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[Île de la Réunion] Aux étoiles qui pleurent sur nos tombes | Jordane

 :: Autour du monde :: Autres Continents
Jeu 17 Aoû 2023 - 12:06

Aux étoiles qui pleurent sur nos tombes


🙤 Hauts de Cilaos, Île de la Réunion
🙤 21 janvier 2017

 ft. @Jordane Suzie Brooks
— Ou va sava an o zordi ?  

André pose sa tuile à la fin de sa question, comme si de rien n’était - un neuf de cercle. Rien d’intéressant pour Ajay, qui se contente de boire une gorgée de dodo. Marie pioche et défausse un dragon blanc ; toujours rien d’intéressant.

— Sa minm.  

Ajay pioche à son tour, pose sa fleur avec le ‟huà” caractéristique, puis prend une nouvelle tuile. Il hésite un instant, sonde la défausse de ses adversaires par-dessus sa barquette. Doit-il poursuivre son petit serpentin ? Il n’en est pas certain, mais il ne prétend pas non plus être un joueur expert de mahjong. Il a appris sur le tas des années auparavant, dans un café qui ne paie pas de mine dans les rues de Beijing, et il a renoué avec ce jeu il y a quelques dizaines de jours, peu après son arrivée sur l’île. André l’a tout de suite poussé à jouer, bien content de dénicher un nouveau joueur - et arrosant souvent leurs parties tardives le soir avec son rhum arrangé goyavier maison sorti du congélateur.

Finalement, il défausse un huit de bambou, et le ‟hu” qui claque en retour de la part de Maurice le fait pester. André le chambre, tandis que Maurice expose son jeu et compte les points. Un triple chow des plus basiques, mais efficace quand il s’agit de terminer le tour avant ses adversaires.

— M’i sava, bonne zourné zot toute.  

Marie les salue avec un sourire, récupère le sac lourd de manioc que Maurice lui a apporté plus tôt, puis s’éloigne de la case d’André.

Une journée comme une autre à Cilaos, où ils profitent de la terrasse à présent que la chaleur retombe. La météo n’annonce pas de nouvelles pluies, mais qui sait pour combien de temps ? Janvier n’est pas fini, pas plus que la saison des pluies.

Finalement, Maurice imite Marie, et il ne reste plus qu’André à la table de mahjong. Il range les tuiles avec son sourire édenté, la main tremblante par l’âge. Il a accueilli Ajay en sa case comme son propre fils, sans même lui demander quoi que ce soit en retour - baragouiner quelques mots de créole à son arrivée a bien aidé pour casser l’image de l’étranger, et pour coller à sa nouvelle identité.

Dans le silence, Ajay termine sa dodo. Ces instants tranquilles lui paraissent parfois irréels, tout droit issus d’un rêve interdit. Quand il pense que, quelques semaines plus tôt, il se trouvait encore à Londres, dans le froid hivernal et morne de la capitale britannique. A présent, il se prélasse sous les cocotiers - presque un air de Bahamas.

Le soupir au bord des lèvres, il délaisse la chaise et aide André à ranger ; s’occuper les mains plutôt que de sombrer dans les pensées lugubres. Voilà son mot d’ordre depuis son arrivée sur l’île. Ne pas penser. Ne pas réfléchir. Oublier tout le reste, se laisser vivre quelques temps comme si de rien n’était. Se fonde dans la masse, comme si Aldric n’avait jamais existé, comme si, au plus profond de lui, il n’était pas non plus Bryn.

Et pourtant, malgré ses efforts, le téléphone dont il a confié le numéro à Alec ne quitte jamais sa poche. Il ne s’est jamais débarrassé de ce prépayé alors qu’il aurait dû. Il aurait dû rayer le nom et le visage de ce gamin de sa mémoire, avec la ferme intention de ne jamais remettre les pieds en Angleterre. Rien de bon ne l’attend là-bas. Il le sait. Fauvette l’a retrouvé sans peine, alors combien de temps lui restait-il avant que Rossignol ne laisse apercevoir son plumage dans les rues de Londres ? Quelques jours ? Quelques heures ?

Cette seule pensée crispe sa poitrine. Quoi qu’il fasse, ce ne sera jamais assez. Le spectre de Rossignol hante encore et toujours ses pensées, ses journées et ses nuits. Quoi qu’il fasse, il ne parvient jamais à se défaire de son emprise macabre, prisonnier de son influence jusqu’au bout du monde.

La main d’André sur son épaule le fait sursauter, et il lit sans peine la question silencieuse dans ses yeux. André n’est pas très causant. Il se contente de l’essentiel, dans un créole à couper au couteau. Et s’il voit les fantômes qui dansent dans les yeux d’Ajay, jamais ne l’interroge-t-il à ce sujet. Il se contente de lui proposer de boire un godet en sa compagnie, ou d’aller se promener sous le ciel étoilé de Cilaos.

Mais pas ce soir. Ajay a déjà d’autres plans, des plans auxquels il ne compte déroger en aucun cas. Alors il esquisse un sourire qui se veut rassurant, même si André n’est pas dupe, il négocie aussi de prendre un peu de rhum arrangé - André lui donne la bouteille, parce qu’il sait. Et il n’y a pas besoin de mots entre eux.

Un sac sur le dos, Ajay quitte la case de son bienfaiteur et s’aventure dans les rues de Cilaos. Il salue quelques visages qu’il reconnaît, certains l’invitent même à boire un verre avec eux - il refuse poliment à chaque fois. Ses pas l’amènent ailleurs en cette soirée, et même pour la nuit ; il compte dormir à la belle étoile.

Il s’arrête toutefois à la paillotte de Thérèse, sur le bord de la route - elle cuisine le meilleur cabri massalé des environs. Ils échangent quelques mots, et il lui achète deux portions de cabri. Il range les barquettes dans son sac, puis s’éloigne sans tarder.

Ses pas l’éloignent de la ville tandis qu’il s’enfonce dans la cambrousse. Il se fraie un chemin entre les arbustes, ne rechigne pas face au sol escarpé. La magie ne ponctue pas sa randonnée nocturne.

