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A tes côtés [Logan]

 :: Autour du monde :: Grande Bretagne :: — Angleterre
Lun 15 Nov 2021 - 21:01
Lundi 20 juin – Soir




Il n’y avait pas de fenêtre dans cette chambre d’hôpital. Le temps s’écoulait alors d’une étrange façon, le jour et la nuit se mêlant au fil de ses réveils, la désorientant un peu plus. Elle avait beau demander quel jour on était, la réponse s’échappait rapidement et la question revenait, sans cesse. Les visites des uns et des autres rythmaient davantage les heures mais les souvenirs qu’elle en gardait s’entremêlaient sans ordre. Hier, aujourd’hui...aucune différence. Les circonstances de son coma paraissaient encore plus floues. Elle ne se souvenait de rien, tentait d’attraper des semblant des visions troubles sans arriver à les accrocher plus d’une seconde. La dernière chose qu’elle avait en mémoire était d’être passée chez Kezabel ; et c’était tout. Elle n’avait pas eu le souvenir d’être allée chez Margo et la présence d’Eugène n’existait pas dans son esprit. On lui avait dit qu’elle était partie en mission, qu’elle était tombée sur un vampire. Mais elle ne retrouvait aucune trace dans les couloirs de son esprit, rien qu’elle ne puisse rattacher à cette réalité ; et dès qu’elle y pensait, dès qu’elle tentait de se souvenir, elle sentait son esprit turbiner dans le vide, s’acharner sans force à retrouver quelques pièces d’un puzzle. Alors elle demeurait dans un état confus, une douleur continue sciant son crâne quand les potions commençaient à faiblir.

Elle passait son temps dans ce lit aux draps blancs et rêches, sans pouvoir se lever, ses côtes encore trop fragiles, son épaule immobilisée, et bien que le côté de son visage soit d’un violet moins marqué, des touches de jaune apparaissant à mesure que les soins faisaient effet, elle sentait son corps sans énergie, blessé, faible. Faible. Un mot qu’elle détestait et qui s’ajoutait à la frustration engendrée par la confusion générale de son être. Elle tentait de rester éveillée autant qu’elle le pouvait, luttant contre la fatigue parce qu’elle haïssait cette sensation à chaque réveil...celle de ne plus savoir où elle était, de ne pas comprendre, de ne pas savoir depuis quand elle était ici. Il lui fallait toujours quelques minutes, quelques paroles pour replacer la réalité sans qu’elle n’arrive à s’ancrer confortablement. Il fallait se rattacher aux autres pour garder cette impression de réel qui s’effriterait plus tard. Se rattacher à eux et aux conversations, aux instants où ils posaient un regard bienveillant sur elle, rassurant, replaçant ses couvertures, remettant son coussin sous sa tête, apportant à boire, à manger, discutant de ce qu’elle avait raté, de son état, amorçant quelques notes d’humour qui faisaient souvent du bien. Niall était passé et rien que de voir son visage lui avait fait du bien. Margo était venue et elles avaient passé de longues heures à parler, rien qu’elles. Sanae avait pressé Kezabel de rentrer prendre une douche, manger, dormir, un tant soit peu. La vigilance pouvait se relâcher, elle n’était pas en danger. Il fallait continuer à vivre normalement, si tant est que ce mot ait encore un sens.

Mais elle n’avait pas eu l’occasion de lui parler à Lui. Logan agissait comme un animal fantomatique dans les couloirs de l’hôpital, rôdant autour de sa chambre, apparaissant dans son champ de vision derrière une autre silhouette, au détour d’une porte. Elle savait qu’il était là, tout près, mais que les allées et venues des autres avaient empêché le moment où il pourrait se poser, seul à seul, avec elle. Du moins, elle n’avait pas le souvenir de lui avoir parlé. Peut-être avaient-ils échangé quelques mots dans un demi-sommeil qui engluait tout. Rien n’était certain, rien n’était ancré dans le brouillard qu’était devenu l’intérieur de son crâne. Il y avait seulement une certitude : il était là, aux bordures de sa chambre, aux bordures de son esprit pour une seconde d’un geste rassurant. La longue conversation avec Margo l’avait épuisé et elle avait fini par s’endormir, retombant dans un sommeil moins lourd mais bienfaiteur, soulagée de retrouver celle qui lui avait tant manqué dans le fracas du silence. Ce fut finalement plus tard, quand la nuit au-dehors dont elle ne pouvait voir la noirceur tomba sur la ville, qu’elle s’éveilla à nouveau. Margo n’était plus à ses côtés, Kezabel n’était pas encore revenue. Ou peut-être étaient-elles toutes deux dans le coin, à prendre un café pour se redonner un peu d’énergie. Il lui semblait avoir cligné des yeux entre ces visites.

Elle était seule dans la chambre à la lumière tamisée par un sort, plus supportable à ses réveils. Les « bip » des moniteurs étaient devenus un bruit de fond familier et les contours de la pièce revinrent s’établir sous ses yeux encore un peu endormis, comme si les murs se construisaient à mesure qu’elle les voyait plus distinctement. Elle passa sa main libre sur son visage, défaisant le sommeil de ses traits tirés, frottant ses yeux en soupirant. Quand sa main retomba sur le drap, une silhouette se trouvait dans l’encadrement de la porte ouverte. Et bien avant qu’elle n’intellectualise cette présence, un léger sourire étira ses lèvres sèches. Des prunelles d’acier se posaient sur elle et au lieu de sentir le tranchant que tous ressentait face à elles, elle se laissa envahir par un soulagement bienvenu. A lui aussi, ses traits étaient tirés, fatigués. Ils avaient tous les marques de ceux qui avaient attendu, impuissants et inquiets. Il ne faisait pas exception.

Elle fit un geste infime vers lui, ses doigts s’élevant dans l’air sans que sa main ne se détache du lit.

« Hey... » souffla-t-elle d’une voix rauque. « Je savais que t’étais dans le coin... » Un léger sourire.

Elle se redressa douloureusement pour tirer son corps un peu plus haut dans le lit, se tortillant légèrement avant de reposer sa tête contre l’oreiller avec une grimace.

« Tu peux fermer la porte derrière toi ? …qu’on soit un peu tranquilles… »
murmura-t-elle à petite voix, la gorge sèche.

Juste tous les deux.
Juste un petit moment.

Un moment où peut-être toutes les questions qu’elle n’avait pas posées aux autres le concernant lui viendraient. Comment était-il venu ici ? Qui l’avait prévenu ? Qu’avait-il dit sur sa présence ici ? Que s’était-il passé de son côté des ombres ? Mais pour l’heure, elle se satisfaisait de sa présence, du simple fait qu’il était là, à portée de mains. Pas d’esprit. Elle n’oubliait pas la douleur de son crâne, celle qui pressait son front et l’arrière de sa tête comme une mâchoire puissante et qui l’empêchait d’étendre son esprit sur le sien. Elle aurait aimé pourtant. Oui, elle aurait aimé pouvoir se rassasier de quelques secondes de contact avec lui. Quelques secondes à eux. Il faudrait se contenter des mots, de la présence seule. Alors, la tête penchée sur son oreiller, elle l’observait entrer dans la pièce, regardait sa manière de se mouvoir, les expressions de son visage, l’intensité de son regard. Elle savait que ce n’était pas son domaine, pas le terrain confortable dont il avait l’habitude. Elle osait à peine se représenter ce qui avait été dit, fait durant son sommeil. Et c’était presque étrange de se dire que quelques instants plus tôt, Margo se trouvait là… comme si deux mondes entraient en collision sans qu’elle ne puisse le voir mais en lui laissant la sensation d’un entremêlement nouveau.

Elle fronça les sourcils, déglutissant en passant ses doigts sur son front, enlevant les quelques mèches qui dérangeaient son visage. A côté d’une petite table montée sur roulettes, un fauteuil demeurait là, près du lit. Elle eut un souffle amusé.

« Y a ton fauteuil qui t’attend... »

Il lui semblait parfois que partout où elle posait le regard, il y avait un Logan dans un fauteuil. Un passion qu’il avait développée depuis qu’il s’était éveillé de son propre coma et qu’elle tournait souvent en dérision, trouvant de l’humour là où il y aurait du avoir uniquement de la souffrance. Lui et les fauteuils. A croire qu’ils formaient à trois, un trio habituel. Qu’elle se trouve sur le sol face à lui ou à ses côtés, peu importait. C’était là que tout avait commencé. Lui. Un fauteuil. Et elle. Alors ça la faisait sourire. Et au fond, c’était sa manière à elle de lui trouver de la place dans une pièce où d’autres étaient venus, où d’autres s’étaient établis et où, elle n’avait pas besoin de conformation, il avait du mal à naviguer quand tout paraissait si simples pour les autres.

C’est ta place.
A mes côtés.


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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mar 16 Nov 2021 - 20:25
C’est comment, ce que tu vis ? Comment tu te sens, toi, après avoir fait ce chemin parmi les ombres ?
Logan rôdait. Il n’y avait pas d’autre mot, pas d’autre verbe.
En silence, à éviter les uns et les autres, sans chercher à parler à qui que ce soit, il attendait que les lieux se libèrent, que le balai ne se calme, que les allers et venues s’achèvent. Quand elle n’était pas consciente, Logan avait la conscience que certaines et certains ne la quitteraient pas des yeux et l’angoisse le dévorait assez pour le pousser à rester là, à entrer, à faire ses pas dans une vie qui n’était pas la sienne. A échanger, même, à contre courant et contre cœur. Contre, d’une façon générale. Et ce ‘contre’ révélait bien des aspects qu’il n’avait pas imaginé. Pour autant, dès son réveil, il n’était pas question de s’insérer là-dedans, auprès de gens dont le rapport à l’autre semblait parfois si simple. Auprès de ceux qui la comptaient dans ce mot étrange qui pesait dans sa poitrine quand il y songeait. Une famille. Amusant, non, que celle qui en était dénuée à la naissance en ait une à présent quand celui qui en avait deux en venant au monde n’en avait plus à présent.

Si. Tu as un cousin que tu as envoyé droit dans la gueule du loup.

Amusant, non, que celle qui avait quitté sa vie reparte à présent vers la sienne, vers sa sœur. Et que celle de Sanae ai posé les mots que personne n’avait jamais été amené à lui offrir. Un truc de famille, peut-être, que de panser les blessures.
Pas un mot donc. Pas un pas. Juste une présence, une ombre qui rôdait dans les couloirs, attendant que ce petit monde ai fini de défiler, apaisant peu à peu son inquiétude pour se nourrir d’autres angoisses, d’autres plaies. Qu’elle était pleine, cette petite pièce. Et lui, à son réveil, qui y avait-il ? Ah, peut-être le coma avait-il été trop long pour intéresser quelqu’un d’autre que les actuels absents. Aileen, qu’il s’était empressé de blesser. Alec, que Maxence n’avait pas accepté à son chevet la première fois et qui avait été le seul, la seconde, à aller et venir auprès de lui. Personne au réveil. Pas une tête connue. Rien que son esprit pour voler vers les uns et les autres avant qu’enfin, il y ai un visage amical. Qu’il avait failli briser. Dorofei.

Les mains dans les poches, comme si prendre une posture d’adolescent en colère pouvait éloigner de lui ses mauvaises pensées. C’est fou non, les deuils, les peurs… c’est fou ce que les silences peuvent remettre en perspective.

Quelques semaines plus tôt, sans doute n’aurait-il pas été là, sans doute aurait-il attendu chez elle…. Mais à présent… à vrai dire, à présent, chez elle, il n’y avait pas foutu un pied depuis quelques temps. Le sommeil se refusait à lui et rester dans ces murs vides le rendait dingue, attirait sur lui des démons qu’il pensait dorénavant muets.

Un lien avec le départ de Maeve ?
Ne dis pas de conneries.


Un lien avec l’angoisse dévorante et le mal-être généralisé. Et pourtant, il ne pouvait s’en défaire, ne pouvait s’éloigner. Comme toujours, l’absence lui pétait à la gueule une fois effective. Alors cette fois, il ne bougeait pas, devenu une ombre dans cet hôpital qu’il ne quittait qu’à peine, conscient de la merde que c’était pour lui d’y entrer de nouveau.
Le dos contre un mur, assis sur un bureau, Logan attendait. La lumière blafarde clignotait parfois et il s’interrogeait de la tendance qui était celle des lieux de tendre à ce point vers un environnement moldu. Les lumières, les moniteurs, les câbles, le genre de choses qu’il ne connaissait pas.
Moins de temps de coma, pour Sanae, par rapport au sien. Mais des blessures semble-t-il plus notable au réveil. A Poudlard, Maxence n’avait pas osé le réveiller, préférant œuvrer dans le calme du coma pour lui laisser le temps de récupérer, conscient qu’il pouvait être ingérable au réveil. Même logique pour le second, après un réveil trop brutal où les crocs de son esprit s’étaient refermés sur un esprit fragile qu’il avait brisé d’une morsure létale. Pas sa place ici, donc, lui dont le visage était recherché partout ailleurs. Lui qui avait emporté l’une des leurs sans la moindre trace de remords.

Une question vint à son esprit : Sanae travaillait-elle avec les équipes qu’il avait privées d’un membre ? Sans doute.

Sous la lumière froide, l’ancien directeur fermait ses mains meurtries dans le vide, ignorant les murmures à ses oreilles. « Tu m’appartiens. Crois-moi, il n’existe aucune illusion dans laquelle tu peux te cacher. » pourrait-il faire ça ? S’inventer un autre monde ?
Non, car dans celui-là certaines choses ne pourraient exister. Maeve en était l’exemple même. Sanae, il pouvait la fantasmer, mais pas la présence de Margo qui ne signifiait rien. Mais Maeve… il n’aurait jamais été imaginer ça. Il se serait concentré sur Aileen. Donc tout ça n’était rien d’autre que la réalité. Et l’autre, un délire d’un esprit qui fatigue.

De nouveau, les mains malhabiles qui se referment sur le vide, le bruit de l’hôpital lui parvenant par moment, par à-coups et lui se laissait porter au loin dans ses pensées. Dans les moments vécus, volés, ces instants de vie qu’il n’avait pas prévu et qui l’avaient pris par la gorge sans qu’il ne sache s’en défaire. Ces temps de vie semble-t-il hors de lui, alors qu’il n’aurait déjà dû ne plus exister. Trois femmes pour le ramener vers les rives de la vie, chacune à leur façon. L’une par l’abandon, l’autre par la confrontation et la dernière… il n’aurait même pas su désigner Sanae. Mais il lui devait la vie et sa simple présence ici, à attendre sagement que sa nana daigne enfin quitter cette saloperie de chambre, voulait tout dire.

Là-bas, les bruits des moniteurs le rendaient dingue, la présence des autres aussi, comme s’ils rappelaient de leur présence leur légitimité à être là tandis que lui..

Merci. De l’avoir aidée à se libérer.

Sans ces mots, agirait-il ainsi ? Peut-être pas. Peut-être le temps ne s’égrènerait-il pas devant ses yeux en attente d’une ouverture. D’une place qu’il ne prenait pas quand d’autres s’y vautraient. L’animal sauvage était là, derrière l’homme et en silence, Logan esquissait un petit sourire cynique. Finalement il n’y avait pas tant de différence entre lui et les lycans dont le comportement l’agaçait par moment. Trop de ressemblances, même. Peut-être était-ce pour ça qu’il avait tendu la main à l’un d’entre eux, toujours avec sa mauvaise foi habituelle et ses râleries constantes.

Sans un mot – à qui parlerait-il ? – il était sorti de là, avait rôdé, fidèle à ces fameuses sales manies qui lui irritaient aujourd’hui les sens, tournant autour de cette satanée chambre, croisant une porte fermée, comprenant que l’autre était toujours là. Ou passant pour jeter un œil au dessus d’une épaule, croisant un regard tant attendu.

Un enfant. Un gosse qui n’ose pas entrer. Un môme perdu dans une réunion de famille dans laquelle il croise trop de visages familiers sans qu’aucun ne soit associé à des alliés. Sans jamais réussir à rejoindre la seule qui porte ce titre. Un gosse. Tu n’es qu’une saloperie de gosse. La vulnérabilité établie lorsqu’il s’agissait d’interagir sur le plan humain, d’assumer sa place auprès des uns ou des autres. L’avait-il seulement jamais fait ? Rien qu’une fois ?

En silence, il croisait Maxence, lui refusait un mot, un regard, trop centré sur ce qui frappait depuis son réveil. A elle, il n’avait certes offert que le silence, mais ce dont il était chargé suffirait, il le savait. Il le pensait. Il l’espérait.
Pas sa place, pas son moment, pas… ça ne le concernait pas. D’ailleurs pourquoi était-il là à ce moment-là ?
Parce qu’il n’était jamais bien loin.
Parce qu’il restait des grains de sable méditerranéens prêts à griffer son organisme.
Parce qu’il savait qu’au réveil, lui s’était déversé dans les autres pour les écraser.

Alors oui, il était là. Mais elle n’avait pas fait preuve de sa violence tandis qu’elle ouvrait les yeux, piquant son être d’une certaine culpabilité.

Là pour la protéger elle, ou ses proches ? Son élève ? Ou pour l’épargner simplement… elle, des tourments qu’il accusait depuis ?
Ou pour s’assurer de sa présence, de la vie qui pulsait en elle..

Sans doute tout en même temps. Pourtant Logan s’était esquivé, conscient de n’avoir rien à foutre dans leurs réunions de famille. Absent sans disparaitre pour autant. L’ombre dans les couloirs.

« Logan…. »

Il s’esquivait. Disparaissait de nouveau, ne revenait qu’une fois l’espace dégagé pour la trouver endormie. L’ancien directeur n’avait pas osé prendre son pouls, se contentant de fixer les moniteurs sans trop savoir à quoi se fier. Un instant, Logan restait là, dans les ombres de la chambre à l’observer sans savoir ce qu’il était censé foutre de ces émotions qui lui étaient trop inconnues.

Tu stalke, psychopathe.

Il l’aurait presque entendue.

Encore une fois, alors, il s’esquivait, les nerfs à fleur de peau de ces moments arrachés à lui. Alors, Logan aurait presque pu disparaitre, rentrer, envisager de faire ce que quelqu’un de normal ferait : la laisser dormir et aller mettre en ordre l’appartement, lui acheter de quoi manger, quelque chose qui puisse lui faire plaisir, déclencher ce que la douleur, les médocs et les potions saturaient chez elle. Mais non, il restait dans le coin, chien de garde d’un couloir trop fréquenté à son gout. Et enfin, il l’entendait bouger. Etrangement, celui qui était pourtant toujours assuré hésita un instant avant de repousser l’idée de s’enfuir pour apparaitre dans l’encadrement de la porte, adossé contre le bois, le regard planté sur celle qui ne tardait pas à l’apercevoir.

Et si à l’instant précédent, il envisageait de renoncer, à présent, il souriait en silence, observant ses lèvres faire de même.

« Hey... » soufflait-t-elle d’une voix rauque. « Je savais que t’étais dans le coin... »

La réponse n’existait que dans son regard clair : évidemment. Où veux-tu que je sois ?

Pourtant il n’entrait pas, ne se précipitait pas pour l’aider à se redresser, ne fermait pas la porte. Il restait là, entre deux mondes, entre elle et la fuite, l’humain et l’échec.
Cette pièce lui semblait incarner tout ce qu’il ne savait pas faire. Ses gestes, faibles, lui crissaient dans chaque nerf, la présence des odeurs, des parfums, des traces de tous ceux qui défilaient dans sa vie en faisaient de même. Et lui, il était là avec ses incertitudes sans vraiment savoir ce qu’il foutait là dès lors qu’elle raccrochait à la vie alors même qu’il imposait sa présence avec violence quand elle était plus proche de la mort.
Un pas en avant, deux en arrière, un reflexe humain, sans doute.

« Tu peux fermer la porte derrière toi ? …qu’on soit un peu tranquilles… » Et elle décidait pour lui. Alors Logan s’exécutait. Sans doute la seule qui puisse se vanter d’une telle chose.

Instinctivement, son esprit projetait vers le sien sans l’impacter, sans entrer, simplement pour sentir sa force vive comme si les sens qu’il partageait avec les autres ne suffisaient pas. Qu’il devait s’en assurer autrement. Elle, elle ne projetait pas.
Amusant non, cette différence ? A son réveil, sa légimencie prenait ses aises comme quelque chose qu’il n’avait pas la force de garder sous cape, l’occlumencie acquise avec difficulté devenant alors insuffisante. D’où le danger qu’il représentait. Mais pas elle. Semblables, mais pas identiques.

Tant qu’elle est en vie…

Tant que tout ce qu'elle a vécu ne trouve pas une fin si brute.
L'enfant d'hier ne le mérite pas plus que l'adulte d'aujourd'hui.


L'idée qu'on puisse lui faire ça, à elle, après tout ça, résonnait avec violence en lui, à peine calmée par ce réveil trop attendu.

Et en refermant le battant de la porte, il lui semblait recréer artificiellement cette bulle qui ne pouvait se former sans cela.
Elle déglutissait, passant les doigts sur son front pour en dégager quelques mèches qui avait dû s’y coller un jour, quand son corps se battait si violemment face à ce qui l’impactait. Un souffle amusé. Pourquoi ?

« Y a ton fauteuil qui t’attend... »

Ton fauteuil. Pas un fauteuil. Non, « ton » fauteuil. Par un mot, légitimer sa place dans cet univers résolument trop moldu de par sa construction, trop familial de part les personnes qui le fréquentaient, trop humain de part les émotions ressenties. Existait-elle seulement ? Cette satanée place ? Elle, en tout cas, elle la désignait.
Comme une évidence pour une personne valide face à un non voyant.

La main sur la poignée, le regard planté sur elle et ce corps si profondément abîmé, sur cette âme confuse, épuisée, il pinçait les lèvres un instant avant de lâcher un petit souffle et d’abdiquer, rejoignant le fauteuil sans s’y assoir, posant seulement les avant-bras sur le dossier. Sa façon à lui de garder un minimum de posture, de recul. En tant qu’enseignant, jamais il n’était assis. Pas plus en tant que directeur. S’il l’était, au début de leurs rencontres, c’était que l’état de son corps et de son esprit ne lui permettaient pas d’en être autrement. Ainsi, ce besoin de rester debout, à l’instant, de placer quelque chose entre lui et l’angoisse de la voir succomber n’avait rien d’étonnant.

D’ordinaire, c’était lui à sa place. Et si la sensation d’être vulnérable, fragile, faible lui écrasait les poumons, celle de voir un proche dans cette situation n’était pas mieux. D’autant qu’il savait à quel point elle le vivait mal également.

« Avoue, tu leur as demandé spécifiquement pour pouvoir faire cette vanne… » Un sourire échangé.

A son tour, il déglutissait d’entendre sa propre voix, rauque de ne pas avoir parlé depuis des jours. Ses mains abîmées se serraient contre le dossier et il détournait le regard d’elle un instant, mal à l’aise, les posant sur ses poings abimés, signe de violences récentes.

C’est bien Logan, tu as déjà des difficultés à retrouver une certaine mobilité et tu gâches le travail en rajoutant des traumatismes. Bravo.

C’était vrai, une part de lui se comportait en adolescent malhabile face à une situation qu’il ne savait gérer. Lui, l’inébranlable, au calme glacial face aux pires menaces qui soudainement, ne savait plus comment faire.
Trop à gérer, sans doute. Mais ça le rendait dingue d’être comme ça. Alors il se redressait, retrouvant une certaine posture, une façon de retrouver contenance, et rejoignait le fond de la salle où il prenait un gobelet pour le remplir d’eau dans un sort informulé, et lui apportait.

« Comment tu te sens ? »

Les traits tirés, le soulagement, l’inquiétude persistante, il ne pouvait les cacher pourtant le ton se voulait neutre, maitrisé.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Lun 22 Nov 2021 - 23:43
Il ressemblait à un enfant. Ça lui sautait aux yeux à l’instant. Là, dans l’encadrement de la porte, il demeurait comme un môme qui ne savait pas où aller, où se placer, comment faire dans une pièce où tout était trop grand, trop compliqué, trop nouveau, auprès d’un être dont il redoutait la douleur. Il y avait des choses instinctives qui se passaient de confidences : il ne savait pas faire. On ne lui avait jamais appris. Et quand bien même, dans cet hôpital inconnu, dans cette situation inédite, ne ressemblaient-ils pas tous à des enfants ? Hésitants, fatigués, angoissés, à peine soulagés par un réveil qui n’apaisait pas encore les maux qui avaient tant macéré. Alors, comme on tend la main à quelqu’un pour lui faire franchir le seuil de quelque chose de nouveau, elle notait sa présence, la prenait en compte quand il n’avait eu d’elle qu’un long sommeil. Et elle, elle laissait ses prunelles imprimer sa silhouette dans son esprit fatigué, posait pour la première fois depuis des jours son regard dans l’acier si familier. Une main tendue. Quelques mots. Un sourire qu’ils partageaient. C’était tout ce qu’il fallait pour qu’elle voit dans ses yeux l’évidence de la réponse. Bien sûr qu’il avait été là. Comme il avait été là à Paris, là sur la plage, là contre cette baie vitrée, là...juste là, même dans les ombres d’une ruelle et ou les ombres d’un couloir. Là, contre toute attente. Celle des autres ou celle qu’il avait envers lui-même.

Mais il n’entrait pas, demeurait sur le pas de la porte, dans l’entre-deux qu’elle lui reconnaissait bien. Toujours dans l’entre-deux. Avancer ou reculer. C’était sans cesse la question. Et il avait sans doute plus de mal à avancer en plein jour que de le faire dans l’ombre, à l’abri des regards qui pourraient noter sa progression. Elle ne lui laissait pas le choix. Elle lui donnait l’impulsion, l’élan, le mouvement qu’elle traçait vers elle. A l’intérieur. Inclus, dans cette pièce qui avait vu passer du monde. Et elle lui demandait de fermer la porte, de sceller la bulle, de leur redonner cette intimité qu’ils partageaient tous deux dans l’ignorance des autres, là où personne ne pouvait interrompre le lien qu’ils tissaient. Deux maladroits avec des aiguilles. Des maladroits qui pourtant semblaient déterminés à coudre ensemble ce qui n’avait jamais été auparavant entre deux êtres.

Il entrait.
Et comme un réflexe, leurs regards mêlés, il projetait son esprit tout contre le sien. Juste une présence, juste une sensation sans violence, sans la brutalité ordinaire qu’ils aimaient tant tous deux. Une caresse, presque, là où les mains et les corps restaient loin, se gardaient de tout geste. Elle eut un mince sourire. Fatiguée, elle accueillait l’empreinte légère de son esprit sur le sien, incapable d’en faire plus. Incapable de le rejoindre. La frustration la mordait rageusement. Pas de légimencie pour elle. Rien. Elle le savait, on le lui avait assez répété. Tant qu’elle n’avait pas repris des forces, tant que la confusion demeurait, il n’y aurait pas d’union de leurs dons. Il faudrait se contenter des mots et des silences partagés, de l’espace commun de leur bulle.

Elle eut un souffle amusé, son regard allant légèrement vers le fauteuil. Son fauteuil. A lui. Là, en cet instant, il n’était que pour lui. C’était son moment, leur moment. Alors, la main sur la poignée, la porte à peine fermée, il la fixa un instant avant de pincer les lèvres et de soupirer. Il ne vint pas s’asseoir dans le fauteuil mais il s’avançait, posait ses avant-bras sur le dossier. Il n’était pas encore prêt. Pas prêt à prendre la place qu’elle jugeait, elle, légitime. Pas prêt à se positionner.

Pourtant, tu es là.
Tu te positionnes par ta seule présence.


Pas prêt à l’assumer. Ce n’était pas une surprise, non, elle le savait déjà. Elle le voyait tous les jours. L’entre-deux.

Et puis, ce fauteuil, son fauteuil, était trop près. Trop près d’elle et de son corps pleins d’ecchymoses, pleins de bandages. Il mettait de la distance. Il ne voulait sans doute pas voir. La voir ainsi, de plus près. Fragile, devant ses yeux. Les couvertures la recouvraient bien haut, remontaient le long de son bras immobilisé, ne laissaient en sortir que l’autre. C’était idiot sûrement. Il avait du voir, déjà, les blessures sur son corps. Mais elle aimait trop peu l’image qu’elle renvoyait, l’image qui resterait incrusté dans son esprit. Ce coma, sa figure endormie dans un lit d’hôpital, avaient déjà rejoins la multitude de souvenirs qu’abritait sa forteresse. Et l’idée ne lui plaisait pas, bien qu’elle ne pouvait plus rien faire pour ça. Elle ne pouvait pas retirer l’angoisse, l’attente, les images d’elle en tant que patiente. Où allait-il mettre ce souvenir ?

Où suis-je, dans ta forteresse ?
Où m’as-tu cachée ?


« Avoue, tu leur as demandé spécifiquement pour pouvoir faire cette vanne… »
Les sourires se répondirent sans attendre. Elle eut un souffle amusé. Pourtant, il y avait ce ton rauque chez lui, à l’image du sien, qui bousculait ses nerfs, lui étreignait le ventre. Depuis quand n’as-tu pas parlé ?
« Hm...j’aurais pu...mais si ça avait été moi, j’aurais ajouté un verre de whisky en prime. » murmura-t-elle.

Il déglutissait, baissait le regard sur ses propres mains et celui de la sorcière fit de même. Ses mains, à lui. Là, pendant dans le vide, abîmées plus qu’auparavant. Des marques sur les phalanges qui lui restaient, du sang séché dans les plis, des égratignures, des étendues plus rouges…Elle fronçait les sourcils.

Oh, Logan...

Ça lui fendait le coeur, là, dans son thorax. Une vague à laquelle elle ne s’était pas attendue. Pourtant, ce n’était pas surprenant. La violence en étendard, le protégeant des émotions des autres comme des siennes. Le carburant qui le faisait tenir. Le biais par lequel il s’exprimait bien souvent. Avait-ce été un mur ou un visage ? A quoi es-tu revenu pendant mon sommeil ? A la solitude, telle qu’on l’a toujours connue ? Il se redressait, se détournait complètement d’elle pour se tenir plus droit, reprendre contenance et se diriger vers la table un peu plus loin pour remplir un verre d’eau par un sort qu’elle ne le vit pas formuler. Elle s’était habituée à le voir faire ça, entre les murs de l’appartement dans lequel ils évoluaient depuis des semaines maintenant. Il revint vers elle, lui tendant le verre d’eau.

« Comment tu te sens ? »

Sanae tendit le bras mais ce n’était pas le verre qu’elle toucha. Le bout de ses doigts s’arrêta sur les blessures de ses mains et elle posa un regard inquiet dessus. Au fond, c’était de la tristesse, de la douleur qui suintaient de ses yeux sombres. Il avait eu mal. Il avait mal. Son regard se releva vers lui. « Logan... » souffla-t-elle, les traits tirés, les sourcils froncés, mais il ne savait pas quoi lui dire, ne savait pas s’il fallait en parler, s’il fallait relever la souffrance qui avait fait naître la rage frustrée.  Alors elle soupira et elle prit doucement le verre pour le ramener vers elle, ses yeux le fixant toujours, là plus haut, la mine fatiguée. Elle pinça les lèvres. « Dis-moi au moins que c’est parce que t’as frappé l’infirmier aux mèches blondes que j’aime pas. » C’était la seule chose qu’elle pouvait faire, l’humour pour dissiper un peu de douleur, pour passer dessus sans vraiment s’y arrêter, se doutant qu’il serait peu enclin à en parler.

Elle but une gorgée et laissa retomber sa tête dans l’oreiller, gardant son verre sur sa poitrine. Elle fit un léger sourire. « Je vais bien. » A peine un mensonge. Mais comment résister quand elle voyait les marques de l’inquiétude sur son visage ? « J’me suis juste prise un vampire dans la tronche apparemment... » Un instant de silence, elle leva un doigt en l’air, un sourire en coin. « Mais j’ai perdu aucun doigt ! » Sa main retomba platement sur sa poitrine, entourant le verre. L’humour se dissipait vite, comme toute once d’énergie qu’elle pouvait invoquer. Elle l’observa un instant en silence, hésitante, avant de pincer les lèvres, le visage tourné vers lui. « Qui t’a prévenu ? ».

