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I scream your name but you don't answer [OS]

 :: Autour du monde :: Grande Bretagne :: — Angleterre
Mar 14 Juin 2022 - 21:19
TW: deuil, anniversaire.


I scream your name but you don't answer





29 août 2016


Un étrange quotidien avait pris place au Vieux Cottage.
Les lieux n’avaient pas encore été complètement redécorés bien qu’un grand ménage avait réussi à y voir plus clair et à redonner un peu de vivant à cette petite maison. Le mobilier trop vétuste ainsi que les rideaux, tapis, plaids, et vaisselle dépassés avaient disparu pour laisser place à un confortable et long canapé, à des tapis plus modernes, à des couvertures neuves, quelques meubles nouveaux, une télévision, un frigo et un nouvel assortiment de couverts et d’assiettes dans la cuisine. Ils avaient gardé un vieux fauteuil en cuir marron qui semblait fait pour Logan et qui était à présent recouvert d’une fine couverture sur le dossier. Petit à petit, ils avaient fini par remplacer les décorations absurdes et la laideur des objets par autre chose, et si à chaque fois qu’elle entrait dans une pièce, Sanae voyait toujours le long chemin à parcourir avant de trouver satisfaction, elle commençait à se faire au Cottage.

Tous les matins, elle se levait très tôt comme elle avait eu l’habitude pendant des années auparavant, et elle emportait sa tasse de thé sur les marches du perron, à l’arrière de la maison. Assise en tailleur, la sorcière regardait les amandiers du jardin et l’herbe verte, profitant du calme de l’extérieur. Le bruit de Londres était loin désormais et elle appréciait être retournée vers un lieu plus reculé, plus tranquille ; elle avait fini par comprendre que cela faisait partie de son équilibre. Elle pouvait même rester des heures sur ce perron, ou sur l’herbe à tenter de renouer avec la méditation qui avait été si rituelle dans sa vie. Pourtant, elle finissait toujours par retourner à l’intérieur en entendant Logan se lever et descendre les escaliers grinçants. Nul besoin de se chercher très longtemps ici, tout craquait sous chaque pas.

Ce matin-là, Sanae était rentrée bien avant que son colocataire ne descende. Le temps avait viré et la fraîcheur matinale se transformait peu à peu en une lourdeur qui ne trompait pas : la pluie s’annonçait. Un châle sur les épaules alors que la veille elle s’était trouvée en débardeur, Sanae traîna des pieds sur le parquet. Elle déposa sa tasse vide sur le plan de travail, dans cette petite cuisine qu’elle apprenait à aimer, et elle enclencha la petite radio près de la fenêtre. Les nouvelles du monde sorcier lui parvenaient sur les ondes magiques à un volume bas mais audible. Elle vida un vase dont les fleurs s’était fanées et le regard perdu dans le vague, le nettoya un peu distraite. Une odeur de cerisier venait titiller ses narines alors que les bulles de savon disparaissaient sous l’écoulement de l’eau.

Le gouvernement surveille toujours les lycans et continue son investigation sur les récentes attaques à Londres…

Elle n’écoutait plus que d’une oreille, ses pensées s’échappant vers Kezabel, toujours au Centre. Elle lui écrirait une nouvelle lettre aujourd’hui. Son absence lui pesait plus qu’elle n’aurait pu l’exprimer et l’angoisse qui n’avait toujours pas disparu malgré la visite au Centre – elle s’était simplement résorbée et s’écoulait en arrière fond, comme une migraine évoluait en un mal de tête moindre mais constant. Puis, ce fut Margo qui s’imposa dans son esprit, elle qui était maintenant souvent en vadrouille pour son travail. Elle lui manquait atrocement durant ses déplacements mais Sanae appréciait qu’à chaque fois qu’elles se retrouvaient, il n’y avait de place pour autre chose que le moment présent.

