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L'absinthe apporte l'oubli, mais se fait payer en migraines - Sana

 :: Londres :: Est de Londres
Mar 10 Aoû 2021 - 19:17
L'absinthe apporte l'oubli, mais se fait payer en migraines - Sana  S156
14 Juin

Ça l’avait pris, brusquement et sans raison, cognant  ses tempes et sciant ses nerfs. Les mâchoires serrées face aux clients, le jeune homme avait donné le change, essayé d’oublier ce qui bourdonnait avec tant de violence dans son esprit, tenté d’avaler ce pavot qui calmait ses crises, mais rien n’y avait fait. Pour tout dire, les clients étaient partis sans même qu’il s’en souvienne, une seule chose ne cessant d’irradier dans ses pensées. Les ongles plantés dans ses avants bras, il attendait, sentant sa respiration s’accélérer, seul dans cette boutique qu’il venait de fermer, adossé à la porte close, les paupières abattues avec violence.

« Calmes-toi putain.. »

Ça sifflait, rugissait, brusquait son organisme tout entier. C’était là sans y être, le manque comme un membre fantôme, provoquant des tremblements encensés dans tout son corps.

« Arrête, bordel, c’est pas censé arriver six ans plus tard. Laisse-moi, j’t’en supplies laisse-moi.. »

Sa voix se brisait dans les ombres chaudes d’une fin de journée éclairée. Mais cette fois, il ne voyait plus la beauté des lieux, les lueurs rougeoyant, éclairant une peau pâle de leurs éclats chatoyants. Non, il n’y avait que le froid qui emplissait son corps, les tremblements immondes de muscles qui appelaient l’acide, le poison, de toute leur force. Comme si un démon surgissait par moment des tréfonds de son être pour soudainement en tirer les ficelles, le privant de toute volonté propre. Et pourtant, de la volonté, il en avait, ce gosse mis à l’épreuve. Il en avait lorsqu’il s’éloignait de la porte, balançait argent et téléphone au loin et prenait sa guitare, claquant toute la violence de ses envies dans des notes erratiques emplissant ses vides, détruisant les barrières de ses besoins. Ça cognait, brusquait le temps et la réalité, ça s’insinuait comme autant de battements de cœur essoufflés de ces batailles répétées. Mais ça ne suffisait pas. Alors il partait courir, bras nus, conscient que son esprit se trouvait un peu plus englué à chaque instant. Comme s’il perdait du terrain, emporté par les flots, agrippé par différents doigts émaciés s’enfonçant dans sa chair pour l’emporter sous les ombres, dans sa fange, la mélasse de ses désirs. Ils remontaient, ces doigts démoniaques, se resserrant un peu plus autour de sa gorge et le goudron le recouvrait plus avant, remontant peu à peu autour de ses oreilles, ses joues, pointant jusqu’aux commissures de ses lèvres.

Cours. Cours comme si les engeances du diable étaient à ta poursuite. Cours à t’en cramer l’existence, cours jusqu’à ce que tu ne puisses plus faire un pas en avant, que tu tombes au sol incapable d’aller plus loin. Incapable d’aller là-bas.

Ça n’était qu’un retour de boomerang, un truc qui le percutait de pleine face, mais les crises étaient plus espacées, il fallait seulement tenir encore, et elles faibliraient. Elles finiraient par abdiquer.  

C’est dans ta tête. C’est uniquement dans ta tête.

Oh oui, c’était dans sa tête. Des torrents de mélasse qui se répandaient et se refermaient sur lui, les doigts faméliques se refermant sur son crâne, l’emportant en arrière si bien que ses yeux s’y voyaient percés d’écume à leur tour.

T’arrête pas. T’arrête surtout pas.

Et les doigts tiraient, le pétrole l’engloutissant soudainement. Et Takuma s’arrêtait, les membres tremblants, le regard hagard, dans une putain de ruelle qu’il aurait dû éviter, dont il aurait dû s’éloigner. Mais voilà, il était là sans y être.

« Alors, est-ce que ça sera le grand jour cette fois ? »

C’était le cas ? Même ses paroles ne parvenaient plus tout à fait à lui, noyées dans un ensemble de bourdonnements informes cognant à ses tympans comme autant de frelons agités. Il n’entendait pas le cynisme du dealer, pas les réflexions amusées qu’il lui portait. Non, il lui demandait seulement d’accélérer. Et tout parvenait à son esprit par flashs, comme s’il ressortait du pétrole par à coup, prenant connaissance par slaves de ce qu’il faisait. L’argent passait de mains en mains – d’où sortaient-ils, ces putains de billets, d’ailleurs ?! – accompagné de petits sachets, de regards entendus, de paroles qu’il ne captait pas vraiment. Puis il replongeait et le voilà déjà isolé dans un coin sans trop savoir où, la poudre était devenue liquide, remontait dans une seringue contre laquelle ses ongles s’écrasaient.

Arrête ça. Arrête ça tout de suite. Pense…
A quoi ? As-tu le moindre putain d’argument ?


Mais l’argumentaire restait vide, autant que son esprit était plein, rempli de merdes, comme une casse débordant de débris de métal plantant les bordures de son crâne, répandant le sang, écorchant les plaies.

Enfin…
Non.
Pourquoi ?
Non, c’est tout. Parce que je l’ai décidé, même si ça n’a pas de sens, même si j’ai pas les arguments. Non. Parce que c’est mon choix, qu’il m’appartient.


Non. Un simple mot qui vibrait avec tant de virulences alors qu’il approchait l’aiguille de sa peau, se rendant à peine compte du garrot qui faisait ressurgir ses veines avides. Non. Comme un élan de vie, un refus brusque et intense, un brasier qui explose dans la nuit.
Non. Un cri muet sur ses lèvres alors qu’il se redressait brusquement, balançait d’un geste vif la seringue contre le mur d’en face, l’observant presque abasourdi s’exploser en différents morceaux qui volaient dans tous les sens. Non, devenu hurlement inexistant, coincé dans sa gorge alors qu’il se recroquevillait sur lui-même, les doigts accrochés à ses cheveux, le buste penché en avant. Sans trop savoir contre quoi il se battait, se ramenant en avant comme pour contrer le mouvement de ses démons le noyant en arrière, le plongeant dans la boue de ses addictions.

Non.

Et il était resté là un moment, à observer les débris de la seringue, les quelques éclats du liquide accrochant les lueurs de la ville, froide et artificielles, sans vraiment se rendre compte des larmes qui coulaient en silence sur ses joues.

Il fallait rentrer. Attendre le jour, le matin. Attendre que ça passe.

Pourtant il avait pris à droite, et non à gauche. Et les mains dans les poches, serrant quelques foutus billets, le jeune homme faisait face au vendeur d’oubli, son regard ne se détournant que parce qu’un autre l’accrochait à son tour.

Il mit un temps à comprendre,
Qu’on l’avait reconnu.

Et tout retombait d’un bloc.
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
Jeu 19 Aoû 2021 - 14:56
« T’es sûre que tu veux pas que je vienne te chercher ce soir ?
- Nan, c’est bon.
- Sana…
- T’inquiètes, je vais tellement faire d’heures aujourd’hui que de toute façon j’vais rentrer pioncer direct. 
- Tu peux revenir dormir ici, tu sais.
- Faut bien que je rentre chez moi à un moment donné Keza. J’vais pas mettre tes vêtements tous les jours, surtout que t’as un plus gros cul que le mien.»

Le coussin fut lancé immédiatement pour atterrir contre l’encadrement de la porte. Le soleil ne s’était pas encore levé et elle distinguait la silhouette de sa sœur encore dans son lit, les cheveux en bataille et la gueule de travers. Elle lui dit de se rendormir, lui fit un sourire et referma la porte de sa chambre. La main encore sur la poignée, son sourire se fana.

Tu mens toujours aussi bien.
Je sais.


Quand elle quitta l’appartement, il lui semblait déjà voir à des kilomètres plus loin l’issue de sa journée. Elle irait au travail, se plongerait dans le brouhaha de Sainte Mangouste, écouterait les patients, les collègues, les plaintes et les gémissements ; passerait de salle en salle, de potion en potion, d’onguent en onguent, de visage en visage et puis, puis quoi ? Les heures défileraient et elle reconnaîtrait le tic-tac familier qui annoncerait le moment où ses nerfs lâcheraient, où sa volonté s’évanouirait. Mais quelle volonté ? Tout ce qui lui restait était un mensonge. Et du vide. Du vide à perte de vue. Anesthésie générale. Elle ne faisait que prétendre ressentir des choses comme si la douleur des jours précédents avaient pris toute l’énergie du sentiment. Elle n’avait envie de rien, la nausée au bord des lèvres, l’amertume au fond du ventre. Ah si, elle avait bien envie d’une chose. Une seule. Et ça servait à rien de résister hein ?

C’était probablement ça le plus accablant : le besoin ressortirait vainqueur quoi qu’elle fasse, quoi qu’elle dise. Elle aurait beau enchaîner les heures, faire durer au mieux, prendre son temps dans les vestiaires, mettre une éternité à remplir ses dossiers...rien n’y ferait. La porte de Sainte Mangouste lui souriait ; là, à chaque fois qu’elle traversait le grand hall, les portes dardaient sur elle un regard plein de moquerie à travers la foule de patients qui allaient et venaient sans qu’elle ne les voient. Quand elle passerait ces portes, ce serait terminé.
Il n’y aurait plus de distance entre elle et cette unique chose qu’elle désirait.
Il n’y aurait plus de distraction et elle serait trop faible pour en trouver d’autres.
Pour résister, encore.

Trop faible.
Tu n’y arriveras pas.
Ça va arriver, pourquoi lutter ?



Toutes ses pensées avaient coagulées vers un seul point de non retour. Une seule pensée. Une seule idée obsédante, entêtante. Ça tambourinait dans son esprit et dans chacun de ses muscles, crispait sa mâchoire, sciait ses nerfs. Des souvenirs de Paris affluaient en elle comme s’ils trouvaient naturellement le chemin de sa gorge, de ses narines, de ses veines. Elle y avait pensé après le départ de Margo. Elle y avait pensé toute la nuit durant, accrochée et crispée dans ses draps en tentant de penser à autre chose, suant et se retournant sans cesse jusqu’au jour. Elle y avait pensé pendant des heures et ça ne l’avait pas quitté depuis. Et rien n’y faisait...rien n’y faisait putain cette idée restait plaquée en elle comme une pancarte lumineuse qui ne s’éteignait jamais. C’était là et ça bouffait tout l’espace. Ça suintait de chaque pore de sa peau même quand elle donnait des coups et en prenait la veille ; même quand elle tentait de raccrocher aux mots de Kezabel ; même quand elle soignait les autres alors que le mal la rongeait, elle.

Il lui semblait que tout grésillait depuis des jours sans que rien ne puisse l’arrêter.
Ce foutu grésillement…

Ce besoin révoltant.

Et elle avait honte, oui, honte d’en avoir envie. Honte que son premier geste après la dispute ait été de retourner son matelas...pour trouver le rien. Même pas de sachet vide, non, juste le rien. Oh elle aurait pu s’en douter, elle aurait du d’ailleurs. Logan était passé par là. Elle n’avait plus de béquille, plus de pansement. Les bouteilles qui l’entouraient étaient hors de portée sous le regard de son colocataire.

Tout va bien.
Y a rien à dire.
J’ai pas envie d’en parler.

C’était les seules réponses qu’elle avait pu fournir, à lui comme à Kezabel. Leurs visages et leurs voix lui revenaient par flashs fébriles alors qu’elle griffait de son ongle le carton de son gobelet. Elle avait vu tellement de café aujourd’hui que ses doigts tremblaient et elle avait imaginé mille fois que la brûlure chaude du liquide était celle de l’alcool. Mais elle n’en était déjà plus à ça...


Et les aiguilles tournèrent jusqu’à ce que la lumière d’un lampadaire vienne lui vriller la rétine. D’habitude, c’était des nuances de blonds dans des boucles en bataille qui l’éblouissaient un instant. Mais pas ce soir. Non, pas ce soir. Et peut-être plus aucun autre soir. Elle n’en pouvait plus de penser à elle et n’en pouvait plus de se retenir de le faire.

La ruelle s’assombrissait, les ombres prenaient du terrain. Quand le corps cherchait continuellement sa dose, c’était facile de remarquer les points de vente. Facile de voir les silhouettes sous les capuches, derrière les casquettes, dans les coins de rues où presque personne ne passait. A part elle, quand elle venait courir le long des avenues, des quais, coupant à travers les ruelles sombres pour aller plus vite. Sauf qu’elle en courait pas aujourd’hui, elle ne fuyait plus le besoin récalcitrant qui les grillait sur place. Elle était là, debout, les mains dans les poches de sa veste kaki, le haut des cheveux attaché, et son sac sur l’épaule. Pas de téléphone. Elle ne le prenait plus au travail.

Elle aurait pu rentrer pourtant.
Trouver Logan.
Passer chez Kezabel, lui dire qu’elle avait changé d’avis.

Aller à l’hôpital clandestin et se plonger dans le boulot de nuit.
Continuer à tenter d’ignorer le grésillement.

Elle ferma un instant les paupières, les traits tirés et crispés dans une expression douloureuse où les larmes ne coulaient pas. Elle se sentait vidée. La seule chose qui existait en elle était l’envie qui perfusait ses veines. Il n’y avait plus de place pour la peur, le doute, ou la volonté. Juste de la douleur là, dans chaque membre de son corps qui la faisait avancer un peu plus vers la silhouette appuyée contre un mur. La douleur de savoir qu’elle ne reculerait pas.

Ses jambes se remirent en marche sans qu’elle ne puisse se détourner.
La bouche sèche, l’esprit vague et le coeur empli de rien, elle ne sut pas même les mots qu’elle employa. Elle ne dit pas grand-chose d’ailleurs, ça se lisait sur sa tronche. L’échange était rapide, sans émotion, sans même un regard vers les prunelles du mec, si toutefois c’était un mec. Elle ne savait plus, elle s’en foutait royalement. Petit marchand d’oubli et de bonheur sans aucune importance. Elle paya et il lui donna ce qu’elle voulait. Soudainement son monde se réduisait à ces petits sachets dans le creux de sa main. Infimes grains de poussières. Petite poudre blanche toute agglutinée dans du plastique. Le besoin était douloureux, désespérant dans sa triste victoire.

Elle s’éloigna de quelques pas, le regard plongé dans le creux de sa main, le souffle court et des sueurs dans tout le corps.

La sorcière serra le poing, releva les yeux en expirant doucement. Déjà, son esprit cherchait un endroit où faire ça, un coin où se poser et son regard retomba un peu plus loin, sur une forme recroquevillée. Elle distinguait à peine à la lumière des lampadaires les bras nus recouverts de tatouages dont les formes étaient trop floues. Un bruit de verre brisé. Il lui fallut quelques secondes pour comprendre que l’homme avait fait tomber sa seringue sur le sol.

Elle desserra le poing pour regarder ses sachets.
L’idée lui traversa la tête comme une fusée bien sombre.
Peut-être que ça ne suffirait pas.

Ses prunelles sombres et anesthésiées retrouvèrent la silhouette plus loin.
Ils en étaient tous au même point ici, hein ?
Ci et là dans ce coin de Londres, ils venaient tous faire mourir les voix dans leurs têtes pour donner vie à ce truc qui les épiait et guettait le moindre moment de faiblesse.

Elle suivit des yeux la silhouette comme si son esprit s’était accrochée à elle, voyant les mouvements au ralenti. La marche était pressée. Il ne vit même pas sa baguette tomber sur le trottoir. Non, hein, il devait juste voir le Marchand d’Oubli qui pouvait lui redonner une dose. C’était vers lui que tous les points convergeaient.

La silhouette se rapprochait. Sanae était adossée au mur, à quelques pas du dealer et ses sourcils se froncèrent d’un seul coup, les yeux rivés sur le visage de l’homme dont les joues semblaient humides dans les reflets du lampadaire.

Elle connaissait ce visage.

Il lui fallut un moment pour mettre un nom dessus, pour chercher dans sa mémoire où elle l’avait croisé. Mais ils ne s’étaient jamais croisés à vrai dire ; pas besoin. Sans doute d’ailleurs connaissait-elle davantage sa voix que son visage. Moeru. Le chanteur japonais qu’elle avait entendu plusieurs fois à la radio, qu’elle avait vu dans la presse il y avait des années de ça. Oh ça retombait ouais...ça remontait tellement qu’elle faillit ne pas s’en souvenir, mais les traits de ce visage avaient quelque chose de terriblement reconnaissable. Ça, et les tatouages qu’elle apercevait plus nettement.

Il capta son regard.
Et elle comprit qu’il savait qu’elle l’avait reconnu.

Elle serra le poing et le rentra dans la poche de sa veste avant de faire quelques pas sur le trottoir pour ramasser la baguette, la plongeant dans la poche arrière de son jean, sous le tissu de sa veste dans un geste rapide.

Moeru était un sorcier.
Et un drogué.

Elle ne savait ce qui devait être le plus surprenant.
A vrai dire, elle s’en fichait pas mal.

Quand elle revint vers lui, elle lui agrippa le bras et l’emporta avec elle à l’angle de la rue. Sans un regard, le faisant reculer tandis qu’elle avançait d’un pas rapide, les doigts resserrés sur le bras nu qui ce soir aurait du être percé d’un minuscule petit trou pour y insérer le poison tant recherché. Elle  le lâcha contre un mur et sa main glissa dans sa poche pour plaquer la baguette oubliée sur ton torse, regardant autour d’eux pour être sûre que personne n’était là.

« T’as oublié un truc j’crois. » dit-elle d’une voix un peu rauque, les lèvres sèches et la gorge serrée.

Elle remit ses mains dans ses poches et le regarda sans émotions, l’air inexpressif, la voix morne.

« T’avais bien choisi ton nom, Moeru. »

Flamber.
Flamber les veines.
Flamber la vie.
Juste, flamber.

« On est loin de la gloire ici. »

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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Dim 22 Aoû 2021 - 18:23
L'absinthe apporte l'oubli, mais se fait payer en migraines - Sana  C0ab
C’était tombé comme une trombe de pluie un soir d’été, une déferlante froide qui ruisselait et dévalait ses veines. Un seul regard, une compréhension muette et soudainement, il cessait d’entendre la fureur de son manque, comme si tout ça n’avait été qu’illusion. Happé par la réalité, retour à la case départ, mange le sol, serre les dents et encaisse le béton. Voilà comment il se sentait, comme un connard qui venait de se prendre un camion bien plus que comme un gosse qu’on venait d’attraper en pleine bêtise. Pourtant le fond était bien là : elle savait. Elle savait à la fois qui il était et ce qu’il faisait, or si chaque option était pour sa part assez déplaisante, l’ensemble des deux lui arrachait un frisson glacé, les perles de réalité coulant jusque dans sa nuque pour y dresser cheveux et poils dans un relent d’angoisse. Douché, il l’avait observée un quart de seconde en croyant un instant qu’il ne saurait détacher son regard de celle qui détenait d’hors et déjà une conscience trop abrupte de la situation. Et puis ses yeux s’étaient de nouveau posés sur l’homme vers lequel ses pas le ramenaient sans cesse. Mais cette ombre-là semblait avoir perdu de sa substance, comme si le magnétisme qui lui tordait les nerfs et embrumait ses neurones s’étaient soudainement fondu dans la nuit, diluée par la pluie diluvienne de sa réalité. C’était fini, le mirage était passé, et Takuma se sentait à présent dénué de toute volonté, comme vidé, inapte à décider de fuir, de négocier ou juste de rentrer : il restait là. Comme un pantin que la drogue avait cessé d’animer et qui se trouvait alors vidé à son tour de ce qui semblait le tenir debout. Idiot, le géni. Incapable de comprendre comment l’addiction pouvait aller et venir ainsi, lui saisir les nerfs jusqu’à le rendre totalement esclave d’un besoin auquel il ne voulait répondre… pour au final disparaitre comme si elle n’avait jamais existé. Il n’y avait pas là le tintement strident du manque d’autrefois, c’était différent. Le vacarme ne devenait assourdissant que par vagues, comme si elles surgissaient du passé pour le noyer et disparaitre ensuite, mirage de son existence, le laissant pantelant, comme un naufragé en plein désert, découvrant que l’oasis n’avait jamais existé ailleurs que dans son esprit.

Une main s’était brusquement refermée sur son bras, détachant la sensation des doigts glacés sur un muscle manifestement gorgé de sang. Il fallait croire que sa bataille interne l’avait tant fait monté en pression que le flot vermeil s’était fait plus pressant, inondant chaque parcelle de son être si violemment en attente du poison qui ne tarderait pas à se répandre en lui. Un instant, il voulu se dégager mais la poigne se faisait ferme et l’attirait ailleurs, sans que la femme ne daigne poser un nouveau regard sur lui. « Hey ! »Elle le tirait en arrière, le forçait à avancer puis à reculer, emporté par son geste vif jusqu’au croisement des ruelles. Qu’importe que son regard se soit assombri, qu’il résiste un instant à sa prise, le voilà qui suivait le mouvement, surpris par la force de cette femme. L’instant suivant, elle le lâchait contre un mur que ses omoplates percutaient, l’air à la fois méfiant, interrogateur et passablement tendu. Elle jetait un coup d’œil de droite et de gauche avant de sortir une baguette et pendant quelques fractions de secondes, le cœur du jeune homme s’était jeté sur ses côtes, les percutant avec toute la fureur de la panique. Mais elle atterrissait seulement sur son torse dans un mouvement brusque…et alors, seulement, il comprit qu’il s’agissait de la sienne.

« T’as oublié un truc j’crois. »

Un instant, la pensée furtive que cette main contre lui constituait la chose la plus tangible qui puisse l’ancrer au monde réel lui passait par l’esprit et il ramenait la sienne pour se saisir de son bien, encore un peu flottant. Un regard vers le bas et le sorcier constatait qu’il s’agissait bien de sa baguette tandis qu’elle le lâchait, remettait ses mains dans ses poches pour le fixer d’un air neutre, presque morne. Redressant le regard vers elle, tristement conscient de ce qu’elle masquait dans sa main gauche, il se dit qu’il y avait dans ces yeux un éclat affreusement familier.

« T’avais bien choisi ton nom, Moeru. »

Nouveau frisson, ses joues se creusaient, sa gorge se serrait, ses pupilles s’étrécissaient. Ses mondes se reliaient finalement, après des années à en avoir évité la contamination.

Flamber. J’aurais cramé mon monde entier si la morsure du feu pouvait me permettre de ressentir quelque chose. Flamber mon univers et le tien, flamber l’ombre et la lumière pour enfin m’en extraire.

Sans un mot, il ne la lâchait pas du regard, trouvant dans le sien quelque chose d’étrangement dissonant comparé à ce qui flambait – justement – à l’époque de sa célébrité au Japon.