Dis-moi, raconte-moi ce qu’il s’est passé durant ces longues journées où j’errais toute seule et où toi, tu étais une ombre dans un couloir.


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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Jeu 2 Déc 2021 - 20:39
Non, il ne savait pas. Ni où se placer ni comment se comporter. Ils ne sont pas si nombreux, ceux qu’il a pu veiller, l’homme des ombres que tous évitent.
Ça n’avait jamais été son genre de s’intégrer, dans la foule, une équipe ou une cause. Mais le plus compliqué se trouvait justement ici. Dans un hôpital, les gens vont et viennent malmenés de maux qu’ils ne savent gérer. Et lorsqu’ils s’agglutinent comme des mouches autour d’un lit, c’est sans doute que celui-ci sent déjà trop fort la mort. Tous le savent alors. Tous en reconnaissent instinctivement les traits, comme s’il y avait quelque chose à flotter dans l’air qui servait à les rassembler dans un dernier hommage. Et lui… n’avait jamais eu vraiment les clefs. Ni pour aller vers les autres ni pour les voir partir, ni pour dire ce qu’il taisait sans cesse. Enfant, il n’avait jamais été intégré à quoi que ce soit, et de toute manière la famille n’était pas exactement de ceux qui montraient leurs sentiments. S’il y avait un mort, ils se trouvaient tous à l’enterrement avec des mines graves mais solides, jamais une marque de faiblesse, jamais un geste doux. Certainement pas envers lui. Sa présence était une insulte, quel que soit le contexte. Et quelque soit le contexte, s’il prenait une place, c’était parce qu’il imposait sa présence sans avoir le moindre soutien de qui que ce soit. Alors ici ?

Il n’y était pas non plus. Si personne ne l’avait prévenu, ce n’était pas pour rien. S’il avait fallu une foutue escorte pour envisager de le laisser passer les portes, ce n’était pas anodin. Alors non, sa présence n’était ni acceptée ni voulu, mais Logan restait malgré ça. Malgré eux, comme ce qu’il avait toujours fait. L’étranger d’un monde qui ne voulait pas de lui. Eloigné des autres, c’était pourtant au nom de l’affection qu’il se battait, cette fois, pour défendre sa place. Sauf qu’il s’agissait cette fois d’un processus avec lequel il n’était pas à l’aise. Un processus qui faisait mal car il ne s’en sentait pas légitime. Se battre pour exister est bien différent de se battre parce qu’on se sent important pour quelqu’un. Ce n’était pas le cas. Pourtant ces murs, il ne les avait pas quittés. Toléré plus qu’accepté, il violentait la sensation de rejet pour affirmer sa présence. Et pourtant à l’instant… il n’était en effet plus qu’un enfant. Celui qu’il était dans le fond, qui ne savait ni ce qu’il faisait, ni vraiment pourquoi. Parce qu’il n’avait pas les clefs pour le comprendre et qu’il avançait à l’aveuglette dans un terrain qui n’était pas le sien.

Les autres, eux, savaient. Ici, ils avaient tous grandit avec quelqu’un dans leur camp, compris les rouages de la société, été soutenu, aimés, écouté ou encouragés. Parfois mal, parfois maladroitement, mais l’effort était là. Pas pour lui. Lui la seule personne qui avait ne serait-ce que posé le regard sur lui lors de l’enfance sans vouloir le tuer … eh bien à vrai dire, il y en avait sans doute eu deux. Le premier, il l’avait tué. Le second voulait sa mort pour le meurtre du premier. Alors non, dealer avec ça n’était pas la chose la plus simple qu’il ait à faire et il se trouvait là sur le champ de la vulnérabilité. Un peu con face à l’inconnu. Car la mort, si elle était devenue une vieille compagne, l’angoissait profondément si elle devait toucher ceux auxquels il tenait.

Alors s’il était rassuré de pouvoir recréer artificiellement cette bulle qu’ils avaient construits entre eux, Logan gardait ses distances, comme une façon d’essayer de se protéger de ce qu’il ne maîtrisait pas, une maladresse dans sa propre rigidité.

Avancer mais pas trop. Disparaitre sans le faire. Être là sans le dire. Aimer mais le taire.

Toute une construction faite d’incohérences, de tentatives, d’hésitations, de reculs et d’envies.

Et au centre, des départs. Des départs qui lui labouraient le cœur sans qu’il n’en exprime aucun. Ismaelle, Aileen, Alec et Maeve, chacun devenus une lame entre ses côtes.

Et au centre, elle.
Au centre, Dorofei.

Deux êtres pour qui il ne savait exprimer l’affection et dont la présence avait été remise en question au cours des deux derniers mois. Si tous deux étaient tombés à présent, s’il fixait dorénavant la silhouette glacée d’un cadavre, aurait-il encore la moindre raison de rester ? Et si ça n’était pas le cas, depuis quand son existence s’était-elle mise à dépendre des autres ? Une idée qui le dérangeait profondément mais dont la sensation s’était écroulée dans sa poitrine à l’instant où il avait cru la perdre elle, juste après Maeve.

Pas prêt pour se positionner, non. Pourtant il le faisait par sa seule présence. Car ne pas prendre de décision est un choix. Ne pas agir est un acte. Ne pas partir est une volonté.

« Hm...j’aurais pu...mais si ça avait été moi, j’aurais ajouté un verre de whisky en prime. »
« C’est même une honte qu’il n’y en ai pas. »

Pourtant je vois ce que tu veux faire.

Et il était partagé entre l’agacement d’avoir besoin de ce type d’attentions comme s’il n’était pas assez mature ou solide pour gérer ça seul… et la tendresse de comprendre sa démarche.
Pas de prise de décision, là-dessus non plus. Il restait bloqué entre deux eaux et préférait  se détourner d’elle et des douleurs qu’elle charriait au fond de ses prunelles. Mal à l’aise, oui, du fait d’en souffrir lui-même, de s’être démonté les poings, d’en voulu égorger des inconnus pour faire payer aux autres ce qu’on lui avait fait à elle. Mal à l’aise d’être ainsi, penaud comme un gosse qui ne sait pas où se foutre alors qu’il tenait un château quelques mois plus tôt et faisait face à l’horreur sans broncher. Mais mal à l’aise à présent, dans un environnement si banal que soit un hôpital. Mal à l’aise de leur vulnérabilité à tous les deux, comme si leurs plaies étaient à découvert à cet instant précis alors même qu’ils ne pouvaient se lier par l’esprit. C’était d’ailleurs totalement incongru. Se sentir mal de la vulnérabilité de l’autre alors même qu’on a eu accès à ses pires traumas durant bien des mois. Alors même qu’il l’avait rejointe un jour où la mort l’appelait et où la rejoindre lui semblait une option envisageable. L’exaltation due à leur don pouvait-elle leur faire oublier ça ? Le pire, c’était qu’il n’avait pas cherché à y rester, dans les méandres de ses douleurs, à s’en repaître comme l’animal qu’on faisait pourtant de lui sans cesse. Il avait vu, était passé, avait tu ce qu’il savait. Comme ce qu’il avait toujours fait, qu’importe ce qu’on puisse dire de lui. Mais ce qu’elle savait, elle, de lui, elle l’avait essentiellement deviné à travers ses gestes, ses silences ou ses postures. Et si son regard se posait sur ses mains abîmées, elle en faisait de même… et il ne tardait pas à se déplacer pour s’esquiver, dissimuler ce qu’il ne voulait exprimer. Ce qu’il ne souhaitait pas qu’elle voit.

Alors pourquoi n’as-tu pas simplement trouvé du dictame ?
Dans un hôpital clandestin fréquenté par la communauté magique, ça doit se trouver non ?


Sans doute. Mais les lieux lui semblaient si profondément moldus, totalement éloignés du monde dans lequel il avait grandit qu’il n’y avait songé. Et pourquoi n’était-elle pas traitée avec ce genre de choses ?

C’est le cas Logan, tu cherches seulement à accélérer des processus qui prennent du temps car la voir ainsi te rend dingue.

Alors oui, il détournait le regard, fuyait la situation, s’enfermait dans des gestes qui lui ressemblaient pourtant peu, lui permettant de retrouver contenance, de détourner le regard de lui pour plaquer de nouveau l’attention sur elle. Mais ni l’un ni l’autre n’étaient à l’aise avec ça, leur vulnérabilité. Alors ils se renvoyaient la balle. Et tandis qu’il s’approchait pour lui donner un verre d’eau, se demandant d’où ces foutus trucs en carton sortaient et quels accords commerciaux avaient pu être passés pour assurer ce type de choses très industrielles, Sanae posait une main sur la sienne.

Et sa respiration se coupait, une onde électrique partant des épidermes en contact pour grimper jusque dans sa colonne et suivre son cours le long de sa nuque. Un geste vers ses plaies, le regard posé, l’évidence mise en avant. Et lui se sentait seulement con d’avoir songé qu’elle ne verrait rien. Ou de ne pas y avoir pensé du tout, d’ailleurs. L’idée ne lui était même pas venue à l’esprit et alors, elle lui tranchait les nerfs comme s’il était mis à nu sur un plan qui lui était tout à fait inconnu. Souffrir pour quelqu’un. Quel étrange concept. Rien d’étonnant, finalement, qu’on puisse crever par amour. Une évidence qui lui avait claqué à la gueule bien des années auparavant et qu’il avait dès lors épuisé son énergie à renier.

« Logan... »

Il ne leva pas les yeux vers elle immédiatement, fuyant les résultats de sa propre bêtise. Ce qu’il dissimulait d’ordinaire lui était servi sur un plateau d’argent… et il ne savait qu’en faire. Mal à l’aise, sa respiration se perdait un instant avant qu’il ne redresse le regard, se refusant à lui le sien comme un ado apeuré. Elle fronçait les sourcils, pinçait les lèvres… et il en faisait de même. Deux idiots mal dégrossis face aux codes sociaux, bien incapables quand il s’agissait de poser des mots sur les maux.

Ne dis rien.
Voilà ce qu’il en pensait, d’ailleurs.
On s’en fout. C’est pas le sujet.
C’est pourtant sans doute plus simple de ne pencher sur les écorchures de l’autre que sur les épines qui vous mordent la chair.

Elle se cachait, d’ailleurs, elle-même. Sous les draps blancs.
J’en ai connu, des tissus blancs, que tu ne supportais plus.

A cette pensée, il y eu quelque chose de tendre dans ses prunelles. Quelque chose que sont esprit lui-même gardait sous clef tant il n’en était pas à l’aise à l’instant.

« Dis-moi au moins que c’est parce que t’as frappé l’infirmier aux mèches blondes que j’aime pas. »

Autant qu’elle, de toute évidence.

Elle est bizarre, cette sensation d’être bien plus profondément démasqué qu’elle … alors même qu’il en connaissait tous les tréfonds.
Un instant fugace, il songea à son père, l’homme qui l’avait recueillie, lui avait tout appris, tout enseigné, lui avait tendu la main au moment où elle n’avait rien et s’était décidé à tout lui offrir. L’homme dont elle ne savait pas tout, qu’elle ne comprenait pas toujours, n’arrivait pas à déchiffrer alors même que son esprit lui avait été tant mêlé qu’il subsistait à présent comme un fantôme déchu dans la maison vide de son esprit.

Tu vois. Pour une fois, c’est toi Masa. Et non moi.

Que dire de ça ? Il n’en su rien. Lui, il rit de la connerie énoncée à voix haute qui leur servait à tous deux de bouée de sauvetage.

« Je savais pas que Maxence s’était fait des mèches. »

C’est plus simple ainsi.

Et si elle prenait le verre, détournait le regard de ses plaies, lui faisait un pas en arrière sans retourner derrière le siège. Nouvel entre-deux, un pas vers elle malgré celui qu’il faisait en sens contraire. Appuyé contre l’un des accoudoirs du fauteuil, Logan se stabilisait d’une cuisse posée sur le tissu rapiécé, l’écoutant simplement reprendre.

« Je vais bien. » Bien sûr que non.
Le pire dans tout ça, c’est que tu mens pour moi. J’ai à ce point l’air d’un gosse apeuré ?


Il n’eut alors qu’un sourire en coin, barrant en silence l’affirmation mensongère. Et elle, elle reprit, comme s’il n’en était rien.

« J’me suis juste prise un vampire dans la tronche apparemment... »

Un instant, un frisson et un vieux souvenir lui remontaient derrière l’orbe de ses pupilles sombres. Aileen, pâle comme la mort, entrant dans sa salle de classe et lui, s’arrêtant dans une explication auprès d’un petit groupe d’élèves tandis que le silence se faisait brusquement. Anormal, dans une situation d’exercices les uns contre les autres. La vision de ce corps si brusquement vulnérable, exsangue jusqu’à ce que ses lèvres lui semblent inexistante, l’eau de son regard devenue presque translucide… tout lui revenait comme si tout ça était arrivé hier. Sur son cou, deux trous rouges bien visibles et dans sa gorge, un nom. Logan. Le son résonnait encore à ses oreilles. Elle ne l’avait jamais appelé ainsi. Amusant, d’ailleurs, que Maeve n’ai jamais connu son nom usuel. Un rapport ? Aucun - probablement. L’esprit fait des choses étranges quand il dérive vers ce qui lui manque.
Celle qu’il avait aimée avait fini sur son lit ce jour là. Et pour la première fois, il avait veillé quelqu’un auquel il tenait.

Lâchant un souffle presque résigné malgré la violence de la colère qu’il masquait, Logan se laissa glisser en arrière sur l’accoudoir, s’y asseyant mieux.

Voilà ce qui lui faisait prendre sa place, le souvenir d’une autre femme pour qui il avait craint plus que tout. Il ne dit rien, bien sûr. Mais c’était là, comme la brume ondulant dans ses prunelles d’acier. Et si le silence les enveloppait un instant, elle relevait la main, attirant naturellement son regard.

« Mais j’ai perdu aucun doigt ! »

Un nouveau rire, le regard de nouveau planté dans le sien.

« C’est ça, marre toi, t’as d’la chance d’être alitée ! » Des deux mains, il lui désignait un doigt d’honneur, entier pour la droite, amputé d’une phalange pour la gauche. « J’ai envie de te prendre ton coussin pour te le balancer. » Les plus longues phrases qu’il ai prononcé, sur un sujet bateau leur permettant à tous deux de s’éloigner un peu des sujets plus douloureux. De rire, aussi, avec une légèreté que ce lieu n’acceptait pas si bien. Et si sa main retombait sur sa poitrine, se refermant autour de son verre, il la suivait avec la même frustration aujourd’hui que celle qui l’étreignait hier. Ne rien pouvoir pour ceux qu’on aime est sans doute la pire épreuve qui soit.

Et elle, elle hésitait. Sur quoi ? Aucune de tes questions ou de tes annonces ne fera du bien, on le sait tous les deux.
Un instant, une peur de gosse lui traversait l’échine, lui murmurant que ce qu’elle voulait, c’était lui demander de partir. Mais lorsqu’elle reprit la parole, il n’en fut rien.

« Qui t’a prévenu ? »

Si ça appartenait à tes potes : personne.

La question faisait ressurgir la colère en lui, affutant le tranchant de ses prunelles claires pourtant douces un instant plus tôt.
Le silence, donc, un moment.
Sale réflexe.
Et puis l’humour et l’arrogance.

« Quoi, tu voudrais que je révèle tous mes tours de connard omniscient ? »

C’était les mots d’Alec.

Mais un sourire empli d’une autodérision qu’on lui prêtait peu et qui n’était née que des réflexions brutes de Maeve ces derniers mois. Initiée par Sanae pourtant, mais concrétisée auprès d’elle, l’ombre dont la présence resterait en lui comme un truc précieux qu’on n’ose partager.

« Personne à l’origine. Kezabel a prévenu Jordane, qui en a parlé avec Dorofei… qui a eu la loyauté de m’appeler…. Se disant qu’à tout hasard, peut-être qu’on se connaissait mieux que ce qu’il en savait. »

La colère, elle la lirait à travers ses mots, il le savait. Pourtant le ton se voulait neutre, cherchant à neutraliser ce qui crachait dans ses veines avec la fureur d’un animal blessé. Non, il n’avait rien à faire là, c’est ce que ce silence lui soufflait et ça ne risquait pas d’être ses proches à elle qui y penseraient. Pourtant il était là malgré tout. Et Margo ? Non, il n’en parlerait pas. Chaque chose en son temps et à sa place. Les conflits concernant leur couple, leurs négations ou leurs résolutions n’avaient pas à être abordés ici, maintenant. Voilà tout.

« Il faut se méfier de cet homme-là, il me connait mieux que ce que je voudrais. »

Une tendresse fraternelle, dans ces mots. Si l’on sait l’écouter.

« C’est pas tout à fait la haie d’honneur qui m’attendait ici. »

L’hésitation de Dorofei à le laisser venir était plus que parlante, sans compter l’équipe qu’ils avaient dépêchée sur place pour protéger les lieux de sa présence ou simplement le regard de Margo sur lui. La seule qui l’avait profondément surprise par son acceptation et les mots qu’elle avait eus était Kezabel, le prenant totalement de court dans une volonté de l’inclure et de le remercier qu’il était très loin d’attendre.

« Tu as des souvenirs de ce qui s’est passé ? »

Car l’idée de centrer la conversation sur ce qu’il pouvait avoir mal vécu ou non lui semblait particulièrement inappropriée, et parce qu’elle avait sans doute plus à dire que les quelques mensonges qui étaient sortis pour l’instant.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Sam 11 Déc 2021 - 0:14




« To feel anything deranges you.
To be seen feeling anything strips you naked. »
Anne Carson

Lui en aurait-elle voulu s’il n’était pas venu ? Aurait-elle condamné l’incapacité à ne pouvoir se placer à ses côtés ? Est-ce que son absence et son silence dans cet instant fragile auraient signé la naissance d’une rancoeur tenace entre eux ? Elle n’aurait su le dire. Elle aurait compris, sans doute, pourquoi il n’aurait pas été présent. Elle aurait imaginé la fébrilité, l’envie bloquée, la distance nécessaire ; aurait-il fait les cent pas dans cet appartement qu’ils partageaient ? Perdu du temps à fixer le plafond au lieu de dormir ? Attendu que le temps passe plus vite, que les clés dansent dans la serrure pour la voir revenir ? Oui, c’était ainsi qu’elle l’aurait imaginé, en retrait, loin de cet hôpital. Et elle aurait su, sans qu’il ne le dise un jour, que s’il n’avait pas été là, ce n’était pas parce qu’il n’y avait pas d’affection, pas d’inquiétude, mais très justement parce qu’il y en aurait trop eu. Mais enfin, il était là, devant elle. Et elle s’était rendue compte en le voyant dans cet encadrement de porte que sa présence lui était tant nécessaire qu’elle était soulagée de le voir. Fière, impressionnée, touchée, aussi, qu’il ait dépassé ses peurs des autres pour venir ici, affronter ce qui n’existait d’ordinaire pas autour d’eux.

C’était étrange d’ailleurs de l’observer dans un tout autre lieu, à la lumière des néons de l’hôpital. Un lieu dans lequel, elle, évoluait sans cesse mais dans lequel elle ne l’avait jamais vu, lui. Il lui semblait que plusieurs plans s’étaient fondus les uns dans les autres, que tout était mélangé, enchevêtré. C’était probablement vrai. Après tout, un seul être pouvait rassembler tant de monde, faire se croiser plusieurs existences dont les chemins s’étaient écartés ou n’avaient jamais existé ensemble. Lui, elle ne l’avait vu évoluer qu’entre des murs. Ceux de la maison sur la plage. Et les siens, dans l’appartement duquel elle ne le voyait jamais sortir – pourtant il sortait, quand elle n’était pas là. Mais c’était justement ça… à part dans des souvenirs qui semblaient lointains, Sanae n’avait jamais vu Logan autre part que dans leur bulle. Alors c’était presque vital de la recréer immédiatement, dès lors qu’il venait à elle, pour enfermer ce qu’ils étaient tous deux l’un pour l’autre, loin du regard des autres qui n’y auraient rien compris. Eux-mêmes savaient peu de choses sur ce qu’ils étaient. Et peu importait quand ils étaient seuls, peu importait quand il n’existait personne d’autre dans la pièce et qu’il refermait la porte sur l’extérieur qui aurait mis en lumière quelque chose de secret.

Un secret qu’elle sentait prêt à se percer…

Il s’avançait mais ne prenait pas sa place. Elle ne lui en tenait pas rigueur. Il faisait des efforts. C’était déjà bien plus que ce à quoi elle s’attendait. Pourtant, il y avait peu de gens à avoir autant de foi en lui que celle qu’elle éprouvait. Elle le savait bien plus capable que ce qu’il imaginait, et si tout n’était pas parfait, elle pardonnait volontiers les maladresses, les rugosités qui, pour elle, étaient simplement le signe … que ça venait de lui. Mais elle ne l’aurait jamais dit à voix haute, n’aurait jamais avancé le fait qu’elle le pensait bien plus humain. Bien plus fragile, aussi, là près d’un lit sur lequel elle reposait immobile et vulnérable, abîmée et inaccessible. Ce n’était pas un hasard si elle parlait du fauteuil, du whisky…comme s’il fallait le replacer dans des éléments familiers, rassurants. Autant pour lui que pour elle.

« C’est même une honte qu’il n’y en ai pas. »
Un souffle amusé en le regardant derrière le fauteuil, les bras sur le dossier.

Elle ne répondit pas. Son regard s’était posé sur ces mains qui pendaient dans le vide. Abîmées, elles aussi. Tout comme ce qu’il y avait au fond de ces prunelles d’acier dont elle avait toujours aimé le tranchant. Et dès le moment où il se sentit exposé, il se détourna. Il fuyait, autant ce qu’il éprouvait que ce qui passait sur son visage à elle quand elle remarquait les blessures, la souffrance, l’angoisse. Oui, elle était devenue terriblement douée pour observer les moindres détails de sa posture, de ses gestes, de ses expressions presque imperceptibles. Cela ne venait pas de lui, pas de leur lien...pas tout à fait. Non, cette capacité, Sanae l’avait développée des années durant face à un père inexpressif, souvent mutique, dont les sentiments ne venaient jamais peindre ses traits fermés et sérieux. Rempli d’émotions, mais jamais à la surface. C’était par réflexe qu’elle agissait de même avec Logan quand la frustration et l’énervement ne venaient pas la dérober de cette compétence longuement éprouvée. Ou quand, en cet instant, la souffrance de l’autre la distrayait assez pour ne pas se rendre compte que les gestes qu’il effectuait n’avaient rien d’habituel.

Un geste simple pourtant. Remplir un verre d’eau, lui apporter. Des choses que les autres faisaient pour prendre soin de l’autre. Des choses qu’elle faisait parfois pour lui. Il en était capable à son tour. Un verre d’eau. Une brioche norvégienne ramenée d’une promenade secrète. De minuscules détails pour les uns, d’immenses panneaux lumineux pour d’autres. Alors, si les blessures de ses mains éclipsaient tout ça, c’était parce qu’elles prenaient Sanae aux tripes en seulement quelques secondes. Elle ne voyait plus que ça. Plus que les plissures au sang séché, les plaies, les éraflures, les bleus. Elle croyait s’être habituée à le voir blessé depuis le tout premier jour où elle s’était présentée à lui. Mais il n’en n’était rien...plus le temps passait, plus les blessures de Logan la heurtaient profondément. Tout comme les siennes, à elle, le heurtait lui.

Une main sur la sienne. Une main sur ses plaies.
Un regard sur sa douleur. Et ils frissonnaient tous deux de la vulnérabilité instable qui était présente entre eux.

Si son nom lui échappait dans un souffle, leurs regards se croisant une demi-seconde avant qu’il ne la fuit, elle avortait les vraies questions. Ils pinçaient les lèvres, écrasaient leurs souffles. Se taisait-elle pour le préserver, lui, ou elle-même ? Sans doute les deux. Au lieu de ça, la sorcière prenait le verre, quittait le contact de ses doigts sur sa main pour glisser de l’humour là où tout faisait mal.

Mal, oui. De le voir ainsi dans une fragilité étrange, si terriblement exposé alors que c’était elle qui se cachait à son regard, sous des draps qui n’effaçaient en rien son état. Ils se dissimulaient l’un à l’autre, à leur manière, dans une absurdité folle quand pourtant leurs esprits se liaient avec tant d’intimité. Peut-être que c’était pour ça qu’ils étaient tous deux fébriles. Ils se trouvaient dépossédés du langage qui était d’ordinaire le leur, dans leurs consciences à l’extérieur muettes mais bien vivaces quand elles se rencontraient. Ils ne leur restaient plus que leurs corps dans la même pièce, plus que leurs regards dépouillés de toute légimencie, et les mots...maladroits qui se cachaient derrière une blague, posée là entre eux pour apaiser l’instant.

Il souriait, riait légèrement de ce rire dont elle s’étonnait toujours d’en entendre le son.

« Je savais pas que Maxence s’était fait des mèches. »

Cette fois-ci, ce fut le sien de rire qui éclata dans la chambre, bien plus franc. Il n’aurait pas pu trouver meilleure réponse. Sa poitrine se trouvait parcouru de légers soubresauts et elle grimaça quand ses côtes protestèrent et que ses maux de tête se rappelèrent à elle. Elle tenta de cacher sa douleur grimaçante dans son sourire.

« Il tente des trucs. » dit-elle, amusée.

Logan se détourna et s’assit sur l’accoudoir du fauteuil, n’y posant qu’une cuisse. Un pas prudent vers elle. Vers la place qu’elle aurait voulu qu’il trouve. Et la prochaine question ne l’étonna pas. Comment allait-elle ? Oh, il le savait. Il le voyait malgré ses tentatives de dissimulation idiotes. Un réflexe. Tout comme celui de résumer la situation par un Je vais bien. qui n’avait pas de sens. Un petit mensonge qui lui échappait sans qu’elle ne l’intellectualise. Le léger sourire en coin qu’il eut, elle le comprenait. Bien sûr qu’il savait qu’elle mentait. Mais elle ne s’arrêtait pas pour autant, ignorant les regards qu’il pouvait lui lancer. Juste un vampire. Juste un affrontement. Information lancée comme si ce n’était rien. Comme s’il ne pouvait encaisser ce qu’il avait déjà encaissé ces derniers jours. Du reste, sans doute devait-il déjà savoir.

Elle le sentit étrange en cet instant. Il avait un de ces regards distants qu’il avait quand elle l’imaginait se perdre en lui-même, plongé dans ses souvenirs. Elle ne savait pas à quoi il pensait, et le fait ne faisait que faire crisser la frustration qu’elle ressentait toujours face aux mystères de son esprit mais elle le vit lâcher un souffle résigné avant de s’installer plus avant sur l’accoudoir. A quoi renonces-tu au juste ? A quoi te résignes-tu ? Il prenait de plus en plus sa place. Doucement mais sûrement. Et pourtant elle n’aurait su dire ce qui déclenchait cela. Pour combler cette frustration et détendre l’atmosphère qu’elle sentait tendue, son doigt se leva au détour d’une blague qu’elle attendait de faire depuis qu’elle avait repris véritablement ses esprits.

Il rit, son regard braqué dans le sien et elle sourit.

« C’est ça, marre toi, t’as d’la chance d’être alitée ! » Le sourire de la sorcière s’élargit plus encore quand il lui adressait deux doigts d’honneur, dont un à moitié manquant. Dans le fond de son sourire, il y avait le pincement de son coeur. On aurait pu juger cela cruel et de mauvais goût d’en rire...mais ils partageaient cet humour noir, grinçant qui rendait les pires choses parfois un peu plus supportables. « J’ai envie de te prendre ton coussin pour te le balancer. » Elle eut un léger rire, sa main revenant entourer le verre sur sa poitrine. Il oscillait étrangement dans leurs conversations, s’adaptant aux situations tout comme à ce qu’il cherchait à renvoyer comme image et elle trouvait chez lui de plus en plus de nuances. « Tu dis ça juste parce que tu sais que j’aurais pas la force de répliquer... » dit-elle dans un souffle amusé.

Un léger étirement de lèvres, une expiration et l’hésitation l’envahie à l’idée de poser les questions qui la taraudaient. Alors elle se lançait, voulant savoir ce qu’elle avait manqué, comment il était venu, qui l’avait prévenu, redoutant déjà la réponse.

Elle sentit, au changement de son regard, qu’elle avait eu raison d’hésiter. L’acier se fit plus tranchant mais ne la brusqua pas. Elle y était déjà trop habituée et s’il fallait se tordre le ventre d’une chose, c’était de la colère qu’elle sentait poindre. Rien d’étonnant d’ailleurs à ce que le silence envahisse un instant la chambre. Puis, la commissure des lèvres qui s’étirait dans l’arrogance d’une réponse qui ne l’étonnait pas non plus...

« Quoi, tu voudrais que je révèle tous mes tours de connard omniscient ? »

Elle pencha la tête sur le côté, un agacement amusé sur les traits. Tu me fatigues. disaient ses prunelles. Tu retardes juste la réponse et ce qui va avec. Mais elle souriait pour le moins de l’autodérision dont il faisait preuve. Elle n’aimait simplement pas le terme qu’il utilisait pour parler de lui, tout comme elle ne supportait jamais de l’entendre parler de lui-même comme le bâtard. Comme si cela résumait ce qu’il était...comme si ce mot qui était adressé telle une insulte le désignait tout à fait… C’était faux. Mais il se cachait derrière ça, autant qu’elle autrefois derrière une robe blanche.

« Personne à l’origine. Kezabel a prévenu Jordane, qui en a parlé avec Dorofei… qui a eu la loyauté de m’appeler…. Se disant qu’à tout hasard, peut-être qu’on se connaissait mieux que ce qu’il en savait. » La loyauté de m’appeler... Oh, comme elle sentait la rage derrière ce ton qui se voulait neutre. Une rage qui lui faisait mal.

Tu es en colère.

Les syllabes s’enchaînaient sans qu’il ne change d’intonation mais elle, elle savait ce qu’il y avait en-dessous, ce qui se trouvait dans chaque espace qui séparait les mots entre eux. Sa colère tissait les lettres et les sons dans des phrases qui puaient la rancoeur amère. Elle ne dit rien, le laissa poursuivre, l’observant d’un œil attentif mais fatigué, suivant les mouvements des traits de son visage. Ainsi, c’était Dorofei qui avait prévenu Logan sans même savoir si l’information le toucherait. Elle ne voulait pas même imaginer ce moment. Elle était reconnaissante envers le sorcier d’avoir prévenu Logan néanmoins. Sans lui, qui sait comment les choses se seraient passées ?

« Il faut se méfier de cet homme-là, il me connait mieux que ce que je voudrais. » Un léger sourire avec un brin de tendresse lui vint, effet miroir de celle qu’elle devinait à travers ses mots envers cet ami auquel il tenait. « Hm-hm... » laissa-t-elle échapper, légèrement amusée, les lèvres pincées. Ce n’était pas le seul à le connaître mieux que ce qu’il voudrait.

« C’est pas tout à fait la haie d’honneur qui m’attendait ici. »

Oh, elle l’imaginait très bien…
Sans que ça n’ait de sens, elle sentit cette pointe de culpabilité la transpercer à l’idée de l’avoir laissé seul affronter tout ça. Elle aurait voulu être là pour se placer entre lui et ceux qui ne pouvaient pas comprendre tant elle avait tout gardé pour elle, donné de menues informations qui ne leur laissaient aucune chance de saisir la situation, la raison de sa présence. Il avait du défendre seul cette place qu’il ne savait pourtant pas prendre, pas encore accepter tout à fait. Elle imaginait le combat interne vociférer en lui.

« Tu as des souvenirs de ce qui s’est passé ? »

Il revenait à elle et elle cligna doucement des paupières, résignée.