Il arrive à destination après plusieurs heures de marche, la nuit tombée depuis belle lurette sur le cirque de Cilaos. Pas un nuage ne couvre le ciel étoilé, et le panorama alentour est à couper le souffle. Mais surtout, Ajay profite de cette solitude, sans personne pour le déranger ; les touristes ne se risquent pas à randonner la nuit.

Il s’installe à quelques pas du bord du précipice, et sort quelques affaires de son sac. Deux petits verres, la bouteille de rhum arrangé d’André, sa barquette de cabri, et de l’encens. Ajay l’allume entre ses doigts, sert les godets, et plante sa fourchette dans son repas. Les épices se mêlent aux odeurs boisées.

Il lève son verre face au vide, avec un nom dans le cœur de ses pensées. Dante.

Bryn n’a jamais pu l’enterrer. Il a appris sa mort des semaines plus tard, sans avoir la possibilité d’honorer sa mémoire à cause de l’ombre de Rossignol.

Alors Ajay se rattrape aujourd’hui, et commémore ce jour particulier.

Ce jour où il n’a pas pu être là pour Dante, pour ce vieux libraire qui a tant fait pour lui.

Le jour de sa mort.
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Ajay « Aldric » Tivari
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Ajay « Aldric » Tivari
Lun 28 Aoû 2023 - 12:06


  21 Janvier  2017


J’ai arrêté de pleurer. Arrêté de fixer le plafond. Arrêté d’écouter des musiques en boucle comme une ado dépressive. C’est ridicule et ça sert à rien. Je le sais. Pourtant d’une certaine manière, ça n’a pas fait de mal. A défoncer des gueules sur la Play, à zoner sur le canapé d’un ami, à en voir un autre… ouais, ça va mieux. Mais j’me sens toujours vide, en vrac, coupable et idiote.
Un coup de vent fait frémir la végétation basse et soulève la poussière. Dire qu’il y a quelques heures, j’avais le cul posé dans le sable et le regard sur l’océan indien. Il y a quelques années, je m’étais fait Mafate. Le Piton des Neiges en visuel et en route vers le site des trois Cascades. J’sais même plus pourquoi j’avais attiré ici. Pas moyen que j’y aille aujourd’hui. L’évidence est là, bien sûr. C’est sur l’île voisine que j’ai amené Kezabel le jour où, après la mort de Zach, elle s’est pointée avec ses longues jambes, ce short que j’avais envie de lui arracher et une phrase entre les lèvres : j’ai qu’une envie, c’est d’me barrer. Alors je l’ai emportée. J’ui ai fait traverser la planète pour me perdre contre sa peau en face d’une cascade, perdue au Nord de Belle Rive.
Pas d’île Maurice aujourd’hui. Pas de cascade. Seulement la poussière et la sueur, l’envie d’avancer, qu’importe la destination. D’être simplement seule avec mes pensées. De marcher, jusqu’à ce que toute forme de réflexion se disloque sous l’acide de mes muscles.
Je veux la chaleur.
Je veux la roche.
Je veux la végétation sèche - épineuse - des hauteurs.

Pourtant plus je monte, moins la température se fait écrasante. Elle qui m’emplit pourtant les poumons à chaque bouffée comme on respirerait un liquide épais, boueux. J’ai pas ce souvenir à l’époque. Faut dire que j’avais sans doute pas fait Londres - 4°C, immobile pendant deux semaines VS Cilaos - 28°C, 5h de rando.
L’avant bras pour barrer mon front, quelques gorgées d’eau, l’élastique à resserrer sur mon crâne et je reprends.

Il y a un moment où j’ai croisé des gens. Puis comme la chaleur, la présence humaine s’est envolée. Les oiseaux du Paradis ont laissé place à quelques petits buissons secs, la roche sous mes semelles et les branches tendues vers le vide.
J’crois que j’ai toujours fait ça. Avancer. Monter. Me perdre. Puis contempler le monde vu d’en haut. Là où les emmerdes font moins mal, où l’absence a moins de sens et le lendemain effraie moins. C’est l’avantage de la Magie, je sais que je me démerderais en cas de pépin. J’l’ai toujours fait, et il n’y a jamais eu personne derrière moi.
Alors quand la nuit tombe, sur le retour, je ne m’inquiète pas plus que ça. C’est con. On les comptent pas les crétins qui chutent ou se blessent dans ce genre d’excursions. Ça a des airs de vacances, d’avancer comme ça. Au bout d’un moment, le réel n’a plus vraiment corps. Il n’y a plus que les mouvements de l’organisme. C’est ça que je cherche. Cette transe et l’apaisement qu’elle engendre.
La fin de journée déverse son ambre le long des parois abruptes du cirque de Cilaos. L’or des cieux réchauffe la pierre volcanique. Puis les heures passent et les couleurs deviennent grisailles et ne reste qu’un monde délavé où les contrastes disparaissent bientôt. C’est le moment où il est difficile de décrire la pente d’un sentier autrement que dans la sensation qu’il nous reste dans les muscles. Je l’aime bien ce moment, comme j’aime bien le reste. Quand il n’y a plus que les astres, l’encre du ciel et le sentier qu’on ne percevrait pas si le corps ne s’habituait pas à la faible luminosité. Téléphone, baguette. Pour avancer si vraiment la lune ne suffit pas, j’ai de quoi faire. La possibilité de transplaner ne m’effleure pas sur les heures qui suivent. Je m’arrête quelques fois, reprends toujours.
De nuit, je ne m’attends à croiser personne, rien d’étonnant donc à ce que je m’arrête quand de la terre et de la roche l’odeur devient celle boisée de la fumée. Pas de Zamal mais d’abord ce à quoi ça me fait penser. Le volcan ? Nan ; c’est de l’encens. Juste de l’encens.

Toutes lumières éteintes, il me faut encore quelques minutes pour croiser au détour du chemin la faible lueur de la braise qui grignote petit à petit le bâtonnet d’encens. A ses côtés, un homme assis, deux godets à sa droite, une bouteille de rhum, quelques affaires posées en arrière.
Ça pue le deuil.

Alors je passe tout droit. Je peux être chiante, Je peux même aimer emmerder le monde, mais ya des trucs que je respecte.

