Little birl - OS - Argentine

Les clapotis de l’eau percutent la planche et font tanguer son corps. Bras en arrière, ses mains séchées par le soleil se crispent légèrement à sentir l’eau les rencontrer de nouveau. Entre ses cuisses, sa fille s’étend et accroche le maillot de bain. Elle tire dessus quand un jet d’eau atteint sa mère quelque part dans les environs de la gorge.

- T’es tellement ailleurs que l’temps que t’amerrisse, ta fille t’aura foutue à poil…
Un petit sourire passe sur les lèvres de la jeune femme.
- T’es pas censé avoir une boutique à gérer toi ? Stalker…

Il s’inquiète, bien sûr. Ils s’inquiètent tous, les uns pour les autres.
En ouvrant les yeux, Sovahnn découvre un Takuma aux cheveux plaqués en arrière, une main posée sur la planche large sur laquelle elle repose. Paddle. Argentine.
Le matin même, Sovahnn lançait l’un des jouets de Liya, une fusée au bec collant, sur une mappemonde. Et les voilà. Neuf heures plus tard, transportées au portoloin par Takuma, puis marche, bus, musique dans les oreilles et petits pots dans le sac. Inspiration, Enzo. Besoin de couper le cerveau, d’aller ailleurs, de respirer.

- Pardon mais t’as des mèches roses et des paillettes sur la tronche, c’est normal ?

Ok, pas le seul besoin de la semaine. La veille, Sovahnn sautait dans une fosse remplie d’inconnus. De quoi vibrer et pulser au rythme de la musique. Aujourd’hui, elle sourit au centre d’un lac calme que les touristes n’ont pas encore rejoint. Trop tôt pour eux. Trop froid. Mais elle sourit à la face du monde. Elle érige des dingues aux mauvaises pensées. Elle noie les larmes. Elle refuse. Impose. Fait barrage.

- T’as manqué un concert de fou…
- Mais invite nous aussi là !

Non. Il le sait, l’accepte. Enzo s’isole, ils font tous ça par moment. Mais pas aujourd’hui. Pas elle du moins. Ça n’était rien d’autre qu’une pulsion de vie, un coup de tête, l’envie de plonger dans l’eau, de voir le monde, de poser le regard sur de nouvelles contrées. Là où Supérieurs et Inquisiteurs n’existent pas. Là où le monde tourne peut être encore rond. Là où les clapotis et les rires de sa fille remplacent les coups de sang, la culpabilité et … et l’envie de l’appeler. Là où elle pourra ne plus penser à rien et ravaler l’envie de suivre son meilleur ami sur les routes. C’est pas sa place, elle le sait, mais elle aurait aimé.

Pas besoin de faire semblant. Le quotidien n’est pas le réponse, ni aujourd’hui, ni hier, ni dans deux mois. Et quand Liya retombe en arrière, Sovahnn sursaute et chope sa fille au vol.

- Il en est où ?
- Pas loin de Monterey, il s’éloigne. Ya des baleines dans le coin à priori.. Un sourire passe sur les deux paires de lèvres et se répand à Liya, par ricochet. C’est leur petit rituel, chaque jour, de voir les avancées d’Enzo le long des côtes californiennes. Riley s’est pointée,  elle demande si c’est toujours bon pour l’entraînement demain...
- Taku ? Calme. Je vais bien. T’as pas besoin de traverser la moitié du globe pour veiller sur moi. Ça fait un moment que j’ai répondu à son texto ; oui, c’est évidemment toujours bon. Et oui, ça l’est toujours pour le ciné avec Tim le soir. Je sombre pas; promis. Pourtant quand il lui prend la main, de la sienne aussi salée que trempée, elle a la gorge qui se serre mais n’en montre rien.
Will doit passer en fin de semaine. La semaine suivante, elle a promis de passer voir Isma. C’est sans compter les appels en absence, signe qu’elle était censée reprendre le boulot aujourd’hui, mais qu’elle fait lettre morte. C’est sans compter les inscriptions auxquelles elle envisage de tourner le dos.
Les remises en question. A chaque tempête c’est la même chose.

- Tu sais, tout plaquer et se plonger dans le déni c’est un peu mon truc par moment..
- J’suis pas dans le déni. Je suis sur un paddle, en argentine, ma gamine va avoir faim et je vais la nourrir sur la plage. Tout va bien… Un souffle amusé passe. Ok, comme ça, ça sonne vachement comme du déni.
- Un peu ouais..! Le rire s’impose mais il faut que Liya frappe l’eau aux bordures de la planche, éclaboussant Takuma au passage, pour qu’il sonne juste. Tu veux être seule ? Le sérieux, aux entournures.
- Nan ça va. Pas spécialement je veux dire. J’veux être… loin. C’est tout. Et me regarde pas comme ça. Non je l’ai pas rappelé.
- C’était pas l’idée…. C’est juste que j’ai ramené quelqu’un dans ma besace. Du coup ta réponse pouvait foutre mon plan en l’air..
- Hein ?! Qui ça ?!
- Ya Aileen sur la route. Surprise du jour : elle était pas loin. Et Dakota rentre sur Londres deux semaines en mars.

Un sourire ride l’eau.

- ‘Tain vous êtes chiants…

Et la mère attrape sa fille pour la prendre dans ses bras, en la sentant sur le point de sauter. L’envie d’être seule s’oppose à celle d’être entourée, c’est vrai, incapable de savoir ce qu’elle veut ou ce dont elle a besoin.

De la suite, Sovahnn retiendra le barbecue sur la côte, les retrouvailles avec celle qui a été bien longtemps l’un des piliers de ses relations amicales. Le resto en trio, qui fait remonter des souvenirs du Poudlard des débuts. Bons et mauvais. Mais on se centre sur le bon. Le mauvais attendra plus tard. Et puis le retour. Les coups avec Riley. En vol d’abord, dans un bar ensuite. Les fou-rires. La nuit blanche. Le ciné. Les crêpes au réveil. L’après midi chez les Dissemba. Les bras de sa belle mère, sans réponses ni contexte.

La nuit suivante. Celle où les fantômes sont revenus.

L’argentine, le jour qui suit. Seule. Le lac. Le calme. Puis le brouhaha des corps qui se déhanchent et de la musique qui prend aux tripes. Les cheveux qui fouettent l’air, ce mélange acre et sucré qui lui emplis les poumons, l’alcool, un peu. La nuit qui blanchi, aux loin, entre les bâtiments d’une ville côtière. Un pied dans le vide, au bas du muret de briques. Les cliquetis d’une boutique qu’on ouvre.

L’encre sous la peau, sur l’autre bras.