« Non. On m’a raconté mais je me souviens seulement être allée voir Keza juste avant. Ça va sûrement me revenir... Pour l’instant, j’ai l’impression que mon esprit est sans dessus dessous. Les informations ont du mal à s’ancrer et je fais répéter un milliard de fois les mêmes choses comme une vieille, c’est pathétique. » Elle se redressait légèrement, passait quelques doigts sur son front en grimaçant, le massant une seconde. « Un comble pour une légimen quand même...de perdre des souvenirs... » murmura-t-elle, un sourire en coin, son regard revenant vers lui. Elle eut soupir, son visage tourné dans sa direction, sa main toujours autour de son verre. Elle l’observa quelques instants en silence.

« Logan... » Une hésitation. « Je suis contente que tu sois là. » Son regard allait droit vers lui, l’accrochait. « Alors on s’en fout s’ils t’ont pas déroulé la banderole de bienvenue...c’est pas à eux de juger si ta présence est légitime ou non. Ils ont pas ce pouvoir-là. C’est le mien, pas le leur. » Elle s'imposait, autant elle-même que leur lien. « Je sais que c’est pas agréable pour toi et que tu es en colère… Si les rôles avaient été inversés, ils n’auraient pas compris le sens de ma présence non plus. Le fait est que tout ça est maintenu secret au maximum... » Elle écrasa un bâillement, relevant son coude pour recouvrir son visage avant de l’abaisser, fronçant les sourcils alors que ses paupières se fermaient une seconde. « ...Un avantage autant qu’un inconvénient... » souffla-t-elle d’une petite voix.

Elle s’humecta les lèvres, ouvrant à nouveau les yeux pour les poser sur lui. Ils se plissèrent alors que ses lèvres se pinçaient, mutines.

« Hey...demain, tu m’apporteras de la brioche norvégienne? » murmura-t-elle comme s’il s’agissait d’une demande secrète qu’il ne fallait pas énoncer à trop haute voix. « Je suis à l’hôpital... et je souffre… » Une large sourire de démon étira ses lèvres.

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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Jeu 16 Déc 2021 - 18:35
La question ne s’était même pas posée. Sans doute n’avait-il pas l’habitude de raisonner ainsi, de se demander quel impact ses actes pouvaient avoir sur la relation à autrui. Comment ils pouvaient être interprétés ? L’idée ne lui était pas venue, tout simplement. Il fallait rester, d’autant plus parce qu’il n’y était pas invité. Rester parce qu’on lui refusait cette option. Rester parce qu’il ne le devait pas. Rester, parce que rentrer ne rimait à rien, que cet appartement vide lui glaçait les sangs et qu’en dehors, il n’avait finalement plus d’existence propre. Alors quelle option lui restait-il ? Non, Logan n’anticipait pas ces réactions humaines –là, elles lui sautaient même parfois à la gueule par leur amertume ou leur soudaineté, il n’imaginait pas que parmi elles, il puisse être simplement compris. Comment imaginer qu’elle puisse deviner soudainement l’hésitation sous les silences, l’incertitude sous la distance ?
Pourtant là, il l’imaginait. Inconnue, cette sensation de ne pouvoir se mêler, de ne pouvoir trouver ses pensés, ses souvenirs, ses émotions. D’être là, face à un mur de vide à ne pouvoir se fier qu’à ce qui passait, si superficiel, sur ses traits pourtant expressifs. Logan avait l’impression de se trouver de nouveau face à Aileen, à son réveil à l’infirmerie, tellement en demande de choses qu’il ne comprenait pas. Pourtant il aurait aimé les lui donner ce jour là, être à la hauteur pour une fois. Humainement parlant. De savoir faire. Mais ni cette fois ni celle-ci il n’arrivait à trouver la bonne démarche, la bonne distance. Il s’esquivait alors, fuyait le regard de l’autre, craignait de le comprendre soucieux de ses propres plaies. Qui s’en soucierait après tout ? Personne ne l’avait jamais fait. Personne n’avait jamais posé les yeux sur l’enfant qui se prenait pour un adulte, qui jouait dans la cour des grands, connaissant parfaitement les enjeux qu’il n’avait pas l’âge de manipuler. Mais qui avançait, bille en tête et visage fermé.

C’était faux. Une l’avait fait.
Mal.

Lui reprochant distance et compassion, tentatives maladroites et francs écarts. Qui être alors, comment s’avancer quand on ne sait jamais où se placer ? Ils avaient essayé alors, mais sans jamais vraiment se comprendre, n’échappant jamais à l’opinion acerbe de celui pour qui on n’est jamais assez.
Alors sentir ce regard sur ses plaies, supposer décrypter l’inquiétude quand il n’aurait pas dû s’agir de lui, lui semblait une véritable trahison. Envers elle autant qu’envers lui-même. Que faire de cette sensation-ci, à présent ? Celle d’être mis à nu pour un geste idiot, une expression d’un mal-être qu’il n’avait pas l’habitude de voir exposé. Comment pouvait-on se sentir ainsi plus facilement révélé alors même qu’il n’y avait que leurs enveloppes charnelles à s’observer ? C’était bête, sans doute, de s’accrocher à ce genre d’interrogations, de se sentir fautif quand l’autre s’en fait. A vrai dire depuis plusieurs jours, chaque regard  lui pesait, se faisant juge ou inquisiteur, curieux ou étonné. Il dénotait, ici, prouvait aux soignants comme aux patients qu’il était toujours en vie… et il ne saurait dire ce qui se blessait plus, ceux qui l’ignoraient totalement, ne connaissant sans doute pas son identité ou ceux qui, au contraire, s’arrêtaient sur lui pour le dévisager sans un mot. Mais de tous les regards qui se portaient à son encontre, un seul perçait droit derrière les murailles qu’elle n’avait pourtant pas si souvent franchies. Qu’importe, même sans son don, Sanae semblait connaître le chemin.  Alors il se rétractait, échappait, s’esquivait, pinçait les lèvres et détournait les yeux.

Et elle faisait de même.

Car dans le fond, de ces clefs, elle ne savait quoi faire. Ils restaient donc là, comme deux cons qui n’ont appris les codes de la vulnérabilité, à esquiver le regard, les gestes ou les attentions sans véritablement s’y soustraire. Mimétisme bien risible de ceux qui ont  pourtant manqué de modèles.

On ne se construit pas dans le vent.
On fait seulement semblant.

Alors quand le monde tremble, les failles s’ouvrent, c’est ainsi. Et c’est ainsi qu’ils s’observaient à présent. Fissurés, faillés, instables et mal engagés. Echapper à l’épiderme de l’autre, retirer sa main blessée mais sans la brusquer. Ne pas poser le regard sur ce drap qu’elle montait haut, pour cacher ce qui, chez elle, était violemment fracturé.
Ne pas souligner l’évidence, finalement. Taire, sous couvert d’humour, la pudeur d’un nouveau jour.

Et ça marchait. La tentative un peu gauche se muait en rire, la réelle complicité passant par-dessus ce que la douleur exprimait trop fort. Ces éclats si simples. Plus franc cette fois entre ses lèvres, déclenchant en miroir quelque chose de semblable, connivence évidente mêlé d’un soulagement réel de retrouver cette facilité qui avait pourtant bien du mal à s’inviter entre eux. Elle était là pourtant, toute nouée d’attachement, mais nouée justement. Coincée dans leur gorge, retenue dans leurs yeux. Réelle pourtant. Si sincère. Si douloureuse aussi quand il la voyait souffrir de chaque soubresaut, tentant maladroitement de retenir ce qui pulsait manifestement dans son organisme.

L’ancien directeur se demanda s’il avait jamais été aussi empathique pour quelqu’un. Si peu critique quand pourtant, il raillait hier la faiblesse face à la douleur de ceux qu’il aimait pourtant. L’idée le dérangeait finalement sans qu’il ne sache dire pourquoi, se contentant de froncer légèrement les sourcils sans insister, faisant mine de ne pas remarquer comme elle cherchait à masquer les douleurs manifestement tenaces.

« Il tente des trucs. »

Le rire se voulait léger, complice. Il suintait bien sûr de quelque chose de plus grave, affecté et meurtris, mais du moins retrouvaient-ils dans cet instant simple une forme de légèreté permettant au reste de s’infiltrer sans renâcler autant qu’auparavant.
Ainsi les rires se fanaient, ne laissant plus qu’une forme de tendresse bien étrange sur les sourires échangés, éreintés de fatigue, de douleur ou d’angoisse. Doucement alors, centimètre par centimètre, Logan cédait du terrain, finissant par s’assoire sur l’accoudoir du fauteuil qu’elle lui avait désigné comme étant le sien. Sa place. L’image, il la saisissait bien sûr, le mettant mal à l’aise tout autant qu’elle le rassurait, bloqué dans ses contradictions et ses incertitudes. Coincé également entre passé et présent, difficile de se détacher de ce qui a été vécu sans réellement y trouver le moindre appuis pour gérer la situation actuelle. Alors c’était dans son regard qu’il gérait ça, dans cette façon dont, par moment, elle l’amenait à toucher du doigts la possibilité d’être à présent deux pour faire face à ce qu’ils ne connaissaient pas. Ceux qui ne les acceptaient pas. Ce qui les plaçait dans une de ces situations que d’autres avaient déjà appris à maîtriser et qu’il savait être deux, à simplement mimer.

Il apprenait pourtant, sans même réellement s’en soucier. Quand quelques années plus tôt il invectivait Aileen, comme plantée au pilori de ses émotions exacerbées d’angoisse, à présent Logan prenait sur lui, faisait autrement, laissait l’autre avancer car dans le fond, il y avait l’angoisse à peine dissimulée d’être seul au lendemain. De perdre, en ces quelques matins qui avaient faits ces dernières semaines, tous ceux qu’il ne semblait pourtant pas aimer si fort qu’il le faisait. Alors oui, il cédait du terrain. Il cédait à l’émotion, à la peur, à l’empathie ou au respect. Il cédait ce qu’il ne savait maîtriser et c’était bien là sa manière la plus franche de montrer son affection insensée. C’était ainsi alors qu’au lieu de se montrer critique comme il avait pu l’être, c’était lui, et non Maxence, qui tentait des trucs. Des blagues légères aux accents enfantins, des sourires incertains, une volonté de cacher la sourde douleur de sa poitrine à chaque fois que Sanae grimaçait, que sa voix se faisait un peu plus rauque ou que son souffle se hachait légèrement. Sa façon d’essayer, comme lorsqu’il la rejoignait sur une plage ou qu’il se faisait son ombre, effaçant jour après jour ses errances et couvrant ce qui pourrait peut-être un jour, lui porter malheur. Or là il avait un rôle à jouer, s’il n’était pas certain de savoir ce qu’il faisait, du moins avait-il une idée du processus à suivre. Attendre là, comme un con sans avoir la moindre bille à tirer, la moindre action pour compenser ses inquiétudes, sa colère ou ses doutes avait été la pire chose qui soit, humainement parlant. Rester là à compter les absents au fil des soulèvements de sa poitrine, comme si surveiller sa respiration pouvait suffire à l’empêcher de s’arrêter. Dur aussi, de laisser la place aux autres, d’admettre en partie que la sienne n’était peut-être pas là, du moins pas tout le temps. Dur d’être ici, et de voir dans le regard d’autrui qu’ils n’en comprenaient pas la signification. Simplement dur dans le fond, pour tout le monde.

« Tu dis ça juste parce que tu sais que j’aurais pas la force de répliquer... »
« Évidemment. C’est ma seule option pour avoir une chance de te battre à ce jeu-là. »

Avait-il changé ? A force de sortir du coma comme elle le faisait-là, de se noyer en soi, de frôler la mort sans vraiment plus réellement la quitter, avait-il abandonné une partie de lui ? Par moment il lui semblait que ces mots-là ne lui appartenaient pas, qu’ils sortaient hors de ses lèvres comme une convenance hésitante qu’il ne savait réellement situer. Pourtant ce type là, Logan avait appris à l’être auprès de Dorofei puis plus récemment, d’Ismaelle et de Maxence. Emporté sur un terrain social toujours hésitant, il lui semblait pourtant à présent… s’y perdre plus souvent qu’à l’accoutumée. Peut-être était-ce simplement parce qu’il n’était plus en chargé, qu’il avait perdu contre les murs humides d’une geôle infecte une part de celui qui s’était dressé en muraille infranchissable contre ses ennemis. Peut-être était-ce juste que le soldat autoproclamé, le dragon, l’enfant ou l’humain, tous étaient épuisés. Quand on décide de laisser aux autres leurs conflits, qu’on délaisse les champs de batailles, qui reste-t-il ? Ce type-là. Celui qui a perdu celle pour qui il éprouvait des sentiments. Celles. Celui qui craignait pour la vie d’un garçon qu’il considérait bien plus comme un frère qu’un cousin. Celui qui avait cru perdre le seul ami qui, jamais, avait jalonné ses chemins d’enfance. Celui qui ne savait simplement pas comment aimer, ni au présent ni au passé, certainement pas au futur. Mais qui ne trouvait pas d’autre option que de rester là, à espérer que cette poitrine jamais ne cesserait de se soulever.

Il tente des trucs, donc, lui aussi, une jambe remontée sur l’assise du fauteuil gris et lissé par l’usure, une main sur le tissu couvrant son genou, où s’accrochait les fibres contre ses ongles écorchés. Il tente des trucs, le regard porté dans le sien, sans jamais véritablement s’en défaire, conscient qu’il n’avait pas le droit de se projeter vers elle, assez mature, finalement, pour entendre que si elle ne le faisait pas, c’était qu’ainsi, elle s’épuiserait et se mettrait en danger. Ou en souffrance, qu’importe, aucun des deux n’était acceptable. Mais lui… lui se demandait comment ils pouvaient encore présenter ces différences-là quand il aurait aimé trouver en elle un véritable reflet de cet être anormal que ce don faisait de lui.
Si violentes, les réactions à son égard lorsque le corps d’une femme s’écroulait. À son insu ou pas… pour être véritablement honnête, Logan ne se souvenait pas réellement de ce qu’il s’était passé. Il n’y avait de cette période qu’un flou douloureux, une sensation diffuse de résistance nécessaire, de violence salvatrice. D’une joie rauque de prendre une vie en un claquement de doigt. Et des plaies de ces mots qu’il avait capté ci et là avant de perdre conscience. Le monstre et le danger était toujours là, incarnés dans ses prunelles d’acier. Il n’y avait qu’à voir le commité d’accueil qui s’était posté, armé, aux différents coins de l’hôpital. Voilà ce que ces questions appelaient comme réponse. Ce qu’il avait vécu depuis. Alors bien sûr qu’il était en colère. En colère qu’elle soit dans cet état, qu’elle ai failli être arrachée à la vie qu’elle se battait si violemment pour construire à son image. En colère de n’avoir été là. En colère de ne savoir faire ce qui était sans doute attendu. En colère d’être inapte à faire quoi que ce soit, d’ailleurs. En colère de faire peur. En colère de n’avoir sa place. En colère de n’être récompensé de ce qu’il avait pourtant traversé seul au nom de tous ces connards bien-pensants calés bien au chaud dans leur canapé. En colère d’être en colère, même, car ces sentiments-là lui étaient difficilement acceptables. En colère de ne savoir parler de lui, ou de ne savoir que parler de lui, quand elle pouvait le penser insensible à ce qu’elle traversait.

Alors Logan écrasait un soupir et lui posait cette question fatale qui avait fait percer la rage chez Margo avant qu’il n’accepte de les laisser.

En colère de ne savoir ce qui s’est passé. Simplement parce que cette ignorance là n’appelait pas qu’à un manque de contrôle sur la situation, mais bien plus profondément au fait de ne pas appartenir tout à fait à son existence. Voilà bien pourquoi il avait insisté ainsi, pourquoi ça s’était fait face à celle qui avait toute légitimité à exister dans ces pans-là, officiels, reconnus, complets de sa vie. Parce que lui n’y était pas, et qu’elle engloutissait chacun de ces souvenirs loin de lui, le laissant sur le carreau quand il aurait aimé pouvoir… être plus.

Plus que l’ombre dans la ruelle.

« Non. On m’a raconté mais je me souviens seulement être allée voir Keza juste avant. Ça va sûrement me revenir... Pour l’instant, j’ai l’impression que mon esprit est sans dessus dessous. Les informations ont du mal à s’ancrer et je fais répéter un milliard de fois les mêmes choses comme une vieille, c’est pathétique. » 

Mais il n’en saurait pas plus.

Un léger sourire appuyait ses dires, étrangement compatissant. Peu à peu Logan acceptait d’être ce qu’il masquait pourtant si souvent aux autres. Mais à noyer leurs esprits, elle captait régulièrement l’essence brute de celui qu’il était. Les émotions sourdes. Et de souvenirs en souvenirs, d’instants volés en présents offerts, elle se mettait à voir celui qu’il dissimulait pourtant aux autres. Alors au sein de cette bulle qui était la leur, Logan s’ouvrait un peu, cherchant ce que la légimencie ne pouvait pour l’heure, pas leur fournir.

« Un comble pour une légimen quand même...de perdre des souvenirs... » 

Un sourire qu’ils partageaient, rappelant mine de rien l’origine primaire de la complicité, de ce qui ne pouvait être échangé avec aucun autre.

« Et après ça me reproche mon silence… pourquoi tu crois que j’ai passé deux mois à faire la gueule ? » Même à lui, ces mots sonnaient étranges, comme issus d’une adolescence qu’il n’avait pas eue. Alors finalement, il se taisait, pas tout à fait certain que tout ça lui ressemblait. Ou peut être que si. Pas le propos de toute manière, une une façon de masquer la colère, de tout mettre sur off, de trouver une alternative aux compréhensions crues des évènements passés. Car la colère il cherchait à l’enfouir, à ne pas laisser voir ce qui avait pourtant heurté si fort face à Margo. Toutes ces conversations qu’elle se devrait d’avoir, qui viendrait fatalement… et qu’il craignait terriblement, dans le fond. Car derrière la colère, il y avait l’angoisse de se voir dérober sa place. De décevoir, d’avoir blessé par les mots, les gestes, les attentions qu’il avait pu avoir envers l’une ou l’autre de celles qui dessinaient les autres pans de son existence. Maladroit et dur, parfois trop, parfois pas assez… Logan peinait à situer ces échanges qu’il avait pu avoir et qui pourraient peut être constituer des motifs d’une rancœur revenue. Qu’importe d’ailleurs si ça ne le concernait pas directement, l’impact sur sa présence pouvait être le même.

« Logan... » Il raccrochait, soudainement conscient qu’à un moment donné, il avait dû se perdre dans ses pensées. Un battement de cils, pas plus, et il posait sur elle le regard inquiet qui fait face à l’hésitation humaine. « Hm ? » Inquiet. Bêtement, probablement. Mais une simple secousse peut parfois faire s’effondrer le plus haut des édifices si ses bases n’y sont pas préparées. Sans doute leurs origines trouvaient-elles d’ailleurs dans cette métaphore une réalité bien matérielle.  « Je suis contente que tu sois là. »  Les lèvres se plissaient, les prunelles décrochaient de l’encre des siennes pour trouver le confort rassurant d’un mur plat, mal repeint, seulement innondé d’une lumière presque nacrée tant elle était artificielle.  « Alors on s’en fout s’ils t’ont pas déroulé la banderole de bienvenue...c’est pas à eux de juger si ta présence est légitime ou non. Ils ont pas ce pouvoir-là. C’est le mien, pas le leur. »  ça n’aurait pas dû le heurter et pourtant c’était le cas. Ces mots dont il s’était répété la signification comme la seule manière d’imposer sa présence, jamais vraiment établi ou perceptible dans ses pensées, mais dont la teneur, elle, se faisait force en lui depuis plusieurs jours… lui apparaissaient à présent comme agressifs tandis qu’ils n’auraient dû que le rassurer. Sans doute simplement parce qu’il se sentait bête qu’elle doive énoncer ce genre de choses, comme s’il n’était qu’un gosse incapable de se rassurer seul. Une première pensée, rugueuse, qui s’adoucirait avec le temps, au cours de la nuit à venir. La première réaction, instinctive, toujours dans une opposition réflexe.  « Je sais que c’est pas agréable pour toi et que tu es en colère… Si les rôles avaient été inversés, ils n’auraient pas compris le sens de ma présence non plus. Le fait est que tout ça est maintenu secret au maximum... »  et sourde.
Sans un mot, muraille de silence, il l’observait faire face à la fatigue, un bras sur le visage pour étouffer un braillement et se protéger, peut-être, de ces tentatives de verbaliser ce qu’il avait du mal à admettre au fond de lui.

 « ...Un avantage autant qu’un inconvénient... »
« Je sais. »

Non tu ne sais pas. Tu ne veux ni entendre ni savoir. Mais tu engrammeras quand même. Doucement, parce que ça n’est pas ton domaine, que tu as peur de tout ça et qu’être ainsi exposé si justement te scie les nerfs. Mais ça viendra.
Regarde bien. Tu ne rejettes pas. C’est déjà un premier pas.

« Hey...demain, tu m’apporteras de la brioche norvégienne? »

Et elle, elle sait que pour ce soir, ce sera le dernier. Car elle t’offres ta porte de sortie, sa façon de ne rien relever, de laisser filer ce regard vif et détourné qui revient de nouveau sur elle, comme si de rien n’était. Un nouveau sourire en réponse au sien.

 « Je suis à l’hôpital... et je souffre… » 

Un petit rire se dessinait sur ses lèvres et secouait en douceur sa poitrine, touché, en réalité, qu’elle pense à ce truc si bête qu’il avait fait un jour en revenant de Norvège. Et qu’il avait recommencé depuis.

Il y avait là une normalité qui n’avait rien de normale pour lui, mais qui le fit sourire tout de même.

« C’est ça … Je vais y réfléchir. »

Mais dans ses yeux, une douceur inhabituelle.

Et s’il avait fini par s’esquiver quelques heures, laissant Maxence faire il ne savait trop quoi une fois Sanae de nouveau happée par un sommeil qu’il respectait, un peu plus tard dans la nuit, il revenait bien avec une brioche dans un sac. Oui.
Et il s’en sentait parfaitement con.

Hésitant, Logan traversait le grand couloir, s’arrêtant un instant pour fixer d’un œil mauvais un jeune assis sur un banc qui le fixait du coin de l’oeil. En s’écartant, passant à côté d’un chariot médicalisé à deux étages probablement emprunté à une décharge magique tant il sentait les anciennes fournitures des hôpitaux de l’Est – comment une telle chose était arrivée là ? L’histoire ne nous le dit pas – Logan notait que celui-ci était surtout couvert de petites boites et de plaquettes métallisées contenant des gellules inconnues. Et à côté, des fioles qu’il reconnaissait plus aisément.

Derrière lui, le garçon s’étonnait de la présent d’un soignant, ne se souvenant plus des derniers instants.

Sans doute la Garde effacerait-elle sa présence aux yeux de ceux qu’elle laissait ressortir de là. Et sinon, qu’est-ce que cela changerait ? A sa façon, il rappellerait peut-être sa présence au monde, la nouvelle remontant peut-être dans les grandes instances. Une idée qui, il fallait le dire, lui plaisait assez. Mais qui ne passerait pas par un enfant.

Une seconde, l’ancien directeur s’imagina bêtement Ismaelle le fixant d’un regard en coin, l’air de lui dire qu’il n’était, dans le fond, pas si méchant que ça. Mais l’image disparaissait déjà tandis qu’il rejoignait la chambre qu’il ne délaissait qu’à contre coeur, profondément angoissé de la passer de nouveau et d’y trouver, cette fois, un cadavre sous un drap blanc.
En entrant, le légimen se dit qu’il aurait dû en apporter d’autres, justement. Du linge de chez elle. N’importe quoi, mais pas du blanc. Pas cette satanée couleur immaculée qui dégueulait sur tous les murs et couvrait les matelas comme s’ils pouvaient faire de chaque malade la réincarnation fantasmée d’on ne savait quelle déesse de pureté. L’idée le dérangeait sans réellement faire le lien avec la robe blanche, le respect des convenance, du calme et du silence qui convenaient ici avec l’environnement hospitalier, hier avec les exigences associées à celle qui n’y correspondait pas.

Pas le temps de mettre le doigt dessus, de toute manière, puisqu’il tombait sur un homme aux cheveux roux, penché sur elle, un poing sur son crâne, une seringue à la main.

S’il avait déjà vu Maxence faire, ces trucs de cathéters, d’injection et de perfusions le faisaient pourtant toujours autant grincer, bon sang pur si peu habitué aux méthodes moldues. S’il n’était pas lui-même passé par là plusieurs fois sous les mains expertes de Wargrrave, sans doute aurait-il vrillé.

« Il y a un problème ? »

Pour l’heure, le ton se faisait rauque et brusque, agressif dans sa forme, angoissé dans son fond.

« Nan nan, elle va bien, elle vient juste de.. je sais pas. Elle a fait un truc dans mon crâne. Je savais que c’était un risque mais je n’étais pas préparé. »

Les mâchoires serrées, le teint crispé, les lèvres pincées. Il n’aimait pas… et Logan non plus, par effet miroir, expériences de rejet personnelles et impression que ce type-là, la punissait d’être elle-même. Ainsi l’instant suivant, il arrêtait son geste d’une main sur son avant-bras, ne le laissant pas continuer son traitement. Une pensée fugace : où était Maxence ? Comme si son ami seul lui semblait apte à s’occuper d’elle quand il voyait pourtant en cet inconnu du professionnalisme, des gestes francs, réfléchis sans être hésitants et des marques de respect dans sa manière de faire. Raison pour laquelle Logan ne réagissait pas avec une violence sourde quand pourtant, en lui, quelque chose se rebiffait violemment, purement angoissé que ce type puisse lui faire le moindre mal.

« Et donc ? Vous la sédatez ? »

Les lèvres pincées, l’homme soutenait son regard de ses yeux verts perçants, dégageant sa main sans faire mine de terminer son traitement avant d’en avoir énoncé l’ensemble à l’ancien directeur qui, sans en comprendre tous les noms, fini par acquiescer d’un signe de tête. De tout ce qu’il lui avait dit, tout ce qu’il connaissait était la racine de mandragore. Un comble pour celui qui maîtrisait pourtant bien l’art des potions.

Sédatée, donc. Pour son bien disait-il, car elle ne pouvait se fatiguer ainsi et risquer de s’épuiser dans un mouvement de panique comme celui qu’elle avait eu.

Sans réelle réponse, Logan le laissait continuer, se laissant finalement et sans réellement y songer, tomber dans ce satané fauteuil, dans sa satanée place, à ses côtés.

Et c’était bien là ce qu’il était, l’attention toute portée sur son organisme, sur ces bips et ces courbes auxquelles il ne comprenait rien, sur le mouvement léger d’un de ses doigts au dessus du drap blanc et sur la crispation de la commissure de ses lèvres laissant deviner, en effet, une sale migraine. Si la douleur l’inquiétait, elle le rassurait aussi. Avoir mal, s’est être en vie. Et un instant, il s’en voulu profondément d’être sorti pour se rafraîchir, s’aérer et aller chercher cette connerie dans son petit papier craft qu’il avait fini par poser hors de sa vue. Lâchant un soupir, Logan voyait l’homme sortir, non sans formules d’usages auxquelles il ne répondait pas. Crispé lui-aussi, de cette incompréhension générale de ce qu’ils étaient, de l’impossibilité, parfois, à se contrôler, de ce besoin, cette angoisse, cette chose qui hurlait en eux et à quoi il était parfois nécessaire de se raccrocher. Un nouveau sens. Imaginez vous réveiller sans la parole. Vous hurleriez, encore et encore juste pour vous assurer d’être entier.
Doucement, la jeune femme s’apaisait, son rythme respiratoire redevenant normal et ses traits s’étirant, plus calmes dans la nuit. Alors seulement, Logan ramenait une jambe sur son genou, le dos contre le dossier du siège, la main retombant sur l’accoudoir comme pour y chercher un verre d’alcool qui, évidemment, n’existait pas.

Elle s’était éveillée agitée. D’accord. Avait-elle cauchemardé ? Ce n’est rien, factuellement, de cauchemarder, c’est que le corps fonctionne et que l’esprit mouline. Une bonne chose donc, s’il pensait avec l’esprit d’un homme inquiet. Mais de quoi ? De la mission, l’attaque ? Pourquoi cette réaction de légimencie quand elle n’en avait eu aucun réflexe jusqu’ici ? Il lui fallait bien se rendre à l’évidence, il ne fonctionnait pas de la même façon, retenant ce qui menaçait sans cesse de s’effondrer sur les autres pour les faire siens elle exerçait elle un contrôle tant sur le départ que sur l’arrivée, rendant son don plus maîtrisé et volontaire dans la manière très sensitive dont elle l’utilisait.

Le bout de son pouce gauche jouait sur les phalanges amputées de son annulaire tandis qu’il songeait, bien éveillé, lui, à ce qui causait ces différences. Sans se lever, Logan éteignait la grande lumière pour n’en allumer que la petite, celle qui semblait être une lampe de bureau et qui trônait seule sur la petite table de chevet de la chambre sans fenêtre. De la récup, très probablement. Il ne pouvait dire si les lieux étaient très différents d’un hôpital moldu, pour être honnête, mais ce détail lui sautait aux yeux. Éloignant la source lumineuse, il se laissait dériver dans ses pensées, échouant près de Masa, l’homme dont il savait tant sans l’avoir jamais croisé, se plongeant dans les souvenirs de ce qu’ils avaient partagés, d’abord concernant les entraînements, puis sans vraiment s’en rendre compte, vers d’autres moments de vie qui le sciaient, lui, par l’absence.

Mais qui lui faisaient penser qu’aujourd’hui plus qu’un autre, elle aurait sans doute aimé que son père soit dans ce fauteuil à ses côtés. Sans doute était-ce là une façon bien peu banale et bien inutile, de rendre hommage à celui qui avait fait tant d’erreurs, mais qui avait surtout réussi à donner bien du cœur dans une mission que tous avaient refusé jusque là. Aimer quelqu’un comme eux. L’accompagner. Que dirait-il s’il était là ? De cette enfant qui, devenue adulte, se précipitait dans l’esprit d’un autre, percluse d’un mauvais rêve ? Il n’en su rien.

Il su seulement que malgré ses dires de la veille au soir, il ne partirait pas de cette chambre. Qu’à son réveil, il n’y aurait certes pas de père pour accueillir l’esprit troublé, mais il y aurait un ami si elle en avait besoin.

Un être comme elle, qui ne grimacerait pas à la vision de qui elle est.
Un autre. Son autre.
Celui qui saurait non pas la sédater sans doute en urgence, voir brusquement, mais l’aider à en sortir plus calmement, sans céder ni à la panique, ni au mépris, ni au rejet. Non pas quelqu’un pour qui ce don ne ferait pas de différence, mais bien celui pour qui tout ça faisait sens. L’impression d’être amputé d’elle même – et il était bien placé pour en parler – d’être faible, incapable, bloqué dans une posture d’insuffisance et de handicap angoissante. Celui qui savait, même s’il ne le disait pas.

D’un regard, Logan posait les yeux sur son bras libre, se demandant si l’autre l’avait violemment rejetée ou non. Voilà bien d’où venait sa colère. Dans le fond sans doute n’étaient ils pas faits pour s’occuper de gens comme eux dans des situations parfois si dramatiques. Alors bien sûr, Logan comprenait que l’autre s’esquive si vite hors de cette chambrette. Coincé avec deux Legimens de naissance à bout de nerf. Qui n’aurait pas fui les lieux ? On lui avait appris toute sa vie à intégrer quel montre il était, alors comment vivre les choses autrement qu’ainsi ? Mais comprendre n’est pas accepter. Ça ne l’avait jamais été. Ainsi s’il aurait dû rentrer, la laisser dormir sans être l’ombre bizarre qui demeurait dans un coin de sa chambre, Logan était resté, porté par ses pensées, de proche en proche un peu plus lointainement perdu. Il aurait pu s’écouter ainsi bien des heures sans qu’il ne s’en rende compte, l’esprit naviguant entre un passé qui n’était pas le sien, se noyant par moment dans le glas de ses propres souvenirs brutaux, parfois profondément perdu entre passé et réalité mais raccrochant systématiquement sans même avoir bougé d’un pouce.
C’est ainsi, tout à la fois dérivant dans son fort intérieur – expression passablement pertinente le concernant – et l’attention portée à chaque mouvement que pouvait faire Sanae, qu’il fini par la voir reprendre ses esprits.