“Pardon. Bonne nuit.” Français natif, ça m’est presque bizarre maintenant. En tout cas j’avance, passe derrière lui et rejoint la suite du sentier. Et puis je sais pas pourquoi, je me retourne. Il a bougé peut être, m’a répondu, s’est étonné d’une autre présence en ces lieux si tard. Qu’importe : j’ai jeté un œil, plus par réflexe que par curiosité.
Et j’ai figé.

Ce profil, cet air bourru, ces mèches brunes en vrac et sa barbe épaisse… Deuil ou pas deuil, il y a des fantômes par ici.
Une hésitation. Impossible.. J’avance, mon regard avec moi porté droit devant… mais il y retourne, presque sans l’avoir décidé. Vraiment, j’aurais juré… Mais nan, j’avance. C’est ridicule. Déjà parce que le boug’ est mort - ou du moins le laisse entendre, chose que je ne crois pas, mais c’est qu’il a quitté la ville - et ensuite parce que même si ce n’est pas le cas : quelle serait la probabilité de se croiser ici ? Pas à Maurice ; non, Ici. Une fois la nuit tombée, sur un sentier de rando que j’ai décidé de faire le matin même, quand j’étais encore à Londres, plantée dans le canapé d’un ami qui n’est pas au courant et dans une safe place que la Garde ne connaît pas. Alors même que Dorofei et les autres ne savent pas où je suis. Ça na pas de sens. Et pourtant… pourtant mon regard y retourne. Et vraiment… vraiment il lui ressemble. En même temps tout le monde se ressemble par une luminosité pareille. Mais d’un autre côté…
Ouais, mais si c’est pas lui, t’imagines la violence pour le gars ? Le type pleure ses morts et il y a une connasse pour le fixer du bout des yeux. Allez, nan, ça va bien, t’arrêtes tes conneries et t’avance !

J’avance pas, pourtant. C’est lui. C’est certain. C’est lui. Et ça n’a aucun foutu putain de sens.
Un type hanté par un sacré paquet de morts, voilà ce que je pense.
C’est peut être que je manque de combativité. Que j’en ai trop, moi aussi, des morts, des deuils, des casseroles et du vide à traîner avec moi. Mais même si je sais… j’ai pas envie de faire ça. Ya des trucs qu’on n’interrompt pas. Même quand les morts marchent et que les absents bruissent. Alors après un instant à le regarder, je me détourne ; et j’avance sans un mot.

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Jordane Suzie Brooks
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Lun 28 Aoû 2023 - 13:16

Aux étoiles qui pleurent sur nos tombes


🙤 Hauts de Cilaos, Île de la Réunion
🙤 21 janvier 2017

 ft. @Jordane Suzie Brooks
Rien qu’un tête-à-tête avec l’obscurité.

Personne pour interrompre cet instant précieux ; rien que le calme et les bruits de la nature. Le vent qui souffle dans les bois. Un hululement de chouette. Des cailloux qui dévalent la pente après le passage d’un animal nocturne. Puis, droit devant, la vue de Cilaos et de ses alentours, sous un ciel étoilé dépourvu du moindre nuage. Un paysage de carte postale. Un de ces paysages que Dante aurait bien aimé découvrir, s’il en avait eu l’occasion. Derrière le comptoir de sa librairie, il gardait à l’abri des regards un livre épais à la tranche parsemée de post-it - un atlas du monde. Il marquait les lieux qu’il avait déjà visités, ajoutait même des photos, puis annotaient ceux qu’il désirait visiter prochainement. Il prévoyait d’ailleurs de partir au Pérou, avant que la librairie ne parte en flammes.

L’atlas aussi est parti en fumée.

— Le Pérou, c’était pas si mal.

Son maori a rouillé. Depuis quand ne l’a-t-il pas pratiqué ? Des années ? Une bonne décennie, même. Et avant de s’embarquer dans cette randonnée nocturne, Ajay ne s’est pas non plus attendu à renouer avec la langue de Bryn, si lointaine, mais emplie de symbolique. Dante lui parlait souvent en maori dans sa librairie, comme un code secret qui n’appartenait qu’à eux et qui empêchait les quelques touristes de les comprendre.

Il lorgne un instant sur le godet de rhum qu’il a rempli une deuxième fois, mais avale plutôt une fourchette de cabri massalé, puis deux.

— T’aurais aimé, j’en suis sûr.

Ajay ne sait plus quand il a mis les pieds au Pérou, frappé d’une nostalgie qu’il aurait préféré éviter. Six, sept ans plus tôt ? Il n’est pas resté longtemps. L’affaire d’une semaine ou deux, le temps de se fondre dans la masse, de changer de ville trois fois, et de se perdre dans la campagne. Il n’a pas retenu grand chose du Pérou, mais il garde quelques souvenirs de ses paysages. Dante y serait resté plusieurs semaines, et à son retour, il aurait pesté, regrettant de pas avoir profité plus longtemps. Puis, après avoir remis le nez dans ses affaires de la librairie, il aurait planifié son voyage suivant. Le Cambodge, peut-être ? Il parlait souvent du Cambodge avec Bryn.

Du bruit dans la broussaille derrière lui interrompt ses souvenirs. Il vérifie instinctivement la présence de ses armes, s’assure aussi que sa baguette n’est pas visible, puis il attend. Il fait mine d’être concentré sur le paysage, alors que tous ses muscles se tendent, prêts à réagir au quart de tour. Ce n’est sans doute qu’un touriste égaré, rien de bien grave, et pourtant, il ne peut s’empêcher d’être sur la défensive. Il n’a pas oublié les sacrifices qu’il a du faire à Londres pour assurer sa sécurité. Il ne peut rien laisser au hasard.

Puis une voix, féminine, le français natif qui coule de source, mais sans l’accent créole du coin. Dans d’autres circonstances, Ajay n’aurait pas relevé. Il aurait hoché la tête sans se retourner, aurait compté les pas pour s’assurer de l’éloignement de la personne, et aurait repris comme si de rien n’était. Mais dans la circonstance présente, il se retourne, parce qu’il connaît cette voix.

A croire que tous les fantômes ont décidé de sortir cette nuit.

Dans l’obscurité claire de la nuit, illuminée par les étoiles et la lune, Ajay la reconnaît sans peine. Elle a beau changer de couleur de cheveux à chaque fois qu’ils se croisent, elle ne change pas le reste de ses traits.