« On est loin de la gloire ici. »

C’était sans doute une pensée miroir à la sienne. Pas de surexcitation d’ado en chaleur, d’admiration, de fascination. Elle regardait sans le contempler une part sombre et véritable de celui qu’il avait toujours été. Elle faisait face aux failles, au goudron, aux faiblesses quand sur scène il se vêtait de masques et d’illusions. Pourtant il n’y avait dans ces représentations rien de profondément factice, seulement une part de lui plus simple qui surgissait enfin de la mélasse et pouvait s’exprimer pleinement le temps de quelques heures. Une part qui n’existait pas aujourd’hui, dans le reflet de ce regard. Un triste constat.

« Pas assez manifestement... »

La baguette était de nouveau rangée et sa main droite volait vers le creux de son coude gauche, son pouce s’y attardant une seconde comme s’il vérifiait l’absence de plaie, de creux.

T’es clean. Respire, tu l’as pas fait.

Et si elle n’était pas intervenue, est-ce que ses dernières forces de résistance ne se seraient pas envolées aussi brusquement que le faisait le manque à présent ? L’idée le terrifiait sans doute bien plus qu’il ne pourrait l’avouer.

« Quelle était la probabilité qu’on me reconnaisse, à presque 10 000 km de Tokyo, quatre ans plus tard ? »

»Nee kamisama, boku no ouchi wa doko desu ka ?
Mou ii yo, mou ii yottara

Il lui semblait n’avoir été qu’un enfant à l’époque. C’est rien, pourtant, quatre ans. Quatre ans à mieux respirer, quatre ans à oublier l’ado drogué, le musicien adulé, l’image imposée. Quatre ans à s’oublier, lui, autant qu’il se découvrait. Quatre ans pour passer du physique dégingandé d’un jeune adolescent à celui plus marqué de l’adulte. Ses traits s’étaient durcis, devenant moins féminins, plus creusés, ses muscles se dessinaient, recouverts d’un peu plus d’encre encore qu’à l’époque. Ses cheveux étaient plus courts à présent, bleutés depuis un moment quand il enchaînait les coiffures à l’époque, tantôt noirs tantôt multicolores. La tendance avait suivi un moment à Poudlard avant que le noir d’origine ne s’affirme véritablement durant quelques années. L’enfant laissait place à l’homme qui faisait face, sans vraiment se cacher - un sourire ironique, presque triste accroché au coin des lèvres - à ses péchés.
Quatre ans de liberté. Huit ans depuis ses débuts. Tout ça semblait si loin.

Yameteyo, hottoiteyo, kamawanai de yo
Mou ii yo, mou ii yottara
Kizuite yo, furimuite yo, dakishimeteyo..
Mama »
Moeru

Raisonnait alors une voix rauque pour un enfant de quatorze ans quelque part dans ses souvenirs. Des mots simples et durs, un appel évident qui restera vide toutes ces années. Non, il n’y avait pas réellement de masque, seulement quelques oublis pour mieux exister.

« Merci. » Pour la baguette.

Son regard se posait un instant sur sa poche gauche, relevant les yeux au ciel immédiatement, agacé de son propre langage corporel. C’était retombé, oui, mais l’addiction n’était jamais vraiment loin, le poussant vers de douloureux besoins. Ainsi, il y avait une part d’elle qu’il percevait comme ennemie, celle qui voyait le manque en lui, qui portait de toute évidence le même dans ses veines, qui pouvait le révéler aux autres. Et une part, différente, qui portait les marques d’une certaine bienveillance. Comme s’il la percevait morcelée, éclatée de deux extrêmes opposés au sein d’un même être. Raclant le creux de son coude d’un ongle cassé, il laissait un trait rougeâtre sur la peau bariolée de noir, conscient qu’à l’endroit exact où il piquait, il n’y avait pas d’encre, comme une porte ouverte laissée béante.

Un soupir.

« Ecoute, on se connait pas, ou du moins moi j’te connais pas… » Toi non plus, une évidence qu’il ne portait pas à voix haute. « … Mais on a les mêmes vices, manifestement… et le même type de sang, sans doute.. » Non pas une référence à la pureté ou non mais seulement au pouvoir qui y circulait. « ..et j’ai pas une envie furieuse de faire la une des tabloïdes là tout de suite, sur ce genre de sujets, donc… » Il haussait des épaules, d’un air plus las que demandeur.

Nombreux, dans ce monde, étaient accro ou pétris d’autres tourments, vices ou besoins, il le savait, avait fuit avant d’en être impacté. Nombreux, surtout, auraient menacé, fait jouer la carte de la célébrité, des contacts, de l’argent. Mais il ne se reconnaissait dans aucune de ces notions, avait disparu de lui-même du jour au lendemain, sans un mot ou une explication, comme s’il avait seulement fait le tour du sujet et désirait passer à autre chose. Alors il ne jouerait pas les cartes de ceux auxquels il ne s’associait pas, aussi bête que ce soit. Si elle parlait, elle parlerait et il assumerait, voilà tout.  

« Donc ouais, bon choix de pseudo. Très pertinent. » Et étrangement incompris, va savoir. « Mais si tu pouvais garder ça pour toi, franchement ça m’arrangerait »

Oh comme il connaissait ce regard las de se battre, dont l’envie prenait le contrôle, noyait la réalité pour ne plus laisser que l’envie lancinante qui crache dans les artères.

Nouveau regard vers sa poche gauche. Retour dans ses pupilles non dilatées.

« Tu veux un café ? »

Tu veux t’éloigner, te laisser une chance, reculer l’échéance ?
Moi oui.
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
Mer 1 Sep 2021 - 12:54
Loin de la gloire, loin de la lumière, loin de la paix.
Ils étaient loin, oui. Comme si dans cette rue sombre éclairée par un lampadaire, leurs silhouettes n’avaient plus de sens, plus vraiment d’existence. Ils étaient comme les éclats d’une seringue, gisant par terre, et le lendemain un passant marcherait dessus sans y prêter attention, sans se soucier du drame qui parsemait le goudron parmi des mégots de cigarette. Deux enveloppes vides tiraillées par le manque, par cette volonté de s’emplir à nouveau de quelque chose capable de les tuer, de les détruire en quelques doses.

Sanae ne ressentait que le néant en elle. Elle avait l’impression d’être l’incarnation de cet instant après une fête où tout le monde avait déserté et où il ne restait plus que des confettis écrasés et imbibés de bière. Lumières éteintes. Plus que le reflet de la lune pour se réverbérer sur des gobelets en plastiques abandonnés ou sur un collier sur le sol que quelqu’un aurait perdu. Et puis le silence, la fraîcheur de la nuit englobant un endroit où la musique avait tout animé. Elle était cet instant déprimant de l’après, quand l’euphorie disparaît et s’endort, quand le corps est plombé de fatigue. Plombé, tout court. Oui, c’était ça. Elle se sentait plombée par ces deniers jours, écrasée, éreintée. Une terrible flemme de vivre s’était emparée d’elle. Flemme de se battre, flemme de respirer, flemme de retourner vers ceux qui l’attendaient. Flemme de s’expliquer, de résister. Elle était même lassée de la souffrance, lassée de tout à vrai dire. Elle ne désirait qu’oublier, mettre son esprit en sourdine, retrouver des sensations autres que le vide sans avoir à prétendre. Il fallait un raccourci, un truc pour s’animer à nouveau et elle s’en fichait si ce n’était pas réel, si ce n’était pas sain, si c’était mal, dangereux et toutes ces conneries. De toute façon, vivre était dangereux. Se laisser aller à l’autre était dangereux. Regardez où ça l’avait menée...tout ça pour se sentir piétinée.

Pourtant, sur l’estrade de cette fête déserte, il restait une silhouette qui errait tout comme elle. Une silhouette tout droit sortie du passé. Loin de la gloire, donc.

« Pas assez manifestement... »
Non, pas assez. Le passé revenait toujours à grand coup de pelle dans la gueule. Ce soir, il les surprenait tous deux. Elle l’observa sans rien dire, le regardant ranger sa baguette avant de vérifier que son bras n’avait pas été piqué. Non, il n’avait rien pris.

« Quelle était la probabilité qu’on me reconnaisse, à presque 10 000 km de Tokyo, quatre ans plus tard ? » Un souffle amusé. Elle gardait ses mains dans ses poches.
« J’sais pas. J’crois que l’univers se fout de notre gueule. » Pas envie de jouer au jeu des probabilités ; tout ce qu’elle savait c’était qu’il y avait de l’absurdité dans cette situation.

« Merci. »
Elle haussa les épaules, mais capta le regard bref du sorcier vers sa poche. Les petits sachets blancs lui brûlèrent les doigts un instant. Il détourna les yeux et elle retint un sourire cynique. Pauvres camés qu’ils étaient...Incapables de penser tout à fait à autre chose. Il y pensait, tout comme elle s’était demandée plus tôt ce que ça faisait de s’injecter un truc dans les veines comme il était parti pour le faire.

Ça te fait quoi, à toi ?

Il soupira.

« Ecoute, on se connait pas, ou du moins moi j’te connais pas… » Vrai. « … Mais on a les mêmes vices, manifestement… et le même type de sang, sans doute.. » Aussi, vrai.« ..et j’ai pas une envie furieuse de faire la une des tabloïdes là tout de suite, sur ce genre de sujets, donc… » Elle eut une expiration moqueuse, détournant ses prunelles sombres un instant. Comme si ça lui avait traversé l’esprit tiens… Elle s’en foutait pas mal de prévenir les tabloïds qu’un chanteur de plus était un drogué. C’était la plus vieille histoire du monde sûrement. Tout comme la sienne, à elle...incapable de survivre au deuil et tentant d’oublier un désastre amoureux. Ils étaient des putain de clichés. Des clichés lassés.

« Donc ouais, bon choix de pseudo. Très pertinent. Mais si tu pouvais garder ça pour toi, franchement ça m’arrangerait »

Elle le regarda, inexpressive.
« Comme si j’avais que ça à foutre d’appeler tous les tabloïds...J’m’en fous pas mal. Aucun intérêt franchement. » Elle balayait cette possibilité sans désir de le rassurer. Il n’était pas une ancienne star ici, il était juste un mec perdu autant qu’elle était perdue elle.

Il regarda à nouveau sa poche et la sorcière le dévisagea sans détour. Elle ne disait rien, notait simplement le manque qui guidait ses prunelles. C’était donc à ça que ça ressemblait ? C’était ça que ses proches voyaient quand elle dardait son regard vers une bouteille ?

« Tu veux un café ? »

La question la prit de court. Elle détourna les yeux et se mordit la lèvre.
Ses doigts jouèrent avec les sachets dans sa poche, le grésillement s’intensifiant. La sensation la mordait de l’intérieur, comme une faim non assouvie qui faisait gargouiller le ventre et faisait retentir son appel infernal. De toute façon, c’était quoi l’autre option ? Lui tendre un sachet et se défoncer à deux ? Perdre la notion du temps en plongeant ? Est-ce qu’elle avait vraiment envie de partir de cette rue dégueulasse ?

Elle se racla la gorge.

Tu pourras revenir plus tard. Tu pourras quand même te trouver un endroit où respirer cette merde. C’est pas parce que tu fuis que ça te rattrapera pas.

« Ouais. Okay pour le café. » dit-elle précipitamment, sa voix recouvrant celle, intérieure, qui la griffait. « J’connais un endroit. »

Partir. S’éloigner. Maintenant.
Si vite que quelques instants plus tard, ils transplanaient dans un coin désert et elle le guidait vers une rue plus éclairée, marchant d’un pas pressé comme s’il fallait asseoir cette décision au plus vite. Elle s’était souvenue de ce bar dans le quartier de Soho. Le même quartier que Margo. Pauvre débile. Tu te fais du mal. Tu la cherches malgré toi. Mais ils étaient là, c’était l’important non ? Elle avait enlevé ses mains de ses poches, ses doigts s’agitant entre eux, jusqu’à pousser la porte du Bar Italia, ouvert 24h/24h. Elle se laissa retomber à une table dans un coin et croisa les bras sur la surface en bois. Une femme avec un chignon un peu défait et un tablier vint les voir pour prendre leur commande et une minute plus tard, deux tasses de café fumaient devant eux.

En-dessous de la table, la jambe de la sorcière s’agitait nerveusement et sa main passa dans ses cheveux courts. Elle regarda le sorcier, détaillant ses traits.

« Je te les donnerai pas, tu sais. »
Les sachets. Son pied tapait le sol rapidement, les pensées défilant. Elle fit un mouvement de menton vers lui. « Elle est tombée ou tu l’as jetée ? » demanda-t-elle de but en blanc.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mar 7 Sep 2021 - 12:54
L'absinthe apporte l'oubli, mais se fait payer en migraines - Sana  6nal


“L'eau, liquide si impur, qu'une seule goutte suffit pour troubler l'absinthe.”
Alfred Jarry

 
Il suffisait d’une pensée, d’une odeur, d’un battement de cœur pour qu’il bascule, pour qu’il se trouble, se perde. Une inspiration et il partait, emporté en arrière dans un tourbillon plus fort que lui.
Nous le sommes tous. Impurs. Inaptes. Incapables, imparfaits ou même minables. On l’est tous à un moment ou un autre. Par moment, c’est une force... mais en d’autres nous sommes seulement écrasés par quelque chose de trop violent, trop puissant pour nous. Parfois il y a des démons qui résonnent, des opposés qui s’attirent, des eaux qui se troublent.
Par moment il suffit d’un rien, et tout devient brume.
 
Il y avait là une histoire vieille comme le monde. La roue du temps se déréglait, s’emballait pour l’emporter et troubler passé et présent pour les confondre un instant. Elle était celle qui, peut-être, écoutait hier un inconnu à l’image nette et lisse, un gamin qui remplissait des stades. Il était ce type qui glissait pourtant des évidences dans ses textes, ses clips, ses interventions. Jamais Takuma n’avait été lisse. Jamais il n’avait été pur. Et jamais il n’avait prétendu le contraire.  Sur certains points, le garçon d’hier était tenu au silence, alors il observait ses interlocuteurs, souriait en douceur et les regardait dans le mutisme de ses évidences. Il ne souriait pas comme quelqu’un qui se cache sous un masque, qui affirme sa perfection, non, seulement comme quelqu’un qui se préserve de ce besoin que les autres avaient toujours et de projeté des choses sur celui qu’il était ou celui qu’il pourrait devenir. Impur mais translucide. S’il avait voulu tromper son monde, il n’aurait pas été recouvert de tatouages à un âge où l’idée même de sortir du lot n’effleure habituellement pas les enfants qui n’en sont alors plus tout à fait. Lui n’en était plus tout à fait un.
 
Tout comme il n’était pas tout à fait adulte.
L’est-on jamais, du reste ?
 
A cette question, une autre répondait, plus mordante : guérit-on jamais ? Passe-t-on réellement à autre chose ? Il n’avait été qu’un gosse à dévaler une pente abrupte, à s’y fracasser sur le roc, à s’entailler largement. Le temps avait passé mais les plaies restaient là, se rouvrant par moment au gré de l’existence comme s’il suffisait d’un geste trop violent pour en faire de nouveau couler le sang.
 
Et une autre question, arrivant en triptyque comme les chimères qui noyaient son présent.
Pourquoi fallait-il qu’il y ait quelqu’un pour le connaître, en cet instant ? Pour voir le sang couler et sa volonté faiblir.
 
« J’sais pas. J’crois que l’univers se fout de notre gueule. »
 
Un souffle sec dans ses narines, cynique. « Probable oui. »
 
Elle ne le connaissait pas, du moins pas la personne qu’il y avait derrière les tabloïdes, derrière l’image médiatique qui n’avait jamais été tout à fait sienne et dont on l’avait dépossédé d’une signature sombre sur un papier blanc. Vive et froide, impersonnelle et son avenir appartenait à un autre. Non, elle ne connaissait qu’un pseudo. Et pourtant, en un regard, celle qui était sans doute une sorcière se chargeait de deux de ses plus lourds secrets. En faisant le choix de révéler des choses sur son existence, on en arme les autres. On leur offre une parcelle de soi.
 
Il aurait dû en être affecté, inquiet, angoissé ou en colère.
Mais le seul foutu truc qui attirait réellement son attention correspondait à ce putain de petit sachet qu’elle cachait dans sa poche gauche. Le reste, il s’en foutait.
Sauf qu’il y avait là une réalité dans laquelle Takuma refusait de s’engouffrer. Comme s’il était encore apte à la laisser gagner, qu’il retrouvait toujours échec après fêlures un moyen de résister de nouveau. Alors c’était bien de ça dont il parlait, et non de cette satanée poche.
 
« Comme si j’avais que ça à foutre d’appeler tous les tabloïds...J’m’en fous pas mal. Aucun intérêt franchement. »
 
Un rictus naissait au coin de ses lèvres sans qu’il sache trop s’il en était soulagé, méprisant, cynique ou simplement blasé.
 
« ça m’arrange. » Vrai. Assez déconnecté de ses préoccupations actuelles, mais tout à fait vrai.
 
Déconnecté, oui, comme si une part de ses propres besoins s’arrachaient à la réalité que son cerveau s’acharnait à garder à flot malgré son absence total d’intérêt actuel. Elle pourrait bien le balancer que ses yeux voleraient quand même vers cette PUTAIN de poche qui cramait ses synapses. Un instant, il n’y avait plus que ça, l’espace s’effaçait autour de lui et la connaissance de ce sachet de merde venait taper à ses tempes.
Il y aurait alors eu toute probabilité pour qu’il l’évoque alors que ses lèvres s’ouvraient pour laisser de nouveau passer le son, conscient qu’il devait sembler tout aussi déconnecté et inexpressif qu’elle l’était.
Pourtant les prunelles de la jeune femme s’étaient chargées d’étonnement quand les mots s’étaient formés entre les lèvres du musicien. Un café. Pas le sachet, encore moins d’autres propositions indécentes qu’un autre aurait sans doute tentées. Cliché éculé… mais pas tant. Un café. Rien qu’un café.
 
Et il lâchait la poche du regard, plantait le sien dans celui de l’autre camée, en cramait les pupilles.
 
On dégage. On se laisse un instant pour tenter de sortir la tête de l’eau. Ça te dit ? 
 
Elle hésita un instant, se battant contre ses propres démons avec tant de hargne qu’il pouvait presque en voir la bataille dans ses prunelles qui se dilataient et se contractaient à intervalles irréguliers. Et un instant, ça le fascina. Non pas elle, ou plutôt si, elle. Elle qui prenait les coups et les rendaient, éloignant les griffures qui fendaient son esprit alors qu’il proposait une échappatoire… ou un coupe gorge. Les deux hypothèses se valaient sans doute. Qu’importe, elle les choisi.
 
« Ouais. Okay pour le café. » La voix était rauque, précipitée, comme après un effort intense.  « J’connais un endroit. » Il hocha la tête, le son se perdant au fond de ses poumons sans chercher à sortir. Pas d’idée de quoi raconter, pas l’envie de parler, d’ailleurs, ni même d’imposer quoi que ce soit : Takuma acquiesçait et la suivait, notant dans leur façon de s’éloigner d’ici le même besoin évident de fuite. Disparaissant là, il lâchait un regard sur la ruelle sombre où il devinait l’éclat d’une seringue brisée… et quelque chose hurla tant en lui qu’il accéléra le pas, fermant une seconde les paupières. Fuir. Se fuir eux-mêmes, fuir leurs démons, leurs envies, leur réalité.
 
Leurs pas étaient précipités, claquant contre les pavés des ruelles londoniennes, les éloignant à chaque instant un peu plus du gars qu’ils avaient tous deux rejoint pour s’offrir un oubli qu’ils ne s’étaient pas encore accordés. Mais le sien, à elle, était là, non loin. Si proche même qu’il y retournait sans même s’en rendre compte, fixant cette poche qui se mouvait en douceur alors que la femme marchait d’un pas sec, impatient. Un passant l’aurait pensé attiré par le corps de l’inconnue. Ce genre de détails lui passait pourtant loin au dessus des neurones saturés d’endurance.
 
Alors il serrait les mâchoires, décalait son regard sur les doigts de la femme qui s’agitaient sans réel autre but que de contrer la nervosité qui crachait autant dans ses veines que dans les siennes. Il la voyait, miroir de ses propres addictions, notait les comportements similaires, voyait ces petits gestes qui ne parlaient sans doute pas aux autres mais qui crachaient de familiarité dans ses pupilles réactives.
 
Enfin, ils passèrent la porte d’un bar sans qu’il ait réellement noté où ils se trouvaient. Cette déconnection du réel, il le savait, montrait que la crise n’était pas tout à fait passée, qu’il lui fallait attendre de se reprendre tout à fait. S’éloigner, encore, de la boue qui le hante.
 
Se laissant tomber en face d’elle autour d’une table en bois qu’il cognait de son coude sans véritablement réagir, il restait aussi silencieux qu’elle un temps avant qu’une femme vienne prendre leur commande puis s’en aille. Lorsqu’elle revint, elle déposa deux tasses fumantes sur la table devant eux, leur adressant un sourire qu’ils rendaient difficilement. Ou pas. A vrai dire, il ne s’en souvenait pas, notant les mèches folles qui courraient sur sa nuque, cherchant à s’échapper de son chignon. Puis Takuma reportait son attention sur le liquide brun qui venait réveiller ses neurones engourdis. La jambe de l’inconnue s’agitait sous la table, lui faisant prendre conscience de ses propres tressaut.
 
Tous les camés se ressemblent il parait. Ça semble juste.
Il immobilisait sa jambe.
 
« Je te les donnerai pas, tu sais. »
 
Le calme artificiel fut de courte durée, manifestement. La réflexion lui giflait les nerfs, sursautant en  ramenant un regard fixe, presque dur sur elle. Griffé dans ses besoins qu’elle mettait à jour, révélant les pensées sous-jacentes qu’il faisait pourtant tout pour ignorer.
 
« ça tombe bien j’en veux pas. »
 
La réponse avait fusé avec une sécheresse qui ne lui ressemblait pas. Oh comme il était aisé de comprendre que la vindicte de ses mots s’adressait pourtant directement à ce doigt venu délimiter la céramique aux fausses allures de glaise de la tasse de café. Ou bien peut être à ce genou qui tapotait de nouveau ?
 
Takuma détournait le regard, agacé de sa propre réplique balancée avec une telle vivacité qu’elle recouvrait sans doute la question qui passait entre les lèvres de sa comparse de déchéance.
 
« Elle est tombée ou tu l’as jetée ? »
 
Retour de son regard sur elle, délimitant un instant ces traits presque familiers dans l’univers exotique que l’Angleterre devenait par moment à ses yeux.
 
Il soupirait, calmait de nouveau son mollet et avalait une gorgée de café trop chaud, cramant son œsophage. Cet instant de silence tombait comme un marteau sur ses addictions, calmant la violence de son manque. D’une nouvelle inspiration, il passait ses doigts dans ces cheveux bleus qu’il n’avait pas à l’époque, posant le regard sur elle.
 
