🙤 Hauts de Cilaos, Île de la Réunion 🙤 21 janvier 2017
(c) Taranys
Ajay « Aldric » Tivari
Ajay « Aldric » Tivari
Âge personnage : 37 ans Hiboux postés. : 375 Date d'inscription : 14/01/2023Crédits : awonaa Double Compte : Shura, Gaby & Rachel
Ajay « Aldric » Tivari
Lun 28 Aoû 2023 - 12:06
21 Janvier 2017
J’ai arrêté de pleurer. Arrêté de fixer le plafond. Arrêté d’écouter des musiques en boucle comme une ado dépressive. C’est ridicule et ça sert à rien. Je le sais. Pourtant d’une certaine manière, ça n’a pas fait de mal. A défoncer des gueules sur la Play, à zoner sur le canapé d’un ami, à en voir un autre… ouais, ça va mieux. Mais j’me sens toujours vide, en vrac, coupable et idiote. Un coup de vent fait frémir la végétation basse et soulève la poussière. Dire qu’il y a quelques heures, j’avais le cul posé dans le sable et le regard sur l’océan indien. Il y a quelques années, je m’étais fait Mafate. Le Piton des Neiges en visuel et en route vers le site des trois Cascades. J’sais même plus pourquoi j’avais attiré ici. Pas moyen que j’y aille aujourd’hui. L’évidence est là, bien sûr. C’est sur l’île voisine que j’ai amené Kezabel le jour où, après la mort de Zach, elle s’est pointée avec ses longues jambes, ce short que j’avais envie de lui arracher et une phrase entre les lèvres : j’ai qu’une envie, c’est d’me barrer. Alors je l’ai emportée. J’ui ai fait traverser la planète pour me perdre contre sa peau en face d’une cascade, perdue au Nord de Belle Rive. Pas d’île Maurice aujourd’hui. Pas de cascade. Seulement la poussière et la sueur, l’envie d’avancer, qu’importe la destination. D’être simplement seule avec mes pensées. De marcher, jusqu’à ce que toute forme de réflexion se disloque sous l’acide de mes muscles. Je veux la chaleur. Je veux la roche. Je veux la végétation sèche - épineuse - des hauteurs.
Pourtant plus je monte, moins la température se fait écrasante. Elle qui m’emplit pourtant les poumons à chaque bouffée comme on respirerait un liquide épais, boueux. J’ai pas ce souvenir à l’époque. Faut dire que j’avais sans doute pas fait Londres - 4°C, immobile pendant deux semaines VS Cilaos - 28°C, 5h de rando. L’avant bras pour barrer mon front, quelques gorgées d’eau, l’élastique à resserrer sur mon crâne et je reprends.
Il y a un moment où j’ai croisé des gens. Puis comme la chaleur, la présence humaine s’est envolée. Les oiseaux du Paradis ont laissé place à quelques petits buissons secs, la roche sous mes semelles et les branches tendues vers le vide. J’crois que j’ai toujours fait ça. Avancer. Monter. Me perdre. Puis contempler le monde vu d’en haut. Là où les emmerdes font moins mal, où l’absence a moins de sens et le lendemain effraie moins. C’est l’avantage de la Magie, je sais que je me démerderais en cas de pépin. J’l’ai toujours fait, et il n’y a jamais eu personne derrière moi. Alors quand la nuit tombe, sur le retour, je ne m’inquiète pas plus que ça. C’est con. On les comptent pas les crétins qui chutent ou se blessent dans ce genre d’excursions. Ça a des airs de vacances, d’avancer comme ça. Au bout d’un moment, le réel n’a plus vraiment corps. Il n’y a plus que les mouvements de l’organisme. C’est ça que je cherche. Cette transe et l’apaisement qu’elle engendre. La fin de journée déverse son ambre le long des parois abruptes du cirque de Cilaos. L’or des cieux réchauffe la pierre volcanique. Puis les heures passent et les couleurs deviennent grisailles et ne reste qu’un monde délavé où les contrastes disparaissent bientôt. C’est le moment où il est difficile de décrire la pente d’un sentier autrement que dans la sensation qu’il nous reste dans les muscles. Je l’aime bien ce moment, comme j’aime bien le reste. Quand il n’y a plus que les astres, l’encre du ciel et le sentier qu’on ne percevrait pas si le corps ne s’habituait pas à la faible luminosité. Téléphone, baguette. Pour avancer si vraiment la lune ne suffit pas, j’ai de quoi faire. La possibilité de transplaner ne m’effleure pas sur les heures qui suivent. Je m’arrête quelques fois, reprends toujours. De nuit, je ne m’attends à croiser personne, rien d’étonnant donc à ce que je m’arrête quand de la terre et de la roche l’odeur devient celle boisée de la fumée. Pas de Zamal mais d’abord ce à quoi ça me fait penser. Le volcan ? Nan ; c’est de l’encens. Juste de l’encens.