Il réprime un soupir, puis un juron. Quelle est la probabilité de la croiser sur cette île, dans les hauts de Cilaos, en pleine nuit, de surcroît ce jour-là ? Elle est infime, mais elle existe malgré tout. Il boit le godet cul sec ; il se serait passé d’une telle rencontre.

— Tu crois que je vais te laisser partir comme ça ?

Malgré les mots, le ton menaçant ne suit pas. Il n’est pas présent. Seule la lassitude l’est.

Quand il capte son regard, il lui fait signe.

— Pose tes fesses là.

A la place qu’il désigne, il pose à côté le second godet et l’autre barquette de cabri massalé. A quoi bon les garder pour un mort, de toute façon ? Ça ne lui servira pas à grand chose. Ajay a voulu marquer le coup de ce jour qui le hante depuis des années, mais il n’a pas l’impression que le procédé change quoi que ce soit en son for intérieur.

— T’as une sale gueule.

Sans maquillage, et avec ses ecchymoses et les brûlures, Siem fait peur à voir. Dans quoi la Garde l’a-t-elle encore entraînée ? Pour autant, Ajay ne pose pas de questions, pas plus qu’il ne mentionne la mort d’Aldric. Non, pas de questions, seulement deux âmes au milieu de nulle part, à boire un godet de rhum arrangé goyavier, encore bien frais du congélateur, sous le ciel étoilé.
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Ajay « Aldric » Tivari
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Ajay « Aldric » Tivari
Mar 29 Aoû 2023 - 21:56


  21 Janvier  2017


J’me barre. J’aurais pu l’envoyer chier, l’emmerder par principe ou simplement envisager de dégainer une arme. Estimer que s’il est là, c’est que je suis en danger. Frapper dans le dos. Balayer un risque de plus. J’pourrais disparaître là, maintenant. Il n’y aurait qu’Enzo à s’en surprendre. Pour les autres, je serais juste une ombre de moins à sillonner les rues. Celle qui a déjà fait le tour, qui lâche les autres, se construit une autre vie qu’elle balayera tout aussi vite. J’y pense, bien sûr. A me barrer autant qu’à la possibilité que ça ne soit pas un hasard. Mais je ne savais pas ce matin où j’irais, à moins de me tracer il n’y a pas moyen d’avoir anticipé ce que j’ignorais moi-même. Et puis, pourquoi agir ainsi ? Ça n’aurait juste aucun sens. D’ailleurs quitte à finir le job, autant me surprendre, moi. Genre quand je pissais dans les buissons en bord de cratère un peu plus tôt. Hop, ça dégage. Un beau cadavre pour dévaler la pente. Une touriste de plus qui ne tient pas à la vie.
Nan. C’est juste le hasard d’un mort qui rencontre une disparue. Deux êtres toujours à la croisée des chemins, à cheval entre plusieurs vies. Jamais bien stables. Jamais tout à fait eux.
Si j’me barre, c’est que je respecte la peine je suppose. Si j’me barre, c’est aussi que je fatigue.

— Tu crois que je vais te laisser partir comme ça ? Et lorsque je m’arrête à l’écoute de cette voix familière, c’est bien cette même fatigue que j’entends. Le talon sur la terre poussiéreuse, la pointe du pied encore levée, je stoppe, puis me retourne en silence. Il n’a pas bougé. Le regard droit devant. Sa voix de rocaille cogne dans le cirque et vibre dans mes os. Avare, elle est pourtant devenue familière.
Si j’avais juste tracé mon chemin sans rien dire, un instant plus tôt ; tu m’aurais reconnue ?
Pas une réponse de ma part. Seule la nuit et la distance pour lui répondre et lorsqu’il se retourne, j’ai l’impression que ce sont deux fantômes qui se font face. Des revenants d’une autre vie.
Un signe. Pas d’étonnement, ni d’un côté, ni de l’autre. J’l’ai jamais cru mort. C’est aussi con qu’ça.
— Pose tes fesses là.
T’as pas la voix du mec qui veut se débarrasser des témoins. T’as celle qui cogne sous mes côtes. Celle d’un type seul, fatigué, qui n’a jamais vraiment cessé de courir. Celle que j’entends toutes les nuits, quand le sommeil se refuse.
J’pourrais partir. Courir. Dévaler la pente et disparaître quelque par dans la pierre de lave. J’le rejoins. M’assoie. Vient un jour où t’en a marre de courir.
Un jour où tu partages un godet de rhum et une barquette de bouffe avec un mec qui t’a plantée, des années plus tôt, avant de servir à tes côtés face à ceux qui menacent ta liberté. Ma vie n’a pas de sens. Cette nuit n’en a pas plus. Mais je pose mon cul malgré tout. “Tu gâches une tentative mémorable d’être sympa.” Ya pas vraiment de sourire, pas d’air bravache non plus. Le grain de la lassitude n’est pas aussi présent que dans sa voix, mais il s’exprime malgré tout. J’ai pas envie d’me battre, c‘est tout. J’ai mal partout. J’suis fatiguée. J’ai pas envie.

— T’as une sale gueule.
“ Dixit le mec supposé être mort dans un incendie.”

Un coup d’œil sur mes bras souligne l’ironie de cette réflexion. Des deux, c’est moi qui semble m’être tapée une baise enflammée avec John Allerdyce. Pyro. X-men. Tu l’as ? Bref.

“J’ai pas eu une super semaine.” Je hausse les épaules, me contente de ça. J’ai pas eu une super année, surtout. Le regard braqué droit devant, je ramène une jambe sous la seconde, pliée contre mes côtes. Le panorama est noyée dans les ténèbres mais les étoiles dessinent les contours du cirque et absorbent un instant mes pensées. J’comprends qu’on vienne se remémorer quelqu’un ici. J’comprends le manque, surtout.
Un coup de menton vers le godet d’alcool et la barquette de bouffe. “Sûr ?” ça m’était pas destiné. Et cette personne ne viendra pas. Alors je n’attrape le verre qu’une fois la réponse obtenue et le porte à mes lèvres. Mais avant de le vider, moi aussi je trinque vers le vide. A ses pertes, aux miennes, j’sais pas trop. J’ai jamais été très croyante mais il y a quelque chose dans l’air qui fait que… c’est venu comme ça, c’est tout.
J’en vide le contenu et plante une fourchette dans la viande en sauce. L’idée que je puisse me planter et crever comme ça - empoisonnée - passe et disparaît. Parfois on marche à l’instinct ; c’est mon cas aujourd’hui. Et j’ai pas fait de vrai repas depuis un moment.