« Désolé. » Etrange comme cette réflexion pouvait le piquer au vif. Qu’est-ce que cela blessait au juste ? Ses espoirs ou son égo ? « Bien sûr que je les veux, mais j’te les demanderai pas. » Il ne quémanderait pas plus, ne les achèterai pas, ne voudrait pas partager ses addictions avec une autre victime de ces démons chimiques. Alors oui, qu’elle les garde, très bien. D’ailleurs, déjà, une part de ses prunelles se chargeait d’un remerciement muet, d’un certain soulagement. Parce qu’en les lui refusant de but en blanc, elle fermait une porte qui refusait d’ouvrir. Alors la première réaction était remplacée par la seconde.
 
Il posa la tasse qui lui cramait les doigts.
 
« Je l’ai jetée. » On fait ça ? On partage nos plaies, on exorcise, on espère qu’à en cracher l’acide, nos veines cesseront de l’appeler ? « ça fait plusieurs années que je suis clean. Ya juste des journées merdiques. »
 
Sacrément merdiques même.

Dans un nouveau réflexe il posait indexe et majeur au creux de son douce, entre deux tatouages, grattait l’épiderme d’un ongle qui repoussait doucement depuis des semaines. Il les avait de nouveau eu courts durant des années, pourtant à présent ils retrouvaient une taille plus similaire à celle qu’ils avaient quand il était connu. Outil de guitariste, la longueur n’était pas la même sur ses deux mains, signe qu’il reprenait la musique… mais en cet instant, il n’était qu’un connard de camé essayant d’endiguer totalement l’urgence du manque qui ronflait toujours au fond de lui.
 
« ça semble salement cliché. »
 
Tout semble salement cliché.
 
« T’aurais pu me laisser m’enfoncer dans ma connerie. » Laisser tomber sa baguette ?! Sérieusement ? En était-il réellement là ? Assez pathétique pour ne pas faire attention à ce genre de choses, beaucoup trop obsédé par ce qui lui cognait dans la gueule pour laisser tomber une arme qui l’emmènerait droit devant la cour du ministère de la magie. « Comme quoi l’univers est un connard avec un sacré humour de merde, mais j’ai eu du bol dans sa blague. Encore merci. » Ses mots étaient cyniques mais doux, laissant entrevoir l’homme de valeur qu’il était. Celui qui aimait l’humain, savait le lire et lui accorder le respect et l’intérêt qu’il méritait. Celui qui se prenait de sacrés coups de savates à coup d’acide fantôme depuis plusieurs mois.
L’homme qui l’observait en silence sans lui demander de lui raconter son histoire, sans l’y forcer. Mais qui notait que plutôt que de se défoncer dans un coin, elle avait choisi de l’aider. Plutôt de que l’enfoncer, elle avait pris l’option du café.
 
« Takuma. Histoire de changer de Moeru. Puisque tu te fous des tabloïds. » Et que je ne suis pas que ce mec-là.
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
Mar 14 Sep 2021 - 22:33
L’Univers se foutait sans doute de leur gueule.
Cela aurait pu être un constat plein d’amertume et de rage mais la sorcière n’éprouvait à cette pensée qu’une lassitude extrême ; à croire qu’elle était ce soir même lassée de la fureur et du reproche. Elle n’avait plus de reproches à faire à qui que ce soit d’ailleurs, à part à elle-même. Il lui semblait que dans les cavités de son être, une profonde déprime s’était installée et plus rien n’avait de goût. Le seul goût qu’elle aurait aimé sentir sur sa langue était celui de l’alcool ; la seule sensation qu’elle voulait était celle de cette neige dévastatrice et sublime allant dans ses narines pour tout altérer, redonner un peu de vie à ce corps lassé de lui-même. Vidé de toutes envies qui n’étaient pas malsaines, tout son être réclamait sans énergie l’objet de son attention.

Et elle n’était pas la seule. L’homme face à elle avait sans doute la même envie. Les regards vers sa poche en attestaient. Ils étaient tous deux des drogués en manque d’oubli. L’envie rôdait autant en eux que tout autour, les surprenant au détour d’une ruelle, les agrippant dans la brise, leur étreignant le coeur et les os, et alors elle ne les lâchait plus. Elle demeurait là, ancrée en eux avec une ténacité qui les rendaient esclaves. Enchaînés. Pieds, mains et cous. Ils n’étaient que des animaux tirés par la laisse les menant à leur perte, et ça tirait, tirait jusqu’à ce qu’ils craquent. Oh elle pouvait bien se faire oublier un moment mais ils sentaient toujours le cuir du collier qui enserrait leurs cous et savaient pertinemment que l’instant de rentrer à la niche arriverait. L’addiction se faisait Maîtresse exigeante et sans coeur. Mais maligne Maîtresse, elle leur insufflait assez d’envie, assez de plaisir pour supplanter le dégoût et la peur.

Ils obéissaient donc...jusqu’à ce que leurs laisses s’entremêlent à un croisement inattendu.

Elle le regardait d’ailleurs probablement en chien de faïence en cet instant. Aussi méfiante de lui que d’elle-même, elle faisait face à un effet miroir qui arrivait à se distordre parfois mais dont les ondulations lumineuses lui vrillaient la rétine. Alors elle fermait la porte, aussi bien pour lui que pour elle, sur ce qu’ils pourraient s’échanger comme destruction. Par les mots, elle cloisonnait et enfermait l’idée même qui l’avait traversée auparavant ; si elle devait emprunter cette pente glissante, elle le ferait seule. Elle ne se rajouterait pas cette culpabilité.

Ou peut-être seulement ne voulait-elle pas partager son oubli.

Et comme un chien à qui l’on dit que l’os devant sa gueule ne sera pas pour lui, l’ombre de la rage passa furtivement dans ses prunelles. Il lui renvoya toute sa dureté et elle se contenta d’observer cette ombre tranchante.

« ça tombe bien j’en veux pas. »

Le ton sec fut accueilli sans un mot. Elle le regardait détourner les yeux, agacé. Mais elle ne prenait pas son agacement pour elle ; elle n’était pas sûre d’y être arrivée quand bien même il aurait été furieux d’elle. Son dégoût d’elle-même avait largement précédé quelconque rancoeur que pourrait avoir les autres à son encontre. Et puis...l’agacement dans ces prunelles inconnues n’avaient rien d’insurmontable comparé à la haine qui avait coloré celles d’une autre. Quand on avait été violemment fracassé contre un mur, on s’occupait peu d’une coupure de papier. On la remarquait à peine à vrai dire, tout anesthésié par une autre douleur. C’était sans émotion qu’elle accueillait l’humeur du sorcier et qu’elle accrochait son attention par d’autres mots ; la curiosité semblait la seule chose qui perçait l’anesthésie générale.

Il soupira, arrêta le mouvement de sa jambe, miroir du sien. Elle en revanche ne cessait de bouger nerveusement, ses ongles ripant sur la tasse de café. Elle le regarda reprendre contenance, boire le café brûlant qui n’aurait su étancher la soif d’autre chose, avant de passer sa main dans ses cheveux colorés.

« Désolé. » Une perturbation traversa le visage de la sorcière. Elle fronça les sourcils. Pourquoi désolé ? Il y avait bien des désolés à exprimer mais celui-ci lui paraissait bien étrange. Désolé de quoi ? D’avoir regardé sa poche ? D’avoir envie de se laisser engloutir ? De s’emporter quand cette possibilité disparaissait ? Elle n’avait pas vraiment disparu du reste. L’oubli ne viendrait pas de ces sachets-là mais toutes les seringues du monde étaient toujours disponibles. « Bien sûr que je les veux, mais j’te les demanderai pas. » Il y eut une seconde de silence avant qu’elle n’articule un « Bien ».

Mais ce qui l’intéressait, elle, c’était de savoir si ce qui s’était brisé sur le goudron froid de la ruelle était un choix ou une maladresse. Elle détourna le regard un instant et ne vit pas ce brin de soulagement mêlé à un remerciement muet – qu’en aurait-elle fait de toute façon ? Non, ses prunelles noires allèrent vers la vitre qui donnait sur la rue presque déserte, contemplant quelques secondes les lampadaires, les silhouettes inconnues qui traversaient parfois, les contours sombres des habitations...jusqu’à ce que la voix du sorcier ne la fasse revenir dans ce café. Elle se tourne vers lui.

« Je l’ai jetée. » Ah, la voilà sa réponse, celle qu’elle attendait. C’était un choix, donc. « ça fait plusieurs années que je suis clean. Y a juste des journées merdiques. » Il ne pouvait pas y avoir de réponse plus déprimante que celle-ci. Le regard plus sombre encore, Sanae le vit poser deux doigts sur le creux de son coude, grattant la peau entre deux tatouages d’une vie passée. « ça semble salement cliché. » Elle eut un souffle amusé. « Sacrément cliché oui. » Rien de plus commun qu’un ancien addict qui rechutait. Il lui semblait contempler son avenir soudainement : des années sans céder à la laisse qui tirait pourtant si fort et finalement, un jour, le plongeon. Ou presque.

« T’aurais pu me laisser m’enfoncer dans ma connerie. » Elle hocha silencieusement la tête, un sourire cynique en coin. « Comme quoi l’univers est un connard avec un sacré humour de merde, mais j’ai eu du bol dans sa blague. Encore merci. » Le sourire disparut. Il y avait de la douceur chez le jeune homme, quelque chose qui venait en contradiction avec la lueur enragée qu’elle avait vu auparavant dans son regard. « Takuma. Histoire de changer de Moeru. Puisque tu te fous des tabloïds. » Le sursaut des convenances.

Elle esquissa un sourire amer.

« Sanae. Et ne me remercie pas, la soirée n’est pas encore terminée. On sait tous les deux qu’une minute à l’autre la direction pourrait changer. »

Elle arrêta le mouvement de sa jambe, se repositionnant sur sa chaise en soupirant, ses mains portant la tasse jusqu’à ses lèvres. Elle les trempa à peine dans le liquide chaud et brun.

« J’suis nouvelle consommatrice mais on dirait que y a pas trop d’espoir pour les gens comme nous, hein ? » souffla-t-elle douloureusement. « Si après des années à être clean on peut toujours replonger en un claquement de doigts, pourquoi on se fait chier à combattre ? Y a toujours un moment pour nous faire flancher, toujours un truc pour nous faire disjoncter... » Elle secoua la tête. Il n’y avait pas que l’amertume du café entre ses lèvres. Détournant les yeux, elle se perdit sur la vitre à nouveau. « Je pensais pas me retrouver-là... » murmura-t-elle, ses prunelles se vidant de toute essence. Elle eut comme un sursaut et son regard retrouva celui du sorcier. Elle posa sa tasse, croisa les bras.

« J’me souviens de quelques unes de tes chansons. Tu joues toujours ? »
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Sanae M. Kimura
Mar 21 Sep 2021 - 14:16
L'absinthe apporte l'oubli, mais se fait payer en migraines - Sana  D11q


J’ai envie d’en crever d’être ce mec qui ne me ressemble pas…

Il y avait dans cette colère une frustration ingérable, un rappel à ses failles, une envie brusque qui le tendait vers la gorge de cette femme qui lui refusait ce que ses veines hurlaient à grands cris. Et ça, cette violence brusque, elle ne faisait pas partie de lui. Elle ne s’était d’ailleurs esquissée que dans le fond de ses prunelles avides. Non, Takuma n’était pas quelqu’un de violent, ni même de colérique. Ce truc était chimique, anormal, aberrant. Alors oui, il s’en excusait. Parce que cette chose en lui... lui soulevait le cœur, le retournait totalement. Le garçon avait tant changé, tant effectué de pirouettes en pagailles pour se réinventer, devenir à chaque instant un homme nouveau qu’il en arrivait par moment à ne plus savoir qui il était réellement. Alors ce truc soudain et brusque qui claquait comme un boulet de canon et le poussait à simplement oublier tout le reste, n’être qu’animal et prendre ce que son corps réclamait comme l’aboutissement de toute son existence, il le refusait. Hors de question, c’était un stop net et intégral à ses propres réactions. Comme si le chien lui avait échappé et qu’il tirait alors brusquement sur la laisse, rugissant à son tour pour le ramener aux pieds.

Sa jambe ne bougeait plus, ses paupières se fermaient un instant en déglutissant les gorgées de café brûlant.

Stop. T’es pas ce type là. Ce type n’est qu’un archétype chimique induit par les pulsions d’un hypothalamus poussé à bout. Tous les drogués se ressemblent. Parce que ça n’est pas eux. C’est la came qui parle, rien de plus ni de moins.
Et comme parler d’anorexique ou de cancéreux, tu n’es pas drogué. Tu n’es pas ta malédiction. Tu n’es pas ton affliction, ta maladie ou ta plaie. Tu n’es que toi. Et ça, c’est là en plus, mais ça n’est pas inhérent à celui que tu es profondément. Donc si cette horreur n’est pas toi… alors tu peux t’en défaire. Les mots ont un sens, le recul qu’on décide d’en prendre aussi.

« Bien sûr que je les veux, mais j’te les demanderai pas. » Il y eu un instant de silence avait qu’elle n’articule un simple « Bien. » morne et sec.

Oui, les mots ont un sens. Si, il voulait ces merdes. En cet instant, il les voulait même plus que tout autre chose. Mais non, il ne les demanderait pas, car ses choix étaient plus importants encore.

Ce manque est illusoire. Tu n’es PAS en manque. Tu ne PEUX PAS être en manque, ce truc qui crève ton corps sans qu’il n’arrive à s’en relever. Cette sensation oppressante qui te faire penser que tu vas en crever. T’es pas en train de gerber, tout ne vrille pas dans ton crâne de la même manière, tes cellules ne semblent pas toutes exploser dans un hurlement de douleur comme si on les arrachait les unes après les autres pour te faire tendre vers ce truc qui sature tout le reste. C’est faux, et tu le sais. Tu n’es pas en manque. Donc tu peux lutter, pas besoin d’être enfermé entre quatre murs pour t’en remettre.
Etait-ce une part de sa vie ? Oui.
Tu veux revivre ça ? Non.

Les mots ont un sens. Les choix aussi.

« Je l’ai jetée. »

La voix était affirmée, comme s’il n’y avait que ça, dans tout ce bordel, qui soit certain pour lui. Doucement, malgré ses faiblesses, malgré le creux de la vague, Takuma retrouvait cette certitude. D’autres y verraient l’affirmation illusoire d’un idiot se voilant la face. D’autres une force. La vie n’est qu’une question de regard… enfant, le sien était acide, le traînant alors avec violence sur la pente de la dépression. De la désespérance. Il ne voyait que désespoir, violence et lassitude d’un monde qui lui semblait déjà à bout de course. Qu’importe son âge, la façon dont le petit garçon avait d’observer ce qui l’entourait l’amenait à penser très simplement « à quoi bon ? ». Il avait fallu luter, profondément, pour cesser de penser ainsi, pour se forcer à être l’autre, celui qui décidait de laisser le négatif, de profiter de l’instant présent. Et s’il n’y avait que duperie au début, son regard avait changé à présent.

Alors peut-être réussirait-il à présent à être de la seconde catégorie. Ceux dont le cynisme ne les amènerait pas dans la tombe.

« Sacrément cliché oui. »

Ne pas être ce cliché sale et éculé du camé qui retombe dans sa merde à chaque coup du sort. Takuma passait une main dans ses cheveux bleutés, inspirant profondément, repoussant encore et toujours les assauts de celle qui dans ses veines, se foutait de ses préoccupations rhétoriques.

« Sanae. Et ne me remercie pas, la soirée n’est pas encore terminée. On sait tous les deux qu’une minute à l’autre la direction pourrait changer. »

L’ancien Serdaigle se contenta d’un petit sourire étrangement doux mais ferme. Oui, il le savait. Mais non, ça n’arriverait pas. ça se calmait, comme un sursaut dans les profondeur, une façon de frapper le fond pour remonter à la surface à chaque fois qu’il s’en approchait trop. Un jour, peut-être, réussirait-il à se débarrasser des boulets qu’il avait aux pieds, mais pour l’heure, il prenait le rythme. Fatigué de se battre, Takuma continuait pourtant son apnée, respirait au moment où il le fallait. Sans doute finirait-il par craquer, oui. Mais pour l’heure, il restait celui qui nageait vers la lumière avec la pugnacité de la mule qu’il avait toujours été. S’il y avait bien quelque chose pour lequel ses parents avaient vu juste… c’était ça.

« J’suis nouvelle consommatrice mais on dirait que y a pas trop d’espoir pour les gens comme nous, hein ? »

L’Espoir, oui. Ce trait de lumière dont elle vantait les mérites auprès des Rivers et qui s’éteignait à présent chez elle, trop épuisée par l’acharnement des coups portés. Mais lorsqu’on est dans les profondeurs, l’éclat de lumière est justement ce qui nous permet de retrouver le chemin de la surface.

La réflexion lui faisait l’effet d’un coup de lame entre les cotes, le faisant serrer les mâchoires, conscient que tout en lui grondait à entendre ces mots. Par lassitude, par envie de la croire, de laisser ce désespoir fermer toutes les portes comme il l’avait déjà fait tant de fois. Mais par résistance aussi. Par ce petit truc qu’il portait comme un trésor en lui. Le refus d’être encore cette personne qui n’avait rien appris de ce que les autres pouvaient offrir de beau.

« Si après des années à être clean on peut toujours replonger en un claquement de doigts, pourquoi on se fait chier à combattre ? Y a toujours un moment pour nous faire flancher, toujours un truc pour nous faire disjoncter... »

L’espoir, lueur faiblarde qui se trouvait parfois engloutie par la peur. Peur de l’échec, de n’être à la hauteur du monstre ignoble de l’addiction. L’espoir comme compagnon de route quant les ombres des profondeurs en faisaient pourtant vaciller la lueur.

« Je pensais pas me retrouver-là... »

Tant de souffrance dans ces quelques mots prononcés avec amertume. Tant de fatigue et de plaies à dépasser. Tant d’engourdissement sourd.
Il resta muet, se contentant de poser sur elle un regard sobre où l’humain gouttait le sel des larmes inexistantes mais partagées. Elle se vidait, se délitait dans ses propres paroles, reflet d’un épuisement complet. Sanae - puisque tel était son nom - n’en avait simplement plus la force.

Et puis, il y eu ce sursaut.
Et Takuma esquissa un sourire avant même qu’elle ne parle. Qu’importe ce qu’elle dirait, d’ailleurs. Ce qui comptait, c’était ce petit truc, ce sursaut de tout qu’elle ne notait même sans doute pas. Non, ça n’est pas le sursaut des convenances, comme tu le penses. Simplement celui de la vie.

« J’me souviens de quelques unes de tes chansons. Tu joues toujours ? »

Si. Elle en aurait la force.

« J’ai pas joué pendant des années. Je m’y suis remis récemment. »

Un instant de silence s’était emparé d’eux avant qu’il ne rajoute : « ça aide. » Comme s’il s’agissait presque d’une évidence.

Il était étrange de trouver quelqu’un qui avait pu l’écouter naguère, dans ce qui lui semblait être une vie parallèle, comme si ses existences s’entrechoquaient à présent. Agréable autant qu’angoissant, à vrai dire.. mais ça n’était pas ce qui grésillait dans ses neurones à l’instant.

L’autre comme balise vers l’espoir.

T’as le droit d’être à bout. De plus pouvoir. Avait-il dit à Enzo. Ce garçon là était celui qui ne cesserait pas de frapper le fond pour s’en éloigner. Celui pour qui l’autre constituait une simple raison de continuer à nager.

« Mon profil est pas super rassurant pour toi hein ? »

D’une main distraite, Takuma massait sa jambe, comme pour l’apaiser de cette nervosité brutale qu’il se forçait de calmer et qui s’estompait à mesure que le temps passait.

« J’étais gamin quand je m’y suis mis. ‘Pas le truc le plus intelligent que j’ai fait dans ma vie mais c’est comme ça. » Etrange, ces mots entre ses lèvres, face à une inconnue, de ceux dont il était censé se protéger, ne jamais partager ses ombres sous peine d’être happé par la Critique populaire, prête à l’envoyer droit dans ses ténèbres. « C’était avant de monter sur scène ou d’être connu. J’étais un gosse… j’ai appris à me construire sur cette merde. » Son histoire. Mais pas dans le but égoïste de l’évoquer quand, bien au contraire, elle lui cramait la gorge. «  C’est pas ton cas. Ce qui est pour moi un refuge débile mais réflexe n’est qu’une nouveauté pour toi. »

T’es pas ce chien violent qui arracherait une carotide pour qu’on lui rende son os.

« J’dis pas que ça sera simple, ça serait d’une hypocrisie crasse. Juste… projette pas ma situation sur la tienne. Regarde ; j’étais clean quand je suis monté sur scène la première fois ; j’le suis resté depuis. » Et tu sais que ça a duré un moment. Si tu connais mes musiques, alors tu peux resituer la chronologie de mes dérives. « Et c’est pas forcément le milieu le plus safe pour ça. »

Oh, il en avait eu des occasions. Qu’un gamin seul sur qui la gloire tombait d’un bloc sans vraiment le considérer dans l’histoire, il avait été tenté plus d’une fois d’oublier la pression ou de compenser ce que son corps ne pouvait gérer. S’il avait dit stop, ça avait été une façon de se protéger, une maturité surprenante qui l’avait pris du jour au lendemain. Besoin d’être quelqu’un d’autre. D’avancer. Sensation d’avoir fait le tour et de vouloir s’éloigner de tout ça.
En partie pour ne pas devenir comme certains d’entre eux.

« Y’aura toujours des trucs qui te prennent par surprise et t’y ramènent, c’est vrai. Des trucs cons parfois, où tu te rends compte qu’une rupture te fracasse plus la gueule qu’un pote qui te propose un shoot entre deux tournées. » Pas une seconde Takuma n’imaginait à quel point cette réflexion se chargeait d’une ironie certaine. « On se replie pas toujours dans ce qu’il faut. C’est qu’une histoire de réflexes. C’est con mais ça passe. Si on tient ça passe. »

L’espoir.
Parce que là où tu t’épuises, lui en est pétri.
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
Mar 5 Oct 2021 - 22:27


Elle n’avait pas prévu d’être ici, non. Elle aurait pu se retrouver ailleurs, contempler le plafond de sa chambre, se vautrer dans le canapé de son salon, l’esprit fermé et le coeur en vrac, mais elle n’avait pas résisté à cette porte qui s’ouvrait si facilement sur toutes les tentations extérieures. Elle se raisonnait, souvent, en se disant que le lendemain, elle travaillait, on avait besoin d’elle, il fallait qu’elle assure, qu’elle apaise les souffrances des autres dans les couloirs blancs de cet hôpital ; mais ce soir, rien n’aurait pu apaiser sa souffrance à elle. Elle était grande, imperméable à la raison. Elle écrasait l’espoir, le diminuait jusqu’à ce qu’il ne soit plus visible à l’horizon. Noir complet. Le rideau était tiré. Il n’y avait plus qu’elle et le manque, qu’elle et l’absence. Et elle ne savait laquelle était la plus douloureuse en cet instant. Tout ce qu’elle savait, c’était qu’elle n’avait plus cherché à lutter. Elle avait laissé la laisse la tirer jusqu’à la main ferme de sa Maîtresse. Alors l’envie éraflait chaque parcelle de sa peau, elle la sentait dans sa nuque, sur ses omoplates, au creux de son dos, dans sa gorge, griffant son organisme. Mais quand il avait surgi, là dans cette ruelle comme une figure du passé, presque irréelle puisque depuis toujours inaccessible, une voix dans l’atmosphère et parvenait jusqu’à elle, son attention s’était portée sur lui. Aucune idée du pourquoi. Juste un sursaut.