Voilà que le bal des toubibs passait alors. Maxence en premier, échangeant rapidement avec chacun d’eux, son naturel souple rendant les choses aisées quand lui-même, serrait les dents de sentir Sanae esquiver le regard de chacun. Y compris le sien.

Idiot. Susurrait la petite voix.

Quand il quittait les lieux, Logan envisageait déjà de le suivre, rassuré de la voir éveillé mais soudainement peu à l’aise avec ses propres décisions. La preuve, la brioche était restée bêtement coincée entre le mur, la table basse et le lit sans qu’il ne lui vienne à l’esprit de signifier sa présence. C’est à ce moment qu’un tout autre type de visiteur vint emplir la pièce de sa présence plus solennelle. Le regard sur son visage, Logan se fit la simple réflexion que cet air lui parlait, qu’il avait dû le croiser à un moment ou à un autre, personnellement ou dans les souvenirs d’autrui. Peut-être à l’époque où il échangeait avec les jumeaux Emrys. Où sa présence aurait peut-être eu plus de sens.

« Oui, oui, j’ai compris, je m’en vais. » Avant-même que le général ne vienne le lui demander.

Un regard vers Sanae, il s’apprétait à lui dire qu’il rentrait… et se ravisa, notant comme elle semblait hésitante vis à vis de son propre don. Peut-être d’autres ne le notaient-ils pas mais ses yeux se posaient juste à côté de ceux de son interlocuteur, un léger décalage vers le font ou le nez, le mur arrière peut-être ? Dans tous les cas, elle ne se faisait pas tout à fait confiance.

Et lui, ne faisait pas confiance aux autres.

« Je reste dans le coin. »

Un ton froid, factuel, mais un regard appuyé qui se moquait bien de la présence du général, ne s’intéressant qu’à elle.

Des problèmes à venir ? L’idée assombrissait son regard tandis qu’il sortait sous le regard insistant de l’homme familier.

Comme annoncé, une nouvelle fois Logan restait, le dos contre le mur, le regard planté sur la porte close, incapable d’entendre quoi que ce soit – et oui, il avait tenté un petit sort en fourbe, inutile évidemment, l’autre l’avait anticipé. Un lien avec cette mission, cette erreur qui n’était attribuable à personne ? Elle revenait, cette idée, s’esquivait, le laissant seul avec ses pensées, face au mur de l’inaccessible. Une vie qui n’était pas la sienne.
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M. Logan Rivers
Jeu 6 Jan 2022 - 15:44
« I’m bad with words. I hope you’re good in reading eyes. »
K.H.

Il tente des trucs.
Ce qui était à l’origine une plaisanterie légère faisait pourtant sens à bien des niveaux. Ils tentaient, tous les deux, des trucs qu’ils n’avaient pas fait auparavant, pas l’un envers l’autre. Des trucs nouveaux. Des trucs un peu maladroits, qui ne ressemblaient parfois pas tout à fait à ce qu’ils laissaient voir face aux autres ou à ce qu’ils auraient aimé être en permanence. Déplacés du confort de leur bulle habituelle, ils faisaient ce qu’ils pouvaient pour en recréer une dans laquelle évoluer l’un avec l’autre, comme un château de sable qu’ils confectionnaient de leurs mains un peu tremblantes. Hésitants, inquiets tous deux de ce que l’autre ressentait, ils traversaient cette conversation pas à pas avec la prudence qu’engendrait toute entreprise un peu fébrile et qui demandait un équilibre. Ce dernier n’était pas aisé à trouver quand ils butaient tous deux sur le fait même d’être vulnérables, ébranlés par une situation dans laquelle soudainement il fallait se placer face aux autres, exister hors des murs d’un appartement qui avait été seul témoin de leur lien. Tout semblait sans dessus dessous. Rien n’était vraiment à sa place. Pourtant, elle tentait de donner cette place si particulière qu’aucun ne savait décrire à voix haute. Et lui, il faisait des efforts qu’on lui avait rarement vu faire – ou peut-être pas du tout. Même quand elle le voyait détourner le regard, s’éloigner sans prendre la fuite, approcher ce fauteuil, petit à petit, renâclant devant la tâche difficile de se saisir de cette place qui lui revenait néanmoins. A trop l’observer, comme un être rare et étrange semblant s’être perdu dans un décor qui n’était jamais le sien, elle détectait les indices d’une gêne pleine de pudeur. L’expression, il ne savait pas où se mettre n’avait jamais été aussi vraie. Pas où se mettre. A l’intérieur de cette chambre, à l’extérieur ; près d’elle, loin d’elle ; au sein des conversations ou tout à fait en retrait. Il ne savait pas comment faire mais il faisait. Il ne savait pas s’il le fallait, s’il le voulait vraiment sans doute, mais il était là. C’était une gymnastique étourdissante d’essayer de comprendre cet homme-là. A trop se concentrer sur ses actes, on oubliait ses silences ; et à trop se concentrer sur ses silences, on n’oubliait ses actes. Le regard de Sanae allait de l’un à l’autre, trouvant dans la distance qu’il imposait une proximité qu’il n’avait pas avec d’autres et c’était tout ce qu’il lui fallait en cet instant. Parce qu’elle savait que c’était beaucoup et qu’il y avait dans ces paroles des efforts qu’il surmontait à peine et dont il ne maîtrisait pas les effets.

« Évidemment. C’est ma seule option pour avoir une chance de te battre à ce jeu-là. »
Elle eut un souffle amusé, un large sourire aux lèvres. L’humour les sauvait de quelques silences gênés où aurait pu transparaître plus avant leur maladresse. Il la surprenait parfois à voguer sur des eaux plus normales, lâchant cette figure distante et froide par laquelle aucune faiblesse ne dépassait. Il aurait été impensable avant qu’il se place en perdant face à elle sur un quelconque aspect, même au détour d’une plaisanterie. Surtout par les mots, aussi ouvertement.

Il changeait. Elle le voyait, là, sous ses yeux. Et ce, depuis quelques temps déjà. L’homme mutique dans son fauteuil qui ne regardait qu’en lui-même disparaissait progressivement et elle se demanda en l’observant si près de son lit, une jambe ramenée vers lui, qui il serait demain, après-demain, dans un mois, dans un an… Jusqu’où irait-il ? Vers quoi irait-il ? Qui serait-il bientôt ou dans longtemps ? Elle n’était pas la seule à s’être transformée. Son changement à lui était moins évident, moins voyant. Ce n’était que de petits bouleversements, si tant est qu’un bouleversement pouvait être petit. Grand pour lui, ça l’était. Trop même. Voilà pourquoi il n’était pas à l’aise, pourquoi il hésitait toujours au fond de lui dans l’encadrement des portes allant vers les autres. Toute transformation était probablement douloureuse, pleine de craintes. Surtout quand les autres tournaient soudainement leur regard dans sa direction, attendant, observant… Alors c’était presque par nécessité sûrement que le sujet revenait vers elle. L’inquiétude et les questions avaient besoin d’être apaisées. Il n’y avait pourtant rien de véritablement apaisant. Elle tentait de minimiser, de verser un peu de légèreté là où il n’y en avait pas et au fond, elle établissait sa frustration sur ce point central qui la dominait : le fait de ne pas se souvenir. Un comble, oui, pour une légimen.

Lui seul pouvait comprendre ça dans toute la profondeur de ce désespoir de ne pas être maître de ses souvenirs quand ils étaient habitués à les manier si habilement. Ils se sourirent. Le constat rapprochait quelque chose chez eux que seuls deux êtres de la même espèce pouvait sentir. Et il y avait presque quelque chose de doux et de compatissant dans cet étirement de lèvres. Il comprenait.

« Et après ça me reproche mon silence… pourquoi tu crois que j’ai passé deux mois à faire la gueule ? »
« Moi qui pensais que c’était parce que mes monologues t’indisposaient... » dit-elle avec un léger rire. Cela lui paraissait si loin désormais. D’autres vies avaient coulé entre temps. Plusieurs couches juxtaposées. Ils n’étaient plus tout à fait les mêmes.

Des monologues, elle en avait plein. Ils dormaient en elle jusqu’au jour où il devenait insupportable de les retenir ; à vrai dire, sûrement naissaient-ils quand ils étaient prêts à sortir. Alors si le suivant fut plus succinct et direct que les autres, il n’en était pas moins important. Il fallait les dire, ces mots. Les ancrer. Peut-être n’était-ce pas le moment pour lui mais était-il bon juge de ce qui devait advenir à temps et pour son bien ? Leur bien. Elle prenait les devants. Parce que dans cette seconde brève où il avait dit son nom et où son regard avait à nouveau capté le sien, elle avait senti cette pointe d’hésitation, cette inquiétude dans la crispation qui dessinait des lignes sur son front.

Que croyais-tu que j’allais dire ?
De quoi as-tu donc peur au fond ?


D’accepter, sûrement, les mots qu’elle lui offrait. Elle aussi avait peur de les prononcer, de les entendre prendre forme. Ils tentaient des trucs, oui. Pour l’autre, pour eux-mêmes, pour ce lien qu’ils avaient attendu pendant si longtemps. Ça valait le coup d’exprimer ce que la pudeur n’osait habituellement livrer. Même si c’était pour reconnaître que leur bulle venait d’être perforée par les autres, que leur secret demandait les sacrifices qu’ils n’étaient pas les seuls à payer.

« Je sais. » Les mots se raréfiaient.

Et trop consciente de la vulnérabilité que tout cela dévoilait d’eux, la sorcière passait un bras sur son visage, baillait, protégeant ce visage sur lequel il semblait si bien lire. Quand elle l’abaissa, ce fut pour lui sourire à nouveau, glissant une demande plus légère quand pourtant elle touchait en plein coeur de l’affection muette. Une brioche, comme une offrande, un jour rapportée sans prévenir ; l’aveu d’une tentative humaine. Ce n’était pas par gourmandise qu’elle la demandait. C’était qu’à ne pouvoir ni se toucher ni se lier par l’esprit, elle avait besoin de ce petit quelque chose qui était à eux.

Elle en rajoutait bien sûr, chassant la lourdeur d’une conversation à mettre au placard pour l’instant.  Et lui, il souriait, riait doucement.

« C’est ça … Je vais y réfléchir. » dit-il, une douceur étrange dans le regard.

Un large sourire lui répondit, victorieux face à ce qu’elle estimait être un oui.






Elle n’aurait su dire à quel moment elle avait sombré à nouveau dans le sommeil. La fatigue l’avait emportée au fil des conversations et des efforts du jour. Logan était parti quelques heures, Keza était restée près de son lit, l’avait fait manger. L’appétit revenait petit à petit, timide encore, mais bien là. Un collègue était venu lui dire qu’ils enlèveraient bientôt son attelle au bras et que ses côtes semblaient presque comme neuves. Elle irait bien. Oui, tout irait bien. Il fallait seulement qu’elle se repose…

Ses paupières s’étaient fermées sous les yeux attentifs de Kezabel. Sans doute s’était-elle assoupie en pleine conversation, bercée par la voix de sa sœur, ou peut-être dans un silence que sa fatigue saisit pour la faire plonger. Doucement, elle s’était laissée dériver autre part. Il lui avait semblé que ce sommeil n’avait duré que quelques minutes, une poignée de secondes s’écoulant entre des doigts comme des grains de sable, et quand elle ouvrit à nouveau les yeux, ce fut pour les poser sur les machines à sa gauche. Les bip, bip, bip familiers. Les lignes vertes. Le blanc des murs et des draps. Kezabel n’était plus dans le fauteuil. Sanae se frotta le visage, son corps lui paraissait encore plus lourd, engourdi. A ses côtés, il n’y avait qu’un infirmier qui ressemblait étrangement à un de ses anciens précepteurs. Son regard la fixait. Sanae. Sanae. Son nom sortait de sa bouche alors qu’elle clignait des paupières, dégageait le flou déposé sur ses yeux. Elle se racla la gorge, murmura un Hm? inquiet. Pourquoi la regardait-il avec cette pitié un peu hésitante, effrayée. Des complications. Quelles complications ? Pourquoi lui parlait-il si doucement, prenant le temps des mots comme un soignant annonçant une mauvaise nouvelle ? Elle le connaissait ce ton, ce regard, ces gestes qui venait à elle pour l’apaiser avant même que l’orage ne gronde. Il était désolé, ils étaient désolés. Désolé de quoi ? Ses paroles se succédaient dans un ordre bizarre. Nous avons découvert des lésions irréversibles lors du dernier scan. Elle lui fit répéter. Cela n’avait pas de sens. Tout allait bien. Tout irait bien. C’est ce qu’ils avaient dit. Elle avait vu son dossier, tout était normal. Plus il parlait, plus sa main sur son bras la brûlait. La brûlait d’une compassion ignoble qu’elle ne comprenait pas. Et il répétait, encore, encore, qu’il était désolé, qu’il ne pouvait rien faire. Rien faire pour ça. Rien faire pour elle.

...plus en mesure d’utiliser ton don…

Elle sentit son coeur s’emballer, ses yeux s’ouvrirent plus grand. L’incompréhension tordait son visage, déformait ses traits fatigués. Elle lui fit reprendre. Plusieurs fois. Le discours ne changeait pas : le traumatisme semblait avoir annihilé toute capacité de légimencie. Plus il parlait, ancrant cette nouvelle réalité dans chaque fibre de son être, plus son souffle s’accélérait. [/i]Plus de légimencie....Plus jamais[/i] Plus jamais. Plus jamais de légimencie. Plus de don. Plus rien. Quelque chose en elle l’agrippa, la secoua. Violentée de l’intérieur. Ballottée par ce truc familier qui depuis des semaines semblait avoir disparu dans sa forme la plus brutale. Les vagues, déjà, martelaient les rivages pour s’y déchaîner. Ils n’avaient pas le droit. Pas le droit de lui dire ça. Pas le droit d’exprimer si platement la perte d’une partie si intégrante de son identité.

Ce n’était pas des mots mais des tremblements de terre.

En le regardant, elle comprit qu’il disait vrai, qu’il n’y avait aucune trace de mensonge. Alors au rythme de sa respiration paniquée, un son aigu grossit dans ses tympans, manquant de les éclater soudainement dans la montée furieuse de toutes ses émotions. Un bloc entier prenait vie pour remonter à la surface. Et elle, elle prenait l’eau. De toutes parts, sans lui laisser le temps de trouver refuge, sans lui donner l’accroche nécessaire à la maîtrise, tout venait la bousculer pour prendre possession d’elle. Ses doigts accrochèrent les bras du soignant, s’y cramponnaient brutalement. Elle aurait pu le supplier, le supplier de dire qu’il plaisantait, que c’était une erreur mais rien ne sortait de sa bouche. Si ses lèvres étaient collées, ses pensées, elles, hurlaient Non. Mais personne ne les entendait. Son esprit ne s’étendait pas. Elle avait beau crier à l’intérieur d’elle-même, tenter d’atteindre l’autre côté de ce regard, aucun fil ne venait l’y relier, aucun flux, aucun passage invisible la propulsant vers l’autre. Le vide. Le silence. Le rien. Sa bouche lui parut si sèche qu’elle en sentait des écailles de peau se frotter entre elles quand enfin elle hurla.

La réalité sembla survenir comme une gifle.

En pleine face. En plein coeur. Au moment où le souffle de ses pensées s’épuisait dans le néant cauchemardesque, elle surgissait dans le réel. Son corps, lui, ne put exprimer la brutalité à laquelle il était soumis. Elle ne bougea presque pas, ses yeux ne firent que s’ouvrir grand, sa tête se redressant légèrement dans un mouvement sec, rapide. Raz-de-marrée interne qui continuait à se déverser après la disparition du rêve. Bien plus que les images et les mots, c’était leurs effets qui demeuraient marqués au fer rouge dans sa chair. La respiration haletante, les moniteurs marquant l’affolement passager. La tension était montée d’un seul coup dans l’organisme. Et la chambre ne fut pas déserte très longtemps. Déjà, avant même qu’elle ne puisse amorcer d’autre mouvement, avant même que les contours du fauteuil vide, du lit aux draps foutrement blancs, ne puissent revenir tout à fait à elle, un infirmier entrait. Il pouvait bien lui murmurer des questions, des mots rassurants pour calmer l’anxiété apparente, elle ne l’entendait pas. Elle n’entendait que la cavalcade de son coeur et elle eut l’impression qu’il comptait exploser dans sa poitrine, briser sa cage thoracique, s’échapper. Mourir. Là, sur le lino de la chambre d’hôpital. Crever comme un truc qui se gonfle jusqu’à l’éclatement, qui glisse hors de sa cage pour s’éclater quelque part, sombre souvenir d’un organe palpitant.

Son regard se détacha du visage de l’infirmier qui n’avait rien à voir avec celui qu’elle avait eu devant les yeux un instant plus tôt. Près d’elle, les machines affichaient leur série de nombres, de lignes, de courbes. Vertes sur écran noir. Elle pouvait en voir les détails, les lire. Etait-ce réel alors ?  Et lui, l’était-il ? Cet homme qui se penchait vers elle en posant une main rassurante sur son poignet en lui disant de se calmer. N’était-il qu’une continuité d’un rêve ? Le commencement d’un autre ? Ou l’après, la fin, le terminus d’une virée se terminant par un accident ? Elle ne réfléchit pas. Ne dit rien. Ses mains ne le touchèrent pas mais elles agrippèrent les draps.

Son esprit, lui, fusa comme une balle propulsée dans un corps.

Mais une balle chargée de désespoir, de souffrance et de peur. Et cette peur ne pouvait se soulager que dans la vérification concrète et pure que cette part d’elle-même existait toujours. Elle voulait sentir l’esprit de l’autre contre le sien, voyager dans les pensées et les souvenirs que dissimulaient ces prunelles. Être sûre, certaine, dans chaque fibre de son être que ça n’avait pas disparu. Le souffle de son esprit avait repris et il se nourrissait de lui, de ce soignant penché au-dessus d’elle qui n’avait rien vu venir. Et elle, ce fut la douleur qu’elle n’eut le temps d’anticiper. A peine l’esprit projeté, une lame chauffée à blanc lui transperça le crâne. Un gémissement sortit de ses dents serrées et sa tête retomba dans l’oreiller alors qu’elle se cambrait dans son lit, faisant crisser ses os. Ses paupières se fermèrent immédiatement. Les traits plissés et les mâchoires crispées, Sanae tentait de survivre à la vague de douleur aiguë qui la submergeait.

Elle avait beau souffrir, il y avait ce soulagement salvateur au fond de son ventre. Son don était là. Toujours là. Et c’était réel.

La suite fut brumeuse. L’infirmier ne tarda pas à lui injecter une première dose qui brouilla toutes ses sensations. Impression d’être flottante. Les repères qui l’entouraient disparaissaient et les sons de voix qu’elle distinguait à peine avaient des pointes familières. Elle ne savait plus où elle était, ni combien de temps s’écoulait. Son corps se détendit, la douleur s’envola et elle sombra à nouveau.

On aurait pu penser qu’à chaque nouveau réveil, tout faisait sens un peu plus rapidement, plus facilement, mais il n’en était rien. Elle s’éveillait toujours dans le flou, l’esprit vague, presque fumeux, quand ses yeux s’ouvraient et que son front se plissait. Elle se reconnectait au monde qui l’entourait et comptait les secondes qui s’égrainaient jusqu’à ce que le voile du sommeil ne disparaisse tout à fait. Depuis son premier réveil dans cette chambre, Sanae redécouvrait ce qu’était une migraine. Habituée pourtant à sentir les fatigues de son esprit quand il avait été trop sollicité, elle sentait que cette douleur là était nouvelle et que quelques heures dans le noir ne suffiraient pas à la soulager. Elle tourna la tête de chaque côté du lit, y découvrit les visages familiers de Kezabel et de Logan sans s’arrêter plus d’une seconde sur eux. Il y avait toujours ce petit sursaut au fond de leurs regards quand ils la voyaient s’animer et par ces journées trop longues passées ici, elle avait alors appris qu’il faudrait, pour eux aussi, plus que quelques heures pour soulager l’inquiétude et la tension.

Ils ne la brusquaient jamais à parler tout de suite, attendaient bien souvent qu’elle soit tout à fait là parmi eux mais il n’y eut cette fois-ci, pas le temps pour prendre le temps. Maxence passa la porte et soudainement, elle crut que la chambre s’était emplie d’une foule insupportable. Ce n’était pas contre lui, ni contre aucun d’eux, mais en cet instant elle aurait aimé seulement avoir à fixer le mur. Lui au moins n’avait pas d’âme, pas d’esprit, pas de pensées. C’était une façade froide et blanche qui n’exprimait rien. S’il échangea avec ceux qui veillaient si fermement sur elle, Sanae en revanche ne participa pas vraiment à la conversation. Elle acquiesçait, soufflait un oui ou un non quand il vérifiait son état mais c’était tout. Pas de regard franc ou de sourire. Leurs prunelles à tous étaient devenues des océans dans lesquels elle avait peur de se noyer ; tout le monde aurait bu la tasse avec elle. Et même Logan, qu’elle ne craignait pas de heurter, demeurait hors de son champ de vision. Elle les évitait, fixant un point derrière eux, un détail d’une manche, la ligne de la mâchoire, les mèches de cheveux, la poche d’une veste, la porte plus loin. Pas confiance. Pas assurée de pouvoir se maîtriser. Ce qu’elle savait c’était qu’elle n’aurait pas supporté de se projeter vers eux.

Bizarrement, en évitant de croiser leurs regards, elle avait l’impression que les leurs venaient droit sur elle sans la lâcher. Les leurs, ceux des autres soignants qui allaient et venaient, parlant avec Maxence, avec Kezabel. Distraite, Sanae ne les écoutait pas. Elle regarda un long moment le plafond avant qu’elle n’entende son nom quelque part. La main de Kezabel passa sur son front dans un geste rassurant. On lui apporta de l’eau. Ses prunelles plongèrent au fond du verre. Trop de monde, trop de regards à esquiver comme des pièges de toutes parts de son lit. Elle aurait remonté le drap sur son visage si elle ne détestait pas tant montrer son mal aise aussi ouvertement.

Maxence partait non sans une parole douce et Logan esquissa un mouvement de son côté. Une main par-dessus le visage, Sanae vit à travers ses doigts une autre silhouette passer la porte. Silhouette familière. Le Général des Activistes. Sa main retomba à ses côtés. Elle évita de peu son regard, venant le poser sur sa joue, sur l’arête de son nez droit. Près d’elle, Kezabel se redressait. Venait-il lui donner plus d’informations sur son accident ? Elle en doutait. Visite de courtoisie ? Pas vraiment. Elle avait l’intuition que ce n’était pour aucune de ses raisons qu’il venait parce qu’au fond, elle redoutait depuis des jours maintenant une conversation pourtant inévitable.

Le Général n’eut pas le temps de parler que déjà, Logan se levait.

« Oui, oui, j’ai compris, je m’en vais. »

Kezabel quittait sa chaise elle aussi, posant une main sur la sienne avant de s’éloigner vers la porte. Sanae fit un sourire pincé en les observant s’éloigner. Logan se tourna vers elle mais leurs regards ne se croisèrent pas. Celui de la sorcière allait et venait, jamais véritablement fixe, entre les pièges qu’ils représentaient tous. Peut-être avait-il remarqué, si habitué d’ordinaire à ce qu’elle plante l’obscurité de ses prunelles dans l’acier des siennes...

« Je reste dans le coin. »
Elle acquiesça doucement. Il restait et cela avait de quoi la rassurer, un peu. Un filet de sécurité, non loin, dont elle ne savait si elle aurait besoin mais qui avait le mérite d’exister. Juste au cas où. Juste pour soulager l’inquiétude d’une possibilité.

La porte se referma derrière eux, la laissant seule avec le Général. Sanae se redressa alors qu’ils échangeaient des politesses ordinaires. Il préparait le terrain bien que son intérêt était sincère. Et elle, elle attendait ce qui ne tarderait pas à tomber.

« Tu nous as fait une belle frayeur, Kimura.
- C’est ma spécialité. »
Une esquisse de sourire étira ses lèvres.
« Je vais éviter de cramer le peu d'énergie que t'as pour rien. Il faut qu'on discute de ta situation avec Rivers. » C’était donc ça. En voulait-elle à Margo d’avoir parlé à la Garde ? Non, pas vraiment. Elle savait que l’information aurait remonté inévitablement vers la hiérarchie.
« J’me disais bien aussi que tu venais pas m’apporter des biscuits…. » dit-elle. « Tu vas me taper sur les doigts ?
- Si seulement ça suffisait pour la connerie que tu as faite. » Il vint s’asseoir dans le siège à côté du lit, un soupir passant à présent ses lèvres. «  Est-ce qu'il est utile de te faire un laïus pour t'expliquer à quel point tu as merdé ?
- Non ça va, évitons les évidences. Annonce plutôt la couleur. » Elle n’avait pas l’énergie pour tourner autour du pot, tout comme ce n’était pas son habitude à lui de le faire pour ce genre de sujet. Alors elle préférait entendre ce qu’elle encourrait, quelle serait la « punition » que lui réservait la Garde, et ce qu’elle devrait avancer comme argument pour préserver ce qu’elle désirait, elle.
« Ok. Tu es suspendu jusqu'à début Juillet. Tu seras contrôlée, j'te dis pas quand, ni comment, mais avec les temps qui courent on a besoin de s'assurer que ça ne se reproduise pas. Ta coloc' prendra fin dès que nos équipes auront trouvé une planque. » L’agacement ne fut pas exprimé mais la sorcière le sentit mordre ses entrailles d’un seul coup. Un refus brutal fusa dans ses veines. Elle pouvait bien supporter qu’on la suspende et la surveille pour un temps, ce ne serait que temporaire et ils voulaient être sûrs qu’ils pouvaient lui faire confiance. De ça, elle ne s’agaçait pas. En revanche, il était hors de question qu’ils mettent fin à quoi que ce soit. « Soit tu l'accompagnes dans sa planque, soit tu restes à l'écart et tu n'aura plus aucun lien ni contact avec. » La sorcière avait ramené son bras sur son buste, le lit incliné la laissant dans une position un peu plus verticale. Son regard s’était fixé sur le front du sorcier, juste au-dessus de son nez. Là, entre les yeux, était son point de refuge.
« Autant te dire que la dernière option n’est même pas envisageable. Vous m’avez chargée de m’occuper de lui et honnêtement, personne d’autre ne peut le faire alors je pars avec lui. Peu importe où seras la planque, je m’arrangerai. Et s’il faut que je sois suspendue et contrôlée pour redorer mon blason, très bien. » La voix calme, bien que fatiguée, Sanae n’avait pas cillé. Le ton n’était pas agressif mais déterminé. Il transparaissait néanmoins dans ses paroles une vivacité qui détonait avec la fragilité de son corps. Le Général la regarda en silence. Elle inspira doucement.

« Tu y vas parce que personne d'autre peut le faire ou parce que t'es tellement émotionnellement impliquée que tu te vois pas faire autrement ? » Elle faillit plonger son regard dans le sien tant la remarque la démasquait. Il y eut un temps de pause durant lequel elle se figea, le visage fermé, le laissant reprendre. « Je te connais Kimura. Tu n'es pas celle qui commet ce genre d'erreur. Je sais pas dans quel merdier tu te fourres avec ce type, mais j'aime pas ça. »

Tu ne le connais pas.

Dans son esprit, elle balaya son jugement rapidement. Elle eut une inspiration avant de soulever les draps qui la recouvrait, se glissant lentement sur le bord du lit en position assise, les pieds dans le vide. Son débardeur noir contrastait avec les bandages qu’on voyait ci et là sur sa peau. Une main à plat sur le matelas, se maintenant assise malgré les courbatures, Sanae se redressait, occultant les fils reliés à elle qui la suivaient, étirés.

« Écoutes, je sais que j’aurais du en parler à la Garde, j’aurais pas du laisser traîner, je m’en excuse. Mais il me reste assez de neurones pour avoir les idées claires. Je suis impliquée oui. J’étais investie d’une mission auprès de lui et mon implication est autant celle d’un médicomage pour son patient que d’un membre de la Garde. J’ai passé des semaines à ses côtés et maintenant, il parle, il mange, il se remet doucement. Il ne me considère plus comme une menace depuis longtemps et si vous lui foutez quelqu’un d’autre dans les pattes, ce sera un retour à zéro en plus de lui dire clairement que le mettre au placard n’est pas suffisant. Si je reste avec lui et qu’il devient problématique pour vous, je le saurai non ? Je serai davantage en mesure de le tempérer que vous, alors pour les intérêts de la Garde et les siens, à lui, il vaut mieux que les choses restent telles qu’elles sont, peu importe le lieu. » Elle avait parlé sans jamais croiser les prunelles qui se dardaient sur elle, attentives. L’effort lui coûtait bien plus que tout mouvement du corps. Mais il fallait parfois ignorer les protestations de l’organisme pour s’atteler à ce qui ne pouvait plus attendre. Elle aurait menti si elle avait dit ne pas avoir déjà pensé à cette réponse et ce n’était pas pour rien qu’elle adoptait un tant soit peu le point de vue de son Général.
Ce dernier eut un léger sourire.

« Très bien. J'en informerai Arthur. A la fin de ta suspension, tu pourras reprendre les missions sous supervision jusqu'à nouvel ordre. Des questions ? » Le soulagement vint dénouer quelque chose dans son ventre.
« Une seule. Si je dois être supervisée…vous allez choisir qui pour me coller au cul ?
- T'en fais pas, ça sera comme à la maison. Beaumont saura te mettre à l'aise. »
Elle eut un souffle amusé, secouant légèrement la tête. Elle n’aurait pu rêver mieux. S'il fallait être surveillée par quelqu'un, elle préférait largement que ce soit elle.
« Vous m’en voulez vraiment hein... » s’amusa-t-elle.
« Si on t'en voulais vraiment, on t'aurait laissé avec Clark. Elle s'est proposée et a insisté.
- Je préfère mille Beaumont sous acide.
- Parles pas trop vite. »

Du tac au tac, l’échange devenait plus léger. Elle respirait mieux quand enfin ce qu’elle redoutait s’évanouissait au loin. La sorcière pensa que c’était la fin de cet entretien mais le sorcier n’avait pas fini.

« Dernière chose. Nous avons un poste pour ton poulain. » Poulain. T’entends ça Logan ? Elle retint un sourire, écoutant avec curiosité ce que le Général comptait proposer. « Nous ne serions pas contre une main d'oeuvre supplémentaire pour instruire les recrus en Duel, Sortilèges et défenses contre les forces du mal mais ça impliquerait de rejoindre nos rangs. Sous ta surveillance et la mienne. Je te donnerais de plus amples détails, plus tard. »

Il en fallait d’ordinaire beaucoup pour l’estomaquer. En quelques mots, le Général venait de créer un court-circuit. Son regard capta une seconde celui du sorcier et elle fit mine de se détourner pour se repositionner sur le bord du lit, ramenant une mèche de cheveux derrière son oreille.