“J’t’appelle comment maintenant ?”

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Jordane Suzie Brooks
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Ven 22 Sep 2023 - 13:22

Aux étoiles qui pleurent sur nos tombes


🙤 Hauts de Cilaos, Île de la Réunion
🙤 21 janvier 2017

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Siem ne tergiverse pas. Ne pose pas non plus de questions stupides. Sans un mot, elle pose ses fesses à côté de lui, se permet un trait d’humour à moitié convainquant. Elle ne fuit pas. Ne s’emporte pas contre la mort d’Aldric dans un incendie. Ce qui est fait est fait, à quoi bon en débattre ? Ajay la remercie en son for intérieur ; il n’a pas les nerfs suffisant pour supporter un débat aussi stérile en cette nuit si particulière. Il tient au calme, à la tranquillité de l’instant, même s’il a invité ce chaton sauvage à ses côtés.

Mais au fond, ce surnom ne tient plus. Aldric l’appelait de la sorte. ‟Chaton sauvage”. Toute une bande de chatons qui traînait dans ses pattes, avec des motivations diverses, des objectifs différents. Mais Aldric n’est plus. Les chatons errent désormais par leurs propres moyens. Ajay ne connaît pas ces chatons - il ne viendrait pas non plus à l’idée de surnommer quelqu’un ‟chaton”, qu’importe l’adjectif accolé derrière.

— Aldric est mort dans un incendie.

Ce fait ne changera jamais. Aldric n’est qu’une identité parmi tant d’autres, à la durée de vie limitée. Au fond, il a toujours su qu’Aldric devrait tôt ou tard mourir, que son rêve de vivre plusieurs années dans la même ville était complètement fou. Il a simplement préféré se voiler la face, et il a failli en payer le prix fort - ce qu’il a déjà payé est déjà de trop.

Son regard glisse à nouveau sur Siem. Il arque un sourcil, mais ne pose aucune question. Il se doute bien que ces brûlures ont un quelconque rapport avec la Garde, mais il n’en est plus membre ; il se fiche bien de savoir ce que l’organisation fomente dans les ombres. Toutefois, il espère que la Garde ne conduira pas Siem à une fin précipitée. Cette femme a du potentiel, à condition qu’on lui laisse sa chance et qu’elle ne se laisse pas brider par ses supérieurs.

Il hoche la tête, puis plante sa fourchette dans sa barquette de cabri massalé. Les épices lui assaillent le nez, tandis qu’à côté de lui, Siem trinque au vide avant d’engloutir son godet. Un geste simple, presque anodin, mais lourd de sens. Elle comprend, d’une façon ou d’une autre, et respecte l’aspect solennel du moment. Elle non plus ne pose pas de questions, ne cherche pas à savoir. Le silence s’étire entre eux, et ils profitent du cadre paisible des hauts de Cilaos.

Après plusieurs bouchées de cabri - Thérèse le cuisine toujours aussi bien -, il consent à donner une réponse à Siem.

— Ajay.

Il pose sa fourchette, contemple un instant la jeune femme. A bien y repenser, il ne connaît pas non plus sa réelle identité. Deux mirages qui se croisent au fil du hasard, qui ne se connaissent pas dans le détail, ni même en surface, mais qui, étrangement, s’accordent un semblant de confiance.

— Et toi, toujours Siem ?

Ou a-t-elle un autre nom, qu’elle réserve à ceux qui vivent en dehors de la Garde ? Ajay n’en sait rien. Au fond, il ne connaît pas grand chose d’elle, de manière générale. Même après leur mission commune, il n’a pas pris la peine de se renseigner plus que nécessaire - et même maintenant, il n’en voit pas l’intérêt.
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Ajay « Aldric » Tivari
Jeu 28 Sep 2023 - 11:32


  21 Janvier  2017


— Aldric est mort dans un incendie.

Comme si ça n’était pas toi. C’est plus facile comme ça ? Ceux que t’as laissé te manquent-ils moins ? Les lieux que tu fréquentais, les émotions que t’as vécu, les peurs que t’as eu, les gens que t’as perdu ; tout ça, c’est moins réel si tu t’en détaches ?
Ça le serait moins si je cloisonnais ainsi ? Beck, Siem, Jo, Jordane. Joddie. J’empile les couches, je les mélange. Toi tu les classes.
Cold Case.

Le regard droit devant, je scrute les ombres mouvantes que roches et végétation tracent dans le gouffre qui nous fait face. J’ai ni réponses ni réflexions à partager, j’entends juste ses mots et les laisse couler.
Cet homme, qu’a-t-il pris de toi ? Et que survit-il de lui ?
J’ai pas souvenir du nom de celui que j’ai volé, il y a tant d’années. Mais ce n’était sans doute pas Aldric. Quelqu’un d’autre. Lui aussi est mort dans un incendie ? Et de lui, qu’as-tu emporté, à part le souvenir de celle que j’étais ?
On pourrait presque dire la même chose de moi. Je doute de traîner la même violence de casseroles, mais elles parcourent ma vie malgré tout et parfois, j’ai l’impression d’être un puzzle de mirages laissés ici et là. Diluée. Répandue aux quatre vents.
Un peu comme ces parts de toi que tu sembles balayer comme si elles t’étaient étrangères.

Un regard passe sur moi, j’le sens mais par fatigue, je ne cherche pas à y répondre ou le défier d’aucune manière. Je laisse faire. Ya des plaies sur ma peau et des craquelures dans mon regard. Alors j’regarde devant. Effet de perspectives, ça se voit peut être moins ainsi. Mais aucune question ne tombe, pas plus que je n’en pose. Pas plus qu’il n’en émerge quand je lève mon verre à ceux qui ne sont plus là et qui hantent les quelques brides de vies qu’on porte encore au réel.