Tout comme celui qu’elle avait eu alors qu’elle détachait ses yeux de la vitre qui donnait sur la rue. Brusquement, elle revenait sur cette tasse de café, sur le visage de ce chanteur d’autrefois qui était de son pays, parlait sa langue maternelle. Et elle raccrochait à un semblant de conversation, une question presque idiote, banale.

« J’ai pas joué pendant des années. Je m’y suis remis récemment…ça aide»

Est-ce que ça aidait vraiment ? Elle se souvenait avoir usé de tant de distractions quand elle voulait retarder ses crises ; pas une seule activité n’avait été oubliée et rien n’avait réellement fonctionné. Ou plutôt oui, elles avaient retardé l’échéance sans la faire disparaître. Alors, cynique, elle hochait la tête en silence, les lèvres au bord de la tasse fumante. Elle le voyait sans le voir. Ses prunelles sombres ne remarquaient chez lui que le reflet qu’il renvoyait. Peut-être n’existait-il pas vraiment d’ailleurs ; ou peut-être que cet instant était plus vrai que bien d’autres. A nu, les deux sorciers se montraient dans une vulnérabilité qu’ils devaient peu montrer ; celle de l’addiction, harassante, qui pouvait faire si honte.

« Mon profil est pas super rassurant pour toi hein ? » Elle eut un souffle amusé en reposant sa tête, les coudes sur la table en croisant les bras sur son corps, ses mains attrapant ses épaules. Et lui, il passait une main sous la table sur sa jambe qu’elle ne sentit plus bouger. C’était drôle, tous ces gestes qui les trahissaient. « J’ai pas encore décidé. » dit-elle en le fixant.

Pas encore décidé si cette rencontre était une bonne ou une mauvaise surprise.
Sans doute serait-ce ce qu’ils en feraient...

« J’étais gamin quand je m’y suis mis. ‘Pas le truc le plus intelligent que j’ai fait dans ma vie mais c’est comme ça. » Elle l’écoutait, le menton bas, son regard relevé vers lui. Qui avait mis cette chose entre les mains d’un gosse ? Les plaies les plus terribles venaient-elles toujours de l’enfance ? Indélébiles. « C’était avant de monter sur scène ou d’être connu. J’étais un gosse… j’ai appris à me construire sur cette merde. » Il s’était construit sur ça...sur un truc qui avait fini par lui pourrir la vie, par le changer, par le façonner d’une certaine manière jusque dans son organisme et maintenant, il luttait contre cette chose qui l’avait accompagné durant des années...«  C’est pas ton cas. Ce qui est pour moi un refuge débile mais réflexe n’est qu’une nouveauté pour toi. »

Elle ne sut pourquoi mais une vague violente la percuta. Ses paupières clignèrent plusieurs fois, lentement, chassant l’humidité qui menaçait de s’écouler d’elle comme du sang salé. Son estomac parut se tordre si brutalement qu’elle manqua plusieurs respirations. Il s’était construit sur cette merde...et elle ? Elle, elle s’était construite sur un père qui n’était plus. Elle s’était façonnée sur lui. Il avait été son refuge. Tout l’objet de son attention. Son précepteur. Son sauveur. Le coeur de tout son monde. Hors d’atteinte. Aucun marchand ne pouvait lui vendre cette dose-là. Elle n’existait plus. Et quand enfin, elle se reconstruisait sur d’autres liens, élaborant un lien mental si fort qu’il bousculait tout et se découvrant pour la première fois entre les bras d’une femme qu’elle admirait autant qu’elle aimait, tout s’éclatait au sol.  Quand est-ce que ça s’arrêterait ? Quand est-ce qu’elle ne sentirait plus ce sentiment de ballottement qui lui donnait la nausée ? Mais cette femme, qu’elle semblait avoir perdue, était toujours là quelque part ; inaccessible, piégée dans une rage à laquelle la sorcière ne pouvait se confronter, mais bien là, bien vivante… Et le manque s’écoulait comme de la lave, rejoignant plusieurs sillons, enflammant les crevasses.

Si les drogues poudreuses et liquides étaient nouvelles, tout le reste semblait trop familier. Et une seule pensée la percutait.

Ma drogue n’existe plus.

C’était à travers les mots sincères de Takuma qu’elle le comprenait soudain. L’effet miroir continuait à la marteler.

« J’dis pas que ça sera simple, ça serait d’une hypocrisie crasse. Juste… projette pas ma situation sur la tienne. Regarde ; j’étais clean quand je suis monté sur scène la première fois ; j’le suis resté depuis. » Elle déglutit, croisant les bras plus bas sur sa poitrine, relâchant ses épaules crispées pour se redresser.  « Et c’est pas forcément le milieu le plus safe pour ça. » Il y avait mieux que la scène pour se protéger, c’était certain. Elle se souvenait de quelques musiques, de quelques paroles, de maux qui avaient résonné en elle. Ce soir, elle avait l’occasion d’en approcher la source.

« Y’aura toujours des trucs qui te prennent par surprise et t’y ramènent, c’est vrai. Des trucs cons parfois, où tu te rends compte qu’une rupture te fracasse plus la gueule qu’un pote qui te propose un shoot entre deux tournées. » Savait-il à quel point il touchait une corde sensible ? Des cordes. Ouais, ça fracasse la gueule contre le bitume. Et lui, il y répondait par le cassure d’une seringue. L’addiction voulait le briser et il tentait de la briser en retour. Il rendait les coups. Et elle, elle avait honte alors de ne pas le faire. « On se replie pas toujours dans ce qu’il faut. C’est qu’une histoire de réflexes. C’est con mais ça passe. Si on tient ça passe. » Elle passa quelques doigts sur sa bouche, tournant légèrement la tête pour éviter son regard.

Si on tient, ça passe.

Elle se racla la gorge et parla par-delà les doigts apposés sur ses lèvres.
Elle ne le regardait pas.

« Des fois, j’ai l’impression d’être entourée de gens qui ont eu tout ce que je n’avais pas petite. J’les regarde et j’trouve ça injuste de voir à quel point ils ont bien démarré dans la vie et qu’ils doivent pas lutter tous les jours. » Un souffle, une respiration. Elle posa ses prunelles sur lui.« Et puis, je me rends compte que y a pas mal de gens qui ont eu une enfance de merde. C’est juste qu’il faut les trouver. » Sa main rejoignit la table. Elle tenta un sourire en coin. « Sympa la carrière hein. Pas de quoi faire rêver. » Un instant de pause. Elle soupira en entourant sa tasse de ses mains. « Je sais que tu as raison...faut tenir et ça passe. J’suis juste pas sûre d’avoir l’énergie pour tenir tous les jours. Pourtant, j’suis sacrément têtue mais j’crois que ce truc...ce truc l’est encore plus que moi. Ca s’accroche et j’ai l’impression que plus je me débats, moins j’y arrive. Quand ça se calme, je me dis que c’est bon, c’est passé, je relâche ma garde et ça fout au sol d’un seul coup parce que c’est vrai...y a des trucs qui prennent par surprise. » Son regard rejoignit le vide. « Et...c’est terriblement tentant...juste une seconde...de tout relâcher...d’arrêter de lutter. » Ses mains se plantèrent dans ses cheveux. « Mais je sais hein...je sais ce qu’il faut faire dans ces cas-là...y a des gens que j’pourrais appeler, qui m’aideraient s’ils savaient à quel point ça tape fort...Sauf que... » Elle déglutit à nouveau, fronçant le nez. «...j’ai pas envie de voir ce truc dans leurs yeux. Ce truc qui mélange de la compassion, de la pitié, de l’inquiétude et de la déception. Parce que la vérité, c’est qu’ils se rendent compte à ce moment-là que j’suis pas plus forte qu’un petit sachet de merde ou qu’une bouteille. C’est l’combat le plus con du monde. Moi contre cette merde...c’est tout petit, ça tient dans les mains et ça arrive quand même à me pourrir la vie. »

Elle savait pourtant que ces personnes-là l’aimaient, même ceux qui ne le disaient pas avec des mots. Mais elle n’y arrivait pas, à le dire à voix haute : « Aide-moi. », « J’y arrive pas aujourd’hui. », « Je sens que j’vais craquer. ». Impossible. Elle redoutait trop leur déception, la réalisation évidente qu’elle n’était pas assez forte et la honte emportait tout. Alors finalement, c’était vers un inconnu qu’elle se tournait avec un regard plus timide.

« Tu veux bien rester jusqu’à ce que ça passe ? »
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Ven 8 Oct 2021 - 20:35
T’as vécu combien de vies dis-moi ?

Ces mots-là étaient si justes qu’il lui semblait par moment ne pas savoir comment y répondre. Qui était-il ? Il lui semblait s’être réinventé tant de fois qu’il ne savait plus vraiment à quel moment il mentait ou non. A quel moment il correspondait à une vision qu’on attendait de lui ou bien au contraire à celle qu’il voulait lui-même projeter. Cet enfant à Poudlard, tout joyeux de ce que la vie lui apportait, qu’importent les coups et les violences, celui qui était heureux de tout… c’était simplement la projection de celui qu’il pensait avoir pu être s’il était seulement né… béta. Différent. Petit, il l’avait compris très vite. Il pensait différemment des autres, plus vite, certes, mais pas seulement. Différemment. L’enfant ne portait pas son attention sur les mêmes choses, centres d’intérêt ou seulement réflexions, détails. Alors il notait ce que d’autres ignoraient, s’interrogeait, se plongeait à cœur perdu là-dedans… sans voir ce que les autres trouvaient normal. Il passait à côté. Des évidences, bien sûr, mais surtout des autres. Des liens, des rires, des codes. Ça ne s’était apaisé que lorsqu’il s’était mis à faire le pitre. En cet instant, c’était tout ce qui comptait. Être accepté. Être entier quitte à ne pas tout à fait être soi. Quitte à ne pas tout à fait comprendre. Oublier qu’on est différent mais l’être quand même. Quitte à perdre le reste. Ce qu’il s’était passé.
Pas assez, trop différent, ingérable, source d’emmerdes.

Et pour toi, j’suis quoi ?

« J’ai pas encore décidé. »

Un petit sourire sur ses lèvres à l’honnêteté de cette réponse.

Tu sais ce qui est drôle Takuma ? C’est que cet éclat, cet effet miroir, il se trouve probablement autant dans les fracas des deux adultes que dans les pensées des deux enfants.  

Pas assez, trop différent, ingérable, source d’emmerdes.

Moeru. S’il y avait bien une seule chose qu’il n’avait jamais voulu cramer c’était bien les gens. Ceux dont la surface était si rugueuse, ébréchée. Ceux qu’il fallait seulement apprendre à entendre comme il ne savait pas le faire enfant. Trop fougueux, trop vif, il comprenait alors trop tard, comme en décalé avec le monde. Là où Sanae en savait trop, il ne comprenait pas assez, lui, le petit géni. Et puis le lien s’était tissé, doucement, à son rythme jusqu’à l’évidence. Comprendre le monde qui s’effondre, c’est aussi en voir les acteurs. Savoir pourquoi les tremblements en ébranlent les fondations. Alors seulement tout se mettait à avoir un sens, un intérêt. Une raison de se battre aussi. Comprendre les gens. Être là. Au fil du temps, Poudlard avait noué ces liens qui faisaient aujourd’hui ce qu’il était. C’était ça, finalement, ce qu’il cherchait. S’accepter en entier, y compris le gamin paumé qui un jour s’était vu proposé une pilule à l’allure si banale qu’il n’avait pas compris les risques. Ou peut-être que si. Peut-être qu’il s’en foutait, qu’il ne mesurait pas, qu’il ne projetait pas tout à fait. De nouveau, le gamin trop malin ne l’était pas assez. Le tout et le contraire. Le trop et le pas assez.

Ne dis pas qui tu es, d’où tu viens.

Takuma s’était souvent demandé s’il parlait de la fortune parentale ou de la rue. Qu’importe, il avait honte des deux, n’en avait jamais exprimé l’existence que récemment, auprès de personnes de confiance. Alors pourquoi elle ? Pourquoi risquer de se dévoiler ainsi sur un  terrain qu’il avait déjà bien trop exposé ? Pour cet élan. Et parce qu’il aimait et respectait trop les gens.

Moeru. Une part de lui crame la vie. L’autre souffle les braises pour les rallumer. Et le dernier écoute le chuintement des flammes qui s’éteignent sous l’eau versée.

Parce qu’il ne savait pas trop lequel il était en cet instant, mais qu’il aurait aimé apaiser les brûlures de la vie sans savoir si ses mots étaient justes. Ils faisaient mouche, ça il en était certain. Elle se tendait, se prenait des coups dont les sons seuls connaissaient la portée. En bon ? En pire ?

Du coup, j’suis quoi pour toi ?

Il continuait, elle forçait ses tensions à se détendre quand les mots se portaient sur sa vie à lui, soulagée, peut-être, qu’il cesse de remuer ce qu’il balançait sans vraiment le mesurer. Encore cette histoire de mesure. Elle abaissait le bouclier de ses bras, déglutissait la portée de ses mots et écoutait encore en silence ces mots qu’il s’était si souvent adressé.

Si tu tiens, ça passe.

Peut-être idiot. Peut-être imparfait ou simplement à côté. Mais c’était là son mantra.

Un instant, la jeune femme ne répondit pas, passant ses doigts jusqu’à ses lèvres, détournant le regard sans qu’il ne lui impose le sien, respectant la distance proposée plus qu’imposée autant que cette main qui retenait un instant les siens, de mots. De maux peut-être.

« Des fois, j’ai l’impression d’être entourée de gens qui ont eu tout ce que je n’avais pas petite. J’les regarde et j’trouve ça injuste de voir à quel point ils ont bien démarré dans la vie et qu’ils doivent pas lutter tous les jours. »

Il avait bien démarré dans la vie. Avait gâché sa chance. Voilà les mots qui percutèrent ses pensées alors même qu’elle prononçait ceux-ci. Injuste ? Peut-être. On aurait dû lui laisser une chance. Peut-être plus d’une, qu’importe ! Il n’était qu’un gamin pas tout à fait adapté, pas tout à fait légitime. Dans une famille pas tout à fait assez armée pour savoir gérer ça.
C’est amusant non ? Nos malédictions siègent dans nos cerveaux.
Et puis, l’égoïste de la honte, des blessures réflexes laissait la place au reste.

C’est quoi, toi, ta croix ?
Qu’est-ce qu’ils avaient, eux, que tu n’avais pas ?

La naïveté. La liberté. Le choix peut-être ? L’amour ?
Des réponses réflexes. Les siennes. Des réponses d’enfant.

Et c’était bien l’enfant qu’il percevait chez elle alors qu’il détournait le regard de l’adulte, probablement honteux de ce qu’il avait eu et gâché. Pourtant l’esprit allait bien vers elle, vers l’enfant qu’il aurait aimé soutenir, aimer, rassurer.

C’est peut-être ça le premier pas. Quelque part au fond de toi, ce gosse d’hier est toujours là. Ne pensez-vous pas tout deux qu’il s’agirait déjà de lui pardonner ses faux pas pour le remettre à sa place, celle d’un gosse qui n’avait rien demandé et avait manqué de tout ?

« Et puis, je me rends compte que y a pas mal de gens qui ont eu une enfance de merde. C’est juste qu’il faut les trouver. » Un petit souffle amusé passait sur ses lèvres amères de l’enfance écoulée. Pourtant s’il mettait un léger temps, Takuma retrouva son regard à son tour, étonné de découvrir la tentative maigre d’un sourire sur le visage de la femme. Un sourire. Le premier. Il sourit en retour, doux, étrangement affecté par cet élan de complicité. Du moins de partage.

« Sympa la carrière hein. Pas de quoi faire rêver. » Cette fois, le souffle fut plus affirmé, laissant passé le raclement bref d’un rire écourté.
« J’ai pourtant donné mon max. ça aurait fait fureur aux US. » Le drogué qui sort de la rue et fini dans la lumière des projecteurs. Hey, si c’est pas cliché ça ! Ça vaudrait presque un film tient. Que du recul, un brin de dédain, peut-être une part de fierté mal assumée. Certainement pas de vanité.

Un instant, le silence s’insinua de nouveau, plus doux cette fois, comme s’il s’étendait à présent entre eux sans une once d’affrontement.

« Je sais que tu as raison...faut tenir et ça passe. J’suis juste pas sûre d’avoir l’énergie pour tenir tous les jours. Pourtant, j’suis sacrément têtue mais j’crois que ce truc...ce truc l’est encore plus que moi. Ca s’accroche et j’ai l’impression que plus je me débats, moins j’y arrive. Quand ça se calme, je me dis que c’est bon, c’est passé, je relâche ma garde et ça fout au sol d’un seul coup parce que c’est vrai...y a des trucs qui prennent par surprise. »

Ça crisse, comme une craie sur un tableau, un piolet dans la glace, un embrayage mal huilé. Elle se confiait et cette ouverture soudaine dont le sourire avait été la porte d’entrée était une bonne chose, traçant le lien de l’honnêteté entre les deux victimes, vulnérables, d’un même despote. Ces mots résonnaient comme la grêle en lui, martelait ses cordes sensibles et frappaient sa volonté. Sans même y songer, cette main qui massait sa jambe se mit à y tracer des sons, jouant sur des cordes imaginaires, tapant le vide sans toucher de surface. Les sonorités n’irriteraient personne, elles n’étaient là que pour lui, glissant dans son cerveau comme un chemin de ronde, une entrée plus facile, une distraction autant qu’une échappatoire. Il en avait des activités, s’était plongé à cœur perdu dans bien des disciplines, des études, des sujets, passant d’obsessions en obsessions, de passions en passions, accumulant des litres de connaissances dans le fond de ses neurones exultés. Pourtant ça… ça c’était autre chose. Même processus, ressentis différent. Il y avait une évidence dans la musique qu’il ne s’expliquait pas et pour laquelle il ne cherchait d’explication, d’ailleurs. C’était là. Ça traçait seulement d’autres chemins dans le monde inexistant des solutions. Ça combattait le son strident, les crissements, les martellements. C’était là parce que ça avait un sens, bien qu’il ne puisse le déchiffrer. Sa première addiction était la connaissance. Peut-être était-il normal qu’il se plonge dans le mystique pour combattre celle qui risquait de le tuer. Sa religion à lui. Ses évidences et ses non sens.

« Et...c’est terriblement tentant...juste une seconde...de tout relâcher...d’arrêter de lutter. »

Ça crache, ça lutte. Et les doigts accélèrent sur sa jambe, tracent les monts et les vallées d’une mélodie inconnue.

Alors du coup ? Ça marche ?

Il sortait de sa propre douleur égoïste, posait les yeux sur celle qui luttait de concert, les mains plantées dans ses cheveux comme si elle cherchait quelque chose de concret auquel se raccrocher.

Oui. Ça marche. Sinon l’autre ne saurait exister.

« Mais je sais hein...je sais ce qu’il faut faire dans ces cas-là...y a des gens que j’pourrais appeler, qui m’aideraient s’ils savaient à quel point ça tape fort...Sauf que... » Sauf que tu peux pas. Pas plus que je n’ai envoyé ce foutu texto à Enzo. Pas plus que je n’ai appelé à l’aide. Dire que je ne savais pas qui appeler serait hypocrite et mensonger. Les tiens savent, sans doute, je le devine. Pas les miens. Pourtant ils seraient venus, tous, je le sais. Ils auraient eu les mots, j’aurais eu le soutien. Mais aujourd’hui comme hier c’est seul que j’affronte mes démons. Tu sais pourquoi.  «...j’ai pas envie de voir ce truc dans leurs yeux. Ce truc qui mélange de la compassion, de la pitié, de l’inquiétude et de la déception. Parce que la vérité, c’est qu’ils se rendent compte à ce moment-là que j’suis pas plus forte qu’un petit sachet de merde ou qu’une bouteille. C’est l’combat le plus con du monde. Moi contre cette merde...c’est tout petit, ça tient dans les mains et ça arrive quand même à me pourrir la vie. »

Ces mots lui parvenaient comme des coups miroirs, des échos criés aux flans d’une montagne qui se réverbéraient sur chaque drogué du coin.  Lui comme un autre, ensemble d’un tout, d’une masse informe et anonyme qui ne pouvait avoir d’individualité tant qu’elle serait couverte de neige.

C’est vrai qu’il est con ce combat. T’affronte des trucs dans la vie, bien plus grands que toi, ingérables, lointains, massifs. Et pourtant c’est ce petit truc qui te fout à terre.

Il laissait en silence son regard tracer les mots qu’il ne prononçait pas. Cette compréhension muette, ce lien qui sous-entendait qu’il savait, qu’il vivait la même chose, qu’ils étaient lacérés des mêmes plaies sans savoir s’en défaire tout à fait. Qu’il était là, en fait, pour tous ceux qu’elle n’avait pas appelés, il y avait un inconnu au détour d’une ruelle, qui comprendrait. Et qui n’appellerait pas les siens pour les mêmes raisons.

Oui Lyn’, je t’appellerai si ça va pas. Avait-il dit, le pensant sans doute sincèrement à ce moment-là. Sauf qu’il n’avait encore jamais fait le choix conscient d’en parler, de partager ça, d’appeler à l’aide. Enzo avait été à deux doigts de recevoir ce message, mais il y avait renoncé. L’idée faisait son chemin, plus doucement, plus réellement. Pas un appel à l’aide, plus que ça. L’entrée consciente dans une vulnérabilité qu’il n’avait partagée volontairement avec personne. Ça viendrait,  en temps et en heures, lorsqu’il serait prêt. Lorsqu’ils le seraient tous deux d’ailleurs sans doute. En attendant, c’était son poids, sa plaie. Ce truc qu’il voulait gérer seul comme ce qu’il faisait depuis des années.

Et toi ? Tu veux être seule face à ça ?

Son regard changeait, moins distant, moins chargé de toutes ces barrières derrière lesquelles on se réfugie. La porte entrouverte lui sautait au regard avant qu’elle ne prononce ces quelques mots.
Les doigts sur sa cuisse s’apaisaient, la mélodie vive se chargeait de douceur.

« Tu veux bien rester jusqu’à ce que ça passe ? »

Comme son sourire.