« Alors, ça...je m’y attendais pas. » Elle secoua la tête, la surprise visible dans chacun de ses traits. « Tu veux dire quoi par rejoindre les rangs ? 
- Il rejoint la Garde en tant que prof'. Pas de mission, pas de partage d'info sensible, il sera là pour enseigner et former. » Elle acquiesça lentement, imaginant déjà comment cette proposition serait reçue. Pourtant, elle ne pouvait pas nier qu'une reprise d'activité pour le sorcier serait plus que bénéfique, surtout dans un domaine qu'il connaissait déjà. Elle savait en voyant les expressions de son visage à chaque progrès qu'elle pouvait faire face à lui, que le plaisir d'enseigner n'avait pas disparu. Mais former pour la Garde... était une tout autre histoire.
« Ok. Donc c’est à moi de lui faire la proposition c’est ça ? Dit-elle.
- C'est ça. Ton poulain, ta mission. Non ? »
Un sourire amusé.
« Bien dit. »

Ils continuèrent à discuter quelques minutes de plus mais elle n’avait qu’une chose en tête désormais. Comment dire ça à Logan ? Elle ne pouvait pas attendre pour lui dire, il faudrait trouver en si peu de temps une façon de lui parler de tout ça sans déclencher sa rage toute amère. Autant courir sur un champ de mines…

Quand le Général se leva pour partir, Sanae déglutit avant d’inspirer plus profondément. Elle passa une main sur son visage, avant de dire au revoir au sorcier qui prit la porte. Assise sur le rebord du lit, la sorcière sentait son esprit en ébullition. En levant le bras, le fil qui la reliait à sa perfusion tira sur sa peau et elle soupira bruyamment. Elle tira d’un geste sec sur les capteurs qui la reliaient aux machines, s’en débarrassant dans une irritation qu’elle s’était épuisée à réprimer jusque-là. Elle en avait marre. Elle prit la baguette qui reposait sur la table de chevet fit taire les machines avant que tout le monde ne débarque dans la chambre. Glissant du lit pour toucher sol, la sorcière tira sur le portant auquel pendait une poche reliée à son bras et se leva doucement. Une grimace déforma un instant son visage. Elle sentait encore ses côtes fragiles et la raideur dans son épaule. Mais bon sang qu’elle n’en pouvait plus d’être allongée. Alors peu importait la migraine, les courbatures ou les os qui protestaient, Sanae fit quelques pas prudents dans la pièce et s’approcha de la porte, posant sa main libre sur l’encadrement. Dans le couloir apparaissait déjà un soignant qui semblait venir d’un pas pressé…

« Ça va, calme toi...j’suis pas morte. » siffla-t-elle.

Il put bien protester, elle ne comptait de toute façon pas rester debout longtemps. Juste le temps de voir que Logan était toujours dans le couloir et que Keza devait être partie ailleurs en attendant le départ du Général. Elle fit un signe de menton vers Logan.

« La voie est libre Rivers. »

Elle fit demi-tour, retournant dans la chambre en traînant le portant avec elle, s’y stabilisant un tant soit peu quand il lui apparaissait qu’elle avait moins d’énergie qu’une serpillière. Agacée par sa propre lenteur, Sanae revint vers son lit en maugréant en français qu’elle signerait n’importe quelle décharge dans la minute si on ne voulait pas tant la retenir alitée, que de toute façon tout ça était inutile et qu’elle ne faisait que dormir, chose qui jusque-là fonctionnait très bien dans sa propre chambre sans foutues machines. Elle se posa sur le bord du lit à nouveau, la main tenant toujours le portant comme un drôle de sceptre.

Quand Logan fut entré et que la porte fut close, la sorcière passa une main dans ses cheveux avant de tenter un regard vers lui. Brève tentative. Elle baissa la tête sur le pantalon noir qui recouvrait ses jambes. Elle ne savait pas encore comment lui dire, ni si elle était dans le meilleur des états pour le faire. Avancer prudemment semblait la meilleure option.

« T’es pas rentré dormir ? »

Il avait été là depuis son réveil alors elle se demandait soudainement depuis combien de temps il demeurait auprès de son lit.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 10 Jan 2022 - 0:01
Il restait là, planté face à cette porte close, les mâchoires serrées et le regard fixe. Une posture qui n’avait pas réellement changé depuis qu’il était entré là pour la trouver sédatée du fait de son statut de légimen. Aucune parole non, ou très peu. Parce qu’il craignait de déclencher quelque chose qu’il ne maîtrisait pas à l’encontre de Kezabel déjà, mal à l’aise avec sa présence ici mais immuable sur la sienne. Il était le marbre, un roc impossible à déplacer quand il savait ce qu’elle avait fait durant la nuit. Et pourtant à aucun moment Logan n’en parlait, refusant de pointer le doigt sur cette défaillance qu’ils ne pourraient que risquer de lui reprocher. Seule la présence d’une foule gênante autour d’eux l’empêchait d’envisager d’effacer la mémoire de l’infirmier. Alors il se contentait d’être là, à couver une colère lourde face à ces regards qu’elle veillait à rendre indirects, face à ces émotions qu’elle bouffait seule sans qu’il ne sache ni quoi dire ni quoi faire. Mais présent, ça il pouvait l’être. Qu’il s’agisse de pouvoir la protéger des autres ou d’elle-même, qu’il faille être là pour capter la violence qui pouvait menacer des plus proches – Kezabel, Maxence ? – ou simplement être la silhouette du fond de la pièce qui savait, comprenait. Qu’importe, il était là.

Et chaque regard esquivé le ceignait d’horreur. La peur, voilà ce qui transparaissait d’elle. Peur de quoi ? De blesser ? De se noyer ? De se détruire ? De l’incontrôlé qui fusait dans ses veines ? Là, muet face à cette porte close, Logan s’en voulait.

Il s’en voulait de ne pas avoir effacé la mémoire de ce type, de ne pas l’avoir contraint au silence, d’avoir été correct, trop tourné vers son amie pour y songer convenablement. Car dans le fond voilà bien ce qu’il craignait : ces regards qu’on lui jetait du coin de l’œil, s’esquivant sans cesse, jamais vraiment à l’aise avec sa présence, jamais à l’aise avec son regard. La possibilité qu’elle aussi, un jour, elle soit celle à qui on file une nounou, un geôlier. Or tous deux en avaient déjà eu bien assez, des boulets à leurs pieds. Voilà donc là une horreur dont il aurait voulu la préserver. Mais autour de lui jamais les hommes qui croisaient son champ de vision ne correspondaient à celui qui se trouvait dans la chambre un peu plus tôt cette nuit-là. Ainsi l’arrière des épaules plaquées sur le mur, le regard noir et les lèvres pincées, Logan attendait, inquiet de ce qui pouvait se dire dans cette pièce vide. A sa droite, une femme grimpait les marches quatre à quatre, apparaissant essoufflée sur le pallier de l’escalier pour tourner dos à lui et s’enfoncer un peu plus loin dans une chambre annexe. Combien y avait-il de gens ? Comment ces lieux s’étaient-ils développés ainsi ? Il lui semblait que la Garde était devenue une véritable ville à présent, un réseau énorme qui sillonnait peut être le pays. Le menton tourné vers ces visages qui défilaient par moment, Logan croisait le regard d’un jeune garçon qui l’observait fixement. Poudlard. Un de ses élèves. Un de ceux qui étaient partis dès qu’il avait récupérer l’école avec Ismaelle et qu’ils leur avaient donné cette possibilité. Bien entendu, son nom lui échappait à présent, se dissolvant dans les ombres de sa mémoire surchargée, élimée par le temps passé et les épreuves à encaisser. Mais ce gosse était bien l’un de ceux là. Qu’attendait-il ici ?

Du coin de l’œil, il vit Maxence l’emporter au loin, braquant alors un instant sur lui un regard qu’il voulait explicite mais sans doute n’y avait-il que lui pour penser qu’ainsi silencieux il était possible de se comprendre.

Lui. Et elle.

Foutue porte close. Ecrasant un soupir, Logan finissait par poser les yeux ailleurs, sur ce chariot qu’une femme abandonnait non loin, entrant dans une nouvelle pièce, si pâle sous la lumière artificielle des néons. Si blanche cette lumière, tellement éloignée des lueurs plus chaudes, variées ou nuancées que la magie pouvait leur fournir. Une nouvelle fois ses dents grinçaient les unes sur les autres, mal à l’aise dans cet environnement si profondément moldu dans son apparence. Si l’influence magique apparaissait ça et là les lieux en étaient pourtant majoritairement dépourvus et le sorcier s’y sentait en territoire inconnu. Hostile. Mais là, entre deux boites de médicaments, il repérait une racine qu’il ne voyait pas si souvent. Voilà bien la seule chose qui pouvait l’éloigner un tant soit peu de cette satanée porte. La seule option pour ne pas être là dans la seconde si quelque chose se passait mal là-dedans. Une racine sombres aux entremêlements complexes, hélicoïdales et précis dans leur apparence brouillonne.

C’était en Turquie, pas loin de Burza qu’il avait trouvé ça pour la première fois. Au détour d’une bibliothèque sous-terraine que les sorciers avaient établis sous les courants marins à pic de cette zone à la frontière du détroit de Gibraltar – loin du regard et de la conscience des moldus, donc. L’une des plus grandes bibliothèques au monde, construite sur plusieurs étages, éclairée par les mouvements fluides des flots qui brillaient contre chaque mur comme si ceux-ci n’étaient pas faits de pierre. L’une des premières, donc, dans lesquelles il s’était rendu dès l’adolescence, scindant son monde à celui de sa famille, décidé à trouver un sens à ce qui l’éloignait des autres tout autant qu’à faire grandir ses aptitudes. Il s’agissait là d’une vieille cousine du filet du diable dont les propriétés sur les blessures des légimens n’étaient qu’à peine connues. Pourquoi le seraient-elles après tout ? Au même titre que les lycanthropes si profondément décriés à l’heure actuelle, les gens comme eux étaient une plaie pour la société. Ainsi non content de les rejeter, la foule oubliait bien souvent leur simple existence. Ils n’étaient là que pour assouvir les craintes et les légendes, toujours à mi-chemin entre les deux, jamais tout à fait perceptibles dans l’esprit du badaud mais jamais tout à fait absents s’ils faisaient mine de revendiquer leur existence. C’était toujours là bien sûr, la crainte de l’inconnu, l’incompréhension et le jugement de ce qu’on ne peut appréhender.

Sans ni se presser ni demander l’autorisation, Logan rejoint donc le chariot, levant d’un geste les sortilèges qui le sécurisaient sans aucun respect pour le travail effectué pour les inconnus qui jalonnaient ces lieux, il s’emparait simplement du petit morceau noir et cendré.
Demi-tour donc, déjà prêt à revenir sur place, le regard posé sur ce qui pouvait ressembler à une branche emmêlée. C’était alors en plantant un croc dans la racine pour s’assurer de son identité qu’il relevait le regard, croisant alors celui d’un Maxence planté au centre du couloir et le fixant d’un air inquisiteur.

Arrêt sur image, un sourire aussi mauvais qu’amusé aux lèvres, la racine coincée entre ses canines il le fixait un instant, soutenant cette conversation muette que les deux amis avaient sans s’en cacher. Un long moment à vrai dire, avant de capituler, levant les yeux au ciel et lâchant un léger soupir râleur. Tout en arrachant le morceau de racine, il la brisait entre en deux de la paume de sa main, en soulevant la plus grande part au dessus du chariot pour la tenir de deux doigts un trop long moment. Une grimace sur les traits et il la lâchait, la laissant tomber dans un petit « poc » sonore.

T’es content ?

De l’autre côté, Maxence levait les yeux au ciel et en revenait à ses occupations – quelles qu’elles soient – laissant Logan à la fois amusé et agacé d’être ainsi fliqué.

Planté là au centre du couloir, Logan se forçait à avaler le petit morceau pâteux et dur donc les fils s’agrippaient entre ses dents, s’animant dans un dernier combat qu’ils perdaient déjà. D’ordinaire, ces racines étaient utilisées en broyat sur les pieds des nouveaux nés. Ragoutant n’est-ce pas ? Et pourtant ils apaisaient les migraines légimentiques. (Si cet adjectif n’existe pas, je l’invente, oui.)

Mais si Maxence avait disparu, un autre infirmier revenait déjà, les traits tirés, l’angoisse gravée sur le visage, provoquant une décharge électrique brusque dans les nerfs de l’ancien directeur.

Sana

Un boulet de canon défonçant sa cage thoracique lui aurait fait la même impression, c’était certain. Et pourtant elle était bien là, dans ses vêtements larges et conforts probablement ramenés par Kezabel et symboles que tout allait mieux. Debout donc, délestée de toutes les merdes de capteur qui l’identifiaient comme une patiente. Très mauvais qualificatif donc. Et si tout autour ils paniquaient tous, la découvrant debout et hors de sa chambre, Logan fut le seul avec un petit sourire en coin à la voir râler sur l’inquiétude des uns et des autres, arrivée au bout de sa capacité à supporter son immobilité.

Bien. L’entretien était donc terminé.

« La voie est libre Rivers. »

Personne donc ? Pas même Kezabel ?
Il se rendait alors compte qu'il n'avait pas envisagé de suivre ce que son élève au comportement plus que borderline pouvait faire et souhaita en silence que Maxence, lui, ai eu cette intelligence.

Et derrière elle, le légimen voyait la silhouette de Maxence débarquer, profondément angoissé et manifestement particulièrement connecté à toutes ces machines que leur amie avait probablement faites taire dans sa chambre. Un geste de l’autre infirmier vers lui et il s’arrêtait, bras pendants, visage tourné vers le ciel en pivotant sur lui-même un talon planté dans le sol.

Ils allaient le rendre dingue.

Et Logan, lui, écrasait un petit rire, dans le fond profondément soulagé par cette scène qui se peignait des couleurs de la normalité plutôt que de les noyer dans le terne de l’angoisse.

Derrière lui un « Mais… j’avais pas mis ça là… faut vraiment que je dorme. » teinté d’agacement ne lui parvenait qu’à peine, quittant déjà le couloir pour rejoindre Sanae dans sa chambre. Comme dans un nouveau rituel, il fermait alors la porte d’un léger coup de talon, soulagé d’être de nouveau coupé de cette atmosphère oppressante mais également centré sur les traits de la jeune femme. Quelle frustration cela pouvait être que de rester en surface quand il s’agissait d’elle ! Comme quelque chose de profondément anormal qui faisait grésiller ses cellules de refus.

Que s’était-il passé ?
Que s’étaient-ils dits ?
Avait-elle des informations concernant l’ « accident » ?
Des sanctions du fait de sa présence ?

Oui, bien sûr, l’idée avait surgit un jour, noyée dans l’angoisse de son absence. Et pourtant malgré tout, Logan n’était pas parti, incapable de savoir s’il se comportait en fumier ou non.

« T’es pas rentré dormir ? »

Assise sur le bord du lit, elle lui posait la question comme si de rien n’était, le coupant pourtant d’un étonnement un peu étrange. Non, en effet, il n’était pas rentré dormir ; ni là ni avant. Et l’idée lui semblait tout aussi incongrue que le fait qu’on le lui demande. Là encore, des petites choses bien simplistes lui apparaissaient comme improbables, s’imposant à lui comme des évidences auxquelles il n’avait pas le droit. Et qu’il ne savait comment gérer lorsqu’elles lui étaient adressées.

« Non. »

Ainsi, sans y répondre, il sortait simplement de sa poche le morceau de racine et le lui fourrait dans la main.

« Tiens, mâche ça. » Sans plus d’explications, comme s’il fallait toujours lui faire confiance sans rien en retour. Une sale habitude que de ne jamais se justifier, surtout pour un enseignant. « Il te voulait quoi, ton grand ami ? » Grand ami qui ne semblait pas le porter, lui, en grande affection. Rien de bien inhabituel cette fois.
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M. Logan Rivers
Sam 29 Jan 2022 - 9:06
Décembre 2010, Appartement parisien, France


La sonnerie ne retentit pas longtemps avant qu’une voix calme ne lui réponde en japonais.
« Sanae ? » Elle sentit la pointe d’inquiétude dans sa voix.
« Bonsoir... » dit-elle dans un souffle, se mordant furieusement la lèvre. « J’appelle tard, je sais.
– Tout va pour le mieux ?
– Hm, on peut dire ça. Je voulais prendre des nouvelles. »
Un léger silence.
« Je vais bien, Sanae.
– Es-tu de retour à Marseille ?
– Non, je serai à la maison dans quelques jours. Il y a eu un changement de dernière minute : le Ministère anglais a retardé l’avancement d’un projet de loi, je dois attendre la validation officielle... » Elle ne l’écoutait plus vraiment. Assise sur le rebord de sa fenêtre ouverte, une légère brise dans ses cheveux, la sorcière regardait la rue presque déserte en bas de son immeuble. Elle avait froid et il était tard mais la fraîcheur de cette soirée-là lui était nécessaire. Masahiro continua de lui expliquer les tenants et les aboutissants du travail qui l’occupait à Londres.
« … Tu ne m’écoutes plus, dit-il.
– Pardon.
– As-tu des ennuis ? » Traduction : as-tu eu une crise en public ? Elle soupira.
« Non. Enfin... » Elle leva les yeux au ciel, passa une main sur son ventre noué. « Je crois que c’est la fatigue et la pression de ces derniers mois qui commencent à devenir difficiles...mais rien de grave.
– Ton travail est important. Il est normal de ressentir une pression lorsqu’on exerce une profession qui demande de l’investissement.
– J’imagine…
– N’es-tu pas heureuse d’avoir intégré l’Hôpital Magique de Paris ?
– Si, bien sûr que si. Mais...c’est beaucoup de monde, tous les jours, tout le temps et peu de repos...Je ne sais pas si c’est le mieux pour moi...avec mon don et tout le reste, ne vaudrait-il mieux pas… 
– Sanae…Je t’ai entraîné depuis tes sept ans à maîtriser ton don. Il n’est pas le problème.
– Oui, autrement dit, c’est moi le problème... »
Un silence pesant s’échappa du téléphone. Elle eut la sensation qu’il lui brûlait l’oreille.
« Tu sais que tu as besoin de moments de calme. Ce n’est pas parce que tu es à Paris que tu dois arrêter tes exercices. Une bonne respiration…
– …fait disparaître bien des maux, je sais... » Elle leva les yeux au ciel.
« As-tu eu d’autres crises ?
– Deux seulement… dit-elle en quelques mots honteux. Elles s’espaçaient de plus en plus mais avec le stress, je sens qu’elles reviennent.
– Tu as peur qu’elles reviennent alors c’est ce qu’elles font. Tu sais très bien contrôler ton don Sanae, ce sont tes émotions qui t’épuisent. Tu dois les contenir et ne pas les laisser te contrôler à leur tour.
– Cela semble si facile... » Le sarcasme n’échappa pas à Masahiro mais toute irritation de sa fille, il passait au-dessus sans rien dire.
« Tu n’es pas rentrée depuis octobre. Tu te sentiras mieux aux vacances de Noël. »

Vrai, elle n’était pas rentrée depuis octobre, l’espace de quelques jours, et depuis elle avait ressenti la solitude effrayante qu’elle ressentait autrefois lors des déplacements de son père. Elle ne s’était jamais habituée à être loin de lui, jamais habituée à n’avoir aucun filet de sécurité, à ne pas être aux côtés de celui qui partageait son don. Pourtant, il ne comprenait pas. Il ne voyait pas, n’entendait pas. Ni les appels à l’aide, ni les cris internes de son être. Il les interprétait à sa façon, comme le désespoir venant d’un mal qu’il voulait soigner par des respirations plus lentes et plus profondes. Un mal qu’il fallait maîtriser au lieu de le laisser exploser. Se retenir, encore et encore. Voilà sa solution, son remède. Il n’avait aucune idée que c’était bien là la source de ses maux. La contention extrême et continue de sa voix, sa véritable voix, celle qui ne voulait s’exprimer que dans la brutalité de poumons qui s’époumonaient ouvertement dans une libération sans limite. Exister plutôt que de subir son existence. Non seulement cette chose en elle ne trouvait d’écho, de destinataire qui aurait pu la comprendre, mais elle devait en plus faire semblant de ne pas être là, de ne pas vibrer et s’écorcher dans les tréfonds de son être. Près de Masahiro, Sanae ressentait la solitude de celle qui n’était pas entendue mais loin de lui, elle était plongée dans le grand abandon qui ne trouvait rien pour se raccrocher. On ne la laissait pas même faire d’autres choix, explorer d’autres choses. Et au fond, on lui faisait bien comprendre que les difficultés qu’elle éprouvait n’étaient que la conséquence des maux qu’elle ne savait pas maîtriser. Ce ne pouvait être son don, Masahiro en était convaincu puisque lui-même vivait harmonieusement avec ce dernier – alors ce devait être elle. Elle et ses émotions trop exubérantes, trop violentes, trop présentes.

Quelques dernières paroles échangées firent résonner la résignation de la sorcière. Il ne voulait pas comprendre. Il ne comprendrait jamais. Ils raccrochèrent. Face à un Paris qui se préparait à vivre une belle soirée, Sanae demeurait à sa fenêtre. Seule, infiniment seule.



Aujourd’hui...dans une chambre de l’hôpital clandestin.


Elle avait ressenti ce qui lui avait jadis tant brisé le coeur.
L’impression qu’à chaque regard croisé, elle pouvait basculer. Une seconde de trop, un effort de relâché, perdue entre deux douleurs, et elle serait devenue un monstre pour eux. Incapable de se retenir. Alors ses yeux s’étaient posés ci et là sur des étendues plus sûres où il n’y avait pas d’esprit à toucher, de souvenirs à voler. Un réflexe dont elle n’avait plus usé depuis longtemps, fière de pouvoir se contrôler avec toute l’expérience de son apprentissage. C’était une humiliation de revenir aux contraintes d’autrefois quand, une fois son don bien éveillé, elle s’était trouvée face à la difficulté de se retenir. Ils ne pouvaient pas savoir la tension constante d’un esprit qui ne voulait que s’étendre pour trouver un lien, voir à travers les yeux des autres, ressentir, entendre, voyager par-delà les capacités ordinaires des êtres qui fourmillaient autour d’elle. Un esprit qui ne trouvait, finalement, que du reproche, du rejet, de la consternation quand pourtant, il n’y avait souvent que le désir d’être connecté par le biais le plus naturel qui soit pour lui. Voilà un langage que peut connaissait, dont peu pouvait user. Il se trouvait hélas que ce langage muet soit un crime pour la majorité et qu’il effrayait.

« La voie est libre Rivers. »

Il était là, dans ce couloir à attendre. A l’attendre, elle.
C’était presque absurde et irréel de le voir là. De savoir qu’il existait désormais dans sa vie quelqu’un qui puisse comprendre ça. Elle croyait s’y être habituée depuis quelques mois mais de temps en temps, au détour du couloir menant à sa chambre dans son appartement londonien, de derrière le comptoir de la cuisine, du canapé où elle se trouvait allongée, elle relevait les yeux vers lui et sa présence la bousculait. Comme si soudainement, elle prenait conscience du fait qu’il y avait enfin une personne à pouvoir l’entendre dans ses formes plurielles à l’intérieur même de son esprit ; une personne qui luttait, plus encore qu’elle, avec les vicissitudes de son don et qui connaissait l’abandon, l’exclusion et la solitude.

Quelqu’un que cela amusait quand elle décidait de rejeter les fils qui la retenaient aux machines pour envoyer balader l’immobilité des derniers jours. Ce sourire, elle l’avait capté avec amusement avant de faire demi-tour et de rentrer dans la chambre à nouveau, sûre qu’il suivait.

Elle s’assit au bord du lit, sa perfusion non loin. Sa migraine tambourinait sur son front et à l’arrière de son crâne, rappel constant de l’esprit qui s’était projeté dans un réveil brutal et angoissant. Elle n’avait pas revu l’infirmier auquel elle avait du laisser un mauvais souvenir et c’était tant mieux à vrai dire. Pas envie d’affronter son regard maintenant. Elle avait été soulagée de voir les soignants sortir, croyant qu’ils lui laisseraient quelques instants de silence, mais leur présence avait été rapidement remplacée par celle du Général des Activistes. Elle ne rougirait pas de ce qu’elle avait dit. S’il fallait faire des concessions pour protéger ce qu’elle désirait protéger alors elle pouvait bien dire ce qu’ils voulaient entendre dans la forme qui lui octroierait le résultat escompté. Mais il fallait désormais présenter l’issue de cette conversation à Logan et voilà où ses pensées butaient. Ce fut par une question un peu idiote qu’elle débuta la conversation qu’elle redoutait, préférant y aller pas à pas. Elle eut l’impression qu’il la regardait comme la dernière des imbéciles, surpris surtout par la question qui lui venait.

« Non. » Clair et concis. Du Logan.

Elle pinça les lèvres, ramenant ses cheveux derrière ses oreilles. Le sorcier se rapprocha pour tendre sa main vers elle et déposer quelque chose dans la sienne, sous son regard perplexe. Elle observa le morceau de racine au creux de sa paume avant de le faire glisser entre ses doigts, ses yeux s’ouvrant un peu plus grand sous la surprise. « Tiens, mâche ça. » Le regard toujours fixé sur la racine, Sanae avait l’impression d’être tirée en arrière par un souvenir. Elle connaissait cette racine. Le nom lui échappait en cet instant ; on trouvait généralement ce genre de choses en Asie et elle se souvenait que son père lui en avait ramené d’un de ses voyages. Une racine rare dont peu connaissait les effets sur les légimens. Elle n’avait eu l’occasion de la tester qu’une seule fois. Où avait-il trouvé ça ? « Oh...je me souviens de ça. » dit-elle, ébahie non seulement par le présence de la racine entre ses doigts mais surtout par le fait qu’il y ait pensé. La Garde en avait-elle eu par quelque biais ? Elle n’eut pas le temps de lui poser la question ; déjà, il enchaînait avec ce qui le taraudait, lui. « Il te voulait quoi, ton grand ami ? » Un instant de silence.

Elle le regarda. Il la regarda.
Elle croqua dans la racine.

Peut-être que le temps de mâcher, elle trouverait une réponse magique qui ne déclencherait ni colère ni irritation. La réponse était non.

La bouche pleine, Sanae grimaça « Je tiens à dire que c’est toujours aussi dégueulasse. » Elle déglutit. « Mais merci. Je savais pas qu’on en avait ici. » Question détournée…à laquelle il ne répondrait jamais. Elle tritura le reste de la racine entre ses doigts et s’assit plus confortablement sur le lit, ses pieds dans le vide. « Hm... » Elle haussa les épaules. « Il prenait des nouvelles. » Elle croqua à nouveau, mâchant le plus lentement possible en hochant légèrement la tête. « Et... » A ce stade, elle n’avait toujours pas trouvé la bonne formulation. « ...s’en est suivi une charmante conversation sur ...toi. » Elle avala en grimaçant, fronçant les sourcils. « Tu es un sujet très en vogue. » dit-elle, une moue amusée sur les lèvres. Moue qu’elle laissa tomber bien vite en levant les yeux au ciel, un soupir lui échappant. « Oui bon...on savait qu’il viendrait un moment où ils découvriraient que tu vivais chez moi. Pas une surprise. Je me suis faite un peu taper sur les doigts. Apparemment, mon appartement n’est pas le meilleur endroit pour cacher l’ennemi juré des Supérieurs. Alors disons qu’ils m’ont..nous ont laissé plusieurs options. » Son regard l’observait dans l’attente de ses réactions. « Et que la seule viable c’était de déménager. » Une courte pause. « Ensemble. Dans une planque plus sûre pour toi. Et moi. » Discours décousu. Elle allait pas à pas sans trouver de meilleure façon de procéder. Elle se racla la gorge. « Écoutes, je sais que tu ne les portes pas dans ton coeur. Ils ne sont pas ravis que je leur ai caché ta présence chez moi et ils sont inquiets des conséquences alors c’était soit trouver un autre endroit pour vivre tous les deux, soit ...tous un tas de trucs qui me plaisaient pas. Ils ne sont pas contre le fait que je viennes avec toi dans cette nouvelle planque ; et peut-être que c’est pour le mieux, on aura plus d’espace, ce sera loin du centre ville probablement, et ce sera plus sûr. » Elle tentait de vendre le truc. « Je garderai mon appartement pour dissiper les doutes, c’est la seule adresse où l’hôpital pourra me trouver et où les Supérieurs iraient si jamais j’étais suspectée de quoi que ce soit. »

Elle pinça les lèvres, le regardant avec une nouvelle crainte.

« Enfin...si ça te va. » dit-elle, soudainement mal à l’aise.

Ils n’avaient jamais parlé de ça. Du fait qu’ils habitaient ensemble. Cela n’avait jamais été véritablement prévu, les circonstances avaient mené à cette collocation étrange qui semblait tant indisposer les autres. Ainsi, ils n’avaient jamais eu la conversation gênante exprimant une quelconque volonté assumée de vivre dans le même espace. Allait-il préférer vivre seul ? A cela s’accompagnait pour la Garde la coupure nette de leur lien et Sanae n’avait simplement jamais envisagé une telle chose. Mais s’il voulait être seul, peut-être pourrait-elle négocier avec les Généraux pour s’octroyer le luxe de visites quotidiennes… L’idée l’empoignait douloureusement.

Détournant les yeux, elle sentit l’air s’alourdir.

« J’ai dit ce qu’il fallait pour qu’on nous laisse tranquille Logan. » souffla-t-elle en redressant son visage vers lui.

Pour nous protéger.

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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 7 Fév 2022 - 12:51
« Rentres chez toi Marek. » Où ça ?
« Logan. »J’ai pas de chez moi.
« Pourquoi cet acharnement concernant ton prénom. » Car mon prénom est celui d’une pute faiblarde et lâche qui n’a jamais fait que céder.
« Monsieur, je vous demande seulement de rester durant les vacances scolaires. La bibliothèque a besoin d’un inventaire, les salles des potions sont bordéliques au possible, les serres de bota tirent toujours la gueule à la rentrée et Mme Swire doit s’occuper de sa mère malade cet été. Sans compter les balais à remettre en état à la suite de la saison de Quidditch et les armures à gérer depuis le prank des Talbot. »
« Ecoute, je ne sais pas ce qui te pousse à me poser cette question, mais je ne laisse pas un mineur seul ici. C’est la porte ouverte à toutes les dérives. »
« Vous voulez quoi ? Un serment sur l’honneur qui me forcerait à prendre soin de ce château ?! J’vous supplierai pas. Mais ça serait bénéfique pour chacun d’entre nous. Et de toute manière Hughes est là pour veiller sur le château. Vous allez pas me faire croire qu’il peut nous coller au cul toute l’année mais que soudainement un seul élève serait ingérable pour lui ? »

L’ironie n’échappait pas à l’adulte que Logan était devenu. Non, il n’avait jamais tracé de serment inviolable avec l’ancien directeur l’amenant à protéger les lieux pour lesquels il ne tarderait pourtant pas à se saigner aux quatre veines.

« Woods ! » La voix de l’adolescent avait claqué dans le grand bureau du directeur qu’il occuperait des années plus tard, après la mort de cet homme dès l’arrivée des Supérieurs dans Poudlard. « … Monsieur Woods. » Corrigeait-il, le timbre abaissé d’un cran sous le regard dur du directeur. « J’ai pas fait la moitié du cursus et pourtant je pourrais aspirer à passer mes ASPICS. » A l’époque, l’adolescent pensait que cet argument avait un quelconque poids, incapable d’imaginer qu’il n’y avait aucun rapport entre la puissance d’un sorcier et sa valeur. « Je surclasse la majorité de ma promotion sur bien des points. » Encore une fois, aucune cohérence d’un point de vue adulte mais pour lui, s’il n’était pas un élève brillant de par son comportement, ses capacités suffisaient à monter un argumentaire cohérent. « Vous garderez ma baguette si ça peut vous tranquilliser. Mais laissez-moi rester. » A l’époque, Logan ne compris pas que ça n’avait pas été cette rhétorique qui l’avait amené à passer les deux mois suivants au sein du château mais bien ce que le directeur avait lu en lui. Un gamin en détresse de devoir à nouveau rentrer chez lui.

Durant les vacances de printemps, le jeune homme avait tenté d’entrer dans une collocation. Deux semaines. Ça n’est rien, deux semaines. Deux semaines d’enfer. Les autres parlaient fort, s’entendaient bien, riaient, s’enlaçaient, immonde étalage de leur complicité quand tous le fixaient d’un air mauvais. Logan faisait taire les conversations à chaque entrée dans une pièce. Quinze ans, expérience infructueuse d’une tentative foireuse. Alors durant l’été, il avait obtenu ce qu’aucun élève n’avait jamais envisagé.