Et puis rien.
On pourrait croire qu’avec un tel passif, on a des choses à dire. Mais toi comme moi, c’est pas dans notre ADN. Pire, c’est pas dans nos acquis. Alors le silence retrouve ses droits. Il y a dans ce vide des creux et des bosses auxquels je n’ai pas envie de m’accrocher.
Ça n’a pas de sens mais d’une certaine manière, il y a quelque chose d’apaisant dans cet absurdité partagée. Ni tout à fait l’un, ni tout à fait l’autre, d’une façon ou d’une autre, on se retrouve. Et ça a quelque chose de vrai, engoncé dans nos mensonges et nos non dits.

L’alcool et les épices me brûlent la gorge et me piquent le nez quand je déconnecte un instant. Je trouve dans le silence le manque de ceux qui sont partis ou pour qui je suis partie. “Pour”, “à cause de” ; ça revient au même.

— Ajay.

Ton regard est sur moi et si je ramène le mien vers ta silhouette, je n’y remonte pas tout à fait. Il s’arrête dans la terre quelque part près du sol devant toi. Ajay donc. Ajay ce sera.
Pourquoi me le dire ? La question demeure et la question demeurera je crois. Sans que je sache trop comment, cette relation s’est construite, un peu à notre encontre peut être même.

— Et toi, toujours Siem ?

Un souffle amusé passe et je retrouve ma contemplation de l’ombre infinie que l’île accueille comme un nouveau né.

“Si j’en crois tes codes, Siem est sans doute morte, plantée dans une ruelle quelque part.” Par un type comme toi.
Siem, je l’ai laissée de côté quand j’ai quitté Londres. Un choix que j’ai cru définitif. Siem, c’est une gosse paumée qui a fini la seringue dans le bras et les cuisses écartées par lâcher prise au réel. Siem, c’est une pauvre fille dont personne ne se souvient, car tous ceux qui l’ont croisé à l’époque ont fini un chtar’ dans le front, la gorge ouverte ou le palpitant en carafe. Siem a été trahie par le seul qu’elle aimait à l’époque, elle est morte ce jour là. Et Jo a appris qu’elle pouvait bien se croire Siem ; parfois il faut juste avancer et laisser les autres derrière. “Beck.” Beck.
C’était le nom que je donnais quand j’en pouvais plus d’être moi.

Comme Siem, personne ne connaît vraiment Beck.
Elle n’est qu’un nom.

Un nom qui permet d’éviter de me relier à la Garde par le biais d’un mec censé être mort et appartenant sans doute à des merdes trop grosses pour que je les imagines.

C’est simple, quand j’y pose le regard, je vois Alec.

T’as l’même regard.
Celui de l’impasse.

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Jordane Suzie Brooks
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Jeu 19 Oct 2023 - 14:31

Aux étoiles qui pleurent sur nos tombes


🙤 Hauts de Cilaos, Île de la Réunion
🙤 21 janvier 2017

 ft. @Jordane Suzie Brooks
Ses codes.

Les mots de Siem résonnent dans sa tête, sans trouver un quelconque sens. Qui dispose réellement de ces codes, pour déterminer le sort d’une identité au détriment d’une autre ? A-t-il un jour donné un sens au fonctionnement de sa multiplicité d’identité, autre que leur abandon régulier à chaque fois qu’il reprend la route ? A chaque nouvel endroit, un nouveau nom, et rien de plus. Ajay n’a jamais poussé la réflexion plus loin. Les morts de ses lui du passé sont souvent anecdotiques, insignifiantes pour se fondre dans le quotidien. Il ne meurt pas toujours, d’ailleurs. Parfois se contente-t-il de partir, sous prétexte d’un long voyage alors qu’il n’est qu’un étranger, un touriste, puis les gens l’oublient.

Londres est à part, comme Aldric. Il a donné corps à cette existence pendant plusieurs années, animé par cet espoir fou de retrouver un semblant de vie. Mais peut-il réellement prétendre avoir vécu en tant qu’Aldric, alors qu’il a toujours eu peur de son ombre ? A craindre sans arrêt la réapparition de Rossignol dans sa vie ? Puis il a joué les idiots, les demeurés, à rester à Londres alors que les sbires de Rossignol ont retrouvé sa trace. Les éliminer constitue tout autant d’indices pour remonter la piste jusqu’à lui. Mais voilà, Aldric s’est attaché à sa vie londonienne, au club, à cette bande de chatons. Il n’a pas voulu partir, en dépit de tous les risques. Il s’est accroché à cette existence futile, comme si Aldric existait depuis sa naissance et qu’il méritait de vivre jusqu’à la fin.

Avant de périr, corrompu par des réminiscences virulentes, celles qui ont ravivé les ombres et les peurs.

Au fond, qui dispose réellement de ces codes ? Il n’est qu’une ombre sur le monde, qui se faufile entre les masques sans jamais se matérialiser, sans jamais s’attacher.

Alors Ajay ne dit rien. Il hoche la tête, retient le nom de Beck et s’en accommode. Il sait d’instinct que ce nom n’est pas celui de naissance de la jeune femme, qu’elle le cache au plus profond d’elle, mais qu’importe. Ajay est bien mal placé pour la juger.

Il mange donc son cabri massalé sans un mot, le regard perdu dans le vide nocturne. Au loin, les lueurs de Cilaos se distinguent dans l’obscurité tandis que les étoiles brillent au-dessus de leur tête. Ajay aimerait bien se perdre dans leur contemplation, reconnaître quelque constellation, mais il ne les connaît pas.

Le silence se prolonge jusqu’à ce qu’il ait fini sa barquette. Ils n’ont rien à se dire. Tous deux profitent de cette accalmie dans la tempête de leur vie. Ils n’ont guère besoin de plus ; les mots ne sont pas nécessaires. Sans se connaître, ils se comprennent, cernent la difficulté du moment présent chez l’autre.

Finalement, après plusieurs minutes avec la barquette vide, Ajay lâche un soupir puis se redresse. André l’attend sûrement. A tous les coups, il s’est installé sur sa terrasse et guette son retour, inquiet sans le dire.

Il jette un regard à Beck. Quelle était la probabilité de la croiser aujourd’hui, en cette soirée bien précise ? Et même si le silence leur a bien convenu, Ajay sent qu’il doit dire quelque chose. Faire quelque chose.