« Evidemment oui. » Parfois, t’as juste envie de prendre la main de l’enfant que tu étais pour lui souffler à l’oreille : ‘tu vois. J’te l’avais dit que l’humain sait être beau si on lui donne sa chance. Il y a quelque chose à en faire, de ce monde de merde. Quelque chose à y vivre.’ « Avec plaisir. » La précision était naturelle, rappelant qu’il n’y avait là aucune obligation dictée par le bon sens ou la bienséance, pourtant si importante dans leur culture commune.

Les notes aux sons ronds que personne n’entendaient sonnaient en douceur, enveloppant ses paies d’un miel aux reflets de chaleur.

Le silence s’était fait quelques temps, tandis que Takuma réfléchissait à ce qu’elle lui avait dit, partageant un temps de calme mutique qui ne se chargeait que d’un partage aux accents lourds d’une addiction partagée. Et puis Takuma repris la parole, la désignant du bout du menton.

« T’es musclée. Tu dois être sportive. » Pas vraiment le genre de choses qui se disent dans leur pays, surtout pas à une inconnue, mais non seulement Takuma estimait qu’ils avaient dépassé ça, mais il avait surtout toujours été du genre cash à passer au dessus des règles de bienséance parfaitement dictées qu’on lui avait apprises. « A mes yeux c’est un peu comme la première fois qu’on atteint complètement nos limites. On a l’impression d’avoir de la lave dans nos veines, que nos poumons vous exploser et que si on fait un pas de plus, tout risque de s’effondrer et on va crever. Et souvent, pris par l’inertie, on le fait, ce pas de trop. Et on crève pas. Au fil des entraînements, on s’y fait, simplement. La douleur et la panique physique deviennent familières et on apprend à les gérer. Les accepter. C’est un peu ça. Si je le prends simplement comme ça c’est plus simple. C’est juste un jour comme un autre. Il passera comme un autre. »

Petit à petit. Prendre chaque heure pour ce qu’elle est sans projeter l’horreur d’un avenir incertain. Avoir le détachement de savoir qu’on ne peut contrôler la situation et accepter que l’échec commence parfois bien avant la chute.

Un accord sous ses doigts, une corde qui vibrait pour apaiser la seconde, et un sourire las sur ses lèvres qui exultaient un souffle cynique.

« C’est surtout le combat le plus hypocrite du monde. Il se fait passer pour ce qu’il n’est pas : un truc con. »

A un moment c’est contre ça, c’est vrai,  que tu te bats. Contre les alliances chimiques qui se sont réalisées contre ton gré entre une petite pilule et les synapses qui relient tes neurones entre eux. A un moment c’est ça. Peut-être au début, peut-être après. Mais dans le fond, c’est à nous-mêmes qu’on survit. A nos blessures, nos chagrins, nos fêlures. A ces trucs qui s’ouvrent un peu plus violemment à chaque coup qu’on n’arrive pas à esquiver. Alors les plaies s’ouvrent, les failles s’agrandissent et laissent passer la saveur sucrée de cette possibilité douçâtre d’échapper à tout ça. On est juste les cons qui ont eu accès au paradis sans comprendre tout ce suite qu’il s’agit de l’enfer. Les liens qui nous y entraînent, ça ressemble à ces merdes, mais ça n’est pas.
Tu bouffes un manque. Moi aussi. Mais c’est pas celui de la dope, c’est bien plus profond que ça.
C'est de ce combat dont il s'agit.
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
Lun 18 Oct 2021 - 0:03

« To whom do I owe the biggest apology ?
No one’s been crueller than I’ve been to me. »
Alanis Morissette



Aucun d’eux n’auraient pu se tourner vers les autres pour demander de l’aide. Ils ne pouvaient pourtant pas se cacher derrière l’excuse de n’avoir personne ; ou peut-être, lui, était profondément seul. Mais elle, il lui semblait qu’elle était plus entourée que jamais auparavant. La petite fille solitaire qui s’était gardée de se mêler aux autres enfants, qui avait décidé que la foule serait son ennemie, mais qui s’était intérieurement mordue les doigts de n’avoir pas d’amis, pas d’autres enfants à part Kezabel pour jouer, pour parler, pour apprendre ensemble, n’avait jamais au autant de monde autour. Aujourd’hui, si elle était entourée, elle ne voyait que dans les regards qu’on portait sur elle qu’une attente interminable et pressante. Et elle savait, au fond, que cette attente dans leurs yeux n’existait pas. Elle l’inventait, la transférait de ses propres démons pour en projeter les ombres dans leurs prunelles. Il y avait de l’affection dans leurs regards, de l’inquiétude aussi souvent, mais ils ne réclamaient pas qu’elle se trouve en un jour, ou par hasard ; ils ne demandaient pas à ce qu’elle réussisse du premier coup, qu’elle s’apaise dans une seule respiration. Sans doute ne demandaient-ils rien, ces autres si attentifs à son existence et qui supportaient déjà trop en plus de leurs propres souffrances.

Mais c’était leur affection qui la pressait. C’était l’inquiétude et l’attention qu’ils lui portaient qui inspiraient toute son impatience. Elle aurait aimé se trouver ne serait-ce que pour eux, pour qu’ils puissent être sûrs de celle qu’ils aimaient, sûrs de ce pour quoi ils subissaient les bourrasques. Alors dans tout ce tumulte, l’addiction ressemblait à un dernier clou dans son cercueil. L’énième chose sur laquelle elle avait échouée et qui s’empilait sur tant de couches qu’elle ne les comptait plus. Comme si son être s’était dit « Oh, au point où on en est, rajoutons cela à la liste. »…

Oui, rajoutons ça dans le grand gouffre de mes échecs.

Ça, et sa relation avec Margo. Pourquoi avait-il fallu qu’elle ne dise rien ? Pourquoi avait-il fallu qu’elle occulte le désastre dont elle avait pourtant vu les contours se dessiner ? Il lui semblait que deux mondes s’étaient rejoint trop vite, trop brusquement, et que l’espace qui les avait maintenus séparés avait explosé en même temps que la rage de Margo. Et elle, au milieu de ces deux piliers qui s’étaient formés dans sa vie, ne savait plus se positionner. Parler de Margo à Logan ressemblait à une trahison. Voilà pourquoi elle s’était tût sur le sujet, dans une dernière tentative de cloisonner ses deux pans de son existence. Et parler de Logan à Margo aurait été une mission suicide...un calvaire pour la blonde qui avait demandé à ne rien savoir. Pourtant, tisser des liens entre ces deux mondes aurait sans doute pu la sauver de la catastrophe. Mais elle n’avait pas su faire, n’avait fait que profiter du calme avant la tempête.

Et la tempête désormais se jouait dans tout son organisme au supplice de ne pouvoir s’en extraire. S’extraire de la réalité, s’échapper des sensations désagréables par une euphorie vive et chimique qui agissait si rapidement qu’elle en était réconfortante.

Elle avait oublié que ce qui était réconfortant, c’était le lien qu’on créait avec les autres. Et c’était ce que Takuma venait lui rappeler ce soir. Ils se confiaient tous deux, se débarrassant lentement de la méfiance et de l’impression désagréable d’être vus dans un moment de vulnérabilité et de honte qui leur martelait la poitrine. Alors ils se dévoilaient un peu plus par les mots, tissaient quelque chose dans la douleur du manque, parce qu’après tout ainsi réunis au pied du mur, ils n’avaient que ça à faire. Parler. Attendre.

« J’ai pourtant donné mon max. ça aurait fait fureur aux US. » Un souffle amusé passa les lèvres de Sanae. La boule dans sa gorge se déliait à mesure que la méfiance se dissipait, et l’agressivité avec. L’humour faisait des miracles parfois, même dans des situations désespérées.

Il y eut un instant de silence reposant entre eux. Ça lui venait doucement, cette envie de parler, de laisser les mots déborder. Tout ce qu’elle avait dit de son addiction, c’était qu’elle avait abusé à Paris, qu’il fallait qu’elle coupe tout, qu’elle avait les choses en mains, qu’elle y arriverait et qu’il fallait pas s’inquiéter. Face à Margo et Kezabel, la sorcière n’avait pas osé dire à quel point le manque lui sciait les nerfs. Elles l’avaient deviné, sûrement, comme l’on devine les stigmates du deuil et de la souffrance. Et putain, qu’est-ce que c’était con de pas dire à quel point ils luttaient, à quel point ils avaient peur d’échouer. Elle faisait comme son colocataire, à lécher ses plaies dans un coin sans rien demander à personne, sans dire à quel point ça faisait mal parce qu’en vérité, ils en étaient incapables. Incapables trop souvent de parler de leurs maux. Alors si elle lui en voulait parfois de ne pas partager ses peines, elle-même n’était pas mieux quand il fallait que sa douleur passe la porte de ses lèvres.

Sans doute y avait-il quelque chose d’injuste à ce qu’elle se confie mieux à un inconnu. Quelque chose d’ingrat là, qu’elle ressentait comme un picotement lointain. Sauf que cet inconnu, là devant elle si ouvertement honnête, était sûrement celui qui comprenait le mieux.

Alors qui d’autre en cet instant pour attendre que ça passe avec elle ?

S’il voulait bien...

« Évidemment oui. » Elle ne savait pas à quoi elle s’était attendue mais la réponse lui fit comme une décharge silencieuse en elle. A peine quelques remous à la surface, ses lèvres se plissant légèrement, quand lui acceptait ce que d’autres n’auraient pu avec autant d’intérêt. « Avec plaisir. » Évidemment. Avec plaisir. Des mots bien ordinaires qu’on disait davantage par convenance. Mais pas ce soir. Ce soir, ils n’avaient bien de banal et ce n’était pas la politesse qui poussait l’acceptation. C’était la compréhension complice, l’humanité dans ce qu’elle avait de plus beau, de plus solidaire. Et comme toutes les choses bonnes qui pouvaient arriver à ceux qui se dépréciaient trop souvent, elle eut l’impression de ne pas le mériter.

La culpabilité de n’avoir seulement pensé une seconde l’emporter dans les limbes de l’addiction avec elle la mordit violemment. Elle déglutit et ses doigts se cherchèrent les uns les autres dans quelques mouvements nerveux, son regard retombant sur eux avant qu’elle n’articule à voix basse un « Merci. ».

Le silence revint, bienvenue. Elle respirait lentement, tentant de dénouer les nœuds de son ventre, apportant la tasse de café jusqu’à ses lèvres. L’odeur caféinée vint titiller ses narines et son regard se releva vers Takuma, captant le mouvement qu’il faisait vers elle.

« T’es musclée. Tu dois être sportive. » Quand on venait de se glisser dans une brèche aussi intime que le manque dévorant, il n’y avait plus vraiment de place pour la pudeur qui régissait toute conversation entre deux inconnus. D’ailleurs, ils n’étaient plus de vrais inconnus. De seconde en seconde, les mots et les regards décousaient leurs habits d’étrangers. « A mes yeux c’est un peu comme la première fois qu’on atteint complètement nos limites. On a l’impression d’avoir de la lave dans nos veines, que nos poumons vous exploser et que si on fait un pas de plus, tout risque de s’effondrer et on va crever. Et souvent, pris par l’inertie, on le fait, ce pas de trop. Et on crève pas. Au fil des entraînements, on s’y fait, simplement. La douleur et la panique physique deviennent familières et on apprend à les gérer. Les accepter. C’est un peu ça. Si je le prends simplement comme ça c’est plus simple. C’est juste un jour comme un autre. Il passera comme un autre. »

Elle le regarda intensément sans rien dire. Le parallèle qu’il tissait chamboulait ses souvenirs et elle revoyait tous ses entraînements, tous les sports qu’elle avait voulu apprendre, toutes les techniques de combat qui avaient réussi à canaliser un tant soit peu toute son énergie dévastatrice d’enfant en colère, toutes les activités et les défis auxquels elle avait été confrontée. Elle se souvenait de la sueur et de la douleur qu’avait engendrés chaque effort. Le corps luttait, crissait, mais l’esprit compétitif envers ses propres limites demeurait fixé sur l’objectif. La victoire était là, à portée de mains, derrière une ligne, sur le visage du vaincu, dans le sourire d’un entraîneur, dans la fierté de son père quand l’esprit se stabilisait, entrait, trouvait la faille ou contrait les attaques. Mais le manque, lui, ne lui donnait aucun horizon de victoire. Tout ce qu’il y avait après la ligne, c’était encore le manque. Toujours bien là. A jamais implanté dans son corps et son âme.

Sanae abaissa son regard sur la tasse encore fumante. Elle ne le releva qu’en remarquant le sourire sur lequel bordait une lassitude certaine et un cynisme dans le souffle amer.

« C’est surtout le combat le plus hypocrite du monde. Il se fait passer pour ce qu’il n’est pas : un truc con. »

Le souffle cynique fut partagé.
Il avait raison. Depuis toujours, ce n’était pas les choses qui étaient les plus compliquées pour les autres qui lui posaient problème. Ce n’était pas de réussir dans sa carrière de médicomage, ce n’était pas d’apprendre plusieurs langues, ce n’était pas de changer de pays. Non, c’était les choses qui paraissaient toutes petites, presque insignifiantes pour les autres, là dans les détails des relations, dans les entremêlements émotionnels. C’était se laisser aller à parler de soi avec les autres sans tenter de se représenter autrement que sous le joug de la vérité. C’était se lier à quelqu’un avec la peur tenace de l’abandon et du rejet. C’était la peur que ceux qu’elle aimait puissent réaliser qu’elle n’était pas assez forte, pas assez bonne, pas assez intelligente, pas assez belle, pas assez utile… A toutes ces peurs, à tous ses combats intérieurs, elle avait souvent récolté des paroles rassurantes, des « Pourquoi tu penses ainsi ? », « Quelle idée ! », « Tu réfléchis trop. ». Autant de mots qui tentaient de calmer des craintes comme si elles n’étaient que de petites choses qui tenaient dans la main. Une pensée, tout simplement. Lutter contre une pensée était plus dur que d’affronter un ennemi au corps à corps. Lutter contre un petit sachet l’était tout autant.

Car il avait raison, ce genre de combat était hypocrite et trompeur.

« J’avais pas vu les choses comme ça. » dit-elle dans un souffle amusé, passant une main dans ses cheveux. Elle fit un bruit de bouche et colla son dos au dossier de la chaise. « Contente que mes muscles surdimensionnés t’aient inspiré ce discours. » Elle pinça les lèvres, haussa une épaule, faussement vaniteuse avant de décocher un sourire en coin. Elle se redressa et le sourire devint amer alors que le silence retombait en même temps que sa tentative d’humour. « Tu sais que j’avais jamais rien pris dans ma vie? Je buvais l’occasionnel cocktail ou verre de vin aux anniversaires, rien de plus. Et ô grand jamais je n’aurais touché à ce genre de merde... » Ses prunelles tombèrent sur elle-même. Sa poche remplie de poison.

« Je faisais tout correctement. Tout était à sa place. J’étudiais, je travaillais, je m’entraînais, et j’avais les résultats de mes efforts. Et aujourd’hui... »
Elle eut un soupir, détournant les yeux. « Aujourd’hui, je vois plus aucune progression. Plus aucun résultat. Je vois que les échecs qui s’accumulent et j’ai personne d’autre à blâmer que moi-même. Je me reconnais plus dans le miroir et j’essaie d’échapper à tout ça en faisant encore pire… comme si, j’arrêtais pas de prendre les mauvaises décisions. Et les autres peuvent me trouver mille excuses mais moi je sais...je sais que la seule fautive, c’est moi. C’est pas ce sachet, c’est moi. Moi qui suis allée l’acheter au lieu de faire n’importe quoi d’autre. Toi, t’as jeté ta seringue. T’as eu la force de faire ça. Moi je sais que quand on quittera cet endroit, y a 99 % de chances pour que je garde cette merde chez moi et que je finisse par me la foutre dans les narines. Et peut-être que j’attendrai même pas dix minutes, peut-être que je serai même pas chez moi avant de le faire. » Elle déglutit, son regard ancré dans le sien, l’humidité bordant ses cils sans qu’elle ne puisse la réprimer. « Et... » Sa voix s’étranglait. «...je vais rentrer chez moi et faire face à quelqu’un qui attendait probablement un peu mieux, un peu plus de moi... » Sa respiration se faisait douloureuse, son ventre se tordant à chaque mot. « En m’endormant, je vais imaginer tous leurs regards déçus...Et le pire, c’est que je sais que le seul truc auquel je vais penser en conséquence de tout ça, c’est que quitte à les avoir déçu, autant en reprendre un peu de cette merde, parce que de toute façon le mal est fait. »

Le front plissé, les lèvres pincées, Sanae retenait les larmes comme elle avait toujours appris à le faire dès lors qu’elle se sentait déborder. Pourtant, elles rendaient son regard brillant et salé. Elle expira d’un seul coup, se racla la gorge et renifla.

« T’es vraiment en veine de m’avoir croisé ce soir...la vache...quelle ambiance. Je compte te payer ce café d’ailleurs, en contre partie d’absorber toute joie dans cette pièce. »
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Dim 24 Oct 2021 - 12:33
L'absinthe apporte l'oubli, mais se fait payer en migraines - Sana  D11q


Il y a toujours quelqu’un, au détour d’un chemin. Quelqu’un pour vous enfoncer ou quelqu’un pour vous relever. Quelqu’un, parfois, pour seulement attendre au calme que la crise ne passe. Pourquoi avait-il fait ça la première fois ?

‘J’peux en avoir ?’ Ces mots prononcés d’une voix de gosse.
‘Tu verras, c’est rien.’ Ceux répondus par un type qu’il voyait à ce moment-là comme un adulte autant qu’un ami.
L’erreur d’un gosse avec une voix de gosse qui se prenait pour un grand. Trop malin pour penser qu’il pouvait être simplement un parfait idiot. Et c’était bien ce qu’il en retirait à présent : le geste d’un crétin.
‘Tu vas décoller. Plus rien ne sera pareil, t’auras accès à autre chose.’ Oh oui, ce fut bien le cas.

Il y a toujours quelqu’un, un inconnu qui peut devenir à lui seul un véritable tournant dans vos vies. Un type paumé au détour d’une ruelle, une connaissance sur laquelle on ne s’est jamais vraiment penché, un patient mutique ou simplement l’inconnu dans lequel on perçoit reflet de ses échecs. C’est pour ça qu’on en est là non ? Après une suite d’échecs dont on est du moins pour beaucoup responsables. Car il l’était. Coupable d’avoir été idiot et désespéré un jour où plus rien n’avait de sens que la misère humaine et les tourments d’un gamin qui ne savait simplement plus vers qui se tourner. Il était celui qui avait provoqué tout ça. Alors bien sûr, il était plus simple d’accuser ses parents, de pointer les erreurs, de nommer des fautifs. Mais dans le fond, il était seul à s’acharner dans le mauvais sens. Seul à chercher prise en compte et soutien alors qu’il possédait déjà tout ce qui aurait dû lui suffire. Mais non, il se sentait enfermé dans une existence qu’il n’avait pas choisie, au sein d’un monde qui ne lui appartenait pas, dans un univers qui lui sautait à la gorge à chaque instant tant il lui semblait invivable. Les gens se détruisaient là dehors, par cupidité et par bêtise et lui… avait fait exactement la même chose. Se pencher sur le passé en faisait ressortir les crevasses et pourtant Takuma refusait de s’y laisser engouffrer comme une vague entre dans les creux de la roche. Trop de recul, trop d’apprentissage depuis. Apprendre, oui, comme toujours chez lui… mais non pas à comprendre la misère du monde mais sa beauté. Il s’était plongé, avide, dans quelque chose qui l’avait happé dans les ombres mais lui avait aussi fait percuter l’humanité de plein fouet. Il la revoyait, Umiko et son grand sourire. Umiko et la guitare de son frangin, assise en tailleur sur le sol, un joint entre les doigts dans une chambre trop petite aux meubles trop vieux. Umiko et ce regard pur qu’elle posait sur les gens, cette capacité qu’elle avait à simplement voir au-delà de ce que son pragmatisme de jeune ado pouvait capter.

‘Ta gueule putain, t’es pas possible ! Essaye c’est tout !’ Pas la dope. La guitare.
‘Prends-la, ta nouvelle obsession. Accepte-là. Toi t’en es capable. Tu peux faire plus. Aller plus loin. Je sais qui tu es. Et t’es pas un camé qui crèvera dans une ruelle.’

Il suffit parfois d’un regard étranger. D’une personne pivot pour que soudain, la vie prenne un nouveau tournant. Il ne serait pas cette personne, sans doute pas. Pour autant comme souvent, Takuma retraçait le fil, s’accrochait à ce qui l’avait fait sortir de là pour refuser d’y plonger de nouveau. Les mains qui tremblent, le mal de crâne, le visage exsangue aux lèvres pâles, il était là, plusieurs années plus tôt dans cette même chambre, une bassine à côté de lui, la fameuse guitare au manche abîmé contre lui. Il ne lui parvenait de cette nuit que la douleur immonde, les tremblements incessants, l’estomac retourné, oui, mais surtout la texture du bois sur sa peau nue. La caisse contre le torse, les vibrations qui semblaient agiter d’ondes ses cotes, ses poumons. Ce truc auquel il s’était accroché toute la nuit. Umiko passait, revenait, repartait. Oh, elle savait trop ce qu’un homme en manque peut faire pour oser rester. Et puis quand elle l’avait trouvé au sol, incapable de continuer, elle s’était seulement assise pour mettre son visage sur ses jambes. Rester là.

Attendre que ça passe.

« Merci. »

Qu’est-ce qu’il pouvait capter dans sa réaction si infime soit-elle ? Un plissement de lèvres, une crispation de doigts, de muscles, un souffle léger peut-être ? Et puis du repli, les doigts se cherchant, s’entremêlant, le regard fuyant vers le bas comme un enfant coupable d’une bêtise. Est-ce qu’il avait réagi comme ça aussi ? Coupable, l’enfant, d’en avoir simplement envie ? De n’être pas assez fort pour résister ? Coupable d’être soi. Oui, sans doute. Et quelque chose en lui rugissait brutalement de cette sensation depuis si longtemps internalisée. Pourquoi s’était-il mis en avant ainsi, si ça n’était pas pour affirmer qu’il ne voulait plus se sentir ainsi ? Pas tout à fait assez efficace comme technique.