Si Logan restait systématiquement à toutes les courtes vacances scolaires, profitant du château vidé de la grande majorité de ses habitants et savourant le calme que ses neurones attendaient avec autant d’avidité qu’un repris de prison sur le point de retrouver sa liberté, il n’avait jamais véritablement imaginé réussir à rester là, seul, un été entier. Et pourtant l’idée de revenir chez lui lui était devenue insupportable. Basculant entre la première idée et la seconde, celle de fuir et celle de s’imposer, il hésitait. Alors Logan fit simplement les deux. A quinze ans, il revint un mois chez lui, brusque et fier, imposant sa présence à l’ensemble de sa famille, le menton haut face à la société de sangs purs qui le voulait disparu.
Et en Aout, il disparu. Jamais personne ne su réellement où il était parti. Woods avait tranché la poire en deux. Ainsi, un mois entier, le jeune Marek Logan Rivers eu le château en quasi exclusivité. Surveillé de loin par le concierge Hughes, Mme Swire qui fit quelques allez-retours et évidemment Woods qui resta là le mois entier pour organiser la rentrée accompagné de trois autres enseignants. Et lui, il passa le meilleur été de sa vie. Ainsi soulagé d’une part des nombreuses batailles qu’il lui semblait mener pour seulement respirer, Logan se retrouvait enfin… seul. Sans famille, sans élèves, sans dangers parasites, émotions brusques et invasives. Sans rien à songer. Durant ce mois d’Aout, il éplucha la bibliothèque, se faufilant jusqu’aux ouvrages interdits qu’il bu les uns après les autres à la recherche d’informations que personne n’était à même de lui donner. A vrai dire, l’enfant ne les avait jamais véritablement demandé, trop inquiet des représailles et des coups évitables. Là devant ses yeux, c’était un autre monde qui s’était dessiné. Après la bibliothèque des Rivers, il ingurgita alors celle de Poudlard durant ces vacances et les autres.
Puis à sa majorité, il fallu de nouveau se confronter à l’évidence : faire de même, éplucher de nouvelles sources, se détacher de sa famille, habiter avec quelqu’un.

Très étrangement, la question de Dorofei ne s’était jamais vraiment posée. Trop inquiet de briser le peu qu’on lui accordait. Il fallu retrouver les regards fuyants, les silences brusques, les incompréhensions évidentes. Jamais il ne su ce qu’il faisait réellement mal et d’ailleurs, l’adolescent était alors déjà bien trop en colère pour s’en soucier. Le monde était dur, les gens avec lui et jamais ni les uns ni les autres ne lui feraient de cadeaux. Même Woods qu’il aurait pu considérer comme un allié esquivait sans cesse son regard. Sans doute avait-il à cacher bien plus que ce qu’il affirmait. Ils étaient tous ainsi, de toute manière.

A esquiver son regard et taire leurs paroles.

La notion de solitude ne le marquait même pas à l’époque, stigmate d’un enfant qui n’avait jamais vraiment appris qu’une autre vie était possible.

Pourtant à présent, l’adulte sentait toujours la morsure d’un regard déphasé. Qu’importe la subtilité avec laquelle Sanae agissait, Logan sentait la blessure lui percer les cotes tandis qu’il se plaçait de nouveau devant elle pour glisser entre ses doigts la racine qu’il avait récupéré pour elle.

« Oh...je me souviens de ça. »

Un instant, il chercha dans sa mémoire sans vraiment noter qu’il ne s’agissait plus vraiment de la sienne mais bien de celle de la jeune femme. Voir même de celle de son père. Pourtant tout s’effaçait au fil du temps comme l’écume des vagues qui demeurait un instant avant de disparaitre sur le sable. Les émotions d’abord, puis les détails et enfin l’intégralité du souvenir. Mais à chaque visite il s’installait, plus précis. Plus stable.

Or stable elle ne l’était pas, et c’était bien là une sensation qu’il connaissait par cœur. L’était-il seulement lui-même ? L’homme qui avait failli tuer un ami sur une simple frustration brusque.

Parce qu’il avait blessé une enfant.

Le regard posé sur Sanae, Logan l’observait tourner un instant la racine entre ses doigts avant de la fourrer dans sa bouche. Savait-elle déjà ? Sans doute. Pourtant l’idée s’évadait hors de ses neurones lorsqu’il la vit esquiver une nouvelle fois son regard, songeant à la crainte, au recul, au dégout de l’infirmier qui quittait la pièce en trombe quelques heures plus tôt. Aurait-il seulement assumé être resté pour l’aider à faire face ? Pour fracasser le premier qui risquait de lui faire le moindre reproche.

« Je tiens à dire que c’est toujours aussi dégueulasse. » La bouche pleine, Sanae grimaçait, lui arrachant un sourire amusé. « Tu m’étonnes. » Quelques jours plus tôt, lui-même en aurait eu besoin. Mais personne n’était là pour lui tendre cette main bien banale. « Mais merci. Je savais pas qu’on en avait ici. » Une nouvelle fois, quelque chose plantait ses cotes. Mais si quelques minutes plus tôt cette percée était issue d’un regard qu’on lui refusait, cette fois la jalousie prit sa place, lui rappelant une nouvelle fois qu’elle avait eu quelqu’un pour lui montrer que ce genre de choses existaient. Quelqu’un pour montrer l’exemple et la voie. Quelqu’un qui l’avait violemment enfermée dans un carcan qui ne lui correspondait pas, l’avait broyée de solitude et d’incompréhension. Mais une oreille tout de même. Muette et froide, distante et difficile d’accès. Mais une figure de normalité malgré tout là où il n’avait jamais eu rien d’autre qu’un vide abyssal.

Un rapport avec l’apparence de sa psyché ? Peut-être.

« Ils s’en servent pour les cors au pied. » Bon app.

Mais si cette information se voulait impertinente, Logan notait surtout le mouvement de la racine qui roulait entre les doigts de celle dont il partageait l’appartement et l’esprit. Nerveuse.

« Hm... »Il faut qu’on parle.

Pour peu, Logan en frissonnerait. « Il prenait des nouvelles. » Pas un mot, pas un geste non plus. L’homme restait planté là devant elle sans sembler réagir outre mesure à ces mots. Mieux installée sur le lit, Sanae croquait de nouveau, mâchant plus lentement les tentacules racinaires qui mourraient sous ses crocs. Hochant la tête. « Et... » Elle cherchait. Elle cherchait même sacrément loin des formulations qui lui échappaient manifestement, la mettant profondément mal à l’aise. En lui, quelque chose crépita d’angoisse, envieux de s’étendre pour abattre la barrière de la langue et trouver ce qui sortait si mal de ces lèvres hésitantes.

Tu veux rompre c’est ça ? Il aurait presque entendu Alec en rire. Mais lui ne riait pas. A vrai dire, l’idée si absurde soit-elle lui défonçait la poitrine.

« ...s’en est suivi une charmante conversation sur ...toi. »Charmante hein.

Logan ne dit rien, ni sur l’ironie, ni sur ce qu’elle masquait et encore moins sur le sursaut brusque qui lui frappa les cotes comme un cheval sauvage bloqué dans un box. « Tu es un sujet très en vogue. » A peine un souffle cynique face à son soupir. L’ancien directeur ne bougeait pas, ne s’asseyait pas, ne s’adossait pas.  

Peut-être pourraient-ils daigner me parler plutôt que de tous mieux m’éviter les uns que les autres.
Il lui semblait jouer à un véritable jeu de cache-cache avec la Garde, comme si ce contact entre eux relevait de l’impensable. Ils détournaient le regard, se muraient dans le silence, esquivaient la possibilité de s’adresser à lui comme à… un égal ? Ou simplement une personne à part entière qui avait déjà bien trop sacrifié pour sauver leurs petits culs serrés.

« Oui bon...on savait qu’il viendrait un moment où ils découvriraient que tu vivais chez moi. » C’était donc bien de ça qu’il s’agissait. De ça. Une erreur, donc, de s’être pointé ici sans y songer. Car ici placardé face aux conséquences de ses actes, Logan savait qu’il n’avait pas réfléchi et que son acharnement à savoir dans quelle état sa colocataire pouvait se trouver ne pouvait pas passer inaperçu. Sous l’épiderme, les muscles frissonnèrent. « Pas une surprise. Je me suis faite un peu taper sur les doigts. » A quel point ? La question fusa dans son esprit, rapidement engloutie par le reste. Là encore, à l’origine Rivers ne l’avait même pas envisagé. L’idée n’avait fait son chemin que très récemment, l’amenant à se demander quels risques elle prenait depuis qu’il avait emménagé dans un naturel étrange. « Apparemment, mon appartement n’est pas le meilleur endroit pour cacher l’ennemi juré des Supérieurs. » Cette fois, un souffle passa ses narines, amusé, colérique, cynique. Sec. «  Alors disons qu’ils m’ont..nous ont laissé plusieurs options. » Ses prunelles se dilatèrent à l’instant où elle changeait de pronom. Cette fois Sanae l’observait réellement, en recherche de la moindre réaction qu’il puisse lui fournir. Etonnant car il n’avait jamais envisagé ça de ce point de vue, du fait qu’il y avait la Garde, qu’elle avait des supérieurs pour lui donner des ordres, qu’il fallait les suivre. L’idée, alors, d’être écrasé par la chape que pouvait être la Garde lui écrasa brusquement la poitrine. Lui qui se battait contre le système, contre l’autorité depuis des années ne s’attendait pas à ce que le danger vienne de là, de ce monde qu’il lui semblait avoir quitté. Leur relation allait tellement plus loin que le rôle qu’elle avait à l’origine qu’il l’avait même oublié depuis tant ça n’avait plus d’importance. Et pourtant c’était là, ça les rattrapait, ça leur obstruait la gueule. Toujours quelqu’un pour vous foutre des chaînes hein ? Pour vous remettre à votre place, à savoir plus bas que terre, qu’importe la hauteur à laquelle on s’élève. Et pourtant il était monté, jusqu’à être principal maître à bord, jusqu’à devenir une image, une légende, un symbole. Mais rien n’y faisait. La Garde avait grandit pour devenir légion. Une véritable armée. Et non contente de l’ignorer, elle venait à présent le broyer. L’injustice noyait jusqu’à ce « nous » qui résonnait pourtant à ses oreilles sans vraiment y croire.

« Et que la seule viable c’était de déménager. »

La réaction fut à peine perceptible, rien que des paupières qui se ferment une seconde, comme on encaisse un coup. Un symbole sans doute bien plus fort pour eux, puisqu’instinctivement, c’était à la fois son esprit qu’il fermait une seconde… et la possibilité qu’il lui échappe.

Des mots à nous…

A peine le temps de commencer à l’accepter que ça lui échappait.

« Ensemble. » Les paupières s’ouvrirent, permettant à l’acier de rencontrer l’encre. «  Dans une planque plus sûre pour toi. Et moi. » Il n’entendit pas la notion de sécurité qu’il y avait derrière ses mots ; ceux-ci, si simples et évidents soient-ils, n’avaient pas réellement de sens face à la grandeur d’un simple « nous ».

Il cligna.
Elle se racla la gorge.

Le malaise de l’inconnu dans toute sa splendeur.

« Écoutes, je sais que tu ne les portes pas dans ton coeur. » En effet. Il n’en avait jamais parlé pourtant mais l’évidence était là. «  Ils ne sont pas ravis que je leur ai caché ta présence chez moi et ils sont inquiets des conséquences alors c’était soit trouver un autre endroit pour vivre tous les deux… » Tous les deux… Un instant, il revit toutes ces tentatives de collocations et l’évidence dans ses veines qu’il n’avait jamais été mieux que durant ces quelques semaines seul à Poulard sans avoir besoin de se soucier de qui que ce soit, effectuant les tâches qu’on lui incombait, en profitant pour se nourrir de ce que d’autres n’auraient jamais envisagé. Rarement un enfant avait été aussi isolé alors que lui restait-il ? Apprendre. Une notion que Woods avait parfaitement comprise tandis que pourtant Logan se dressait en refus systématique de la hiérarchie, posant problème à la grande majorité des enseignants. Mais le directeur avait appris à prendre ce gamin d’une manière plus fine. Ainsi le laisser aller et venir à sa guise sans être oppressé par des présences externes fut la meilleure façon de l’amadouer. Apprendre à le comprendre, ce gosse qui rejetait tout le monde dans une violence froide. Apprendre à voir sa valeur. Des années plus tard, il l’engagerait en tant qu’enseignant dans les vieilles pierres de Poudlard qui l’avaient vu grandir seul.

Seul.
Malgré la présence de Dorofei, Logan ne pensait jamais à aller vers lui, à demander, à proposer. Seul donc. Parce qu’il ne voyait pas véritablement les mains tendues, qu’il attendait toujours le piège, qu’il supposait toujours le danger.

Seul. Celui dont on ne veut pas. Pourquoi le feraient-ils d’ailleurs ?
Seul. Parce qu’il n’y a pas d’autres options.

« soit ...tous un tas de trucs qui me plaisaient pas. »Et ce discours se présentait en opposition totale à ce sentiment. Une sensation étrange qui l’envahirait sans doute s’il n’y avait pas la crainte brusque de ce qu’elle cachait derrière ces mots. Qu’est-ce qui te plait pas ? « Ils ne sont pas contre le fait que je viennes avec toi dans cette nouvelle planque ; et peut-être que c’est pour le mieux, on aura plus d’espace, ce sera loin du centre ville probablement, et ce sera plus sûr. » De nouveau, elle insistait là-dessus, mettant en avant tous les avantages comme pour lui vendre ce qu’il n’entendait qu’à peine. Difficile pour lui d’intégrer un tel discours, cherchant sans cesse ce qu’il y avait en dessous, quels étaient les messages cachés, les trahisons sous-jacentes. Non parce qu’il n’avait pas confiance en elle mais parce qu’il craignait le monde et que celui-ci n’avait jamais été tendre. Parce qu’il s’agissait d’un réflexe, d’une facilité, de chemins trop souvent tracés pour ne pas être empruntés. Difficile, donc, d’avancer dans les friches, de déblayer le chemin, d’entendre ce que l’autre dit.

« Je garderai mon appartement pour dissiper les doutes, c’est la seule adresse où l’hôpital pourra me trouver et où les Supérieurs iraient si jamais j’étais suspectée de quoi que ce soit. »

Factuellement, ça faisait sens, témoignant d’une réflexion approfondie du sujet, d’une décision déjà prise, de quelque chose de solide que ses paroles pourtant décousues, hésitantes, inquiètes semblait démentir. Sentiment imposé, d’une décision murement réfléchie qu’on lui exposait brusquement, comme s’il n’était jamais véritablement maître de ce qu’il pouvait faire ou vivre. Elle-même pinçait d’ailleurs les lèvres, ajoutant ces quelques mots si pertinents : « Enfin...si ça te va. »

Alors Logan ça te va ?

Etait-ce de la bêtise que de ne jamais avoir véritablement réfléchis à la situation. A l’avenir ? Il faisait. Au jour le jour, rescapé des ténèbres sans vraiment vouloir s’ancrer dans un avenir. Un instant, son esprit fusa vers Maeve, vers ses prises de décisions, le besoin de reprendre sa vie en main, d’en être à nouveau souveraine, de savoir ce qu’elle faisait, vers quoi elle se tournait. Loin d’ici. Une pensée pour Alec, qui se trouvait balancé dans ce qu’il décidait pour lui. Et donc ce pincement étrange de choisir pour les autres sans jamais véritablement en faire de même pour lui-même.
Et eux ? S’il était venu, ça s’était fait naturellement, au travers d’une moquerie et d’une envie de la bousculer, de la piquer mais aussi d’être là. Pour elle ou avec elle, sans doute un savant mélange des deux, un besoin qu’il n’assumait pas mais qui devenait de plus en plus évident au fil du temps, étendu à bien des gens sans qu’il ne s’en rende véritablement compte. Oui, Maeve avait raison, il devenait sentimental. A force d’être exclus, de s’exclure de tout, sans doute faisait-il le choix en revenant à la vie d’appartenir finalement à quelque chose. Et le trajet était douloureux, malhabile. Il laissait aller les uns et les autres, restant seul comme un con avec la douleur de l’absence.

Jamais ils n’en avaient parlé, parce qu’il niait simplement ces pas en avant, ces changements étranges dans son comportement. Il niait l’angoisse de l’abandon, la douleur du vide effectif. Il niait vouloir rester. Avoir sa place comme elle le lui avait si parfaitement dit.

« J’ai dit ce qu’il fallait pour qu’on nous laisse tranquille Logan. »

L’effet fut immédiat, tressaillant sur sa peau d’une colère brusque, partagé entre la sensation d’une trahison à venir et l’idée plus difficile encore qu’elle puisse se battre pour… lui. Pour eux. Qu’elle puisse leur cacher des choses à eux, ne pas être honnête pour leur permettre de vivre ce qu’ils avaient, aussi incompréhensible et inhabituel que ce soit. Et l’espace d’un battement de cils, son esprit fusa, rattrapé de justesse en détournant le regard une seconde. A ses tympans, quelque chose grésilla, un rire brusque, une douleur sous sa chair, le souffle d’un fantôme.

Logan se détourna sans un mot, agacé de cette instabilité qu’il mit sous cage à l’instant même où elle se présentait, refusant d’être ainsi cette fois. Sans esquisser de mouvement vers la porte, il inspirait calmement – un peu trop d’ailleurs – dessinant dans une part de son esprit des arabesques avec son souffle. Si Masa l’avait appris à Sanae, insistant pour que sa respiration soit un appel au calme, Logan l’avait compris seul et l’agacement de pouvoir être compris comme moins stable qu’il le semblait lui griffa les nerfs un instant. Depuis le premier jour, il n’avait jamais manqué de perdre le contrôle. C’était là qu’il ripait, en imaginant qu’ils puissent être séparés, qu’ils soient forcés de cesser ce qu’ils avaient. Pire. Qu’elle puisse le trahir, qu’elle n’ait jamais eu pour intention de poursuivre ce qui s’était mis en place bien malgré elle.

La discussion précédente revint pourtant comme un boulet de canon.
Et il eu l’envie bien idiote et dérisoire de planter ses pompes au milieu de cette chambre aseptisé pour marquer le coup.

« Tu t’es prise pour un agent immobilier ? » Le ton s’était voulu humoristique. Il fut rauque. Le regard contre le mur, dos à elle. Pourtant le souffle qui lui échappa détendit légèrement ses muscles tout en se mettant en mouvement.

Logan prit une chaise, la déplia, s’assit face à elle. Brusque et sec dans ses gestes.

Il se plantait, face à elle, dans une forge de rage froide. Se planter, comme un enfant s’assoit pour refuser qu’on l’emmène ailleurs, comme des militants investiraient l’espace pour revendiquer leur refus. Il se plantait…. Justement pour ne pas se planter, cette fois-ci.

Maeve.
Alec.
Aileen.

Pas un mot pour Dorofei depuis leur discussion vive.
Pas une excuse pour Kezabel.

Oui. Il se plantait sans cesse, c’était bien là tout le problème.

Assis face à elle, les prunelles dans les siennes, refusant qu’elle puisse s’y soustraire, appelant sans doute dans un manque évident à rejoindre son esprit. Un manque qu’il n’exprimerait pas, qu’il n’imposerait pas pourtant mais qui appelait à se joindre malgré tout. Après tout là était leur nature, leurs évidences. Le frémissement de perte de contrôle s’était tu et il ne chercherait pas à la mettre en danger. Pourtant sa gestuelle trahissait cette envie plus simple et instinctive que de poser les mots sur ce qui dérange. Ou ce qu’ils n’avaient simplement jamais établi.

«  Tu as donc dit que tu étais la mieux placée pour me garder sous clé. » C’est ça, n’est-ce pas ? Ce que tu as dit pour les apaiser. Ce qu’on pense de moi. Ce qu’ils attendent de toi. Me rendre…  « …Gérable. Me faire entendre raison.» Me garder sous contrôle. « Un comble. » Quand il l’appelait à se séparer de ses propres chaînes.

Et pourtant il sourit.

Car dans le souffle et les embruns, Logan lui intimait que l’acier le plus tranchant est un alliage. Il n’est pas seulement dur, il sait fendre, plier et se tordre. L’alliance parfaite de chaque part d’elle-même.

«  Tu me présentes une unique option… mais pas les autres. Pourquoi ? » elles ne me plaisent pas, avait-elle dit.

Poser les.. maux. Donc.
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M. Logan Rivers
Ven 25 Fév 2022 - 17:22

« Ils s’en servent pour les cors au pied. »
En train de mâcher, Sanae lui adressa un regard noir alors qu’elle se fendait pourtant d’un sourire en coin, amusée. La racine passa entre ses doigts. L’hésitation surgissait comme une vague la surprenant au détour d’une ruelle. Et un léger silence s’installa entre eux.

Il y avait une fébrilité étrange dans leur bulle.

Un élan coupé en plein vol, un besoin qui ne trouvait pas satisfaction, une habitude qui ne se réalisait pas. Ça coinçait, là, entre eux parce qu’il n’y avait plus à la place des mots le langage naturel qu’ils avaient appris à taire face aux autres. Ce n’était pas seulement la frustration de ne pouvoir communiquer comme ils le faisaient si bien en silence, mais le désarroi qui accompagnait toute tentative infructueuse de transmettre à l’autre ce qui importait. Pourtant, ce qu’elle aurait aimé lui montrer, lui dire dans le fil de ses pensées ce qui était vrai et ce qui n’était destiné qu’à ceux qui voyaient en lui une instabilité à canaliser. Elle était très consciente de la manière dont il était perçu, de l’opinion de la Garde à son sujet, c’était bien pour cette raison qu’elle avait utilisé des arguments qui faisaient sens pour eux. Et parce qu’elle l’avait fait et que Logan ne pouvait voir dans son esprit l’intégralité de la scène, elle se sentait soudainement gauche pour l’expliquer. Par quoi commencer ? Comment lui dire ? Quels mots employer quand elle savait déjà qu’il risquait de se braquer à la simple évocation de la Garde ?

Puis, plus que tout autre chose, il fallait donner les raisons, retracer par un assemblage de syllabes le processus de pensée qui avait été le sien. Autrement dit, faire en de longues et incertaines minutes ce qu’ils faisaient d’ordinaire en quelques secondes à peine en des images vives et riches de sensations, des souvenirs transfusant leurs esprits liés. Elle savait, au fond, l’importance de ce moment. L’univers faisait coïncider la nécessité avec les circonstances : ils ne pouvaient échanger à leur manière mais ils devaient parler de ça. Et parler n’était pas leur point fort. Sanae pouvait bien se vanter d’être mieux placée que Logan sur l’échelle de la communication, elle renâclait à la tâche. Dès lors qu’il n’y avait plus de mimétisme à invoquer, elle se trouvait perdue et impuissante face à ce qu’elle devait dire et qui pourtant ne sortait jamais de sa bouche comme elle l’avait souhaité. Cela aurait été si simple si tous deux n’étaient pas si effrayés de dire et d’entendre, d’affronter plutôt que d’occulter. Ils avaient dansé autour du sujet sans jamais le toucher, et à vrai dire, cela ne les avait pas dérangés.

Ils habitaient ensemble.

C’était devenu un fait étrange mais de plus en plus familier pour Sanae. Quand elle se levait, il était là et quand elle rentrait, il était là. Hormis les rares fois où il s’absentait elle-ne-savait-où-et-ça-l’énervait-de-ne-pas-savoir, il était toujours dans le coin et son espace à elle était devenu son espace à lui aussi. Bien sûr, il se comportait comme si ça ne lui appartenait pas, qu’il serait obligé de partir au milieu de la nuit, que ces murs n’étaient que temporaires, et cela lui avait crevé les yeux depuis quelques temps. Elle se revoyait plus jeune, dans cette nouvelle maison dont le propriétaire s’était proclamé père : pendant longtemps, elle n’avait reconnu ni les lieux, ni le statut de cet homme. Elle ne s’était pas investie dans l’espace - à moins qu’il y ait là quelque chose à revendiquer de force ou un mécontentement à exprimer -, n’avait pas touché aux jouets dans sa chambre, n’avait d’abord pas parlé à cet homme, puis…à mesure que le temps passait, elle avait relâché sa vigilance. Elle avait trouvé du confort là où elle s’était toujours interdite d’en trouver parce que rien ne durait. Et c’était devenu sa maison et [/i]son[/i] père.

Alors oui, peut-être s’était-elle un peu vu en lui depuis qu’ils habitaient ensemble… Ce n’était pas chez lui, et...c’était vrai. Il serait toujours un secret, enfoui au fond d’une armoire, dans cet appartement. Il serait toujours une pièce rapportée qu’on avait casée dans une chambre d’ami. Un invité qui n’osait jamais vraiment s’installer ailleurs que dans un fauteuil que l’hôte n’utilisait jamais. Le seul espace qu’il investissait. Et si elle avait senti dernièrement qu’une forme d’habitude avait dissipé un peu du malaise, elle savait qu’il ne serait probablement jamais bien là-bas. Parce qu’il n’y avait jamais eu de décision claire et assumée qu’il s’y trouve. Les circonstances avaient mené à ce changement et sans elles, il n’aurait jamais sauté le pas.

L’ultimatum de la Garde rabattait toutes les cartes.
Et Sanae se sentait fébrile à l’idée de les exposer à Logan, comme si en cet instant tout pouvait changer dans une direction qu’elle ne maîtrisait pas.

Avec n’importe qui d’autre, la séparation des esprits aurait été bénéfique dans cette situation : elle était libre de raconter ce qu’elle voulait pour le moment et de présenter les choses de la façon dont elle le souhaitait. Sauf qu’il n’était pas n’importe qui. En plus de la connaître beaucoup trop pour que les omissions aient l’effet escompté, il y avait quelque chose dans leur lien, dans le regard qu’il lui adressait qui rendait la conversation terriblement difficile. Elle ne pouvait pas mentir. Tout comme elle ne pouvait pas dire toute la vérité. Car cette vérité, elle était à peu près sûre qu’il ne voulait pas l’entendre, qu’il y rechignait, qu’il ne voulait pas s’y confronter pour le moment. Et elle, elle ne tenait pas plus que ça en l’instant à mettre des mots dessus.
Alors, Sanae se retrouvait bloquée, ce qui expliquait le temps infiniment long qu’elle mit à entreprendre les révélations qu’elle avait à lui livrer. Une par une, lentement, doucement, pas feutré à pas feutré… Elle se sentait comme un éléphant chargé de pierres sur le dos qui devait traverser le rayon  porcelaine à l’allée trop étroite. Ne rien toucher. Ne rien faire tomber.

Mais elle sentait ses mots le frôler.
Il était affreusement droit et figé devant elle. Son regard suivait les mouvements qu’elle faisait, elle en sentait le poids sur ses gestes, sur son visage. Et cette posture trop immobile n’était pas bon signe. Il était comme une casserole à l’air bien sage, silencieux, qui ne tremblait pas sous l’émotion de ce qui à l’intérieur bouillonnait furieusement. Sanae n’avait aucune envie de soulever le couvercle. A mesure qu’elle parlait, dépeignant les contours de sa conversation avec le Général, Sanae voyait le couvercle laisser échapper un peu de vapeur. Un souffle sec, cynique, passait là sans prendre la parole, sans s’affirmer plus avant. Ce ne fut que lorsqu’elle prononça le « nous » que son regard croisa le sien. Elle n’était pas sûre de pouvoir se contenir. Elle avait beau repousser ses maux de tête en ce concentrant sur autre chose, il n’en demeurait pas moins qu’elle sentait son état trop fragile pour supporter l’intrusion, qu’elle vienne d’elle ou de lui. Ce fut donc un regard prudent qu’elle lui adressa, ne résistant pas à l’envie de lire sur son visage ce que son silence et son immobilité ne laissaient s’exprimer.

Le pauvre morceau de racine entre ses doigts, Sanae se confrontait à l’acier de ses prunelles dilatées. Et quand elle annonça qu’il faudrait déménager, elle ressentit cet inconfort puissant vibrer entre eux. Un poids, lourd, si lourd. Quelque chose qui tranchait l’espace, qui zébrait de rayures leur petite bulle. Sur lui, sur son visage presque impassible, il n’y eut que ses paupières qui retombèrent un peu plus longtemps qu’un clignement. Elle ne le remarqua que parce qu’elle était si concentrée sur son regard qu’il aurait été difficile de le manquer. Une demi-seconde, à peine. Peut-être pas de quoi s’y arrêter vraiment. Cela n’aurait eu aucune importance peut-être s’ils n’avaient pas été si habitués à se regarder, s’ils n’avaient pas été légimens, si leur langage ne passait pas par l’entremêlement de leurs yeux. Il se coupait d’elle presque imperceptiblement. Elle l’imaginait se propulser un quart de seconde dans sa forteresse, mouvement rassurant et douloureux à la fois. Et derrière cette réaction, ce qui lui étreignait le coeur fut la possibilité, dans cette demi-seconde, qu’il pense qu’elle le mettait dehors, qu’il s’imagine déjà être mis à la porte, rejeté, abandonné. Un sentiment qu’elle haïssait plus que tout et qu’elle n’aurait jamais voulu déclencher en qui que ce soit, et certainement pas en lui.

Les mots rattrapèrent le vertige de cette demi-seconde trop étendue.
Ensemble….pour toi...et moi... L’acier se coula dans l’encre.
Et les esprits ne se joignaient toujours pas, creusant une absence en eux.

Ils étaient mal à l’aise. C’était presque palpable. Il cligna des yeux, elle se racla la gorge et c’était la plus vive manifestation de cette fébrilité qu’ils avaient à parler. Alors elle poursuivit, parce que le chemin était encore long et qu’elle avait en réalité peur de s’y arrêter de trop. Au fil de son discours, elle se rattachait à la sécurité qu’il fallait mettre en avant, à l’intérêt qu’ils pouvaient y trouver tous deux, à l’opportunité d’avoir un espace plus grand. Il ne disait toujours rien, pas qu’elle lui ait laissé beaucoup le temps de répondre. Prise d’un élan de crainte, voyant dans ce qu’elle exposait quelque chose de profondément imposé à lui soudainement, Sanae ouvrit une issue, minime. Est-ce que cela pouvait lui aller ? Est-ce que c’était acceptable pour lui ? Elle lui laissait l’opportunité d’exprimer un refus tout en sachant ce que ce refus impliquerait ; ils n’avaient pas le choix, c’était une réalité.

Elle aurait presque pu voir les turbines de ses réflexions s’actionner, mouliner, s’affoler. Et enfin, parce qu’elle savait qu’il viendrait un moment où son esprit entrerait, plus tard, dans le sien, elle avoua à demi-mots la façon dont elle avait procédé. Elle avait dit ce qu’il fallait, ce qu’ils voulaient entendre pour avoir ce qu’elle voulait, pour qu’on laisse tranquille un lien qui avait besoin de sa bulle pour exister. Et ce fut à cet instant que la forteresse qu’il était devenu depuis plusieurs minutes sembla bouillonner plus ouvertement. L’acier se fit plus perçant, elle eut l’impression qu’il allait fondre, qu’il venait à elle mais il se détourna bien vite, un réflexe qui rattrapait un mouvement naturel vers elle et empêchait le contact. A peine le temps de ressentir cette excitation mordante à l’idée de se lier à l’esprit de l’autre que déjà, la possibilité s’échappait. Sans doute pour le mieux. La frustration n’avait jamais été aussi terrible.

La crispation sur les traits, il se tourna vers la porte, vers le mur, se coupa brutalement d’elle. Sanae observa ce dos qui se dressait comme le mur d’une forteresse. Ses ongles se plantèrent dans la racine. Elle n’arrivait pas à regarder ailleurs que vers cette porte fermée. Peut-être allait-il refuser ? Peut-être était-ce la goutte de trop qui venait de propulser leur cohabitation aux oubliettes ? Elle eut la crainte douloureuse que la rancoeur qu’il éprouvait envers la Garde se transmette à elle, se calque sur son image. Il pouvait décider de vivre seul, de se conforter dans une solitude qu’il lui semblait sans doute plus familière et sortir de cette zone inconfortable….

« Tu t’es prise pour un agent immobilier ? » lança-t-il, la voix rauque. Les mots claquèrent plus brutalement à cause du silence qui les avait précédés. Les épaules se mouvèrent, les muscles se contractaient sous les vêtements et il se retourna vers elle.