Toutes lumières éteintes, il me faut encore quelques minutes pour croiser au détour du chemin la faible lueur de la braise qui grignote petit à petit le bâtonnet d’encens. A ses côtés, un homme assis, deux godets à sa droite, une bouteille de rhum, quelques affaires posées en arrière. Ça pue le deuil.
Alors je passe tout droit. Je peux être chiante, Je peux même aimer emmerder le monde, mais ya des trucs que je respecte.
“Pardon. Bonne nuit.” Français natif, ça m’est presque bizarre maintenant. En tout cas j’avance, passe derrière lui et rejoint la suite du sentier. Et puis je sais pas pourquoi, je me retourne. Il a bougé peut être, m’a répondu, s’est étonné d’une autre présence en ces lieux si tard. Qu’importe : j’ai jeté un œil, plus par réflexe que par curiosité. Et j’ai figé.
Ce profil, cet air bourru, ces mèches brunes en vrac et sa barbe épaisse… Deuil ou pas deuil, il y a des fantômes par ici. Une hésitation. Impossible.. J’avance, mon regard avec moi porté droit devant… mais il y retourne, presque sans l’avoir décidé. Vraiment, j’aurais juré… Mais nan, j’avance. C’est ridicule. Déjà parce que le boug’ est mort - ou du moins le laisse entendre, chose que je ne crois pas, mais c’est qu’il a quitté la ville - et ensuite parce que même si ce n’est pas le cas : quelle serait la probabilité de se croiser ici ? Pas à Maurice ; non, Ici. Une fois la nuit tombée, sur un sentier de rando que j’ai décidé de faire le matin même, quand j’étais encore à Londres, plantée dans le canapé d’un ami qui n’est pas au courant et dans une safe place que la Garde ne connaît pas. Alors même que Dorofei et les autres ne savent pas où je suis. Ça na pas de sens. Et pourtant… pourtant mon regard y retourne. Et vraiment… vraiment il lui ressemble. En même temps tout le monde se ressemble par une luminosité pareille. Mais d’un autre côté… Ouais, mais si c’est pas lui, t’imagines la violence pour le gars ? Le type pleure ses morts et il y a une connasse pour le fixer du bout des yeux. Allez, nan, ça va bien, t’arrêtes tes conneries et t’avance !
J’avance pas, pourtant. C’est lui. C’est certain. C’est lui. Et ça n’a aucun foutu putain de sens. Un type hanté par un sacré paquet de morts, voilà ce que je pense. C’est peut être que je manque de combativité. Que j’en ai trop, moi aussi, des morts, des deuils, des casseroles et du vide à traîner avec moi. Mais même si je sais… j’ai pas envie de faire ça. Ya des trucs qu’on n’interrompt pas. Même quand les morts marchent et que les absents bruissent. Alors après un instant à le regarder, je me détourne ; et j’avance sans un mot.