Le silence avait reprit ses droits un moment sans que l’un ou l’autre n’envisage de le briser. Il avait sa place ici, tout simplement. Il soulageait les trop pleins, engloutissait les surdoses, faisait simplement tampon à ce que le vide emplissait de plaies. Peu à peu, c’était bien dans ces espaces là que se déliaient les sons, qu’ils acceptaient d’en livrer un peu plus, cette fois, volontairement. Mis au pied du mur, révélés dans ce qu’ils avaient de plus intime à cacher, ils décidaient finalement de s’apaiser pour passer à autre chose, à la possibilité moins rugueuse de faire le choix de parler, ou non, à l’autre. C’est fou, d’ailleurs, ce qu’on peut dire sur soi sans nécessairement développer sur son propre passé ou sur ses points de vus. Chez eux le rapport au corps, à l’autre, à la distance mise et nécessaire entre deux personnes n’était pas la même que celle du pays où ils se trouvaient. Il y avait là plus que de simples codes de courtoisie. Pourtant tous deux s’en détachaient à leur façon, prouvant autant l’un que l’autre leur imprégnation à la culture occidentale ou leur rapport difficile aux règles imposées. Etait-ce ça ? Deux éternels outsiders qui n’avaient jamais réellement su se conformer aux codes qui leur étaient imposés.
Les liens se faisaient par les regards, le cynisme, les avis partagés ou éloignés, les blessures similaires, les douleurs en commun. Des choses qui se transmettaient bien plus souvent dans le silence que dans le bruit, tous deux trop happés par leur tempête intérieure pour ne savoir savourer ce que le vide a à offrir.

« J’avais pas vu les choses comme ça. »

Dans ces lèvres qui se dénouaient au fur et à mesure, qui se muaient en sourire ou en larmes, en émotions réelles peut-être, tout simplement. Moins dissimulées derrière les murs de poussière qu’on érige pour se protéger du regard de l’autre.

« Contente que mes muscles surdimensionnés t’aient inspiré ce discours. »

Un petit rire éclairait ce visage qu’il affichait si sérieux dans les photos qu’on lui faisait prendre à l’époque de sa célébrité fulgurante mais éphémère et se métamorphosait sur scène quand il s’agissait d’être simplement dans sa bulle, en accord avec la musique et les gens. Amusant, oui, parce que faire le moindre commentaire sur le corps - … d’une femme, qui plus est ! – n’avait rien d’acceptable en soit. Encore moins d’ailleurs du fait du statut d’ancienne célébrité face à quelqu’un qui avait pu l’écouter. Fan ? Peut-être. Qu’est-ce que ça changeait ? Dans tous les cas une telle approche, bien que dénuée de toute volonté séductrice, n’était pas convenable … et il s’en foutait éperdument. Elle avait l’intelligence d’entendre le fond sans véritablement s’attarder sur la forme, son humour en témoignait. Alors il n’en restait qu’un petit rire presque complice.

Et l’humour se teintait d’amertume comme s’il se ternissait à peine l’avait-elle invoquée. Elle se redressait, le sourire devenu pincé, le regard et l’esprit ailleurs. Et s’il y avait un truc qui pinçait chez lui, c’était l’envie, répercuté dans ses doigts comme s’ils étaient le réceptacle de ses travers, jouant toujours sur des cordes invisibles une mélodie que lui seul était apte à entendre. « Tu sais que j’avais jamais rien pris dans ma vie? Je buvais l’occasionnel cocktail ou verre de vin aux anniversaires, rien de plus. Et ô grand jamais je n’aurais touché à ce genre de merde... » Le regard suivait, s’y attardait alors qu’elle reprenait la parole, se forçant à remonter jusqu’à ses yeux, à raccrocher à ce qu’elle disait, à taire cette saloperie qui ne le laissait pas tranquille. « Je faisais tout correctement. Tout était à sa place. J’étudiais, je travaillais, je m’entraînais, et j’avais les résultats de mes efforts. Et aujourd’hui... » Elle soupirait, détournait le regard et il entendait les mots avant qu’ils ne viennent. Aujourd’hui tout lui échappe. Aujourd’hui rien n’a vraiment de sens. Aujourd’hui ça lui éclate à la gueule, ça crisse dans tous les coins et  il n’y a plus qu’échecs de concert avec l’impression d’errer sans le moindre contrôle de la situation. Sans savoir ce qu’on fout. Sans comprendre pourquoi on le fait. « Aujourd’hui, je vois plus aucune progression. Plus aucun résultat. Je vois que les échecs qui s’accumulent et j’ai personne d’autre à blâmer que moi-même. Je me reconnais plus dans le miroir et j’essaie d’échapper à tout ça en faisant encore pire… comme si, j’arrêtais pas de prendre les mauvaises décisions. Et les autres peuvent me trouver mille excuses mais moi je sais...je sais que la seule fautive, c’est moi. C’est pas ce sachet, c’est moi. Moi qui suis allée l’acheter au lieu de faire n’importe quoi d’autre. Un léger sourire en coin se traçait à la gauche de ses lèvres sans qu’il n’y ai la moindre trace de moquerie là-dedans. Seulement une douleur évidente, une souffrance partagée. Il revoyait Caitlyn et sa bienveillance, ses compliments parfois assumés souvent détournés, sa clémence aussi, si violemment éloignés de ce qu’il ressentait, lui. Alors oui, il y avait un léger sourire… parce qu’il se savait coupable lui aussi, si atrocement coupable que ça lui cognait dans les tempes la nuit ou lui enserrait la gorge en journée. Toi, t’as jeté ta seringue. Takuma ne remarquait qu’à cet instant qu’il avait baissé le regard, l’enfant honteux de retour, pour le redresser à ce moment-là, le posant sur la jeune femme qui nuançait soudainement son ressenti particulièrement critique. T’as eu la force de faire ça. Il pinçait les lèvres, tout sourire effacé. Voilà la réalité. Comme elle, il entendait plus facilement les accusations que les louanges. Ouais. Il avait eu cette force. Tu parles. Après tant d’années, il en était surtout encore là, comme la sombre petite merde sans volonté qui se laissait bouffer par un truc qui n’avait pas de volonté propre. Comme s’il était seulement incapable d’apprendre, d’aller de l’avant, de passer outre. Sans cesse piégé dans le même cercle vicieux. Les doigts accéléraient dans leur mélodie imaginaire. Moi je sais que quand on quittera cet endroit, y a 99 % de chances pour que je garde cette merde chez moi et que je finisse par me la foutre dans les narines. Et peut-être que j’attendrai même pas dix minutes, peut-être que je serai même pas chez moi avant de le faire. » Inspiration, expiration, sa respiration se callait sur un rythme plus lent sans qu’il n’y prête attention. Comme un métronome dans la tête, une habitude de gestion des émotions et du manque, un calcul de son organisme pour apaiser ce qui chuintait à l’idée de faire ses propres pronostics sur l’avenir. Calme. Ses doigts courant le long d’un manche invisible, pinçant des cordes qui n’existaient que pour lui et il s’apaisait, posant le regard sur toute la détresse humaine qu’il voyait là exploser dans ces prunelles humides. Elle est belle, d’ailleurs, cette humanité. Cette aptitude à s’ouvrir, soudainement, à exprimer ce qui se casse la gueule à l’intérieur. « Et... » Elle déglutissait, les regards entremêlés d’une douleur empathique ou ressentie. Il partageait. Parce que ses plaies étaient les siennes, ou l’inverse, il ne savait plus vraiment. «...je vais rentrer chez moi et faire face à quelqu’un qui attendait probablement un peu mieux, un peu plus de moi... » Elle était là, la véritable souffrance. Cette personne ou une autre, le ressenti général du moins. Ne pas être à la hauteur. Se vautrer comme une merde quand on attend mieux de soi. S’il y avait bien une corde sensible à pincer en lui c’était celle-là. Alors ces larmes qui embuaient les yeux de la jeune femme, il es connaissait : elles suintaient en lui. « En m’endormant, je vais imaginer tous leurs regards déçus...Et le pire, c’est que je sais que le seul truc auquel je vais penser en conséquence de tout ça, c’est que quitte à les avoir déçu, autant en reprendre un peu de cette merde, parce que de toute façon le mal est fait. » Le front plissé, les lèvres pincées lui aussi, en miroir parce qu’il connaissait trop bien cette sensation. Elle distillait en lui une douleur presque physique, partagée.

Et une pensée. T’as pas l’habitude de te laisser aller à montrer tes faiblesses toi hein.
S’ils se connaissaient réellement, sans doute aurait-il fait un geste vers elle, une main sur la sienne, un bras autour d’elle mais pour l’heure, si son corps partait légèrement vers l’avant, trahissant l’empathie qu’il avait pour ses plaies, Takuma n’en fit rien.

Expiration, raclement de gorge, soupir. Tentative de maîtrise.

« T’es vraiment en veine de m’avoir croisé ce soir...la vache...quelle ambiance. Je compte te payer ce café d’ailleurs, en contre partie d’absorber toute joie dans cette pièce. »

Il n’y eu qu’un léger sourire doux à flotter sur ses lèvres autant que dans son regard, aucune pitié, seulement de la compréhension douloureuse. Un partage, voilà tout. Des plaies, des heurts autant que des pleurs. Etrangement, ses doigts s’étaient calmés, le manque laissant place à l’autre, tout bêtement.



Le mot était modifié volontairement par sécurité, dans une volonté réflexe d’éviter d’attirer l’attention. De l’humour pour alléger un peu les choses, pour signifier, aussi, qu’elle n’avait pas fait ça : absorber toute joie de la pièce. Pour le reste… le café… il réagirait plus tard, sans vraiment d’avis sur la question. Pour l’heure, d’autres choses comptaient.  

« Je comprends. » La sensation. Le mal-être. L’ensemble. « Tu t’adresses à un mec qui a fini avec la gueule placardée à tous les arrêts de bus pour espérer vainement prouver qu’il valait quelque chose. » Wow. Ces mots-là le surprenaient de part la violence qu’ils démontraient. Trop violent, oui, envers lui-même, autant qu’elle-même semblait l’être. Pas de larmes pour lui, seulement un grand vide qu’il ne savait combler. « Je crois que c’est exactement pour cette raison que je l’ai fait la première fois. Quitte à m’être planté, autant y aller à fond. Quitte à ce qu’ils me détestent, autant leur donner de bonnes raison de m’assurer qu’il n’y ait aucun retour possible. »

Pas tant d’émotions que ça, seulement une analyse presque froide de ses propres erreurs et il en revenait à elle, le regard se posant sur la plaie béante qu’il voyait dans son regard.

« Pourtant tu l’as jetée toi aussi. L’avoir sur toi ou pas l’avoir, c’est pas ce qui compte. Ce qui compte c’est que t’as préféré m’empêcher de faire une connerie plutôt que de te camer. T’as préféré accepter un café. T’as préféré resté. T’as préféré parler. T’as choisi tout ça. » Un regard franc, marqué, soutenu d’un léger silence avant de reprendre. «  Toi aussi t’as la force de repousser, d’envisager autre chose, ne serait-ce que quelques minutes. »

Du pouce droit, il touchait de nouveau la tasse à moitié vide, en captant la chaleur résiduelle. « Tu sais, si t’accorde de l’importance à quelques minutes d’échec, tu peux t’accorder la même chose pour tes réussites. »

Il l’y encourageait d’un léger sourire, enchaînant sur une question qui en appelait d’autres. « J’vois deux trucs. Deux questions douloureuses. Tu les veux ou pas ? »
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
Ven 12 Nov 2021 - 18:09

Un souffle amusé passa ses lèvres. Le mot était tordu mais le sens ne lui échappait pas, comme une blague qui coulait entre eux, une référence commune au milieu des silhouettes moldues qui les entouraient, aussi rarement qu’elles pouvaient être à cette heure-ci. Elle n’avait pas la gueule d’un détraqueur, tant mieux, c’était au moins ça. D’ailleurs, étrangement ça la dérangeait. Pas qu’elle voulait apparaître aussi effrayante que ces figures encapuchonnées qui soufflaient toutes les bougies d’un coup par leur seule présence, mais Sanae avait ce complexe de plus en plus pesant de ne pas ressembler à ce qu’elle était à l’intérieur. Un autre lui soufflerait que c’était une bonne chose, qu’elle trompait mieux son monde. Et pourtant, sans doute cela aurait été plus facile d’avoir au moins une apparence concordante avec ce qu’elle aurait aimé représenter davantage. Il n’y avait que dans les moments de rage, de fureur intense où elle se déchaînait que ses yeux sombres et ses traits tirés s’accordaient à ce qui fusait d’elle. Mais en toute autre occasion, son visage doux, lumineux, la délicatesse de ses traits et son corps fin sous ses vêtements envoyaient un message qu’elle détestait profondément : rien à craindre. Il n’y avait que des yeux attentifs qui décelaient sûrement les indices de ce qu’elle pouvait être.

« Ouais, ils se font passer pour des civils. Incroyable…. » fit-elle, amusée, secouant la tête.

Au moins, il ne semblait pas avoir de préjugés sur elle. Il ne lui parlait pas comme à une petite chose fragile, chose qui arrivait plus souvent qu’il n’y paraissait. Mais cela ne l’étonnait pas : le sorcier ne lui apparaissait pas comme un idiot et semblait, au contraire, particulièrement attentif. A l’écoute, il n’affichait aucun sourire de compassion ou de pitié ; il partageait sa peine, gisant comme elle dans les débris de l’addiction. Et s’il souriait, c’était de l’humour qui venait de lui-même entre eux, des quelques notes plus légères qui détendaient les muscles un instant, l’humeur bien vite engloutie par la lourdeur de la situation. Mais ils parlaient, échangeaient et c’était déjà bien plus qu’elle n’avait fait à ce sujet jusque-là.

« Je comprends... Tu t’adresses à un mec qui a fini avec la gueule placardée à tous les arrêts de bus pour espérer vainement prouver qu’il valait quelque chose. » Elle avait tendu ses doigts pour se saisir de sa tasse de café mais le geste fut arrêté net dans son élan. Ses prunelles se fixèrent sur lui, troublée par la violence à laquelle il parlait de lui. Pourtant cette violence, elle la connaissait. C’était celle de la honte et de la dépréciation qui les brutalisaient de l’intérieur. Mais c’était autre chose d’entendre ces mots, de voir à quel point il était dur envers lui-même, de la même manière dont elle l’était avec elle-même. L’effet miroir était dur à accepter.
Elle comprenait néanmoins cette volonté d’apparaître autrement en public pour se prouver quelque chose, pour leur prouver quelque chose.
« Je crois que c’est exactement pour cette raison que je l’ai fait la première fois. Quitte à m’être planté, autant y aller à fond. Quitte à ce qu’ils me détestent, autant leur donner de bonnes raison de m’assurer qu’il n’y ait aucun retour possible. » Elle eut une inspiration, ses mains recouvrant les côtés de sa tasse en abaissant le regard. Combien étaient-ils à faire fausse route ainsi ? Ils avaient tant honte d’eux-même et de leurs échecs qu’ils se préparaient en avance aux regards déçus et méprisants des autres, et ils s’y enfermaient. Et dans son cas à lui, le regard des autres était d’autant plus présent qu’il avait été un personnage public. Un personnage, oui. Une devanture qui appartenait aux yeux qui se posaient sur elle alors que derrière la façade, il y avait la souffrance grandissante d’un adolescent qui se crashait. Si elle s’était longtemps cachée, lui avait été sur le devant de la scène, à proprement dit, et son sort lui semblait bien pire que le sien.

Elle hocha la tête en silence, la commissure de ses lèvres se crispant légèrement. Elle allait lui demander si c’était pour ça qu’il avait tout arrêté, mis sa carrière de côté mais il reprit et son regard fut accroché par l’éclat des yeux, les petits mouvements de son corps.

« Pourtant tu l’as jetée toi aussi. L’avoir sur toi ou pas l’avoir, c’est pas ce qui compte. Ce qui compte c’est que t’as préféré m’empêcher de faire une connerie plutôt que de te camer. T’as préféré accepter un café. T’as préféré resté. T’as préféré parler. T’as choisi tout ça. » Leurs regards se mêlèrent et elle lut dans le sien toute sa franchise. Ce n’était pas pour la faire se sentir mieux, ce n’était pas des paroles en l’air...alors pourquoi n’arrivait-elle pas à les accepter ? Pourquoi cela sonnait-il faux à ses oreilles ? Comme un brin de clémence ou de bienveillance non méritée.«  Toi aussi t’as la force de repousser, d’envisager autre chose, ne serait-ce que quelques minutes. » Une expiration piquante sortit de ses narines alors qu’elle passait le bout de sa langue sur ses dents du fond. « J’crois qu’au contraire, le fait de jeter ou de garder cette merde veut tout dire. Et si j’ai choisi un truc, c’est juste de me laisser distraire pour tenter de repousser le moment. Peut-être que t’as raison après...peut-être que le moment sera passé et que j’en aurais plus envie mais ce truc est toujours dans ma poche, ça c’est un fait. » dit-elle, un soupir las aux lèvres alors qu’elle se détournait de lui, regardait la fenêtre. Il lui prêtait bien plus de force qu’elle n’avait en réalité en cet instant ; bien plus de gentillesse aussi. Ce n’était pas vraiment pour lui qu’elle l’avait arrêté, c’était simplement une distraction, oui. Juste un moment à se détourner d’elle-même. On ne pouvait pas dire que c’était venu d’un altruisme sans faille.

« Tu sais, si t’accorde de l’importance à quelques minutes d’échec, tu peux t’accorder la même chose pour tes réussites. » Son regard retrouva le sien rapidement, trop rapidement pour qu’elle prétende que ça ne l’atteignait pas. Face au léger sourire encourageant du sorcier, Sanae se sentait trop sévère, trop dure ; elle aurait aimé s’adoucir soudainement pour lui dire qu’il avait raison.

Tu n’as jamais su voir tes propres progrès, trop obnubilée par tes échecs.

Parce que ces mots ne lui étaient pas étrangers…

« T’es pas le premier à me le dire... » souffla-t-elle avec un sourire amusé, buvant une gorgée de café alors qu’il poursuivait.

Et il ne serait sûrement pas le dernier. Elle n’avait jamais pu corriger ce truc chez elle qui faisait qu’elle ne voyait jamais vraiment ses progrès, ses succès, se cachant parfois derrière une arrogance fausse quand elle se mettait en lumière. La seule chose qui lui sautait aux yeux, c’était tout ce qu’elle n’était pas, tout ce qu’elle n’arrivait pas à faire. Pourtant, oh comme elle gagnerait à prendre en compte les choses qu’elle réussissait...

« J’vois deux trucs. Deux questions douloureuses. Tu les veux ou pas ? »

Elle pinça les lèvres dans une moue amusée, déposant la tasse sur la table en se redressant.

« Vu qu'on est lancés sur l'autoroute de la douleur, je t'en prie...»
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Jeu 18 Nov 2021 - 16:38
Oh il était loin le temps où Takuma posait des yeux critiques sur son entourage. Le temps l’avait assagi, certains modèles réussissant à lui faire voir le monde d’un autre angle. En choisissant la joie pour feuille de route, l’imbécilité comme couverture, le nippon avait pris le temps d’observer les autres, d’apprendre à les connaître, les comprendre. Lui qui avait été dur avec autrui durant l’enfance avait pourtant été sauvé par la bienveillance d’une femme et depuis, avait décidé de rendre à l’humanité ses lettres de noblesse. Alors quand les autres entraient dans le monde du showbiz en se faisant engloutir par la valeur de l’argent et de l’opulence, lui ne s’y vautrait pas, entraînant une dissonance incessante entre lui et les autres. Producteurs, artistes… il n’était pas à sa place, n’avait pas la carrure ou l’expérience pour se protéger de ce milieu. Monté trop vite, trop violemment, sans rien comprendre. Parti avant d’être addict à la notoriété, avant de ressembler à ceux qu’il méprisait, mais en ayant appris qu’il était apte à réaliser quelque chose s’il le souhaitait. Une leçon qu’il avait bien du mal à graver dans sa mémoire. Et elle ressortait, cette haine de soi. Bien autant que l’amour de l’autre.

Mordant envers ses défauts, critique pour ses échecs, il était aussi plein de bienveillance pour ceux des autres, c’était ainsi. Incapable de comprendre le regard surpris qu’elle posait sur lui quant il lâchait la violence de son cynisme mais apte à voir le courage là où elle ne notait que l’échec.

Voilà ce que le temps lui avait appris à faire.

« J’crois qu’au contraire, le fait de jeter ou de garder cette merde veut tout dire. Et si j’ai choisi un truc, c’est juste de me laisser distraire pour tenter de repousser le moment. Peut-être que t’as raison après...peut-être que le moment sera passé et que j’en aurais plus envie mais ce truc est toujours dans ma poche, ça c’est un fait. »

Un sourire sans moquerie. « T’es dure.. » Et ses doigts accéléraient sur sa jambe, témoins de cette angoisse sourde, sœur jumelle du manque qui griffait ses veines à ces mots. Alors il inspirait, les enroulait autour du mug qu’il portait à ses lèvres pour quelques dernières gorgées et le reposait sans lâcher, les doigts jouant leur mélodie invisible, mouvements à peine visibles. « Du coup si toi c’est seulement te laisser distraire pour repousser le moment, en quoi moi c’est différent ? J’en ai ramené des tas de merdes chez moi. J’aime juste balancer le fric que j’ai pas par la fenêtre, manifestement. » Oui, on pourrait croire qu’un type qui a déjà rempli des salles de concert en masse sans vraiment trop comprendre comment il en est arrivé là… aurait un joli pécule de côté. Non. Et aucun rapport avec la drogue, pour le coup. Enfin, si, là si. Mais bref. « T’interprète ça comment du coup ? Ça fait quoi de moi ? » Une vraie question, malgré la douleur qu’il y a derrière et qui reste masquée comme il le peut. Pas de mélodrame dans sa voix, d’apitoiement, de supplique quelle qu’elle soit, juste une véritable question, tranchée du courage de celui qui sait faire face à ses torts. Comment pourrait-il en être autrement, c’était bien sur les reproches qu’il s’était construit. Sans doute avaient-ils ça en commun.

C’est fou non ? Le regard que l’on peut porter sur ses échecs.

« T’es pas le premier à me le dire... » Un souffle amusé qui se répercutait sur ses lèvres en miroir.

Plutôt une bonne chose, non ? Si tout le monde s’accorde à dire que tes réussites ont de la valeur, c’est qu’elles en ont.
Lui avait-on dit ? Rarement. Jamais ? Très peu du moins. Ou si, applaudit par la foule, idolâtré par des gens qu’il ne connaissait pas et écrasé par la rage des haters. Des mots qu’il n’avait donc jamais vraiment compris, d’un sens ou de l’autre. Une autre vie, à vrai dire, qu’il avait vécu sans toujours y être tout à fait connecté. C’était peut-être pour ça que les concerts, les rencontres, tous ces momens qui semblaient sonner fort et vrai lui étaient devenus essentiel pendant un temps. Parce qu’on valorisait, justement, ce qu’il faisait. Pour ça, sans doute, que ces quelques mots sur son travail passé le touchaient sans qu’il ne l’exprime.

Alors il lui proposait deux questions à venir. Des sujets sur lesquels lui n’était pas à l’aise. Alors oui, elle avait le choix d’y aller ou pas, de faire demi-tour ou pas, de se murer dans le silence ou pas.

