raccroche. Quand je range l’appareil, Léon n’a pas bougé son regard. Planté sur moi. Bien trop fixe. Dérangeant même. D’une contemplation évasive. Le genre d’attention qu’on donne à son téléphone quand on scrolle après une mauvaise journée. Ça ou l’attirance à la mode d’Alec. Toujours après une mauvaise journée, à chercher la prochaine destination pour quitter sa propre vie.

J’ai retrouvé mon calme. La maîtrise, plus exactement. Pas pour autant que j’accepte ce qui vient. Mais sa cruauté s’est tue. Plus Maxence approche, moins il parle. Moins il rit. Une forme d’amusement passe pourtant dans les iris bruns. Tordue. Boueuse. Et puisqu’il ne décolle pas des miens, je m’y laisse m’embourber.

« Et toi... » Quelque chose d’étonnant dans cette voix. Un flottement qui n’était pas là un instant plus tôt et auquel je ne répond que d’un regard froid. Brut. L’indocilité qui refuse de reculer quand il se redresse et achève son geste bien trop près. Comme si ni l’un ni l’autre n’acceptions de lâcher du terrain.
Trop près, donc. Et comme sur le toit, les regards s’affrontent puis se mêlent. Elle confine à l’intimité, cette proximité. Puis tes yeux me lâchent, ton souffle roule sur ma peau et suit le chemin de ton attention morbide. La joue, la mâchoire, la clavicule et l’orée du cou. Chez moi, c’est un frisson qui gagne la bataille.
Et quand il remonte le regard, quand l’ambre et le givre se rencontrent de nouveau, l’intimité a pris d’autres couleurs. Il a une tension que je connais, sous les muscles de ses joues, dans la légère pression de ses paupières, dans le pincement de ses lèvres.
« … tu l’étais ? » De nouveau, son souffle roule sur ma peau.
Quoi ? Prête à y passer ?
Sous tes doigts ou ceux de l’autre salopard ?
Ou prête à faire face à mes proches ?

Un instant, le silence emporte la bataille. Il n’y a pas de fuite, dans le contact mutique des regards qui se mélangent. Je sais qu’il contemple la Siem des rues. Celle qui se réveille un peu aujourd’hui, qui trébuche. Qui ne devrait simplement plus exister depuis que j’ai décidé de prendre le large. Mais tu la vois. Elle existe dans l’entre-deux de ces corps trop proches. Dans l’air qui s’y réchauffe d’un rien, les odeurs de savons et de shampooing. Dans cet éclat raillé qui passe dans nos prunelles.

- Jamais. Et l’aveu n’est accordé que dans un souffle.

- Topic Fini -
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Jordane Suzie Brooks
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