La sorcière s’essuya les mains. Le vase avait été mis à sécher sur un torchon près de l’évier et l’eau dessinait une auréole sur le tissu. Elle ouvrit le frigo et sortit ce qu’il fallait pour le petit-déjeuner. Tout fut installé sur la table basse, en face de la télévision. Ni elle, ni son colocataire n’étaient de grands bavards le matin et ils aimaient en général déjeuner devant un quelconque programme dont ils se foutaient au fond, pourvu qu’ils ne soient pas plongés dans un silence total. Une façon d’être ensemble sans se sentir obligés de se faire la conversation. Depuis quelques temps, Sanae était foncièrement inquiète pour lui. Elle bataillait avec l’envie de le faire parler et la promesse d’attendre patiemment qu’il le fasse de lui-même. Alors elle attendait, rongeant son frein, prêtant attention aux détails qui lui échappaient lorsqu’elle s’enfermait dans les méandres de ses phases chaotiques. S’il y avait des fleurs dans un vase, des livres de magie dans les coins, un fauteuil bien installé, à manger sur la table et des rituels seulement pour eux, c’était parce que la sorcière tentait silencieusement d’instaurer quelque chose de nouveau pour lui, pour elle. Elle ne savait jamais si cela lui faisait du bien ou s’il haïssait secrètement toutes ces attentions mais face au silence de son colocataire, Sanae n’avait pas d’autres moyens d’aider.

Le Ministère de la Magie semble prendre des mesures contre les trafics illégaux d’ingrédients destinés à la confection….

Le bruit du monde extérieur la traversait sans l’atteindre. Le présentateur radio faisait défiler les nouvelles de sa voix monotone et Sanae fit rouler le bouton de l’appareil ensorcelé ; il y eut un grésillement et soudain la voix du présentateur fut remplacée par de la musique. Elle soupira et prit l’éponge pour nettoyer le plan de travail. Son regard dériva vers la fenêtre. Déjà, de petites gouttes commençaient à s’amonceler sur la vitre. Une fraîcheur humide s’infiltrait dans le Cottage par la porte de derrière, laissée ouverte. Elle sentait l’air venir jusqu’à ses pieds et déclencher une légère chair de poule. Mais ses pensées étaient déjà retournées à leur dur labeur. Kezabel, Margo, Logan, Alec, Niall, Max…elle visitait chaque visage, grand pèlerinage de l’angoisse et des inquiétudes secrètes pour eux tous. Elle se disait que peut-être tout ceci constituait la raison pour laquelle elle dormait si peu ces dernières semaines. Avec la visite au Centre, Sanae avait pensé que le soulagement serait assez fort pour lui octroyer de meilleures nuits ; que la familiarité des lieux lui donnerait désormais un peu de répit et que ce lit deviendrait peu à peu le sien ; que le calme enfin revenu vaudrait pour l’annonce d’un semblant de quiétude et de repos. Il n’en n’était rien. Quelque chose au fond de ses tripes ne cessait de se tordre et sa poitrine était devenue trop lourde. Voilà sans doute l’une des grandes raisons qui l’avait poussée à reprendre la méditation. L’inefficacité de ses efforts la plongeait dans une incompréhension douloureuse.

Elle essuya le plan de travail et puis, sans y penser, elle fit un geste qui découvrit tout. Soudainement, ce qui la travaillait si obstinément eut une réponse. Elle avait levé les yeux vers le placard et sur celui-ci, un calendrier était accroché, noirci par endroit de ronds et d’une écriture penchée.

C’était le 29 août.

Le torchon resta suspendu entre ses doigts.
Il n’y eut plus de musique, plus de fraîcheur, plus de questions. Ou seulement celle-ci : comment n’y avait-elle pas pensé ? Comment pouvait-elle se perdre dans le temps au point de ne réaliser qu’en cet instant que le mois d’août se terminait et qu’il apportait avec lui le fracassement de toute une vie ?

Le calendrier la prenait à la gorge.

Sans détourner le regard, elle plia le torchon dans des gestes lents et le déposa sur le plan de travail. Ses pieds s’ancraient sur le parquet avec l’étrange impression que chaque pas l’amenait vers son propre effondrement. Elle sortit de la cuisine, une main sur le ventre, le regard voilé et les lèvres scellées. Le long couloir du rez-de-chaussée rapetissait à mesure qu’elle s’approchait de la porte donnant sur le jardin. Elle le voyait déjà tout au bout. La verdure, les arbres, la brise et la pluie, fine, qui répondait alors aux vagues qui charriaient sa douleur. Elle sentit à peine la différence du sol sous ses pieds. Marchant sur les lattes de bois poussiéreuses et parsemées de feuilles humides, Sanae s’avança jusqu’au petit escalier. Elle le descendit avec la sensation que ses jambes ne la porteraient pas plus longtemps. Et là, sur l’herbe, près de l’arbre au fond du jardin, elles cédèrent.