Parce que malgré tous ses efforts, malgré l’incendie, Aldric continue de vivre et de l’influencer. C’est plus fort que lui.

On ne tue pas une existence de cinq ans en un jet de dés sur une carte du monde.

— Ça te dirait de bosser avec moi ? Plutôt que la Garde.

Une question simple, lourde de sens, lancée à la volée, tandis qu’il lui tend la main pour l’aider à se relever.
(c) Taranys
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Ajay « Aldric » Tivari
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Jeu 19 Oct 2023 - 19:22


  21 Janvier  2017


Les gens partent. Les gens restent. C’est comme ça. Ça fait partie du package et il n’y a rien à y faire. Mais parfois j’en viens à douter de savoir laquelle des deux options est la plus douloureuse. Il y a bien des fantômes à saluer, dans cet espace trop vide et trop sombre qu’est le cirque de Cilaos. Des gens disparus. Des absents. Et des parts de nous aussi je crois.   Absents et disparus, illusoires et assassinés. J’ai pas la moindre idée du nom qu’il portait à l’époque, il y a sept ans. Pas la moindre idée de ce qu’il est et de ce qui le pousse ainsi à se réinventer. Mais la survie qu’il y a derrière, elle a des faux-airs que je reconnais. Que je comprends. Alors ouais, y’a des fantômes là-dedans. Ya des tas de vies qu’on ne vivra pas. Des tas de “nous”, qui n’existeront jamais vraiment.
La pensée passe et demeure un instant quand je porte à mes lèvres une nouvelle bouchée. Sous le t-shirt large, je sens une embardée dans mon estomac mal habitué à se nourrir. Et à côté.. Rien. Pas d’autre réaction qu’un hochement sobre, pas de question, pas de demande. Beck ce sera et il y a quelque chose de reposant dans cette cohésion.

Personne n’en dit plus. C’est comme ça. Une forme de respect je crois, un truc qui passe dans le silence et sur lequel je n’ai envie de mettre aucun nom. Alors le temps passe et le repas s’achève sans un mot.
Lorsqu’Aldric lâche un soupir, je n’y jette pas un regard. Le calme a pris mes muscles endoloris comme le silence après la tempête et barquette comme godet sont posés depuis bien longtemps à mes côtés. Je bouge pas. L’air de la nuit, les crissements des insectes au loin et les bruissements des feuilles et des bêtes a toujours eu cet effet sur moi. Là où d’autres s’angoisserait, j’y trouve un réconfort. Peut être est-ce normal avec le tueur à la gauche ?
Un bras autour de mon genou, je n’ai pas un mouvement quand il pose son plat et se redresse. Le moment est arrivé à son terme et je l’imagine déjà disparaître comme il a fait surface. Le temps d’une respiration, la terre aura oublié son existence et j’emporterais avec moi la sensation d’avoir croisé un mirage. Un truc qui n’existe pas vraiment et qui n’aura de sens que dans mes souvenirs. Aldric, Ajay ou qu’importe qui il soit.

Pourtant une fois debout ; il jette ça.

— Ça te dirait de bosser avec moi ? Plutôt que la Garde.

Lentement, mon regard quitte les flans volcaniques pour atterrir quelque part devant lui. Ça, j’l’attendais pas. J’ai demandé une pause auprès de la Garde, par pudeur, par prudence, par besoin aussi. Et pour éviter d’en écharper un au passage.
Mais ça..

Et le regard saute, droit sur lui.

“J’ai un souvenir très net d’avoir fréquenté deux fois les milieux qui sont les tiens…” J’attrape pourtant sa main d’un geste franc, les doigts vers le haut, le pouce comme crochet autour de sa poigne. Les muscles se bandent. L’instant suivant, on se fait face. “ça a failli mal finir pour moi.” ça te dit quelque chose peut-être ?
Ça pourrait sonner comme un reproche. Un ras-le-bol. Un trop plein. Des tas d’accusations et de blâmes pour quelques mots cyniquement critiques.
Le regard droit dans le sien, le menton haut, un rien de rictus amusé à la commissure des lèvres, je n’ai pourtant aucune plainte dans la voix.

Failli.
Il est des addictions impalpables.

J’devrais pas. Mais il y a un vent électrique sous ma peau et le retour de la lave dans mes veines.
J’devrais pas. Mais j’acquiesce pourtant d’un simple mouvement du menton sans lâcher ni ta poigne ni ton regard.

Pourtant je sais.
Je sais que je devrais rejeter tout ça en bloc.
Me préserver.
Éviter la merde.
J’le sais.
J’le sais d’autant plus que c’est toi qui, d’une balle et d’un coup de lame, m’a poussée à tout lâcher et reprendre mes études. ‘Direction Poudlard, et plus d’conneries ma fille !’
Ça a quelque chose d’atrocement amusant non ?

T’es au tournant. Un point d’entrée et de sortie.

“Mais j’lâche pas la Garde.”

Un sourire passe et les mots ont quelques chose de doux sur mes lèvres.

Dans le creux de mes prunelles, il pourrait presque y avoir une adolescente au cœur qui explose d’entendre la détonation d’une arme. Qui se débat comme elle peut face à plus fort qu’elle et sort de sa sidération quand elle comprend que si elle ne bouge pas là maintenant, ni la lame ni le type n’hésiteront. Il y a une femme qui fait face au fantôme d’un passé enfouit. Elle a tant caché sa peur qu'elle aurait presque pu s'y prendre elle-même. Et puis celle qui l’a dévisagé longuement autour d’une table de restaurant puis d'un livre échangé, sans une once de confiance.

Elles contemplent aujourd’hui cette poignée de main échangée au détour du chemin.

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Jordane Suzie Brooks
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Jeu 16 Nov 2023 - 11:46

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 ft. @Jordane Suzie Brooks
Voilà une autre idée pourrie. Ces derniers temps, Ajay - Aldric - les collectionne comme des petits joyaux. Il les accumule, une à une, les range sur une belle étagère branlante qui menace de s’effondrer à tout instant. D’ordinaire, il ne leur prête pas attention, parce que ce n’est pas la première, et encore moins la dernière, mais ces dernières semaines, elles se multiplient comme des pâquerettes. Il n’a aucun contrôle sur leur prolifération, et s’accommode au pied levé de leur apparition. Heureusement qu’il dispose d’une belle capacité d’adaptation, autrement, il ne donnerait pas cher de sa peau. Mais est-ce une raison pour autant ? Il ne sait trop comment les contenir, comme les réprimer pour les empêcher de s’épanouir et de s’imposer dans son quotidien.