La remarque la gifla plus qu’elle ne l’aurait anticipé. Et elle sut très exactement pourquoi : ce reproche faisait étrangement écho à un autre. Allait-il lui en vouloir comme Kezabel lui en avait voulu pour ça ? Etait-elle encore en tort de prendre des décisions qui ne lui revenaient pas ? Ne voyaient-ils pas que c’était pour leur bien ? Qu’elle agissait en fonction des circonstances ?
Sanae était aveuglée par son envie de les garder tous, proches, dans des cases dont elle pouvait maîtriser l’espace. Des lieux qu’elle pouvait accommoder à sa convenance. Son besoin de tout contrôler lui passait sous le nez, prenait les devants et elle ne voyait pas le mal à ça. Pas vraiment. Elle ne voyait que la raison qui l’avait motivée : prendre soin d’eux, les protéger, les garder près d’elle. Si elle ne craignait pas tant de les voir disparaître, elle aurait compris leurs réactions ; elle-même aurait été excédée par les décisions qu’ils auraient pu prendre à sa place.

Ce fut le regard buté et les sourcils froncés qu’elle le regarda.
Et bien vite, il y eut une sorte d’incompréhension et de surprise quand le sorcier se saisit d’une chaise, la déplia dans un mouvement souple et sec, et s’assit face à elle dans une détermination brusque. Elle en avait oublié le goût amer de la racine dans sa bouche. La froideur de Logan déclenchait son entêtement ferme. Sanae s’attendait à le voir refuser brutalement toutes les conditions qu’elle avait réussi à obtenir avec le Général ; son esprit élaborait déjà une flopée d’arguments pour combattre ce refus. Mais il y avait dans le regard de Logan, un besoin qui s’exprimait plus avant. Elle ne le voyait pas seulement dans ses yeux d’ailleurs mais dans sa posture : il aurait pu s’en aller, dire non et partir ; il aurait pu s’éloigner, s’appuyer contre le mur à bonne distance d’elle et encourager le fossé que la Garde voulait tracer entre eux. Il n’en était rien. Il se postait face à elle, assis, prêt à affronter ce qui viendrait. Et elle ne savait plus quoi penser de cette réaction. Son esprit était à moitié accaparé par son regard qui voulait se lier au sien, qui ne la laissait pas s’échapper. Elle ferma une seconde les paupières avant de les ouvrir, dilatées par la fatigue et la migraine, par cette envie de fuser jusqu’à lui, de le laisser venir à elle. Envie qu’elle tentait de refouler tant bien que mal mais qui la peinait, insérant des griffes immondes en elle. Son bras libre vint enserrer instinctivement sa taille, accrochant le tissu de son débardeur.

« Tu as donc dit que tu étais la mieux placée pour me garder sous clé. » reprit-il.
Il ne fuyait pas, ouvrait la voie aux mots qui se devaient d’être dits. Cela eut de quoi la déstabiliser, lui qui échappait le plus souvent à toute conversation qui les concernait vraiment. Eux. Elle pinça les lèvres dans l’attente ; elle ne savait toujours pas si ce qu’il comptait dire était un reproche ou tout autre chose. « Me rendre…Gérable. Me faire entendre raison. » Elle fronça les sourcils, des plissures arrivant au bord de ses lèvres. Ça se dessinait comme un remontrance. « Un comble. » Elle tiqua. Maintenant qu’elle y pensait, c’était vrai. Un comble. C’était lui qui la gardait davantage sous clé, dans leur bulle où elle n’avait pas à faire semblant ; lui qui lui permettait de s’épancher dans la rage et le tumulte pour que plus tard, auprès des autres, elle puisse être plus stable ; lui qui lui avait fait entendre raison quand elle voulait brûler le monde pour retrouver Keza. Alors oui, quand il le disait ainsi, elle voyait l’ironie de la situation.

Ses lèvres pincées retinrent un étirement presque amusé.
Lui, en revanche, sourit plus franchement.
Alors elle laissa son propre sourire prendre forme, comme si c’était le signe qu’ils pouvaient en rire à deux de cette ironie.

« C’est sûr que dit comme ça… » murmura-t-elle, amusée.

Dans le sourire du sorcier, de même que dans l’acier de ses yeux, il y avait autre chose qu’elle n’aurait su exprimer ou identifier. Et cela n’avait rien à voir avec du reproche, non, bien au contraire. Soulignait-il la façon dont elle s’y était prise ? Percevait-elle quelque chose avoisinant  la fierté ? L’acquiescement ? Elle n’aurait su dire. L’idée semblait absurde.

« Tu me présentes une unique option...mais pas les autres. Pourquoi ? »
Elle se tendit et détourna le regard, soupirant avant de revenir vers lui.

Sérieusement ? Tu nous lances sur ça ?

Sanae avait pourtant tenté de contourner cette partie-là. Impossible avec ce type.
Elle abdiqua, bien obligée, mais la boule au ventre et l’incertitude au fond du coeur. Une voix lui soufflait pourtant que c’était le moment de parler de ça, entre eux, et qu’il ne fallait pas s’arrêter en si bon chemin. Quelque chose renâclait en elle.

« Parce que ça m’a pas plu à moi et ça te plaira pas de l’entendre non plus. » lâcha-t-elle, le regard planté dans le sien, sachant pourtant très bien qu’il demandait à l’entendre, très justement… Elle eut un soupir pincé. « C’était soit déménager ensemble ou… » Elle leva les yeux au ciel, irritée qu’il lui fasse dire cela à voix haute, sentant la possibilité même d’énoncer la proposition crisser en elle comme de la craie sur de l’ardoise. « … Ou que tu ailles vivre seul dans cette planque….ce qui impliquait que je n’ai plus le droit de venir te voir ou de te parler. Ils m’auraient mise à distance et ils auraient certainement demandé à quelqu’un d’autre de te visiter pour s’assurer de ton état. Quelqu’un de moins impliqué. Et qui sait...ils m’auraient peut-être aussi effacé la mémoire. » Elle avait parlé sans le regarder. C’était presque trop douloureux de parler de cette possibilité en demeurant ainsi plantée dans son regard. Et puis, elle se gardait, dans le tourment de cette idée atroce de se séparer de lui, de répondre à l’appel du manque. Il voulait être comblé ce manque, grésillait à ses tempes de pouvoir enfin se dissiper dans le contact invisible de leurs esprits. Mais parce qu’elle ne pouvait fuir sans cesse l’acier de son regard, elle revint vers lui en soupirant. « C’est ça qui les gêne aussi...que je sois trop impliquée. » Elle leva les yeux au ciel. « Alors j’ai dit ce qu’il fallait pour qu’ils ne me pensent pas inapte à prendre les « bonnes » décisions. » Les doigts de sa main droite créèrent des guillemets dans l’air. « Et pis on s’en fout de ce qu’ils pensent tant qu’ils nous laissent tranquilles, non ?! » Elle eut un regain d’irritation, mal à l’aise de devoir s’expliquer et agacée des inquiétudes de la Garde, pourtant légitimes.

« C’est vrai que j’ai pris la décision pour nous deux. »
admit-elle, sa tête partant légèrement en arrière, sur le côté tandis que son regard allait et venait. « C’pas comme si j’avais l’choix. Je pouvais pas accepter leur putain de deuxième option. On sait bien tous les deux que leur avis est biaisé mais s’ils veulent continuer de penser que tu es instable et que tu as besoin de moi, tant mieux, franchement ça m’arrange. Enfin ça m’arrange... » ses doigts jouaient avec le tissu de son débardeur, là sous son bras immobilisé. Elle le regarda plus fixement. « Ça m’arrangera mieux si t’es d’accord. » Même si c’était injuste pour lui, pour l’implication qu’il avait auprès d’elle et dont personne n’avait vraiment idée. Elle se perdit dans l’acier un instant, plissant les lèvres. « Je t’oblige pas à déménager avec moi, Logan... » Le ton était un peu brusque. Ça lui coûtait et la seule chose qu’elle pouvait exprimer sur son visage était un fond d’agressivité, un entêtement enfantin. « Mais puisqu’on arrive à se supporter plutôt bien dans un appartement, on peut continuer à se supporter ailleurs... »

L’idée qu’il puisse refuser, qu’il puisse envoyer valser l’accord qu’elle avait trouvé avec la Garde lui paraissait absurde et pourtant, elle attendait, suspendue à chacune de ses réactions pour trouver un semblant de soulagement quelque part.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Dim 27 Fév 2022 - 1:51
C’est quoi au juste « être chez soi » ? Habiter chez quelqu’un, Logan connaissait. Investir les lieux, s’imposer, être là, disparaitre, marcher sur des œufs, conscient de risquer de faire péter un obus sans même vraiment savoir comment, par le simple fait d’être soi, puis accepter de tout faire exploser et se tenir là, au cœur du désastre, le regard braqué dans le regard inquisiteur d’un paternel qui l’angoissait pourtant plus que tout. Oh oui, Logan connaissait. Il savait ce que c’était que de se battre pour disparaitre, faire de son mieux pour ne pas avoir d’existence propre, savait ce que c’était que de faire le choix inverse et d’accepter toutes les balles qu’il prendrait à revers. Mais être chez soi ? Se plier aux règles des autres, les tordre, les plier, les briser jusqu’à briser l’autre, refuser sa supériorité, le forcer à accepter les siennes, à signer des contrats, à entrer en guerre froide. Être chez soi…

L’idée ne l’effleurait même pas tant elle n’avait pas de forme à ses yeux. Ni sens ni saveur. Seulement une expression éculée utilisée par quelques crétins trop sensibles. Petit garçon - si tant est qu’il ait jamais été ce gosse-là – Logan avait grandit dans le grenier de la demeure immense, parfaitement conscient qu’il y restait quelques chambres de libres. Des chambres d’amis, de celles qu’Anthony Walters occupait bien plus volontiers que lui-même. Non, « chez soi » n’avait jamais eu d’autre sens que celui d’habiter en pleine zone de guerre, toujours inquiet de chacun de ses gestes. Sans doute cet état de fait agissait-il sur la manière dont il se positionnait dans cet appartement, face à cette femme. Une nouvelle fois, Logan n’était pas tout à fait certain d’avoir choisi d’atterrir chez elle. C’était venu comme une envie, plus ancrée d’un désir de l’emmerder que de réellement rester, ou d’une nécessité profonde. Ou peut-être bien que si, celle d’être là pour elle et non pas l’inverse. La curiosité, aussi, surtout, de voir ce qu’elle pouvait devenir. D’observer, de ces yeux si perçants, ce qu’elle pouvait être si on brisait le fer à ses poignets. Mais la vérité, c’était que derrière toutes les bonnes excuses, il y avait un besoin irrépressible, une envie qui dépassait les sens humains, les règles établies, la normalité humaine. Un truc qui le dépassait, lui autant qu’elle. Un truc qu’ils avaient tu, qu’ils avaient esquivé comme l’enfant qu’il était hier avait pu esquiver les autres durant bien des années. Comme celle qu’elle était.
Avant de faire face, brusquement et sans détour. De s’imposer, de gagner sa place, de truquer les cartes et de faire tomber les autres.

De la même manière dont il s’imposait à présent, lui-même totalement incertain de sa démarche et pourtant parfaitement planté le regard dans le sien, les talons dans le sol, l’âme prête à lutter. Fallait-il qu’il se sente ainsi menacé pour réagir ? Lui allait-il être systématiquement dos au mur, bloqué dans son entêtement pour être poussé à se battre pour ce qu’il refusait de se voir arracher ?

L’image d’Aileen lui cisailla les sens une seconde.

Pas toujours. Pour certains, il ne s’était pas battu. Il n’avait fait qu’observer l’affection se déliter, le lien se désunir pour finalement écraser la chaleur et enfin n’obtenir que le martellement glacial du vent et de l’oubli. Laisser les autres partir, leur donner le choix, n’est-ce pas là une preuve d’affection ? De maturité peut-être ? L’idée n’était pas difficile à saisir pourtant même à présent, Logan ne savait pas s’il avait fait ou non les bons choix. Mais restait que la réaction se faisait à présent épidermique, le surprenant lui-même par son affirmation brute et sans appel. Par la douceur qui s’insinuait au travers de la colère et de la frustration, par la fierté qui se glissait au sein de la peur de rejet. Logan n’y comprenait rien, mais c’était là, un refus aussi brusque et buté que celui qu’il voyait pulser dans ces prunelles qu’il lui coutait de ne pas posséder. Sa magie crépitait par moment, malmenée d’émotions mal gérées, prête à s’abattre, à emporter les murailles pourtant si solides faites pour la maintenir en dehors des autres. Les tenir hors de danger. Insupportable, alors, de s’entendre dire ce qui le broyait depuis tout jeune. Insupportable d’être relégué au statut d’inapte, d’ignare. La bombe vivante, trop stupide pour agir comme il se devait, pour savoir faire la part des choses, pour s’en défaire si besoin. Il y avait dans cette vision qu’on lui plaquait à la gorge une part infantilisante énorme qui lui sciait le crâne. Oh oui, chez lui aussi la migraine pointait le bout de son nez, vieille ennemie accueillie sans véritablement y penser. Elle était là sans l’être, comme une ombre qui souffle sur les branches sans en faire bouger les feuilles. Prête à mordre sans vraiment frapper. Une intuition plus qu’une véritable douleur. Car il se connaissait, contrairement à ce qu’on disait de lui. Sans doute pas assez pour être parfaitement sous contrôle c’était vrai. Et cet état de fait lui fusillait les nerfs d’une manière qu’elle seule pouvait imaginer. Elle qu’il avait tant canalisée ces derniers temps. Quelqu’un imaginait-il seulement ça ? La voute au dessus de leur tête qu’il formait pour les empêcher de succomber ? La chape de protection forgée autour de leur collègue qu’il drapait d’illusion, foutrement indétectable, oubliable. Et pourtant il était bien là, dans l’ombre et le vide, prêt à la rattraper s’il la sentait faillir. Prêt à se trahir lui-même, trop conscient de celle qu’elle était pour aller à son encontre. Trop conscient de celle qu’elle voulait devenir. Plus respectueux de ça, sans doute, que ce qu’il ne laissait entrevoir. Condamné, sans cesse, pour être le monstre avant l’homme. Mais ignorant, toujours, l’homme derrière le monstre.

Et pourtant l’homme était là. Il en riait, de cette ironie brutale, de ce qu’on leur reprochait, de ses erreurs et de ses in certitudes. Le sourire venait briser la tension, le surprenant lui ; bien avant elle. C’est une étape que d’apprendre à rire de soi.
Ça le scindait en deux pourtant, d’avoir tant fait, de s’être si violemment démarqué, d’avoir tenu les rênes si longtemps pour être ainsi considéré. La colère était là, elle tabassait ses os et crachait sur l’affection. Elle souhaiterait tout emporter et leur faire payer leur crime. Mais comme le reste, elle se faisait rattraper, enfermée. Sans véritablement s’en rendre compte, Logan écrasait de lui-même l’affirmation.

Et une nouvelle fois, ils passaient par Sanae comme ils étaient déjà passés par Dorofei.
Margo ne lui avait adressé la parole que parce qu’elle était mise face à sa présence. Au pied du mur. Et ce malgré leur passé commun.

Méprisant. Tout ce qui émanait de la Garde l’était. Alors oui, la colère sourdait sous la chape de marbre.

« C’est sûr que dit comme ça… »

Un souffle amusé pourtant.

Logan la sentait chercher dans ses prunelles la signification de son propre regard. Inaccessible, impensable, étrange. L’incompréhension sillonnait l’encre de ses yeux pourtant défaits de ces mimiques si profondes et simples dont les autres se paraient si souvent. Il y avait dans sa manière d’être ces subtilités qu’il avait appris à connaître au fil du temps, comme un livre qu’on devrait apprendre à déchiffrer tout en en connaissant instinctivement le contenu. Ça et là, des détours se dessinaient pourtant, laissant à amener d’autres lectures, d’autres interprétations, des nuances qu’on ne discerne pas immédiatement. Dans le langage ou le phrasé, dans le sous-texte et la profondeur des souvenirs. Il aimait ça. Avoir le temps et la possibilité pour apprendre à appréhender quelqu’un sans aller avec sa violence habituelle jusque dans ses plaies profondes pour l’amener à se diriger où il le voulait. Au fil du temps, c’était le reste qu’il découvrait et apprenait à faire sien. Parce qu’elle l’y autorisait. Parce qu’elle le demandait. Il apprenait les sourires, la complicité, l’agacement et la colère. Il apprenait le pardon et la patience. Il posait sur elle les yeux d’adultes et d’enfants à mesure qu’il s’emplissait de sensations qui n’étaient pas les siennes jusqu’à s’en draper de compréhension. Jusqu’à donner un sens à ce qui n’existait pas auparavant. Et l’idée d’être privé de ça en plus de toute autre chose le rendait fou de rage.

Mais ce ne fut pas la rage qui prit possession de ses lèvres. Un ton étrangement rond et factuel emplis la pièce, dilatant ces prunelles qu’elle ne lui opposait plus malgré la douleur, la frustration, le besoin ou l’angoisse.

« Tu me présentes une unique option...mais pas les autres. Pourquoi ? »

Oui, je fais ça.

Pas besoin de l’entendre penser pour savoir la teneur de sa surprise. Agacement, appréhension, tension. Oui, il les lançait là-dessus, plantant là les sujets qu’elle évitait avec une habileté finalement bien maladroite jusqu’ici. Sanae était en souffrance d’avoir à exprimer ce qu’elle ne savait que mal porter en mots. Il l’était de l’entendre. Et pourtant l’un comme l’autre, fermement plantés sur leurs positions avançaient sans se quitter des yeux. L’ancre commune. Accrochés l’un à l’autre dans ces remous inconnus. Ballotés par la colère des flots, emportés sur des rives qu’ils connaissaient mal.

« Parce que ça m’a pas plu à moi et ça te plaira pas de l’entendre non plus. »
« Je sais. » Mais il y allait quand même. Et elle abdiquait malgré ses craintes.
« C’était soit déménager ensemble ou… »

L’ancre se désagrégea à l’instant même, déversant l’acide dans ses veines avant même qu’elle ne parle. Elle échappait à son regard, laissait parler la colère, fusillait déjà ses nerfs d’une tension immédiate.

« … Ou que tu ailles vivre seul dans cette planque…. » Elle aurait pu s’arrêter là qu’il y avait déjà une absurdité d’une violence vive. Pour quoi faire ? En quoi était-il concerné par quoi que ce soit dans cet histoire ? Qu’ils le soient, tous deux… oui. Mais lui ? Le considéraient-ils comme à l’essai ? En quarantaine ? En observation ? Pensaient-ils réellement avoir le moindre droit de décider du lieu où il pouvait s’établir ou non ?

« Ce qui impliquait que je n’ai plus le droit de venir te voir ou de te parler. » Une gifle lui aurait fait moins d’effet. Encaissant en silence, il eu pourtant le réflexe de lâcher un souffle sec, de ceux qu’on lâche après un coup dans le plexus. Pour qui ces types se prenaient, à penser qu’ils pouvaient contrôler ceux qu’il pourrait voir ou entendre, côtoyer ou… apprécier.

« Ils m’auraient mise à distance et ils auraient certainement demandé à quelqu’un d’autre de te visiter pour s’assurer de ton état. » Brusquement, ça lui sauta à la gueule. Un chien enragé lancé à plein galop, arrachant sa gorge d’un mouvement vif. Il était en détention. Comme s’il leur appartenait, qu’il avait des comptes à leur rendre. « Quelqu’un de moins impliqué. » Ceux qui sont moins impliqués se pissent dessus à l’idée de me parler : mauvaise pioche. « Et qui sait... ils m’auraient peut-être aussi effacé la mémoire. » Plus un chien, mais la meute. L’agacement de son amie lui fouetta l’épiderme, grinçant sous la tension de ses muscles, raclant dans ses dents d’un crissement strident. Il tuerait pour qu’on cesse de prendre des décisions à sa place, qu’on oublie ces jeux de dupes, qu’on parle sans détours et sans le considérer comme incapable de décision lui qui avait pris toutes celles qu’une bande de mijaurées étaient incapables d’assumer. Qu’on le considère comme entier et non comme utile ou dangereux.

Qu’on ne l’arrache pas aux autres.
Ça, c’était nouveau.

Choisir de se défaire de ceux pour qui il se battait avait déjà été une véritable damnation. Voir disparaitre ceux qu’il aimait – taisant le sentiment – l’avait fracassé avec plus de brusquerie qu’une épave sur un à-pic. Mais se voir privé de son droit de réponse ? Se voir arracher le droit fondamental de libre arbitre, une nouvelle fois et de la pire des façons ? Imposé ainsi, par le bon vouloir d’illuminés qui pensaient pouvoir penser pour lui ce qu’il pouvait ou ne pouvait pas faire, ceux qui pouvaient ou ne pouvaient pas partager sa route ?!

A droite de Sanae, le liquide qui stagnait dans la perfusion fut secoué d’une légère secousse.

Son regard revint dans le sien, crispant dans un battement de cils l’onde brutale rattrapée sans vraiment y songer.

Tu tiendras combien de temps tu crois ? Un jour, j’t’aurais. Tu ne tiendras pas indéfiniment.

La voix perça les ombres, chuchotement à son oreille, symphonie chuintant jusque dans les os de ses mains, sur les chairs carbonisées de l’intérieur de son torse qui dessinaient à présent des arabesques plus sombres sur sa peau. Etrangement, ce fut une autre douleur fantôme qui le maintint dans la réalité, celle du couteau planté par Maeve.

’Tu pourrais l’avoir inventée…’ Souffla sa conscience.
‘On n’invente pas une femme pareille.’ Répondit le monstre, quelque part dans les abysses.


Nouveau battement de cils.

« C’est ça qui les gêne aussi...que je sois trop impliquée. » Elle levait les yeux au ciel, quittant de nouveau les siens. Elle aussi implosait, comme si à larguer ainsi toute la colère qu’elle avait pour cette situation, Sanae pouvait le convaincre, déjà, de sa bonne foi. Pouvait-elle véritablement anticiper tous ses coups, prévoir les arguments et les briser dans l’œuf ? Pensait-elle pouvoir contrôler ce que faisait ou pensait l’autre, ce à quoi il en arriverait, aux décisions qui s’imposeraient à lui ? « Alors j’ai dit ce qu’il fallait pour qu’ils ne me pensent pas inapte à prendre les « bonnes » décisions. » Quelque chose de semblable à un rire fit trembler les murs des abysses. Non ; c’était lui qui faisait ça. Et voilà qu’elle agissait de même.

Logan ne su dire si ça l’amusait ou l’agaçait plus encore.

Dans l’air, Sanae dessina des guillemets, comme une enfant emportée dans son discours, à tracer des allers retours, totalement engluée dans sa colère, à tourner et retourner le problème sans laisser la possibilité à qui que ce soit d’en placer une tant il fallait que ça sorte.
Il lui sembla qu’elle faisait là ce dont il était incapable, canalisant de fait sa colère au travers de la sienne.

« Et pis on s’en fout de ce qu’ils pensent tant qu’ils nous laissent tranquilles, non ?! »

Pas de battement de cils cette fois, seulement celui du cœur quand les yeux se redressent. Elle s’énervait tout en plaquant là une notion qui lui était si profondément étrangère, à lui.

Combien de fois avait-il entendu ça, ce truc débordant de miel, à gerber tant il était con et dégoulinant. A base de « nous deux contre le monde. », une connerie du genre. En silence, l’ancien directeur fronça les sourcils, redressant légèrement les épaules, les lèvres pincées et les doigts blessés crispés sur son genou.

« C’est vrai que j’ai pris la décision pour nous deux. » La réflexion le surpris, le prenant totalement de court. Entre ses lèvres, le ton était vif et brusque, accusateur presque tant il claquait dans l’air. Une rédemption, lâchée dans un geste en arrière, comme si elle avait besoin de déployer ses poumons pour se donner le courage de sortir une telle phrase pourtant particulièrement agressive dans sa manière d’être crachée brutalement.
La culpabilité.

Sourcils froncés, l’ancien directeur la fixa, la tête penchée sur le côté, quelques instants. Il ne su pourquoi, mais l’évidence le transperçait en silence. Dans la brusquerie de cette colère qu’elle semblait ne pas réellement savoir vers qui diriger, il y avait ça. Ce truc si con tant il en était noyé depuis toujours mais que personne n’avait vraiment eu à son égard. A croire que tout ce qu’il avait pu vivre entrait dans le domaine de la normalité. Prendre la décision pour un légimen ; pourquoi ça ne serait mal habituel ou légitime ?! Après tout ces gens-là ne savent pas se gérer, il leur faut quelqu’un, un chaperon pour accompagner chacune de leurs décisions.

Passons l’ironie parfaite de venir le chercher lui, systématiquement, pour reposer la charge entre ses mains ouvertes sans jamais s’interroger sur son consentement à endosser un rôle ou l’autre.

Alors la réflexion, passant pour un aveu à présent, le fouetta plus brusquement encore. Lui qui avait tant pris de décisions pour les autres, lui à qui on reprochait sans cesse le besoin de contrôle, la tendance à la manipulation et l’omniscience…
Comme on observe un animal étrange en train de gesticuler sans vraiment le comprendre, Logan laissait couler les réflexions balancées à la va-vite, teintées de colère et de dépit, qui lui giflaient les sens un peu plus violemment à chaque souffle.

« C’pas comme si j’avais l’choix. Je pouvais pas accepter leur putain de deuxième option. On sait bien tous les deux que leur avis est biaisé mais s’ils veulent continuer de penser que tu es instable et que tu as besoin de moi, tant mieux, franchement ça m’arrange. Enfin ça m’arrange... »

Et soudainement, elle s’arrêtait, ancrant de nouveau son regard en lui, jouant du bout des doigts avec le tissu de son débardeur.

Une enfant. Une enfant angoissée de l’avenir, de la colère de l’autre, du rejet à venir. La petite fille de l’orphelinat n’était jamais vraiment loin.
Il se demanda où était le petit garçon du grenier, quand c’était bien l’adulte qui l’observait, presque perplexe de la voir s’agiter ainsi, vive et secouée de colère quand elle s’était si souvent posée en présence calme et sereine dans son rôle de soignante.

Preuve s’il en était que cette posture n’avait rien de pérenne le concernant.

On lui demandait de l’apaiser, de le contenir, d’assurer sa maîtrise. De le contrôler. Et contrôler, elle essayait.
Mais c’était elle qui l’interrogeait à présent, de ces grands yeux noirs noyés de doutes.
Et c’était eux qu’elle cherchait à duper.

« Ça m’arrangera mieux si t’es d’accord. »

D’être instable et d’avoir besoin de toi ? Qu’importe la manière de dire, la bile écorchait sa gorge.

Rien ne tremblait plus quand elle se perdit dans ses yeux froncés de colère, étrangement las dans leur fureur. En attente, Sanae l’était. Etrangement, lui aussi. Alors le silence les rattrapa un instant, claquant presque autant que les mots qui suivirent.

« Je t’oblige pas à déménager avec moi, Logan... » La foudre sur la glace. Le craquement sourd du permafrost dans ses paroles. Selon toute logique, il aurait dû s’agir de mots prononcés avec douceur et non la violence brusque de mots qui semblait vouloir exprimer l’exact inverse de ce qu’elle claquait. Comme un défi balancé à la ronde, un grondement de dépit de l’enfant forcée à prononcer ce que l’adulte lui imposait. En colère d’avoir à ouvrir cette possibilité, cette faille dans la couche de givre comme un chemin qu’elle ne pouvait se permettre de refermer mais qu’elle aurait aimé masquer hors de son savoir. « Mais puisqu’on arrive à se supporter plutôt bien dans un appartement, on peut continuer à se supporter ailleurs... »

Plutôt bien ? Ils passaient leur temps à râler l’un contre l’autre. L’affirmation semblait mensongère, détonante, aberrante.  Déloyale presque. Indécente même.

T’en vas pas.
Limpide.

C’est dont ça le choix ? Les conforter dans leur opinion, se dire dangereux et instable pour avoir la paix et lui permettre d’être là, à la place qui ne cessait d’être la sienne. Se parjurer, se confronter à l’exacte angoisse qui liait tous les légimens pour masquer la sienne, ignorer ses défaillances et la laisser se placer en digne gardienne du grand méchant lunatique prêt à faire péter la terre entière sur un coup de tête ? Le garder sous cape.
Que diraient-ils s’ils savaient qu’il était au cœur même d’un système qu’ils avaient voulu renverser quelques jours avant eux ? Qu’il avait les noms, les visages de ceux qu’ils cherchaient. L’identité d’une de leurs généraux ? La bombe échappait au contrôle et l’idée l’apaisa. Jointe de culpabilité, c’est pourtant ce qui déliait cette impression immonde d’être de nouveau pris au piège de décisions qui ne lui appartenaient pas. Comment sa vie pouvait-elle toujours être régie par une bande de glandus qui se foutaient bien de ce qu’il pouvait en penser ? Enclavé dans une guerre qui n’était pas la sienne, prisonnier des libérateurs, indécis dans l’ombre de leurs remparts Logan se sentait acculé entre l’enclume et le marteau. Avait-il jamais eu une seule décision à prendre aussi…. Evidente. Salement évidente.

D’un battement, le givre s’éteint, l’acier cessa de briller et il ferma les paupières une seconde.

L’idée qu’elle se soit battu pour lui ne vint pas. Celle qu’elle se débattait dans une mare de glue, elle, restait imposée par ces gestes fébriles, paniqués de colère. Un oiseau dont on colle les ailes et qui sait qu’il n’a qu’une option pour décoller de nouveau. Une option qui fera mal.

Ou bien était-ce lui, l’oiseau ?

A s’arracher les ailes pour décoller.

« J’ai blessé Kezabel tout à l’heure. Parle-lui. Je m’inquiète pour elle. »

Tu… attends, quoi ?! Quel rapport ?

Sans une explication de plus, Logan se leva, incapable de rester assis plus longtemps. Conscient, aussi, qu’il y avait une forme de fuite dans ce geste.

« J’irais pas vivre seul dans cette planque. J’me fous de cette planque… » Bande de crétins décérébrés. « … et l’idée seule qu’ils pensent avoir le droit de m’imposer… ou t’imposer quoi que ce soit me donne envie… » La voix se changea un instant en un grondement qu’il lui fallu apaiser d’un raclement de gorge. « … de leur donner raison. » Idée à gerber.

On s’en fout de ce qu’ils pensent.

« Soit. Tiens-moi en joue Sanae. Il y a un monstre à canaliser. » Le regard dans le sien, l’acier s’animait de nouveau, vrombissant d’un éclat méconnu. De ceux qu’il ne connaissait pas lui-même. « Qu’ils pensent ce qui les arrangent. » Ce qui t’arranges, toi.

Pas de sourires, l’homme se réfugiait derrière les murailles lisses dont les ombres rendaient la décision plus simple, moins intolérable.  Moins angoissante, surtout. Dans cette impression vive de déraper dans un marécage de sentiments mis au clair qui le dépassait totalement. Aucun contrôle dans la chute, aucune parade. Juste elle et lui. Et l'inconnu.

D’un geste, il lui tendit la main dans l’étrange besoin d’un contact physique, d’une signature claire, de quelque chose de concret qu’il ne pouvait obtenir droit dans son esprit.

Et après un souffle d’une étrange saveur amère, une question qu’il ne pensait pas prononcer un jour.

« Elle en pense quoi Margo ? »

Logan n’aurait su exprimer la puissance des contradictions qui tabassaient ses cotes.