« Vu qu'on est lancés sur l'autoroute de la douleur, je t'en prie...»
« Ya des sorties sur l’autoroute, pour info. T’es pas forcée de te taper le terre-plein-central si t’as pas envie de continuer. » Une grimace. « Et je suis pas certain de vouloir m’enfoncer dans cette métaphore moi. »  Cette fois, il lâchait un petit rire, portait sa tasse à ses lèvres par réflexe pour se rendre compte qu’elle était vide et la reposer avant de faire un petit signe à une serveuse non loin pour lui demander si elle pouvait en servir une seconde – ou deux, selon Sanae. Elle fit un regard à ses doigts toujours en mouvement, s’arrêta sur lui un instant et accepta.

Je t’emmerde.
Une pensée tue et ses doigts reprenaient de plus belle. La musique avait toujours été un pied de nez à la vie, pas son genre de l’arrêter pour un regard en biais.

« Ok, bon. » On y retourne. « C’est eux que tu déçois ou c’est tes propres attentes ? »Ont-ils vraiment les attentes que tu leur prêtes ? Toi et moi on connait parfaitement la réponse à cette question. J’ai même pas besoin d’en savoir plus pour le deviner. « Il se passera quoi… si jamais t’étais pas à la hauteur ? »

Un souffle. « Je répètes que t’es pas forcée de te prendre le terre plein et que j’suis qu’un camé dans une ruelle. Pas moi qui vais juger quoi que ce soit. » J’en ai ni l’intérêt, ni la force, ni la légitimité.
C’est moi qu’on juge, la personnalité publique qui se définie ainsi : un camé dans une ruelle. Pas celui qui a eu la force de balancer sa dope, pas l’ami, pas le petit géni, pas celui qui aurait pu avoir une carrière de rock star s’il avait continué. Juste un putain de camé dans une ruelle. Pas de hiérarchie à avoir, donc.
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
Mar 30 Nov 2021 - 22:31
Si elle avait été dans les recoins sombres d’un orphelinat oublié dans une grande ville japonaise, lui, avait été sur le devant de la scène face à des milliers de personnes. Pourtant, ils souffraient de maux si similaires que leurs lignes de vie posaient des questions semblables. Cousins de la même douleur, ils dardaient leurs regards l’un vers l’autre mais c’était celui des foules ou celui des absents qui les avaient amoché si durablement. Un millier de personnes à berner, des milliards de secondes à faire semblant et une infinité de lacérations intérieures. Peu importait finalement qu’elle se soit trouvée au fond des quartiers mal fréquentés d’Osaka ou qu’il se soit dressé sur des estrades à travers le pays, on n’avait pas vu leurs souffrances, pas compris la torture. La solitude avait suinté de chaque plaie, de chaque échec, de chaque pensée incomprise, inaudible. Et ils se retrouvaient là, dans un pauvre café d’une rue déserte d’un Londres qui s’endormait quand eux, étaient parfaitement éveillés. Trop éveillés.

Chacun de leurs gestes attestaient de cet éveil constant des sens qui grésillaient, appelant le manque.  Il pianotait sur sa cuisse, frénétiquement ou non, peu importait ; elle sentait les mouvements légers par-dessous la table, voyait les muscles de son bras s’activer. Elle, si elle ne bougeait presque plus, c’était des rivières de larmes invisibles qui s’écoulaient de sa posture, glissant le long de sa chaise, gouttant sur le sol. Et la violence, c’était celle des mots à son encontre, celle du jugement qu’elle se réservait.

« T’es dure.. » Oui, sans doute l’était-elle. Un peu trop. Beaucoup trop. Comme toujours.  Son regard retomba sur les mains du sorcier qui s’enroulèrent sur son mug au lieu de recréer la cinquième symphonie sur sa jambe. Il but quelques gorgées, prit une inspiration. Elle ne dit rien, se contenta de le regarder, ses prunelles lâchant la vision de ses doigts pour revenir vers son visage. Et elle se demanda s’il allait craquer ce soir, après son départ. Pensée fugace. « Du coup si toi c’est seulement te laisser distraire pour repousser le moment, en quoi moi c’est différent ? J’en ai ramené des tas de merdes chez moi. J’aime juste balancer le fric que j’ai pas par la fenêtre, manifestement. » Rien de différent, fondamentalement. Il avait juste pu faire un geste vers la sortie, était plus expérimenté, connaissait son manque et ses effets. Plus de gallons qu’elle. Il connaissait les rouages, s’était déjà posé ces questions, en avait probablement fait le tour. Il savait pour quoi il se battait, aussi. Il avait plus de chances de s’en sortir. « T’interprète ça comment du coup ? Ça fait quoi de moi ? » Il y eut un instant de silence. La bouche close, le visage fermé, elle le regarda quelques secondes avant de froncer les sourcils et de se redresser, les coudes sur la table. « Tu veux m’entendre dire que t’es meilleur ou que t’es pas mieux ? » Une pause. « J’en sais rien de ce que ça fait de toi. Mais si on prend les choses froidement, soit tu vas continuer à résister comme tu l’as fait depuis un moment, soit tu replongeras et tu te reprendras plus tard. Dans tous les cas, le truc qui nous différencie, c’est que toi tu sais que tu peux résister sur le long terme, tu l’as déjà fait, c’est du domaine du possible. Pas moi. L’avenir est devant moi hein, comme on dit ? » Un souffle cynique. « J’sais juste pas de quoi il est fait. »

Dure, oui, elle l’était peut-être. Et dans tout cas, elle n’était pas même sûre d’être sincère. Pas même sûre de penser ce qu’elle disait. C’était sans doute le plus dur dans le fait de ne pas se connaître vraiment : on ne pouvait pas se faire confiance, on ne savait pas de quoi on était capable, on ne savait plus, parfois, reconnaître la vérité quand elle sortait de ses propres lèvres. Elle reposait son dos contre le dossier de la chaise, encerclait son café. Au coin de sa bouche, les marques d’une crispation contenue, petites plissures discrètes. Et alors il proposait deux questions, ou plutôt leur possibilité. Au fond, est-ce qu’ils étaient à ça près ? Est-ce que la douleur et la honte qu’ils ressentaient s’inquiéteraient de quelques degrés de plus ? Autant continuer sur cette autoroute du malheur.

« Y a des sorties sur l’autoroute, pour info. T’es pas forcée de te taper le terre-plein-central si t’as pas envie de continuer. » Il fit une grimace. Elle eut un sourire en coin. « Et je suis pas certain de vouloir m’enfoncer dans cette métaphore moi. » Un souffle amusé. « Ouais attention à l’accident. » Elle eut un léger rire de gorge bien amer, accompagnant celui du sorcier qui portait la tasse à ses lèvres. Vide. Il fit signe à la serveuse et la tasse fut remplie à nouveau. Sanae ne bougea pas, fit non de la tête quand la serveuse se tourna vers elle. Elle n’était pas sûre de rester très longtemps, pas sûre d’où tout ça menait alors elle n’engageait pas même une nouvelle tournée du liquide fumant. Pourtant, elle ne redoutait pas vraiment ses questions. Y avait-il des interrogations que ses angoisses n’avaient pas encore soulevées ? Lui en revanche, redoutait-il ses propres questionnements ? Ses doigts avaient repris plus fermement leurs mouvements.

« Ok, bon. » dit-il quand la serveuse s’éloigna. « C’est eux que tu déçois ou c’est tes propres attentes ? » Ah, c’était donc ça...Elle pinça les lèvres. « Il se passera quoi… si jamais t’étais pas à la hauteur ? »

L’effondrement.

Il eut un souffle.
Elle aussi, détournant les yeux un instant.

« Je répètes que t’es pas forcée de te prendre le terre plein et que j’suis qu’un camé dans une ruelle. Pas moi qui vais juger quoi que ce soit. » Un léger rire. « Oh, c’est pas ça qui m’inquiète. Comme tu dis, t’es clairement pas en bonne posture pour juger. » Une pause. Elle se redressait, arrondissait son dos, étalait ses paumes sur la surface plane dans un soupir. « Tu sais très bien ce que je vais répondre de toute façon… C’est pas une surprise. » Un nouveau soupir, sa main passant dans ses cheveux alors qu’elle croisait les bras sur sa poitrine, son dos retouchant le dossier de la chaise. « C’est mes attentes, ma déception. Je le sais. Mais si c’était que ça, ce serait trop simple. Parce que la vérité, c’est qu’ils seraient déçus aussi. Ils le diront pas, c’est tout. Mais moi, je le saurai. Que ce soit en le voyant ou en le sentant, je le saurai. » En le voyant clairement dans leurs esprits...mais ça, elle ne pouvait le dire. « C’est humain, d’espérer que les autres réussissent, qu’ils parviennent à prendre les bonnes décisions pour eux-mêmes...tout comme c’est humain de sentir cet espoir se crasher, de ressentir ne serait-ce qu’une seconde une déception. Ça, ils peuvent le nier mais c’est juste un fait. Ils seront déçus. Et plus ça arrivera, plus ils seront fatigués de l’être. Et moi aussi. Moi aussi je vais espérer m’en sortir et me planter. » Elle darda son regard dans le sien. « Tu peux pas contrer cet argument, tu le sais. C’est juste la vérité. Tout le monde sera déçu, point. » Elle haussa les épaules. « Maintenant, y a plusieurs options. Y en aura qui resteront et d’autres qui partiront. » Et ce sera elle, qui sera déçue. Déçue et meurtrie. Un long soupir. « Voilà ce qu’il se passera si je suis pas à la hauteur. Ils s’en iront. Et j’pourrai même pas vraiment leur en vouloir. » Elle décroisa les bras, posta ses coudes sur la table en le fixant. « C’est pour ça qu’on leur dit pas tout. Pour pas qu’ils passent par toutes les étapes dégueulasses de cette merde. Cette lutte, c’est pas la leur. Ils devraient même pas avoir d’espoir parce que c’est clairement la clé pour être déçu. » Elle regrettait, parfois...souvent...de l’avoir dit à Kezabel, à Margo… Oh, elle n’aurait pas pu le cacher à Logan, mais elle regrettait aussi qu’il le sache. Elle avait l’impression de les entraîner avec elle, de rajouter son propre fardeau sur leurs épaules. Enfin...Margo, elle, n’aurait sans doute plus à le porter, ce fardeau.

« Ecoutes, j'comprends ce que t'essaies de faire mais je ressortirai pas de cette conversation avec de l'espoir sous le bras et une nouvelle détermination. Si on peut s'en sortir tous les deux sans prendre cette merde ce soir, ce sera déjà pas mal, non? »


Le regard fixe, les traits durs, la douleur la rendait sèche. Ce n’était pas contre lui pourtant, pas contre sa présence ou son discours. Mais contre ce truc qui les liait et qui hurlait dans l’organisme.
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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Mar 7 Déc 2021 - 3:15
Comment peut-on naître dans des circonstances aussi éloignées et en arriver à l’exact même point ? Il faudrait sans doute développer le propos et l’étendre à bien des situations pour en comprendre la progression. Pourtant ici, Takuma savait que la faute lui incombait. C’était lui qui n’était pas à la hauteur, lui qui avait déçu les autres au point que ses propres parents l’estiment ingérables. Au point qu’ils ne cherchent pas à le retrouver, qu’ils le foutent à la porte et se mettent à vivre bien mieux sans lui. Voilà bien les blessures communes qu’ils portaient tous deux. Pas d’orphelinat pour lui, non, seulement la rue, la fuite, la colère. Les potes qui prennent une place essentielle alors qu’il lui semblait pourtant avoir joué un rôle à cette époque. Tout lui passait totalement au dessus, lui, les autres, rien n’avait vraiment de sens tant que ces parents ne donnaient pas le moindre signe de leur intérêt pour lui. Mais il n’en avait pas eu. Pas le moindre foutu signe. Et têtu, lui-même n’était jamais rentré. Même à présent, s’il avait fait son possible pour faire savoir qu’il était accessible, jamais Takuma n’avait poussé le culot jusqu’à aller sonner à leur porte d’entrée. Il y avait là nombre signification à cette décision compte tenu des derniers mots de son père. Il n’en passerait pas le seuil tant qu’il n’aurait de raisons d’être fière de lui.

Il était probablement alors particulièrement hypocrite de sa part de juger la dureté de celle qui lui faisait face quand lui-même n’avait à son propre égard qu’une implacable sévérité.

« Tu veux m’entendre dire que t’es meilleur ou que t’es pas mieux ? »
« A toi de me dire. » Au tac-au-tac, sans broncher.

La réalité ? Il préférait se soustraire au regard de l’autre s’il le pouvait. Pourtant c’était lui qui s’engageait sur cette voie, seul comme un grand. Pas tout à fait certain de sa destination. Pourtant il avait si souvent vu Maxence faire, l’avait régulièrement admiré en silence, imité comme un élève apprend d’un sensei. Rares avaient été, il fallait le dire, les occasions pour lui d’apprendre réellement de qui que ce soit. Pas comme ça du moins, pas d’un homme qui savait poser sur les autres un regard sans haine d’une bienveillance qui l’écharpait chaque fois. Voilà ce vers quoi il voulait tendre. Voilà ce vers quoi il s’essayait souvent, parfois maladroitement mais toujours avec une sincérité totale.

« J’en sais rien de ce que ça fait de toi. Mais si on prend les choses froidement, soit tu vas continuer à résister comme tu l’as fait depuis un moment, soit tu replongeras et tu te reprendras plus tard. Dans tous les cas, le truc qui nous différencie, c’est que toi tu sais que tu peux résister sur le long terme, tu l’as déjà fait, c’est du domaine du possible. Pas moi. L’avenir est devant moi hein, comme on dit ? » Parfaitement factuel et dénué de ce qu’elle s’adressait pourtant à elle-même.  Bien sûr, il n’aurait pu contrer l’argument du « tu l’as déjà fait. Pas moi. ». Pour autant, Takuma voyait bien qu’elle refusait de s’aventurer sur le chemin escarpé du jugement acerbe. « J’sais juste pas de quoi il est fait. »

Tout se jouerait chaque jour pour elle, c’était certain. Une période difficile où chaque chute pouvait être la dernière. Lui connaissait à connaître le terrain, à savoir y évoluer plus aisément, connaisseur de ce qui l’attendait mais bien moins désespéré s’il se retrouvait à terre à un moment donné.

Un petit sourire contrasté traçait sa route sur ses lèvres. « Belle éviction du jugement blessant. » T’aurais pu me pourrir, tu l’as pas fait. Il lâchait un soupir, frustré, amusé par son propre agacement, conscient qu’il n’avait pas envie d’un débat d’idées. « Ok, j’ai compris, t’es meilleure que moi à ce jeu-là et t’anticipe mes arguments. Je plie madame, devant la pertinence de vos arguments » Un peu trop théâtral, avec son geste de la main sans doute.

Pas de « tu vois que si je suis moins pire que toi, c’est sans doute que tu es trop violente ». Il lui concédait une part de son jugement, conscient qu’il y avait sans doute bien trop à faire pour lui et qu’il n’avait ni l’énergie ni le dévouement pour ça. Pas sa place surtout. Pas celle d’un inconnu qui, dans le fond, ne savait pas ce qu’il y avait en elle. Pourtant, encore une fois, elle aurait pu le pourrir.

Alors pourquoi continuer ? Sans doute parce qu’il y tenait, parce qu’il y avait trop de douleur dans cette femme et qu’il aurait aimé trouver le moyen de l’en délester. Pas son rôle, là non plus sans doute. Hors de ses capacités, aussi, peut-être. Mais voilà, elle était lui. Lui avec quelques années de retard. Elle était le gamin qui gerbait toutes ses trippes un jour et que sa copine chopait la semaine suivante à n’avoir qu’une idée en tête : retrouver sa dope. Elle était celui qui ne voyait d’intérêt dans la vie assez fort pour lui donner espoir en l’avenir. Pour l’empêcher d’avaler, de piquer, de sniffer des merdes qui l’amèneraient droit dans le caniveau. Elle était cette brèche en lui que personne n’avait vu, qu’il avait gardé pour lui, qu’il craignait d’évoquer de peur qu’elle ne prenne de l’ampleur.

Elle était ce que les autres ne voyaient pas.
Il était ce que ses autres ne voyaient pas.

Et pourtant il y avait en lui cet autre, cet avenir qu’elle ne se risquait pas à espérer.

Mais qui était-il pour dire ce qu’elle ferait ou ne ferait pas ? Qui était-il pour estimer la force qu’elle avait en elle ?
Personne. Alors il ne le ferait pas. Si elle choisissait de voir les choses ainsi, c’était son droit, lui se battait pour ne pas laisser le pessimisme s’infiltrer en lui comme de l’eau venant ronger l’acier. Ce qu’il savait, en revanche, c’était que l’étincelle était là, qu’elle n’était pas condamnée. Mais aussi qu’elle ne voulait pas entendre des mièvreries concernant ce qu’elle pouvait ou ne pouvait pas être. Voilà pourquoi elle ne prenait pas ce nouveau café. Ce serait hors propos de toute manière. Ce qu’elle devait réaliser, ce devrait venir d’elle.

Personne n’a le chemin qui peut conduire l’autre à son destin.
Il n’y a que des choix, des luttes, des prises de conscience. Il n’avait aucune prise là-dessus, espérer détenir la solution serait d’une arrogance folle qu’il ne possédait pas.

Non. Lui n’était qu’un camé dans une ruelle.

« Oh, c’est pas ça qui m’inquiète. Comme tu dis, t’es clairement pas en bonne posture pour juger. »

Ça fait mal à entendre hein ? Autant que de le dire.
Si ça fait mal, c’est que tu n’es pas d’accord. Si ça fait mal, c’est que tu peux résister. Si ça fait mal, c’est que t’as des raisons de te battre pour ce que ça devrait être.

Tu devrais être en bonne posture pour juger. Arrête de trembler. Arrête de chuter. Arrête de te comporter en camé.


Sans cesse, la lutte.

C’est pas simple hein ? De se battre pour être soi. De mettre à terre celui qu’on n’aime pas.

Ses mâchoires se resserraient, comme ses doigts autour de la tasse de café, peu conscient qu’à ne plus jouer dans le vide, il cédait du terrain qu’il rattrapait à coup de blessure vive sous sa chair. Pas un mot pourtant, l’ancien Serdaigle la laissait avancer sur son terrain, observant celle qui posait ses mains à plat sur la table. Prête à partir ou à s’imposer ?
La fuite ou la lutte, l’éternelle question en cas de danger.

« Tu sais très bien ce que je vais répondre de toute façon… C’est pas une surprise. »

Probablement. On a l’air de se ressembler. Mais on a beau dire, je me plante peut-être. Si ça se trouve un camé ne fait pas l’autre…
Arrête avec ce mot…. Arrête de te définir par ce que tu veux dépasser.


Pourtant il y revient, malgré ses convictions. Un sale aller-retour entre lutte et trahison.

« C’est mes attentes, ma déception. Je le sais. Mais si c’était que ça, ce serait trop simple. Parce que la vérité, c’est qu’ils seraient déçus aussi. Ils le diront pas, c’est tout. Mais moi, je le saurai. Que ce soit en le voyant ou en le sentant, je le saurai. » Bien sûr que tu le sauras.
« C’est humain, d’espérer que les autres réussissent, qu’ils parviennent à prendre les bonnes décisions pour eux-mêmes...tout comme c’est humain de sentir cet espoir se crasher, de ressentir ne serait-ce qu’une seconde une déception. Ça, ils peuvent le nier mais c’est juste un fait. Ils seront déçus. Et plus ça arrivera, plus ils seront fatigués de l’être. Et moi aussi. Moi aussi je vais espérer m’en sortir et me planter. »Elle plantait son regard dans le sien et si celui-ci pouvait se mettre à suinter toute sa douleur comme le sien le faisait, il s’écoulerait de peine. « Tu peux pas contrer cet argument, tu le sais. C’est juste la vérité. Tout le monde sera déçu, point. »

T’as tenu le compte, toi ? De ceux que tu as déçus. Du nombre de fois où ils ont espéré à tors que tu serais meilleur que tu ne l’es ?

En silence, Takuma pinçait les lèvres, serrait la faïence, se cramait les doigts et ne bronchait pas.

C’est vrai. Je peux pas.

« Voilà ce qu’il se passera si je suis pas à la hauteur. Ils s’en iront. Et j’pourrai même pas vraiment leur en vouloir. »

Oh si. Tu pourras. Tu leur en voudras, tu t’en voudras, t’auras l’impression que le monde lui-même se rétracte sur toi pour t’entourer et t’écraser, qu’il te ceinturera jusqu’à t’étouffer. Et toi t’en crèveras d’être seul.e à nouveau.

Cette fois Takuma détournait le regard, certaines plaies à vif, se demandant ce qui l’avait amené sur ce terrain aussi douloureux pour elle que pour lui. Et elle, elle le fixait, plantant sur lui le regard de celle qui sait parfaitement que ce qu’elle dit est la vérité. Et qu’ils en partagent l’angoisse.
Pas besoin de l’exprimer à son tour pour le comprendre, bien sûr. Ils ne seraient pas ici s’ils savaient faire mieux.

« C’est pour ça qu’on leur dit pas tout. Pour pas qu’ils passent par toutes les étapes dégueulasses de cette merde. Cette lutte, c’est pas la leur. Ils devraient même pas avoir d’espoir parce que c’est clairement la clé pour être déçu. »

C’est pour ça que toi t’as rien dit. Tu crois qu’ils t’en voudraient ? Dakota ? Aileen ? Enzo ? Sovahnn ? Tu crois qu’ils voudraient être là à tes côtés pour t’empêcher de sombrer ? Tu crois qu’ils préfèreraient que tu les enfonces ainsi avec toi ou que tu fais bien à agir en solo pour … pas qu’ils passent par toutes les étapes dégueulasses de cette merde.
Cette lutte, c’est la mienne.

On est d’accords.


Le regard qu’il ramenait sur elle était un réel effort, l’encre de son regard se déversant dans celle qui faisait ses prunelles, droit vers son cœur à vif. Un instant, il lui sembla qu’elle pouvait lire ce qu’il était, se plonger réellement jusque dans son âme tant la sienne lui paraissait tranchante en cet instant.

Et toi ? Tu crois qu’ils s’en iraient ?
Sans trop savoir pourquoi, ses pensées tendaient vers le seul à qui il avait réellement failli dire les choses sans jamais réussir à passer le cap.
Alors ?
Nan.
Parce qu’eux aussi ils se plantent. Eux aussi ils merdent dans les grandes largeurs. Eux aussi parfois ils savent plus et se déçoivent eux même, les autres aussi sans doute.
On a trop traversé pour se lâcher maintenant, voilà ce que je pense.


Et là se trouvait une force qu’il avait parfois peur de perdre.

Et moi aussi. J’ai trop traversé pour lâcher maintenant.

« Ecoutes, j'comprends ce que t'essaies de faire mais je ressortirai pas de cette conversation avec de l'espoir sous le bras et une nouvelle détermination. Si on peut s'en sortir tous les deux sans prendre cette merde ce soir, ce sera déjà pas mal, non? »
Pas de réponse immédiate, juste le regard qui perdure un moment tandis qu’il acquiesçait, finissait par plonger le regard dans sa boisson.