A présent, il est trop tard. Beck croise son regard, attrape sa main pour se redresser. Ajay a mis une pièce dans la machine, le doigt dans l’engrenage, et il ne peut plus faire machine arrière. Il pourrait, dans les faits, retirer sa proposition, prétexter une idée de merde - c’en est une -, puis jeter une excuse peu sincère à Beck. Il pourrait. L’idée lui caresse d’ailleurs l’esprit, plutôt que de s’enfoncer dans ce bourbier sans nom, mais Aldric joue les remparts face à cette possibilité. Il s’accroche, peu importe qu’un incendie l’ait tué - officiellement.

— T’as eu le talent suffisant pour t’en sortir.

D’autres seraient morts à sa place, n’auraient pas eu la force de surmonter cette épreuve. Pas Beck. Elle s’est accrochée, a survécu, et a poursuivi sa vie. Sa force de caractère impressionne, et que la Garde ne la reconnaisse pas à sa juste valeur est un gâchis sans nom.  Un gâchis contre lequel s’oppose Aldric.

Au fond,  il est incapable d’abandonner sa bande ce chatons boiteux. Aldric, Ajay, quelle importance ? Changer de nom, changer d’identité, ça n’efface pas ce qu’il connaît d’eux, pas plus que son envie de leur tendre la main. Avoir l’impression de faire quelque chose de sa vie, au lieu de fuir indéfiniment. Jouer les bibliothécaires, les mentors, sans connaître la même fin tragique. Rendre à d’autres ce qu’on lui a offert sans condition.

Les raisons se bousculent dans sa tête, mais le constat demeure le même : il n’a pas envie de tourner le dos à Beck, tout comme il aidera Alec si ce dernier daigne le contacter. Et surtout, s’il compte rester à Londres, il n’a aucune envie de laisser les Sups’ mener leur quotidien en toute tranquillité. Sans l’infrastructure de la Garde, ses ressources seront certes plus limitées, mais il gagnera en fiabilité, en liberté d’action aussi.

— J’te le demandais pas.

Quitter la Garde n’est pas chose aisée, et Ajay sait qu’il s’expose à de nombreux ennuis si jamais la Garde apprend sa survie inopinée. L’occlumencie lui épargnera certes quelques désagréments, mais il préfère ne pas se reposer sur son don - la dernière fois ne parle pas vraiment en sa faveur. Et surtout, Beck n’a pas son vécu. Même si elle se cache derrière des surnoms, elle a davantage de liens avec Londres que lui, une vie qu’elle ne peut pas abandonner du jour au lendemain.

Sans un mot de plus, il fouille dans ses poches et sort un prépayé qu’il donne à Beck. Il tient cette habitude d’un ancien contact, un gars en Égypte qui possédait des prépayés pour chaque occasion, ou presque. Un peu paranoïaque sur les bords, mais Ajay a tiré partie de cette manie pour ses propres besoins.

— Pour qu’on reste en contact.

La confirmation de l’offre, de cette alliance. Ils bosseront ensemble, comme ils ont déjà pu leur faire, mais cette fois, selon leurs règles. Et sur ces mots, Ajay salue Beck, n’ayant plus rien à ajouter. André l’attend au village, et il préfère éviter de trop le faire attendre alors qu’il est déjà tard. De toute façon, ils n’ont rien à dire de plus ; ce silence partagé face au vide naturel de Cilaos l’a fait à leur place.

C’est peut-être ça qu’il apprécie le plus avec Beck. Avec elle, les mots deviennent futiles. Ils n’en ont pas besoin.

(c) Taranys


Terminé pour moi je pense :boom:
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Ajay « Aldric » Tivari
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Jeu 16 Nov 2023 - 18:42


  21 Janvier  2017


Je crois qu’on a tous les deux conscience que c’est une idée à la con. Le genre qui fout davantage la merde que ça ne la résous. Pour autant la poignée de main est véritable et je crois qu’il y a une forme de sincérité là-dedans.

— T’as eu le talent suffisant pour t’en sortir.

J’ai pas de sourire pour accueillir le compliment dissimulé. Pas de cynisme pour lui rappeler que dans mes souvenirs, le danger ; c’était lui. Pas même de réplique quelconque. Mes doigts se serrent seulement un peu plus sur les siens et je cherche dans l’ombre de ses prunelles un truc que je ne saurais pas définir.
Le talent suffisant pour m’en sortir… C’est joliment dit. Les épreuves d’hier me sont revenues à la gueule et m’ouvrent soudainement de nouvelles portes.
Et je lui en suis reconnaissante.
Voilà. C’est ce qu’il y a dans le fond. Plutôt que ma méfiance habituelle, j’ai la faiblesse d’avoir envie que ce soit vrai.
Parfois dans la vie, on a besoin de victoires. Pas forcément énormes. Peut être des toutes petites victoires, mais des victoires malgré tout. Trouver de la considération auprès d’un homme que j’ai le malheur de respecter autant que je le crains, c’en est une.

Ma main s’échappe et retombe. Je quitterai pas la Garde, pas plus que je ne les trahirais.

— J’te le demandais pas. Cette fois le sourire passe, accompagné d’un souffle amusé lorsqu’il sort un téléphone de sa poche.
— Pour qu’on reste en contact.
“Ok, James Bond..”

C’est un sourire amusé qui clos l’échange et chacun d’entre nous repart dans une direction opposée. Chacun son chemin.
Après un regard vers le téléphone - clairement un prépayé - je le fourre dans une poche et enjambe un amas de branchages tombés au sol.

Le talent pour m’en sortir hein…

“Ou la chance..”

Mais il n’y a plus âme qui vive pour répondre à cette réflexion stérile. Seule la silhouette massive du piton des neiges pour juger notre prise de risque.

- Topic Fini -

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