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Ajay « Aldric » Tivari
Ajay « Aldric » Tivari
Âge personnage : 37 ans Hiboux postés. : 375 Date d'inscription : 14/01/2023Crédits : awonaa Double Compte : Shura, Gaby & Rachel
Ajay « Aldric » Tivari
Mar 29 Aoû 2023 - 21:56
21 Janvier 2017
J’me barre. J’aurais pu l’envoyer chier, l’emmerder par principe ou simplement envisager de dégainer une arme. Estimer que s’il est là, c’est que je suis en danger. Frapper dans le dos. Balayer un risque de plus. J’pourrais disparaître là, maintenant. Il n’y aurait qu’Enzo à s’en surprendre. Pour les autres, je serais juste une ombre de moins à sillonner les rues. Celle qui a déjà fait le tour, qui lâche les autres, se construit une autre vie qu’elle balayera tout aussi vite. J’y pense, bien sûr. A me barrer autant qu’à la possibilité que ça ne soit pas un hasard. Mais je ne savais pas ce matin où j’irais, à moins de me tracer il n’y a pas moyen d’avoir anticipé ce que j’ignorais moi-même. Et puis, pourquoi agir ainsi ? Ça n’aurait juste aucun sens. D’ailleurs quitte à finir le job, autant me surprendre, moi. Genre quand je pissais dans les buissons en bord de cratère un peu plus tôt. Hop, ça dégage. Un beau cadavre pour dévaler la pente. Une touriste de plus qui ne tient pas à la vie. Nan. C’est juste le hasard d’un mort qui rencontre une disparue. Deux êtres toujours à la croisée des chemins, à cheval entre plusieurs vies. Jamais bien stables. Jamais tout à fait eux. Si j’me barre, c’est que je respecte la peine je suppose. Si j’me barre, c’est aussi que je fatigue.
— Tu crois que je vais te laisser partir comme ça ? Et lorsque je m’arrête à l’écoute de cette voix familière, c’est bien cette même fatigue que j’entends. Le talon sur la terre poussiéreuse, la pointe du pied encore levée, je stoppe, puis me retourne en silence. Il n’a pas bougé. Le regard droit devant. Sa voix de rocaille cogne dans le cirque et vibre dans mes os. Avare, elle est pourtant devenue familière. Si j’avais juste tracé mon chemin sans rien dire, un instant plus tôt ; tu m’aurais reconnue ? Pas une réponse de ma part. Seule la nuit et la distance pour lui répondre et lorsqu’il se retourne, j’ai l’impression que ce sont deux fantômes qui se font face. Des revenants d’une autre vie. Un signe. Pas d’étonnement, ni d’un côté, ni de l’autre. J’l’ai jamais cru mort. C’est aussi con qu’ça. — Pose tes fesses là. T’as pas la voix du mec qui veut se débarrasser des témoins. T’as celle qui cogne sous mes côtes. Celle d’un type seul, fatigué, qui n’a jamais vraiment cessé de courir. Celle que j’entends toutes les nuits, quand le sommeil se refuse. J’pourrais partir. Courir. Dévaler la pente et disparaître quelque par dans la pierre de lave. J’le rejoins. M’assoie. Vient un jour où t’en a marre de courir. Un jour où tu partages un godet de rhum et une barquette de bouffe avec un mec qui t’a plantée, des années plus tôt, avant de servir à tes côtés face à ceux qui menacent ta liberté. Ma vie n’a pas de sens. Cette nuit n’en a pas plus. Mais je pose mon cul malgré tout. “Tu gâches une tentative mémorable d’être sympa.” Ya pas vraiment de sourire, pas d’air bravache non plus. Le grain de la lassitude n’est pas aussi présent que dans sa voix, mais il s’exprime malgré tout. J’ai pas envie d’me battre, c‘est tout. J’ai mal partout. J’suis fatiguée. J’ai pas envie.
— T’as une sale gueule. “ Dixit le mec supposé être mort dans un incendie.”
Un coup d’œil sur mes bras souligne l’ironie de cette réflexion. Des deux, c’est moi qui semble m’être tapée une baise enflammée avec John Allerdyce. Pyro. X-men. Tu l’as ? Bref.
“J’ai pas eu une super semaine.” Je hausse les épaules, me contente de ça. J’ai pas eu une super année, surtout. Le regard braqué droit devant, je ramène une jambe sous la seconde, pliée contre mes côtes. Le panorama est noyée dans les ténèbres mais les étoiles dessinent les contours du cirque et absorbent un instant mes pensées. J’comprends qu’on vienne se remémorer quelqu’un ici. J’comprends le manque, surtout. Un coup de menton vers le godet d’alcool et la barquette de bouffe. “Sûr ?” ça m’était pas destiné. Et cette personne ne viendra pas. Alors je n’attrape le verre qu’une fois la réponse obtenue et le porte à mes lèvres. Mais avant de le vider, moi aussi je trinque vers le vide. A ses pertes, aux miennes, j’sais pas trop. J’ai jamais été très croyante mais il y a quelque chose dans l’air qui fait que… c’est venu comme ça, c’est tout. J’en vide le contenu et plante une fourchette dans la viande en sauce. L’idée que je puisse me planter et crever comme ça - empoisonnée - passe et disparaît. Parfois on marche à l’instinct ; c’est mon cas aujourd’hui. Et j’ai pas fait de vrai repas depuis un moment.
