Là le lac immobile étend ses eaux dormantes - OS

“Essaye en te penchant vers ta cuisse droite… oui voilà comme ça. Attends.”

Les couleurs mordorées du soleil ondulaient sur la surface de l’eau et recouvrait la végétation au loin. La rive se creusait de terre ocre et bronze, tantôt d’argiles, tantôt d’humus. En arrière plan, un arbre couché mordait la surface calme du lac ; à peine ses quelques feuilles, résistant encore à cette période de l’année, bougeaient au gré des ondes que la barque provoquait. Personne ne se baigne par des températures pareilles, ainsi Oliver avait été surpris de découvrir une ombre dans l’eau, quelques temps plus tôt. Un homme à la peau claire, légèrement bronzée, y faisait des allers-retours en crawl. Sur sa peau, les gravures de quelques tatouages discrets avaient attirés l’attention du passant.
Oliver s’était alors arrêté sur la berge. Lui qui était sorti pour s’aérer l’esprit et marcher un peu loin de la civilisation avait simplement été chopé par la beauté du spectacle. Son vélo traînait au loin, attaché contre un poteau, et il avait quitté le chemin pour s’asseoir sur la berge. L’œil du photographe s’était chargé de la lumière, avait trouvé l’angle et le cadre pour saisir dans l’instant l’ondulation provoquée par ce dos lustré par quelques vagues. Avec un sourire, le journaliste avait accueilli le salut du nageur. La discussion s’était alors égrenée et l’homme l’avait rejoint. De rires en badineries, Hassan puisque tel était son prénom, s’était rapproché jusqu’à pouvoir découvrir les clichés volés. C’est ainsi qu’ils en étaient arrivés là, le premier sur la berge, un genou à terre, le dos courbé pour abaisser son appareil à la juste hauteur ; le second perché sur le bord d’une barque, une jambe relâchée dans l’eau, la seconde repliée sur son torse, le cou arrondi et le visage penché. Hassan accrochait la lumière d’une expression calme dont la sérénité tourmentée évoquait quelque chose de plus grand. Une lumière chaude exposait les muscles de son torse et mettaient en évidence les différentes lignes qui lui ceignaient les côtes et trônaient sur ses bras. Vu d’ici, au travers de l’objectif, ils semblaient dessiner un message, un mot échappant au regard, pourtant incrusté dans l’âme de l’image. Le bois de la barque, l’ocre de la terre et le tanin de sa peau entraient en résonnante ainsi, premier second et troisième plans se répondaient tandis que le vert bouteille de l’eau et les teintes de la végétation arrière emportaient la majeure part de la scène. Les cheveux bruns ramenés en arrière chutaient de quelques mèches échappées, attirées par la surface plane de l'eau. Le visage à moitié avalé par l'ombre projetée de son bras, Hassan se détachait de pénombre et de lumière, l'arrête du nez dessinée par le vert d'eau que la nature peignait derrière lui. En douceur, presque pudiquement, ses traits apparaissaient à la fois clairement et par jeux d'obscurités. Ainsi sa barbe soulignait la courbe de sa joue jusqu'à attirer le regard sur ses lèvres. Les yeux noisettes, eux, ne faisaient que se deviner. Pourtant y brillait l'argent du lac, simple joyau à attraper sous la couche de pénombre.

Avec un sourire, Oliver lui dit de détendre ses doigts, et tandis que l’homme se re-positionnait, attrapa l’exact instant où la posture était à la fois inerte et mobile. Un parfait équilibre appuyé par les vaguelettes échappées à la surface de l’eau calme. En redressant le regard, le photographe sourit en laissant échapper un compliment.