Le 29 août. La date n’était pas même entourée sur les petites cases du calendrier. L’été avait défilé avec un tel lot d’angoisses et de chaos qu’au seul moment où elle trouvait l’espace de reprendre son souffle, tout se délitait. L’enchaînement de catastrophes et de tourbillons lui donnait si peu de temps pour vivre qu’elle n’entrevoyait à chaque pause que les couleurs vives et l’espoir brillant d’une accalmie prolongée. Voilà que son ciel se recouvrait à nouveau d’épais nuages noirs. La pluie la dévastait et des larmes, retenues trop souvent, s’écoulaient à leur tour. Elle reçut en pleine poitrine toutes les images qui demeuraient d’ordinaire derrière les portes closes de son esprit.

La silhouette de cet homme dans l’orphelinat délabré.
Le premier regard qu’ils avaient échangé.
La sensation de sa grande main autour de la sienne.
Le son de sa voix.
L’odeur de ses vêtements.
Le calme de sa respiration.
Son doigt remontant ses petites lunettes rondes.
Son visage derrière son journal.
Le froncement de ses sourcils.

Et puis, plus terrible encore que toutes ces choses réunies, la sensation perdue de son esprit sur le sien. Envolée. Anéantie par la fugacité des souvenirs, les limites de la mémoire, ou peut-être par l’occultation nécessaire et inconsciente de ce qui était le plus douloureusement absent.

Il y avait des disparitions qui ne trouvaient de mots.
Celle-ci, plus que d’autres, n’aurait jamais pu être expliquée. Elle ne connaissait aucun écho semblable, aucune proximité avec une autre perte humaine. Personne ne connaissait le déchirement créé par la disparition brutale d’un esprit si profondément entremêlé à un autre. Aucun témoignage, aucun précédent connu pour ne serait-ce que trouver dans le monde entier une histoire commune, l’assurance que cette douleur s’en irait un jour, diminuerait avec le temps. Elle aurait voulu avoir quelque part la connaissance d’une autre âme qui vivait la même chose, exactement la même chose, et trouver dans cette souffrance jumelle un réconfort salutaire. Mais il n’y avait rien. Cela n’existait pas. Cela n’aurait, sans doute, jamais du exister.

Pourtant, ils avaient existé. Ensemble.
Et elle devait depuis un an exister sans lui.

Aujourd’hui, elle ployait sous le poids de l’absence. Ses mains agrippaient l’herbe, son corps se recroquevillait sur lui-même. Toute la peinture du monde n’aurait pu cacher la moisissure de son deuil. Elle qui pourtant la recouvrait si bien, ajoutant couche après couche jusqu’à ce qu’on ne puisse plus distinguer l’étendue des craquellements, la prolifération des champignons. L’effondrement était total et il semblait plus amer encore après qu’elle crut s’être débarrassée du plus difficile, qu’elle ait eu le stupide espoir de commencer à avancer dans la bonne direction. Elle avait même parlé de lui, était revenue sur ses souvenirs, s’était laissée aller à raconter. Pourquoi fallait-il revenir au point de départ si brutalement ? Pourquoi à chaque pas en avant elle se sentait tirée en arrière ? Quel odieux poison...Quel ignoble parasite… Le chagrin tout puissant la ramenait toujours à lui et elle ne trouvait de moyen s’y échapper.

Sur ce tapis d’herbe dans lequel elle se sentait s’enfoncer, Sanae se mordait les lèvres, se penchait en avant jusqu’à ce que son front touche le sol. Elle aurait tout donné pour que cette chose sorte d’elle, s’échappe finalement pour ne jamais revenir, ne jamais l’habiter. Il n’y avait rien de plus détestable que de se savoir envahi sans pouvoir repousser l’invasion. Et voilà sans doute ce qu’il y avait de plus tortueux dans le deuil : cette chose empoisonnée en elle n’était rien d’autre que le souvenir de Sa présence. Il avait habité là, au centre de son âme, et ce qui restait de lui semblait pourrir en elle et la gangrener. Etait-il possible de vouloir se décharger d’une chose qu’on désirait si ardemment ? N’était-ce pas le nœud pénible d’un tel chagrin ? Vouloir retrouver quelqu’un qui n’existait plus que dans la mémoire. Sa douleur n’était rien d’autre que son souvenir de lui, que la trace de son existence intriquée dans la sienne, rattachée à elle en des profondeurs que nul n’imaginait. Elle n’aurait jamais désiré effacer ses souvenirs de lui mais pourquoi fallait-il que chacun d’entre eux soit si lourd, si intolérable, à porter ?