🙤 Hauts de Cilaos, Île de la Réunion 🙤 21 janvier 2017
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Ajay « Aldric » Tivari
Ajay « Aldric » Tivari
Âge personnage : 37 ans Hiboux postés. : 375 Date d'inscription : 14/01/2023Crédits : awonaa Double Compte : Shura, Gaby & Rachel
Ajay « Aldric » Tivari
Jeu 28 Sep 2023 - 11:32
21 Janvier 2017
— Aldric est mort dans un incendie.
Comme si ça n’était pas toi. C’est plus facile comme ça ? Ceux que t’as laissé te manquent-ils moins ? Les lieux que tu fréquentais, les émotions que t’as vécu, les peurs que t’as eu, les gens que t’as perdu ; tout ça, c’est moins réel si tu t’en détaches ? Ça le serait moins si je cloisonnais ainsi ? Beck, Siem, Jo, Jordane. Joddie. J’empile les couches, je les mélange. Toi tu les classes. Cold Case.
Le regard droit devant, je scrute les ombres mouvantes que roches et végétation tracent dans le gouffre qui nous fait face. J’ai ni réponses ni réflexions à partager, j’entends juste ses mots et les laisse couler. Cet homme, qu’a-t-il pris de toi ? Et que survit-il de lui ? J’ai pas souvenir du nom de celui que j’ai volé, il y a tant d’années. Mais ce n’était sans doute pas Aldric. Quelqu’un d’autre. Lui aussi est mort dans un incendie ? Et de lui, qu’as-tu emporté, à part le souvenir de celle que j’étais ? On pourrait presque dire la même chose de moi. Je doute de traîner la même violence de casseroles, mais elles parcourent ma vie malgré tout et parfois, j’ai l’impression d’être un puzzle de mirages laissés ici et là. Diluée. Répandue aux quatre vents. Un peu comme ces parts de toi que tu sembles balayer comme si elles t’étaient étrangères.
Un regard passe sur moi, j’le sens mais par fatigue, je ne cherche pas à y répondre ou le défier d’aucune manière. Je laisse faire. Ya des plaies sur ma peau et des craquelures dans mon regard. Alors j’regarde devant. Effet de perspectives, ça se voit peut être moins ainsi. Mais aucune question ne tombe, pas plus que je n’en pose. Pas plus qu’il n’en émerge quand je lève mon verre à ceux qui ne sont plus là et qui hantent les quelques brides de vies qu’on porte encore au réel.
Et puis rien. On pourrait croire qu’avec un tel passif, on a des choses à dire. Mais toi comme moi, c’est pas dans notre ADN. Pire, c’est pas dans nos acquis. Alors le silence retrouve ses droits. Il y a dans ce vide des creux et des bosses auxquels je n’ai pas envie de m’accrocher. Ça n’a pas de sens mais d’une certaine manière, il y a quelque chose d’apaisant dans cet absurdité partagée. Ni tout à fait l’un, ni tout à fait l’autre, d’une façon ou d’une autre, on se retrouve. Et ça a quelque chose de vrai, engoncé dans nos mensonges et nos non dits.
L’alcool et les épices me brûlent la gorge et me piquent le nez quand je déconnecte un instant. Je trouve dans le silence le manque de ceux qui sont partis ou pour qui je suis partie. “Pour”, “à cause de” ; ça revient au même.
— Ajay.
Ton regard est sur moi et si je ramène le mien vers ta silhouette, je n’y remonte pas tout à fait. Il s’arrête dans la terre quelque part près du sol devant toi. Ajay donc. Ajay ce sera. Pourquoi me le dire ? La question demeure et la question demeurera je crois. Sans que je sache trop comment, cette relation s’est construite, un peu à notre encontre peut être même.
— Et toi, toujours Siem ?
Un souffle amusé passe et je retrouve ma contemplation de l’ombre infinie que l’île accueille comme un nouveau né.