J’arrête. J’arrête de détourner les yeux, d’esquiver, de fermer l’esprit au monde qui m’entoure. Il existe, ils existent. Elle existe.
On arrête. Pour continuer, on arrête d’être sourds et muets.
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M. Logan Rivers
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M. Logan Rivers
Mer 16 Mar 2022 - 19:53
Elle s’était attendue à ce qu’il se défile, qu’il entre dans une fureur sans nom en prenant la fuite, mais contre toute attente, elle le vit affronter, s’imposer, rester. Ce n’était pas la première fois qu’il la surprenait ainsi mais la sorcière marquait toujours la surprise face à cette volonté humaine qui soudainement sortait de lui. La volonté d’affirmer un lien, de parler de ce qui était à eux, de ce qui les tenait de plus en plus solidement attachés l’un à l’autre. Et pour le coup, ce fut elle qui ne sut comment réagir. Elle avait pourtant l’habitude de prendre les devants, d’aborder avant lui ce qui était tenu en sous-texte, tendant des perches – bien que maladroites souvent – vers lui pour glaner les informations qu’elle voulait connaître, les ressentis qu’il ne disait jamais. Mais en l’instant, c’était bien lui qui pavait la voie pour une conversation qu’ils avaient si prudemment évitée. Par peur ou par pudeur, ils n’avaient jamais parlé de leur colocation, n’avait jamais réfléchi ensemble aux obstacles, aux difficultés qu’imposaient le regard et l’avis des autres sur eux. Elle avait espéré, bien sûr, qu’il arrive à se positionner dans cette lutte qu’elle semblait mener parfois seule, désireuse de faire exister cette place qu’elle voulait lui donner. Pourtant, au moment où enfin il prenait cette dite place, affrontait avec elle les répercussions de leur lien que personne d’autre ne comprenait, Sanae était face à l’inédit et ne savait y répondre.

Hésitante, maladroite, la sorcière n’en menait pas large. Elle était bien plus à l’aise en voguant dans le non-dit, dans l’espace qui existait entre les lignes. On aurait pu croire qu’il était plus aisé pour elle de parler de ces choses-là mais il n’en était rien ; son aisance n’était que de surface, une illusion qui lui collait à la peau et laissait penser qu’elle s’aventurait avec plus de facilité sur ces chemins. Il savait sûrement, puisqu’il la connaissait mieux que d’autres, qu’elle aurait préféré retomber dans un coma profond plutôt que de poser des maux sur...ça. Mais elle n’aurait pu le laisser seul construire oralement ce que les silences avaient déjà fait. Il s’était posté devant elle comme l’on se poste face à un problème avec la ferme intention de s’y confronter. Si le problème n’était pas elle à proprement dit, c’était en vérité la Garde qui par sa bouche s’adressait à lui, à eux. Des choix s’étaient imposés et bien qu’elle ait du les amorcer par elle-même, Sanae demeurait incertaine. La seule chose qui la décida à détailler la conversation qu’elle avait eue avec le Général fut la volonté de Logan de s’y plonger. Regards accrochés, l’ironie de la situation traçant un fin sourire sur leurs lèvres, ils décidaient finalement d’affronter ça ensemble. Il n’était plus temps de le faire chacun de son côté, comme il n’était plus temps de taire certaines choses.

Cela se dévoilait plus clairement : ils étaient mis face à deux chemins possibles, vivre ensemble ou scier le lien qui était le leur. Pas étonnant que ça ne plaise ni à l’un, ni à l’autre. L’impossibilité de la démarche était vive, comme un cri du coeur : on ne viendrait pas les éloigner, on ne leur enlèverait pas ce qu’ils bâtissaient ensemble et avaient trouvé entre eux après tant de temps d’errance. Alors évoquer cette possibilité crasse, insupportable, la plongeait dans un profond sentiment d’inconfort.  Mais puisqu’il voulait savoir, elle réitérait les propos du Général, les enjeux de leur conversation, les menaces qui pesaient sur eux. La vision qu’avait la Garde de Logan était basée sur des informations partielles. Ils ne le connaissaient pas vraiment ; les jumeaux n’étaient plus et à moins qu’Arthur soit, à la surprise générale, Dorofei, on ne pouvait pas dire qu’il ou elle connaissait le sorcier intimement. Et finalement, peu importait que les craintes soient fondées ou non. Ce qui comprimait le coeur de Sanae, c’était la blessure qu’ouvrait à nouveau la méfiance de la Garde à l’égard de Logan. Instable. Ayant besoin de quelqu’un d’autre. Des vérités ou demi-vérités qui, elle le savait, venaient bousculer le sorcier jusque dans ses retranchements. Mais qui, en réalité, les sauveraient sûrement tous deux d’un éloignement forcé.

Elle aurait pu dire clairement, bien sûr, à quel point elle se sentait écartelée entre un pragmatisme pur et la salve d’émotions que cette situation lui inspirait mais il n’y eut qu’un énervement plein d’impatience dans son ton et ses gestes. Elle se sentait mise sur une estrade face à un public dont les réactions lui apparaissaient trop clairement. A peine l’idée de se voir séparés l’un de l’autre évoquée, Sanae vit sur le visage de Logan l’impact douloureux se dessiner. Il y eut un souffle lâché entre ses lèvres, une tension dans les muscles. Il n’avait pas besoin de parler pour dire ce qu’il en pensait. Elle ressentait jusque dans son ventre cette crispation vive, le coup en pleine poitrine qu’il se prenait. Un coup qui vint se répercuter jusque dans le liquide de la perfusion. De petites vaguelettes agitèrent le produit. La sorcière ne savait plus à qui en vouloir : la Garde, d’avoir ouvert cette possibilité, ou lui, de lui faire répéter ce que ses angoisses voulaient tant enterrer - elle-même, aussi, un peu, de ne savoir comment présenter les choses autrement.

Emportée dans son discours, elle tentait de laisser glisser les réactions de Logan. Mieux valait ne pas s’y arrêter. Elle s’énervait déjà bien trop à elle seule, ses gestes suivant l’impatience et l’irritation de devoir mettre en mots ce qui tourbillonnait dans son esprit fatigué. Elle tentait de se rattacher au plus important : quelle importance ce que les autres pensaient s’ils avaient ce qu’ils voulaient ? Quelle importance, oui, de se sentir respecté, traité en adulte et non en enfant, voire pire, en animal ? Peut-être était-ce pour ça qu’elle se sentait si inconfortable à lui demander, dans une supplique pleine de justifications, s’il pouvait accepter ces conditions pour qu’on les laisse tranquilles...pour les laisse construire ce qu’ils avaient à construire. Ensemble. Parce que c’était très justement ce qu’elle demandait : qu’il laisse couler, qu’il accepte ce qui, en d’autres circonstances, aurait été inacceptable pour lui dès l’instant où la proposition aurait été faite. Le fait est qu’il fallait laisser couler l’insulte derrière tout cela s’ils voulaient tous deux obtenir le droit d’être liés. Pensée détestable. Le droit. Comme s’il y avait toujours un prix à payer pour ce que l’âme quémandait si ardemment…

Et si Sanae avait affirmé les choses face au Général, elle ne faisait qu’attendre une validation dont elle redoutait l’impossibilité. Elle s’agitait face au sorcier, attendait le verdict, allait et venait dans ce regard qui changeait à mesure qu’elle parlait. Elle sentait la glace, le tranchant, l’électricité, et là derrière, peut-être même la blessure à vif qui suintait toujours et se trouvait plus encore réveillée en cet instant. La culpabilité la mordait autant que la certitude qu’il n’y avait d’autre voie.

Il ferma un instant les paupières, se coupant d’elle. La tension vrilla son ventre. Elle cessa presque de respirer, le regardant fixement de ses grands yeux noirs qui cherchaient déjà ce qui déborderait de lui. Mais quand il les rouvrit, ce ne fut pas pour cingler son opposition froide...

« Tu devrais parler à Kezabel. Je m’inquiète pour elle. »

Elle fronça les sourcils, un millier d’interrogations dans le regard, se redressant dans un sursaut. La surprise la prenait. Pourquoi lui parlait-il de Kezabel maintenant ? Pourquoi lui parlait-il de Kezabel tout court ? A voir l’état de fatigue de sa sœur, Sanae savait qu’il ne fallait pas un œil entraîné pour déceler que les derniers événements avaient définitivement creusé le corps de la jeune sorcière. Mais elle ne s’était pas attendue à ce qu’il exprime cette inquiétude pour elle. A nouveau, il déclenchait l’étonnement. Ce qui l’interrogeait, parmi d’autres choses, était surtout la raison de cette réflexion à cet instant précis.

Tu me fais quoi là ?

Les sourcils froncés, la surprise se dissipant sur son visage avec difficulté, Sanae finit par ouvrir des lèvres hésitantes.

« Euh...oui... oui, je sais. Elle est crevée et être ici en permanence ne lui a pas fait du bien. Je lui parlerai. Quand je serai sortie d’ici, on pourra tous souffler un peu. »
dit-elle en soupirant, passant quelques doigts dans ses cheveux.

Ses sourcils ne se défronçaient pas. Elle le regardait, circonspecte, sans comprendre pourquoi il avait voulu parler de ça quand déjà tant de sujets étaient étalés sur la table imaginaire qui les séparait.

Elle l’avait observé se lever. Se levait-il pour fuir l’immobilité ou pour la fuir, elle ?

« J’irais pas vivre seul dans cette planque. J’me fous de cette planque… » Déjà, le soulagement balayait la surprise, diluait les craintes. « … et l’idée seule qu’ils pensent avoir le droit de m’imposer… ou t’imposer quoi que ce soit me donne envie… » Un grondement trembla dans sa gorge et se transforma en raclement. Il se contenait, elle le savait.  « … de leur donner raison. »  Ça lui serrait le coeur, lui tordait les boyaux. L’acceptation se faisait dans le ressentiment et la douleur. Elle aurait aimé qu’il en soit autrement. Les lèvres plissées, elle le fixait intensément. « Soit. Tiens-moi en joue Sanae. Il y a un monstre à canaliser. » Son regard s’ancra dans le sien. L’acier y vibrait dans un éclat qui lui fit aussi mal que les mots qu’il énonçait. « Qu’ils pensent ce qui les arrangent. »

Everyone is a monster to someone .*

Il y avait une reddition aussi triste que touchante. La validation ne déchargea pas la sorcière de sa culpabilité ; elle ne fit qui lui faire ressentir plus profondément. Mais au moins, ils acceptaient ensemble une stratégie destinée à préserver leur lien. Elle se serait réjouie s’il n’y avait pas eu autant d’amertume dans le projet. Et puis, car il n’était plus à une surprise près, Logan tendit sa main vers elle. Le regard de la sorcière retomba sur le geste, observa une seconde cette main de biais dont elle voyait les plissures de la paume, l’absence de certaines phalanges, les éraflures. Ses prunelles se relevèrent vers lui. Il n’y avait pas de sourire sur son visage mais il y avait dans cette main tendue l’expression d’un besoin qui ne pouvait aujourd’hui trouver d’autre biais. Un contact physique, pour remplacer le mental, l’invisible.

Muette, elle glissa sa main dans la sienne avec une douceur étrange, enroulant ses doigts autour des siens, emprisonnant son pouce. Elle ne put réprimer cet étirement interne, cette salve de soulagement. Sentir quelque chose de lui, même s’il s’agissait de deux mains liées, coulait un peu de miel sur une déchirure. Elle serra cette main bien plus qu’elle ne le dut sûrement. Ils feraient ça à deux, ensemble, confortés dans ce nous qu’il fallait à tout prix faire perdurer. L’accord était passé. Le lien, scellé. Mais le manque, toujours présent… terriblement présent.

« Elle en pense quoi Margo ? »

Tu as décidé de briser tous les silences, c’est ça ?

Elle se figea dans une expression absurde. Sourcils levés, lèvres pincées, yeux grands ouverts. Elle oublia de récupérer sa main. Margo. Elle doutait qu’elle soit ravie de savoir qu’elle irait vivre avec Logan autre part. Sanae ne pouvait plus se cacher derrière les circonstances pour expliquer cette colocation ; il faudrait assumer sa volonté à le suivre, et si la sorcière blonde avait accepté le lien qui l’unissait à Logan, il ne fallait pas s’attendre à une banderole et des confettis. Quant à lui, il l’étonnait de plus en plus : l’entendre prononcer le prénom de Margo était étrange et elle sentait l’effort dans sa démarche, la volonté de ne plus occulter tout ce qui les entourait. Définitivement, le monde extérieur les avait rattrapé. Il était temps d’y faire face.

« Oui. Margo. C’est vrai… » Elle hocha la tête continuellement, une moue sur les lèvres. « Il faudrait que je lui en parle…. Très très bonne question…. On en rediscutera au prochain congrès de colocation. » Son autre main vint tapoter la sienne, de plus en plus amusée. Elle se défilait outrageusement. « T’as décidé de poser toutes les questions emmerdantes aujourd’hui hein ? » Cette fois-ci, elle ne put retenir le large sourire qui lui vint.

Son regard s’abaissa sur leurs mains toujours liées. Elle s’apprêtait à le libérer mais une seconde, son amusement retomba, et elle tira légèrement sur sa main en ancrant ses prunelles sombres dans les siennes. «Hey... Logan... » Une seconde de silence, le temps d’une inspiration. « Je te tiens pas en joue, tu sais… Et je ne pense que tu es un monstre. Je sais qui a le plus besoin de l’autre dans cette histoire. » Il y eut un silence tendu, une douceur douloureuse se peignait sur le visage de Sanae. Oui, c’était elle qui avait si violemment besoin de lui, elle qui se trouvait bien plus dépendante, et il y avait sûrement une profonde injustice dans le fait de laisser croire aux autres, que c’était tout l’inverse. Elle lâcha sa main, pinçant les lèvres en détournant les yeux. « Cela dit, la Garde te méprise moins que tu ne le crois. » Elle releva le visage. « Il y a une dernière chose. Une proposition de leur part qui cette fois ne te concerne que toi. Ce sera ta décision, ta réponse. » Cette fois-ci, il était le seul à pouvoir accepter ou refuser. « Ils te proposent de former les membres de la Garde en magie. Tu ne feras pas de mission et tu ne seras pas membre de la Garde à proprement parler ; tu enseigneras et tu formeras, comme tu as pu le faire avant. » Elle pencha légèrement la tête sur le côté, une mèche de cheveux barrant son œil gauche alors qu’elle l’observait avec attention.

« Ce n’est qu’une proposition. Tu es libre d’accepter ou de refuser. » ajouta-t-elle.

Elle espérait qu’il dise oui.
Il avait enseigné autrefois et elle sentait en lui cette fibre enseignante qui avait failli s’éteindre complètement. Elle l’avait vue renaître quand tant de fois il la poussait à aller plus loin, à se faire plus vive, plus libre dans sa légimencie. Dans ces moments-là, quelque chose l’animait profondément et il semblait si vivant, si lui-même, que Sanae espérait qu’il renoue avec cette part de son identité qui avait été oubliée pendant trop de mois. Elle ne forcerait pas la décision, bien sûr, c’était la sienne, à lui. Au fond, elle voulait surtout qu’il entende que si la Garde était biaisée à son sujet, prudente au vu de l’état dans lequel il avait été, cette proposition était une main tendue vers lui. Mais comment passer au-dessus de la rancoeur qu’il éprouvait à leur égard ? Elle redoutait le refus trop hâtif, le recul face à une nouvelle porte ouverte vers un futur qu’il n’avait plus envisagé depuis longtemps.

Elle aurait aimé lui dire qu’il était bon professeur, qu’il méritait de sortir de sa cachette pour retrouver une activité qui ne le confine pas à un fauteuil et une télévision. Elle ne dit rien de tout ça : elle ne voulait pas l’influencer, grignoter la réflexion qu’il devait avoir avec lui-même. C’était entre ses mains, à lui, pas à elle.

« Tu as le temps d’y réfléchir, ils n’attendent pas une réponse demain. » souffla-t-elle simplement.








* Réplique du Capitain Flint, dans Black Sails.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 28 Mar 2022 - 17:14
Un cri du cœur. Voilà bien une chose dont il ne voulait pas pourtant. Un cri du cœur. Mais le sien était morcelé, inapte, hésitant, maladroit. Le sien n’avait que faire des cris, il ne savait que rugir et mordre. Mais hurler comme il le faisait, échappé qu’il était hors de sa poitrine, projeté droit dans l’air pour faire vibrer la surface du monde et inonder ses prunelles une seconde, ses muscles une autre, voilà bien ce qu’il haïssait. Lui qui s’évertuait depuis toujours à chercher dans les actes et les regards les parcelles de ce qu’il trouvait dans les esprit haïssait profondément sentir son monde intérieur se projeter vers la surface et frémir à la vue de tous. Mais bien peu étaient aptes à lire. Elle, cependant, y arrivait. Il lui sembla un instant qu’elle avait finalement passé des semaines entières à étudier chaque silence, à apprendre à lire la pierre de rosette de son visage. Et quand il avait cru qu’elle se livrait entièrement à lui, finalement c’était les hiéroglyphes de ses vides qui se faisaient siens.

Inconfort, donc, d’être lu, d’être su, d’être plaqué au mur de ses inaptitudes. Le monstre cloué au mur, sa face tournée vers ses bourreaux. Qu’importe, c’est ça, s’il était de nouveau planté sur les planches de l’humiliation. Qu’importe la croix, les clous, les regards et le sang, il serait ce qu’on attendait de lui. Il tairait l’injustice et la rage, il tairait l’Homme et ses dégâts, ses certitudes et ses blessures. Il tairait, après tout voilà bien ce qu’il savait faire de mieux, garder les mâchoires serrées et encaisser en silence. Pas de petit sourire pourtant cette fois. Pas de provocation dans le regard, seulement l’impression d’être écartelé entre deux options injoignables. Jamais il n’aurait cédé quoi que ce soit à la Garde et certainement pas le statut que l’égo ronge que de le savoir si lamentable. Logan redevenait ce contre quoi il s’était battu toute sa vie.

Sanae demandait l’impossible.

Et pourtant inexistante était la scie qui de ses crocs attendait pourtant de trancher leur lien. Inexistante car là aussi l’option était inconcevable. Irréaliste et vaine, l’idée de les éloigner. Rêche, cette pensée derrière les remparts.

D’un côté il y avait lui, la manière dont il avait fonctionné toute sa vie, solitaire face aux agressions, moqueur et arrogant, impatient de montrer sa valeur. Avide, même, de hurler à la gueule de ses ennemis de venir tester leur lame, s’ils se pensaient si légitimes à le mettre à terre. Imprenable. Voilà derrière quelle idée Logan était retranché depuis sa prime enfance. Imprenable. Impossible à faire choir. Mais seul. Si profondément seul, noyé dans une sensation détestable qui était devenue depuis bien trop longtemps l’écorce même de son essence.

Mais il y avait dans ses souvenirs une petite fille dont les mots projetés dans les ténèbres de sa chambre lui avait parlé bien plus qu’il ne saurait l’exprimer. Ridicule, même, cette tendresse. Faible. Risible. Fallait-il qu’il se laisse ainsi attendrir par un sentiment sans doute bien commun. Mais une chose en lui frappait les murailles de sa solitude d’une manière qu’il ne connaissait pas jusque là. Il lui semblait que l’instinct parlait, ruait, suppliait qu’il refuse la parade, la fuite, l’abandon.

Car qui se trouvait de l’autre côté ? Quel était cet homme qu’il ne connaissait pas, cette nouvelle manière d’être qui lui était étrangère ? Ce qu’il était ne fonctionnait pas, Logan le savait pour avoir trop perdu en trop de temps. Alors voilà que l’angoisse le fouettait de peines dont il aurait voulu se sentir indifférent. Mais il ne l’était pas. Bien au contraire, l’ancien directeur était soulagé de trouver dans les yeux de la médicomage la violence d’une colère infinie, c’était à celle-ci qu’il s’accrochait, agrippait ses propres errances pour donner un sens à son apaisement. Humain. Voilà quel était ce sens. Un mot qui prenait le goût de la bile dans ses pensées. Humain. Assez faiblement humain pour qu’il y ait un gosse dans le fond de ses murailles. Un gosse à chialer d’angoisse que lui, l’adulte, finisse par le trahir assez pour la laisser s’en aller. Un gosse qui lui aussi, aurait voulu un jour, avoir quelqu’un avec qui affronter les ténèbres de sa chambre.

Des mots à nous…

Sauf que ces mots leur échappaient et que c’était dans une autre langue qu’ils devaient à présent se parler. Accepter, donc, de jouer ce jeu. De traduire. De verbaliser. De sortir du silence et des non-dits quand ils s’y réfugiaient pourtant depuis si longtemps. Accepter de parler et de faire face comme chaque part de sa posture le sous-entendait. Pourquoi, alors, changer ainsi de sujet ? Pourquoi évoquer Kezabel ?

« Euh...oui... oui, je sais. Elle est crevée et être ici en permanence ne lui a pas fait du bien. Je lui parlerai. Quand je serai sortie d’ici, on pourra tous souffler un peu. »

Simplement parce qu’il y avait des mots, là-aussi, qu’il savait important de prononcer. Des mots qu’il n’arrivait pas à énoncer, qu’elle ne saurait sans doute décrypter tant il lui aurait fallu avoir l’honnêteté d’ouvrir son esprit. Mais à l’instant aucune part de lui n’était apte à aller au-delà de l’excuse qui lui était toute offerte. Le mal qui rongeait son amie l’amena sur la pente du silence. Et de silence il se repu.

« Sans doute. »

Elle savait, non? Bien mieux que lui ce dont les autres avaient besoin. Sanae ne comprit pas, Logan en eu conscience. Bien autant qu’il su qu’il se défilait en se levant, cherchant un autre angle d’attaque pour revenir à ce qui constituait véritablement la discussion du jour. Prononcer ces mots qui le crucifiaient à la médiocrité. Qu’ils pensent, qu’ils méprisent. Qu’ils le forgent de mésestime, donc, si le gosse en lui pouvait cesser d’être seul dans l’atmosphère poisseuse de son grenier humide. Et l’adulte, lui, tendit la main que l’enfant n’avait pu voir proposée. La sienne était blessée, amputée, rugueuse et froide. Écorchée, comme il l’était. Parcourue de salves acides d’une douleur que personne ne comprendrait jamais, sans doute. Mais bien tendue. Suivant son regard, Logan posa les yeux sur ce quelle voyait. Dans de gerçures et de plaies ouvertes sur sa peau pâle. L’ensemble lui sembla grotesque, notant ces moignons encore étrangement épais comme s’ils avaient décidé de rester ainsi à vie, gonflés comme au premier jour de l’amputation. Une main qu’il cachait régulièrement sans même y penser. La marque d’une faiblesse qui sonnait horriblement dans ses cellules. Droit en vue pourtant. A l’opposé même du comportement qu’il avait un peu plus tôt. Logan lui-même ne comprit pas ses propres retournements, absurde dans ses décisions, poussé par l’instinct pourtant, quand il agissait souvent en contrôle total de ce qu’il pouvait grappiller de savoirs autour de lui. Mais cette fois il n’y eu ni manipulations ni anticipation. Seulement la décision inconsciente de faire confiance à cette femme. De lui apparaître blessé mais déterminé. Campé à ses côtés.

Un frisson pour glisser le long de son bras, coulant jusqu’à son épaule quand elle vint croiser ses doigts des siens. Enrouler, même, cette main tendue. Un pacte, un lien. L’une de ces choses dont il se préservait tant. Un truc scellé, humain, dont il manquait si atrocement. Mais si le manque était là, une chose en lui fut pourtant apaisée, calmant la colère d’une évidence qu’il ne comprit pas. En lui, il y avait et y aurait à jamais un vide immense. Mais quelque chose venait d’y tomber sans bruit. Simplement pressé de la force de cette main dans la sienne.

Un souffle, le besoin de briser le silence, d’amener autre chose, de cesser d’entendre le silence mat d’espace comblé.

Margo. Pourquoi faire ça ? En temps normal c’est le cynisme et la violence qui auraient dû prendre le pas et pourtant en cet instant, c’était cette femme qu’il évoquait. Celle dont il connaissait et comprenait la colère. Celle dont il savait la place sans avoir besoin de s’y engouffrer. Peut-être n’aurait-il pas compris, quelques années plus tôt. Mais à présent Logan avait dans les veines la peine de certains échecs dont il se savait total responsable. Ou du moins en énorme majorité. Etait-ce ça ? La volonté de l’en préserver ? Un pas de plus dans le sillage d’une idée bien conne que tant avaient déjà abandonné : faire les choses bien. Cesser ce petit jeu où il plaquait l’autre dans une situation d’inconfort. Pourquoi ? Par dédain ? Cruauté ? Par bêtise ou par faiblesse ? Qu’importe, sans doute.

« Oui. Margo. C’est vrai… »

Un moyen de se retrancher, à vrai dire, vers une posture moins médiocre. Logan l’observa hocher du chef, l’air de se rendre compte de la situation.

« Il faudrait que je lui en parle…. Très très bonne question…. On en rediscutera au prochain congrès de colocation. »

Un sourire en coin vint se glisser sur ses traits. Un peu moqueur probablement. En réalité mis face à une évidence qu’il avait lui-même énoncée. Sans vraiment s’en rendre compte, Logan venait de les lier tous les trois. D’amener ce qui se faisait jusque là dans l’ombre à la surface de l’acceptation. Sanae vint tapoter sa main de la sienne, lui adressant soudainement un grand sourire vif.

 « T’as décidé de poser toutes les questions emmerdantes aujourd’hui hein ? »

Elle se défilait et il rit.

« T’avais l’air de trop bien savoir ce que tu faisais.. »

Moqueur, oui, parce qu’ils étaient en vérité tous deux complètement largués face à une situation qui les dépassait. Voilà bien ce qui l’amusait en cet instant et brillait dans ses prunelles caustiques. Amusé, surtout, parce qu’il ne savait pas pourquoi il venait de lui-même à faire ce qu’il esquivait depuis tant de temps. Voilà qu’ils faisaient face à ça, qu’elle fuyait… et qu’il la laissait faire, la situation butant à la limite de sa capacité à faire des efforts en ce sens. Ce rire qui les liait peignait alors leur incapacité chronique et partagée à aller plus loin. Faire mieux. Et dans cet amusement, il y avait une autre certitude : si ça n’avait pas été elle à reculer, il l’aurait très probablement fait.

L’amusement, pourtant, fini par s’effriter, suivant le regard de Sanae retombé momentanément sur leurs mains jointes. Poussé, surtout, par le besoin pudique de l’en retirer.
Elle le fit pour lui, défaisant lentement, doucement même, ce lien bien fébrile.

 «Hey... Logan... » 
« Hm ? » Putain, nan, tais-toi, pitié ! Qu’importe le pourquoi tu comment, il était au bout de ses aptitudes à la causette.
« Je te tiens pas en joue, tu sais… Et je ne pense que tu es un monstre. Je sais qui a le plus besoin de l’autre dans cette histoire. »

Peut-être ne le tenait-elle pas en joue. Mais elle venait de le fusiller. Ces mots que personne ne lui avait jamais dit venaient de claquer dans ses neurones, serrant sa gorge, glissant des doigts glacés dans ses viscères. Logan ne dit rien, ne su qu’en penser ni même comment les entendre, ces mots-là. Il ne su que retirer sa main, pincer les lèvres et détourner le regard.
Qu’elle ait le plus besoin de lui, voilà bien la part qui le touchait le plus quand il aurait pourtant naturellement pensé que d’autres paroles le marqueraient le plus. Pourtant c’était ça. Tant avaient déjà eu besoin de lui, comme d’un outil, d’un besoin simple, qualifiable. Mais il s’agissait ici de bien autre chose. Une nouvelle fois, Logan ne su qu’en faire et se contenta de déglutir les vagues de ses insécurités mises à nues. Sans y prêter attention, l’ancien directeur referma le poing, son pouce coulant contre les parties blessées de ses doigts, faisant rouler contre son épiderme les marques de la chaleur humaine qui y restaient accrochées.
Avait-il jamais tenu la main de quelqu’un ?

La réponse, aussi simple que déroutante : non.

Ce monde lui semblait par moment tellement étranger, comme si rien en lui n’était fait pour y vivre, fait pour s’ancrer dans la normalité des autres. Sanae détourna le regard à son tour et il se dit qu’ils étaient bien mal foutus, tous les deux, à ne savoir quoi dire ou faire. Ou seulement à assumer leurs propos.

 « Cela dit, la Garde te méprise moins que tu ne le crois. » 

On continue là t’es sûre ?
Son regard revint dans le sien, plissant légèrement les sourcils pour retrouver ses yeux d’encre. La colère, dans le fond de l’acier semblait susurrer son refus d’entendre la suite. Quoi qu’ils pensent, il s’y refusait. Quoi qu’ils en disent... et quelque part, surtout s’il y avait du bon là-dedans. La fuite, sans doute. Une tendance à se complaire dans ce qu’il connaissait : le mépris.

« Il y a une dernière chose. Une proposition de leur part qui cette fois ne te concerne que toi. Ce sera ta décision, ta réponse. » 

Sur sa peau, son ongle ripa. Dans ses muscles, une pulsion brusque : celle de reculer, à laquelle il se refusa. Un instant, plus rien ne vint dans ses neurones. Seulement le blanc du refus d’une autre information cruciale, l’envie de l’arrêter, de la faire taire, de se foutre de ceux qui prenaient tant de place dans son quotidien. Trop à gérer, sans doute. Trop d’efforts en si peu de temps. Mais incapable, aussi, de marquer ce refus sur ses traits ou entre ses lèvres. Pas même un mouvement de recul donc : Logan resta de glace.

« Ils te proposent de former les membres de la Garde en magie. Tu ne feras pas de mission et tu ne seras pas membre de la Garde à proprement parler ; tu enseigneras et tu formeras, comme tu as pu le faire avant. »

Les mots mirent un certain temps avant de s’aligner en lui pour y révéler leur signification. Un moment pour que ça fasse sens au terme duquel il fronça les sourcils en silence. Former les membres de la Garde ? Ça il ne l’avait pas vu venir et la surprise fini par se dépeindre sur ses traits en dénouant la rugosité de son air fermé. Une légère détente, donc, de quoi lui permettre de hausser légèrement des sourcils et de détourner le regard d’un cran. Lever les yeux au ciel sans le faire. Sur ses traits, finalement, le mépris moqueur autant que l’incompréhension.

« Ce n’est qu’une proposition. Tu es libre d’accepter ou de refuser. »
« Encore heureux. » La colère n’était jamais loin, fidèle alliée d’une lutte constante. Présente pour cracher à la gueule de ceux qui pourraient, peut-être, lui refuser son libre-arbitre.

Et si Sanae mettait le mot « accepter » avant son antonyme, ça n’était sans doute pas pour rien, Logan en eu conscience. Rejoindre la Garde, lui ? N’y avait-il pas dans sa colère une part de lui qui le souhaitait, qui haïssait cette place de rebut dans laquelle on le plaçait et qui pourrait, peut-être, être avortée à présent qu’on lui proposait de nouveau de faire partie de quelque chose ? Mais « appartenir », justement, n’était pas dans ses habitudes. Un instant, ses joues se creusèrent sous ses réflexions, un peu trop conscient du regard que sa… colocataire, posait sur lui. Une attente, peut-être. Un espoir. Mais c’était elle qui charriait ce genre de choses, pas lui.

« Tu as le temps d’y réfléchir, ils n’attendent pas une réponse demain. »

Étrangement chacune de ses intervention rendait la proposition plus réelle. Plus sérieuse. Il lui semblait, pourtant, qu’il s’agissait d’une mauvaise blague agaçant ses nerfs blessés. Une moquerie peut-être. Quelque chose qui prenait corps et assurance pourtant, dans les prunelles de Sanae.

« Ils attendront. »

Comme si elle ne venait pas de dire, justement, qu’ils n’attendaient pas une réponse demain. Comme un besoin de retrouver un semblant de contrôle et de domination qui lui échappait autant qu’un faon sur la glace.

Et dans son ton, Logan venait de mettre un terme à cette conversation.

Bientôt, ils s’enfermeraient de nouveau dans le silence, leur capacité à s’exprimer sur des sujets difficiles arrivée à son extrême limite.

« Et c’est moi qui décide de poser toutes les questions emmerdantes hein.. »

Clos, le sujet. Celui-là comme les autres. Clos, ce moment d’efforts communs. Clos, le temps des mots. Bientôt, sans doute, reviendraient les attentions muettes et les réalisations solitaires. Bientôt, elle tomberait sur la brioche abandonnée sous le lit qui lui était totalement sorti de l’esprit. Bientôt, ils feraient de nouveau un petit bout de chemin de part et d’autre des rencontres communes. Et bientôt, sans doute, ils s’en voudraient d’être malhabiles à agir autrement.

Mais pour l’heure, un petit sourire en coin acheva de lier ce qui devait l’être, fatigué d’être porté par leurs voix éraillées de ne savoir parler.

- Fin pour moi -
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