Au-dessus de sa tête, l’orage grondait pour seule réponse à son chagrin. La pluie se déposait sur elle    avec une furieuse douceur. Il n’y avait plus qu’à s’ensevelir et laisser gronder dans la terre toute la puissance de son affliction. Elle aurait aimé pouvoir hurler mais elle ne lâchait rien d’autre qu’un silence éprouvant. Aucun gémissement, aucun sanglot. Seulement des dents et des poings serrés, un visage froissé sur lequel s’écoulait des larmes de pluie. Ce jour-là, la tristesse l’étouffait bien plus que la rage. Et pourtant, quelle rage elle ressentait ! Quelles lames acérées en son sein ! Elle lui en voulait. Il n’avait pas fait exprès de mourir, cette pensée était idiote. La culpabilité s’en allait vers un ou une autre qui était responsable du drame. Mais elle lui en voulait, néanmoins, de ne plus être là car il l’avait laissé démunie en son absence.

A vrai dire, la seule chose qu’il lui avait laissé était du silence.

Un silence abyssal dans lequel dormait des questions sans réponses, des conversations jamais entamées et des gestes jamais esquissés. Un silence de tombeau, assurément. Plein de regrets.

Il ne l’avait pas préparé à ça - ou peut-être l’avait-il fait mais ce souvenir lui échappait. Elle avait été furieuse d’apprendre que son testament avait été soigneusement écrit et mis à jour au fil du temps, que ses funérailles avaient été prévues méticuleusement, et qu’il avait donné des directives précises à ses comptables pour l’héritage colossal qu’elle recevrait. Mais avait-il pensé à lui parler ? Avait-il consigné toutes les histoires, tous les secrets qu’il ne lui avait jamais dit ? Pourquoi n’y avait-il pas eu de conversation sur ce qui adviendrait ensuite pour elle ? Quel était cet abandon étrange dans lequel il l’avait plongée ?

Il y avait eu la lettre, cachée dans son bureau, bien sûr. Une lettre pour expliquer le devoir qu’il avait ressenti face à la montée de l’extrémisme, une justification de son implication secrète auprès de la Garde et un avertissement sur une suite tragique des événements. Il y avait sur cette page des mots auxquels elle ne voulait plus penser. Des mots pleins d’amour.

Des mots qui étaient arrivés trop tard.
Bien trop tard.

Pourquoi avait-il fallu attendre sa mort pour les lire ? Là, au moment où il ne pouvait plus répondre à ses questions, à ses reproches, à ses demandes, les mots qu’elle avait tant attendu pendant longtemps venaient à elle en quelques lignes venant de l’au-delà. La fierté, l’amour indéfectible, l’assurance qu’elle pourrait faire ses propres choix...quand était-il arrivé à ces conclusions ? Et pourquoi ne lui avait-il pas montré plus tôt ? Elle aurait tant aimé l’entendre lui dire tout ça, le voir prononcer ces mots-là. Mais il n’y avait que dans la distance que certains coeurs s’exprimaient. Et oh, comme elle lui ressemblait sans le vouloir.

Elle ne sut pas combien de temps elle demeura sur l’herbe à se tordre et à saigner de l’intérieur. La brise plus fraîche la faisait frissonner et ses cheveux trempés collaient à son visage. A genoux dans l’herbe, elle se redressa en offrant ses joues rougies au ciel gris. Elle se trouva un instant ridicule et si frêle que la peur d’être vue de quiconque la prit à la gorge. Ses mains passèrent sur son visage pour écarter les mèches brunes. Elle se releva avec l’impression d’être une branche trop frêle à la merci d’une bourrasque. Les jambes chancelantes et les bras entourant son corps, Sanae se détacha de l’arbre et traversa le jardin. Elle s’y était cachée comme les chiens le font pour mourir en paix, loin du regard des autres.

La bouche pâteuse et les yeux gonflés, elle rejoignit le perron et vint s’asseoir dans le vieux rocking chair juste à côté d’une autre large chaise. Elle ramena ses jambes contre elle et dans un léger balancement, s'enroulant dans son châle, elle demeura là longtemps jusqu’à fermer les yeux. Le bruit du rocking chair sur les lattes de bois la berça et elle bascula dans les longs couloirs de son esprit, là où s’était figé un temps où rien n’était perdu.




"And I wondered if a memory is something
you have or something you've lost."
Marion, Another Woman

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Sanae M. Kimura
Jana au Sapon
Sanae M. Kimura
Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
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