“Si j’en crois tes codes, Siem est sans doute morte, plantée dans une ruelle quelque part.”Par un type comme toi. Siem, je l’ai laissée de côté quand j’ai quitté Londres. Un choix que j’ai cru définitif. Siem, c’est une gosse paumée qui a fini la seringue dans le bras et les cuisses écartées par lâcher prise au réel. Siem, c’est une pauvre fille dont personne ne se souvient, car tous ceux qui l’ont croisé à l’époque ont fini un chtar’ dans le front, la gorge ouverte ou le palpitant en carafe. Siem a été trahie par le seul qu’elle aimait à l’époque, elle est morte ce jour là. Et Jo a appris qu’elle pouvait bien se croire Siem ; parfois il faut juste avancer et laisser les autres derrière. “Beck.” Beck. C’était le nom que je donnais quand j’en pouvais plus d’être moi.
Comme Siem, personne ne connaît vraiment Beck. Elle n’est qu’un nom.
Un nom qui permet d’éviter de me relier à la Garde par le biais d’un mec censé être mort et appartenant sans doute à des merdes trop grosses pour que je les imagines.
C’est simple, quand j’y pose le regard, je vois Alec.
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Ajay « Aldric » Tivari
Ajay « Aldric » Tivari
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Ajay « Aldric » Tivari
Jeu 19 Oct 2023 - 19:22
21 Janvier 2017
Les gens partent. Les gens restent. C’est comme ça. Ça fait partie du package et il n’y a rien à y faire. Mais parfois j’en viens à douter de savoir laquelle des deux options est la plus douloureuse. Il y a bien des fantômes à saluer, dans cet espace trop vide et trop sombre qu’est le cirque de Cilaos. Des gens disparus. Des absents. Et des parts de nous aussi je crois. Absents et disparus, illusoires et assassinés. J’ai pas la moindre idée du nom qu’il portait à l’époque, il y a sept ans. Pas la moindre idée de ce qu’il est et de ce qui le pousse ainsi à se réinventer. Mais la survie qu’il y a derrière, elle a des faux-airs que je reconnais. Que je comprends. Alors ouais, y’a des fantômes là-dedans. Ya des tas de vies qu’on ne vivra pas. Des tas de “nous”, qui n’existeront jamais vraiment. La pensée passe et demeure un instant quand je porte à mes lèvres une nouvelle bouchée. Sous le t-shirt large, je sens une embardée dans mon estomac mal habitué à se nourrir. Et à côté.. Rien. Pas d’autre réaction qu’un hochement sobre, pas de question, pas de demande. Beck ce sera et il y a quelque chose de reposant dans cette cohésion.
Personne n’en dit plus. C’est comme ça. Une forme de respect je crois, un truc qui passe dans le silence et sur lequel je n’ai envie de mettre aucun nom. Alors le temps passe et le repas s’achève sans un mot. Lorsqu’Aldric lâche un soupir, je n’y jette pas un regard. Le calme a pris mes muscles endoloris comme le silence après la tempête et barquette comme godet sont posés depuis bien longtemps à mes côtés. Je bouge pas. L’air de la nuit, les crissements des insectes au loin et les bruissements des feuilles et des bêtes a toujours eu cet effet sur moi. Là où d’autres s’angoisserait, j’y trouve un réconfort. Peut être est-ce normal avec le tueur à la gauche ? Un bras autour de mon genou, je n’ai pas un mouvement quand il pose son plat et se redresse. Le moment est arrivé à son terme et je l’imagine déjà disparaître comme il a fait surface. Le temps d’une respiration, la terre aura oublié son existence et j’emporterais avec moi la sensation d’avoir croisé un mirage. Un truc qui n’existe pas vraiment et qui n’aura de sens que dans mes souvenirs. Aldric, Ajay ou qu’importe qui il soit.
Pourtant une fois debout ; il jette ça.
— Ça te dirait de bosser avec moi ? Plutôt que la Garde.
Lentement, mon regard quitte les flans volcaniques pour atterrir quelque part devant lui. Ça, j’l’attendais pas. J’ai demandé une pause auprès de la Garde, par pudeur, par prudence, par besoin aussi. Et pour éviter d’en écharper un au passage. Mais ça..
Et le regard saute, droit sur lui.
“J’ai un souvenir très net d’avoir fréquenté deux fois les milieux qui sont les tiens…” J’attrape pourtant sa main d’un geste franc, les doigts vers le haut, le pouce comme crochet autour de sa poigne. Les muscles se bandent. L’instant suivant, on se fait face. “ça a failli mal finir pour moi.” ça te dit quelque chose peut-être ? Ça pourrait sonner comme un reproche. Un ras-le-bol. Un trop plein. Des tas d’accusations et de blâmes pour quelques mots cyniquement critiques. Le regard droit dans le sien, le menton haut, un rien de rictus amusé à la commissure des lèvres, je n’ai pourtant aucune plainte dans la voix.
Failli. Il est des addictions impalpables.
J’devrais pas. Mais il y a un vent électrique sous ma peau et le retour de la lave dans mes veines. J’devrais pas. Mais j’acquiesce pourtant d’un simple mouvement du menton sans lâcher ni ta poigne ni ton regard.
Pourtant je sais. Je sais que je devrais rejeter tout ça en bloc. Me préserver. Éviter la merde. J’le sais. J’le sais d’autant plus que c’est toi qui, d’une balle et d’un coup de lame, m’a poussée à tout lâcher et reprendre mes études. ‘Direction Poudlard, et plus d’conneries ma fille !’ Ça a quelque chose d’atrocement amusant non ?
T’es au tournant. Un point d’entrée et de sortie.
“Mais j’lâche pas la Garde.”
Un sourire passe et les mots ont quelques chose de doux sur mes lèvres.
Dans le creux de mes prunelles, il pourrait presque y avoir une adolescente au cœur qui explose d’entendre la détonation d’une arme. Qui se débat comme elle peut face à plus fort qu’elle et sort de sa sidération quand elle comprend que si elle ne bouge pas là maintenant, ni la lame ni le type n’hésiteront. Il y a une femme qui fait face au fantôme d’un passé enfouit. Elle a tant caché sa peur qu'elle aurait presque pu s'y prendre elle-même. Et puis celle qui l’a dévisagé longuement autour d’une table de restaurant puis d'un livre échangé, sans une once de confiance.
Elles contemplent aujourd’hui cette poignée de main échangée au détour du chemin.
🙤 Hauts de Cilaos, Île de la Réunion 🙤 21 janvier 2017
(c) Taranys
Terminé pour moi je pense
Ajay « Aldric » Tivari
Ajay « Aldric » Tivari
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Ajay « Aldric » Tivari
Jeu 16 Nov 2023 - 18:42
21 Janvier 2017
Je crois qu’on a tous les deux conscience que c’est une idée à la con. Le genre qui fout davantage la merde que ça ne la résous. Pour autant la poignée de main est véritable et je crois qu’il y a une forme de sincérité là-dedans.
— T’as eu le talent suffisant pour t’en sortir.
J’ai pas de sourire pour accueillir le compliment dissimulé. Pas de cynisme pour lui rappeler que dans mes souvenirs, le danger ; c’était lui. Pas même de réplique quelconque. Mes doigts se serrent seulement un peu plus sur les siens et je cherche dans l’ombre de ses prunelles un truc que je ne saurais pas définir. Le talent suffisant pour m’en sortir… C’est joliment dit. Les épreuves d’hier me sont revenues à la gueule et m’ouvrent soudainement de nouvelles portes. Et je lui en suis reconnaissante. Voilà. C’est ce qu’il y a dans le fond. Plutôt que ma méfiance habituelle, j’ai la faiblesse d’avoir envie que ce soit vrai. Parfois dans la vie, on a besoin de victoires. Pas forcément énormes. Peut être des toutes petites victoires, mais des victoires malgré tout. Trouver de la considération auprès d’un homme que j’ai le malheur de respecter autant que je le crains, c’en est une.
Ma main s’échappe et retombe. Je quitterai pas la Garde, pas plus que je ne les trahirais.
— J’te le demandais pas. Cette fois le sourire passe, accompagné d’un souffle amusé lorsqu’il sort un téléphone de sa poche. — Pour qu’on reste en contact. “Ok, James Bond..”
C’est un sourire amusé qui clos l’échange et chacun d’entre nous repart dans une direction opposée. Chacun son chemin. Après un regard vers le téléphone - clairement un prépayé - je le fourre dans une poche et enjambe un amas de branchages tombés au sol.
Le talent pour m’en sortir hein…
“Ou la chance..”
Mais il n’y a plus âme qui vive pour répondre à cette réflexion stérile. Seule la silhouette massive du piton des neiges pour juger notre prise de risque.