« Ouais… ça serait déjà pas mal. »

Avec une certaine raideur, Takuma ramenait la tasse contre lui, se laissant retomber en arrière, le dos contre le dossier, retrouvant le regard tranchant de celle qui partageait tant de douleurs en elle qu’il savait qu’il n’y avait rien à contrer. Alors un temps le silence le rattrapait, grésillant jusque dans ses veines. Un temps à lui écraser la poitrine comme le faisaient l’angoisse de l’abandon évidente de celle qui lui faisait fasse. Lui et son corps élancé, étalés sur la chaise comme si le poids de la solitude venaient en effet peser sur eux des angoissées partagées. Et puis finalement, ces quelques mots :

« Tu le penses vraiment ? Qu’ils partiraient ? »

Si c’était le cas, il était réellement navré pour elle. Et si c’était le cas.. alors elle devrait faire autrement ou se laisser bouffer, en effet.
Alors comment avait-il fait, lui ? Lui que la scène avait amené sous la lumière des projecteurs, brusquement projeté dans la foule tandis qu’il notait bien des absents en arrière plan.

Moi, ils sont partis. Voilà ce que disaient ses yeux. Voilà bien des mots tracés à l’encre de chine sous sa peau.

« Tu sais… j’ai jamais été…. Enfin j’suis pas très bon pour faire ce qu’on attend de moi je suppose... Mes parents étaient… sont des gens exigeants qui ont toujours attendu des résultats et … disons que j’étais pas vraiment à la hauteur de leurs espérances. Un jour ça a pété et je crois que plutôt que de me frapper, mon père m’a chopé par le bras et m’a demandé de dégager tant que j’aurais pas le cran d’être assez bon pour porter son nom de famille. Que tant que je n’aurais pas décidé de le rendre fier, j’avais pas de raisons de rentrer. J’avais douze ans. Après ça a été la rue. » Fou comme ce résumé lui semblait bien plus violent que ce qu’il avait vécu. Sans doute parce qu’il s’y était habitué. Comme le résultat d’une autre vie, qui lacérait pourtant avec toujours autant de violence le cœur d’un petit garçon livré à lui-même. Etait-ce les siens ou l’influence d’une culture qu’ils avaient en commun ? La recherche de l’excellence, la culture de l’enfant unique, de celui qui se doit d’être le digne descendant. Avoir le goût de l’effort, savoir se tenir, être rigide et bien droit dans les préceptes enseignés. Voilà tout ce que sa seule posture, sa personne et son allure montraient comme étant des échecs criants. D’autres voyaient de l’originalité, une personnalité qu’on porte en étendard, qu’on affiche. Rien de bien choquant ici. Juste l’expression de soi, comme bien des Londoniens pouvaient le faire. Mais chez eux ? Non. Chez eux s’il sortait du lot, s’il inscrivait cette différence à l’encre indélébile, alors il s’extrayait de l’acceptable, de la vie courante, des préceptes établis. Une réaction cohérente, rien qu’une suite logique. Un acte coercitif, sans doute. Quelque chose de bien plus profond et douloureux car inacceptable socialement. Voilà ce qu’il était. Inacceptable socialement. Et certainement pas par ceux qui lui avaient donné le jour. « Je les ais pas revus depuis…. Eux je doute qu’ils aient pu me louper. » Ouais. Il était là son abandon. Le premier et le plus violent, le plus inacceptable de tous. Et entre ses mots, une culpabilité brûlante, l’histoire présentée comme s’il en était le responsable prioritaire. Comme s’il avait été immonde, intenable, la source de déception de grands notables dont l’exigence n’était rien d’autre qu’un point de normalité. Comme s’ils étaient innocents de leur absence dans sa vie.

La gueule de leur fils placardé en plein centre ville, les salles de concert, les interviews, les clips. Il y avait eu un engouement pour lui que Takuma n’arrivait toujours pas à se représenter. L’industrie, sans doute. Ils avaient vu une possibilité et lui avaient construit un succès comme ils auraient pu le faire de n’importe qui. Le talent derrière ça ? Oui, il en avait, bien qu’il n’en ait absolument pas conscience. A ses yeux, tout ça était marketing, voilà tout. Le plus drôle était sans doute… que ça l’était pour lui aussi. Il s’était vendu, pas pour les mêmes raisons que les producteurs mais tout ça était tout autant de la poudre aux yeux pour lui que pour eux. Juste prouver que s’il le voulait, il pouvait être bon.

« Juste pour dire que je sais ce que c’est que de se planter, de pas être à la hauteur et de décevoir. Surtout au point de perdre les autres. » Sans vraiment chercher à s’en empêcher, son esprit tendait seul vers une dispute qui remontait pourtant maintenant à des mois. Le premier pas concret vers la rupture avec Dakota. Elle aussi, il l’avait déçue, n’avait pas été à la hauteur de ses espérances. Et comme ce que craignait Sanae, elle était partie. Alors on en revenait à la première question : qu’est-ce qui le différenciait d’elle ? L’espoir ? Les proches ? La certitude d’être apte à tenir le choc ? Quelques mois plus tôt, il ne lui semblait pas avoir de raison d’agir ainsi, voilà pourquoi il avait laissé le manque s’installer, comme une vague comblant les creux que l’absence avait laissé en lui. Etait-ce ça ? Il remplissait les trous, pas elle. Et s’il remplissait… comment était-il censé percevoir Caitlyn dans l’histoire ? « Simplement… J’en sais rien. Si ces gens comptent vraiment et qu’ils étaient dans ta situation… tu les lâcherais toi ? On a tous nos failles et se planter est humain. Va pas me dire que eux, ils tiendraient. Que ça soit pour ça ou d’autres choses… on a tous un truc qui nous bouffera trop pour nous empêcher de nous relever…. Alors la question c’est… Est-ce qu’ils te lâcheraient vraiment ? En toute objectivité ? Et si c’est le cas, est-ce que tu te détestes au point de penser que ces gens sont bons pour toi ? Si au contraire tu les sais être des personnes de valeur que tu respectes… bah il serait peut-être temps de leur faire un peu plus confiance. Parce qu’à penser ça d’eux, c’est pas eux que tu insultes ? avant même de te dénigrer, toi. »

Voilà ce qu’il avait compris, difficilement. Faire confiance aux autres, s’entourer de personnes de valeurs, sans doute ébréchés eux aussi, faillibles également, brisés même parfois. Mais des gens qui pouvaient comprendre, écouter, rester. Des gens en qui il avait profondément confiance et à qui il s’était ouvert.
Une évidence qui le surprenait brusquement, comme s’il découvrait soudainement qu’en effet, ce chemin avait été parcouru sans même qu’il ne s’en rende compte. Quand jouait au gamin insouciant et joyeux. Quand il s’était coupé aux blessures du passé.

C’est ça tu penses ? De croire en l’autre ?

Il y a des gens comme ça qui partiront. D’autres qui resteront. C’est ainsi.

« Que tu le prennes ou que tu le prennes pas, ça te regarde toi, pas eux. S’ils veulent te lâcher, ils le feront. Les gens ont pas besoin d’excuse pour ça. » Dure, cette opinion. Cinglante, la blessure de l’enfant délaissé. « Ils peuvent reprendre leur souffle, c’est humain ça aussi. Mais si vraiment ils devaient couper les ponts… ya parfois du tri à faire dans sa vie et même si c’est douloureux c’est pas un mal. »

Y compris quand il s’agit de ses propres parents, le concernant. Car le jeune homme se rendait compte qu’il y avait quelques semaines, il faisait avec Enzo ce qui aurait sans doute dû être orchestré par un membre protecteur de sa famille. Mais voilà, parfois la famille craint. Parfois il faut s’en forger une nouvelle. Et c’est mieux ainsi. Le désert peut être long à traverser, mais quand on fini par trouver de l’eau, elle n’a jamais meilleure saveur.

« Je comprendrais si je m’en prenais une mais dans le fond t’as raison : c’est ta lutte. Toi avec toi-même. Les autres n'ont pas à en porter le fardeau. » Pas pour ça qu’il risquait de s’en prendre une. « Alors les prends pas comme excuse pour craquer. » Pour ça.

Si elle me quitte, je n’ai pas de raisons de continuer à tenir.

C’est faux. Et c’est pas sain de faire peser sur un autre le poids de ses propres échecs.
Ça serait ça, d’ailleurs, leur faire porter ton fardeau.

Ça. La leçon apprise par la première personne à qui il avait cru bon d’attribuer ce qu’il avait cru être un sentiment amoureux. Douloureuse, cette leçon. Et pourtant elle avait raison. Voilà pourquoi il ne voulait impliquer Caitlyn. Voilà pourquoi il devait se remettre seul du départ de Dakota et voilà pourquoi prendre cette putain de dope serait une insulte à celle qu’il avait profondément aimée.

« Qui que tu sois, tu te le dois à toi-même. Prouves-toi que t’es plus forte que cette merde. » Il y avait de la rudesse dans ces mots, une force presque brutale qu’on pouvait deviner lorsqu’il était sur scène. Un truc vif et bourré de colère ou de joie selon les moments. A l’instant c’était de la colère. Il y a des choses dans la vie qu’on doit faire pour soi. Ça, c’en est une. C’est ta bataille, ta rage, le truc que tu dois dépasser avec ou sans aide, qu’importe, ça doit se faire pour toi, par toi. Sinon ça reviendra. « C'est le seul vrai conseil que j'ai en réserve. »
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Takuma Ishida Hayato
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Takuma Ishida Hayato
Lun 27 Déc 2021 - 15:34


Elle aurait aimé se débarrasser de tout ce qui l’encombrait. Vite, vite, toujours vite. Plus vite même que le temps que toutes ces choses avaient pris pour apparaître et venir alourdir son coeur. C’était son drame depuis toujours, le temps. Faire tout rapidement, enchaîner les activités, supprimer les transitions, oublier le repos, ne pas s’arrêter, essayer et réessayer sans se laisser le temps ou se donner le droit à l’erreur. A chaque réussite, aller plus loin, changer de cap, reprendre le chemin de l’apprentissage, rencontrer à nouveau la frustration, la rejeter, lutter, exécrer le temps perdu, y arriver dans la sueur et l’épuisement. Recommencer sans voir qu’elle y était arrivée. Se mettre à l’épreuve, tout le temps, pour tout. Râler qu’elle ne réussissait jamais rien. Soupirer quand les autres disaient le contraire. Recommencer.

Encore, et toujours, recommencer.

C’était la vie, après tout. Un enchaînement de débuts et de fins, un mouvement continu qui ne s’arrêtait pas, du moins avant le grand final. Mais comme elle oubliait trop souvent que tout mouvement n’était pas fait dans l’empressement, elle n’avait jamais aimé avancer lentement. Pourtant, certaines choses méritaient d’attendre, de prendre le temps, de ralentir pour les voir passer, les digérer au rythme qu’elles demandaient. On ne pouvait pas presser un deuil, une relation, la découverte de soi ou une lutte contre ce qui voulait dévorer l’âme et le corps. Il n’y avait pas de bouton pour accélérer ces choses-là, pas de solution miracle, pas de raccourci. Il fallait laisser le temps passer.

En compagnie d’un inconnu qui ne l’était pas vraiment.
Quelqu’un qui savait ce que cette lutte engendrait.

Peut-être auraient-ils du parler d’autre chose ? S’éloigner de ce truc omniprésent en eux pour le couler sous une couche de conversations de surface et faire semblant d’oublier le pourquoi de leur présence ici. Mais ils n’y avaient même pas pensé. Non, rien d’autre n’existait en cet instant que leurs douleurs et la façon dont elles s’exprimaient et se répondaient parfois. Si Sanae acceptait de passer le temps, son esprit s’accrochait aux problématiques qui l’embourbaient toute entière. Et il suivait, tentait d’éclairer ci et là des zones que l’humeur de la sorcière tirait dans le noir. Elle tirait, tirait, au risque de l’amener, lui, vers une obscurité dont il semblait s’être extirpé plusieurs fois déjà.  

« Belle éviction du jugement blessant. » Si c’était ainsi qu’il le percevait, elle n’était pas sûre, elle, de l’avoir fait exprès. Pas vraiment un cadeau ou une réussite alors. « Ok, j’ai compris, t’es meilleure que moi à ce jeu-là et t’anticipe mes arguments. Je plie madame, devant la pertinence de vos arguments » Le geste suivait les mots et elle le regardait, inexpressive, jusqu’à ce qu’un faible sourire qui n’atteignit pas ses yeux se forme sur ses lèvres. Il ressemblait davantage à une grimace. Son regard retomba sur son café.

Elle avait plutôt l’impression de faire plier ses espoirs ou de ratatiner l’énergie qu’il semblait mettre à lui ouvrir les voies qu’elle ne voyait plus face à elle. Oui, elle avait la sensation qu’elle n’était plus qu’un coeur triste et cynique, et que celui de Takuma était encore illuminé de ce quelque chose qui pousse vers l’avant. Ce soir, elle en était dénuée. Et elle ressentait ce profond désespoir qui lui faisait jalouser toute avancée chez les autres, tout signe que eux, ils pouvaient réussir là où elle ne faisait qu’échouer. Alors si elle était dure, si les mots faisaient parfois mal, sans doute y avait-il cette petite partie d’elle qui l’enviait pour les anciennes réussites et les futures. Pas envie pour autant de se confronter aux conséquences de ces mots… Elle ignorait les légères crispations du sorcier, faisait semblant de ne pas voir les mâchoires se serrer, les doigts entourer plus fermement la tasse. Plus rien d’autre ne comptait que les conclusions cyniques et crues de son coeur plein de mélasse. Elle ne voyait plus ce qui aurait pu être prometteur dans cette conversation, n’y ressentait que la morsure amère face à ce qui paraissait être inévitable.

Une voix lui soufflait qu’il n’y avait rien à faire, rien à espérer.
Et elle écoutait, plus attentive à cette voix qu’à celle de Takuma qui lui offrait pourtant bien plus.

S’il détournait le regard en sentant les angles tranchants des mots, elle le fixait toujours. C’était injuste probablement cette volonté de faire flancher l’espoir en lui pour se confirmer à soi-même qu’il n’y en avait pas. Quand ses prunelles revinrent vers elle, elle y vit l’effort monstrueux, la douleur récoltant ce qui avait déjà germé. Il savait, lui aussi, le poids de la déception qui naissait chez les autres et dont ils s’attribuaient, eux, la responsabilité pleine de drame. Coupables, à chaque instant. Alors finalement, n’y avait-il pas mieux à faire que d’admettre qu’ils ne ressortiraient pas gagnants ? Admettre, simplement, qu’il n’y avait rien d’autre à dire que ce constat qui sonnait comme un glas au fond d’eux ? Admettre et puis cesser de souffler sur les braises d’une espérance vouée à mourir au fond d’un sachet ou d’une seringue. S’ils arrivaient à éviter cette dose que leurs organismes voulaient si fort, ce serait la plus belle réussite de cette nuit. Mais il n’y aurait rien de plus d’accompli.

Ce constat, elle le proposait comme pour clore une tentative qui faisait bien plus de mal au sorcier que de bien. Il prit un temps avant de répondre, rejetant son regard vers sa boisson avant de glisser un « Ouais… ça serait déjà pas mal. » Il ramena la tasse, le corps un peu raide, avant de se laisser retomber contre le dossier de la chaise. Elle soupira en silence, sans véritablement lâcher son regard. Un silence presque apaisant s’infiltra, calmant les brûlures que laissaient les mots entre ses lèvres.

« Tu le penses vraiment ? Qu’ils partiraient ? » Silence de courte durée. L’apaisement, aussi. Sa respiration marqua une saccade dans sa poitrine. Ce ils se rappelait à elle bien mieux lorsque ça sortait de la bouche d’un autre, comme si dans la sienne à elle, ce « ils » devenait seulement ce qu’elle en faisait. Dépossédé de sa véritable nature, « ils » n’était plus qu’une entité la menaçant d’abandon et de jugement.

Partiraient-ils vraiment ?

Un instant, le regard de Takuma la gêna au point de s’en détourner.
« Tu sais… j’ai jamais été…. Enfin j’suis pas très bon pour faire ce qu’on attend de moi je suppose... Mes parents étaient… sont des gens exigeants qui ont toujours attendu des résultats et … disons que j’étais pas vraiment à la hauteur de leurs espérances. Un jour ça a pété et je crois que plutôt que de me frapper, mon père m’a chopé par le bras et m’a demandé de dégager tant que j’aurais pas le cran d’être assez bon pour porter son nom de famille. Que tant que je n’aurais pas décidé de le rendre fier, j’avais pas de raisons de rentrer. J’avais douze ans. Après ça a été la rue. » Les yeux fixés sur la vitre qui donnait vers la rue, Sanae ne pouvait s’empêcher de les laisser glisser vers lui mais jamais dans son regard, jamais sur son visage. Ci et là, prenant des points d’appuis qui ne duraient jamais plus de deux secondes, ses prunelles sombres venaient tracer des allers retours entre sa silhouette et ce vue sur le goudron noir de la rue. Son histoire résonnait douloureusement en elle. Pas la peine de jouer à celui qui avait le plus souffert, ou moins eu de chance. Ces vies étaient crasseuses dans ce qu’elles avaient laissé s’infiltrer en eux pour toujours. Peu importait le moment et la façon, le fait est qu’ils se retrouvaient à peu près au même point. Lui aussi connaissait l’abandon. Lui aussi avait souffert de l’exigence terrible qui étouffait. « Je les ais pas revus depuis…. Eux je doute qu’ils aient pu me louper. » Jamais revenus. Aucun pardon, aucune excuse. Pas de retour en arrière. L’absence et le silence. Et Takuma, lui, avait la raison précise de cet abandon ; il l’avait vécu dans sa pleine conscience, pouvait se remémorer les mots, les visages, la dureté du ton… Les paroles pouvaient hanter aussi bien que le silence, elle n’en doutait pas.

« Juste pour dire que je sais ce que c’est que de se planter, de pas être à la hauteur et de décevoir. Surtout au point de perdre les autres. » La sorcière se tourna vers lui, le regard prudent, les sourcils froncés. Même avec une carrière qui avait pendant un temps été fulgurante, il se plaçait du côté de l’échec. Tout en bas de cette montagne d’exigences impossible à grimper. « Simplement… J’en sais rien. Si ces gens comptent vraiment et qu’ils étaient dans ta situation… tu les lâcherais toi ? On a tous nos failles et se planter est humain. Va pas me dire que eux, ils tiendraient. Que ça soit pour ça ou d’autres choses… on a tous un truc qui nous bouffera trop pour nous empêcher de nous relever…. Alors la question c’est… Est-ce qu’ils te lâcheraient vraiment ? En toute objectivité ? Et si c’est le cas, est-ce que tu te détestes au point de penser que ces gens sont bons pour toi ? Si au contraire tu les sais être des personnes de valeur que tu respectes… bah il serait peut-être temps de leur faire un peu plus confiance. Parce qu’à penser ça d’eux, c’est pas eux que tu insultes ? avant même de te dénigrer, toi. »

Elle déglutit silencieusement.
Il avait raison. Tout à fait raison. Elle le savait. Et elle sentait dans ses entrailles l’entaille profonde de l’insulte qu’elle faisait à ceux qui l’entouraient. Si elle s’était trouvée face à eux, liée à leurs regards, bercée par leurs voix, elle aurait certainement pu dire qu’elle les croyait capable de rester, qu’elle leur faisait confiance avec ce qui apparaissait comme une vulnérabilité détestable chez elle...mais elle se sentait loin ce soir. Loin d’eux, trop éloignée de ce « ils » qui n’avait presque plus de forme ou d’identité. « Ils » devenait l’ennemi, celui qui partirait, qui la laisserait en arrière, qui serait trop déçu pour supporter sa présence une seconde de plus. Par ses mots, Takuma replaçait ce « ils » dans la réalité, le rendait tangible, vrai. Margo la détestait mais ce n’était pas à cause de l’addiction, c’était le mensonge qui les avait tuées. Kezabel irait au bout du monde pour l’aider et l’accompagner. Si elle prenait le téléphone, Logan serait dans cette rue en un rien de temps malgré le danger. Niall et Neolina n’hésiteraient pas. Ils seraient tous là. Alors oui, c’était une insulte de leur prêter des intentions qui n’étaient pas les leurs, de les croire moins attachés à elle qu’ils ne l’étaient, de penser qu’ils ne pourraient pas rester, même un peu. Mais leur présence, aussi touchante qu’elle pouvait l’être, encourageait le besoin qu’elle avait pour eux, et il y avait quelque chose de sauvage en elle qui demandait à s’en sortir seul. Juste au cas où...au cas où ils ne seraient pas là le lendemain, par un quelconque choix ou coup du sort. Après tout, n’était-ce pas la raison de sa perdition ce soir ? L’absence de Margo. Son silence crépitant. Voilà ce qu’il se passait quand quelqu’un partait, s’éloignait… plus rien n’avait de sens ou de goût et il devenait insupportable d’avancer dans une autre direction que celle qui menait à l’excès.
Elle pinça les lèvres, le souffle soudainement plus court dans sa poitrine.

« J’crois que c’est ça le problème, j’suis pas objective. » souffla-t-elle, relevant son regard vers lui. « J’aimerais pouvoir dire que je suis sûre qu’ils vont rester, qu’ils le peuvent mais… si des parents peuvent abandonner leur gosse comme les tiens l’ont fait, je sais pas si je devrais être sûre de quoi que ce soit. » Les siens, à lui, les siens, à elle. Quand ceux qui leur avaient donné la vie traçait la marque de l’abandon sur eux, comment être persuadé de la permanence d’une présence ou d’une affection ?

Elle soupira.

« Que tu le prennes ou que tu le prennes pas, ça te regarde toi, pas eux. S’ils veulent te lâcher, ils le feront. Les gens ont pas besoin d’excuse pour ça. » Elle hocha la tête, ses doigts entourant son café sans toucher la tasse. Vrai. Tout ça était vrai. Elle n’aurait pas mieux dit elle-même. « Ils peuvent reprendre leur souffle, c’est humain ça aussi. Mais si vraiment ils devaient couper les ponts… y a parfois du tri à faire dans sa vie et même si c’est douloureux c’est pas un mal. » Son coeur se serra. Encore fallait-il pour ça faire preuve de lâcher prise…  Et Merlin ce que l’idée que n’importe lequel d’entre eux puisse s’en aller, de gré ou de force, lui faisait mal.

La tête basse, elle regardait les traces rondes de café sur la surface de la table, l’ombre du pot blanc qui contenait le sucre, la forme de la cuillère juste à côté.

« Je comprendrais si je m’en prenais une mais dans le fond t’as raison : c’est ta lutte. Toi avec toi-même. Les autres n'ont pas à en porter le fardeau. » Elle redressa légèrement la tête, les sourcils levés, l’air concentré. Elle allait rétorquer quand il ajouta : « Alors les prends pas comme excuse pour craquer. » Un souffle amusé mais amer franchit ses lèvres et son dos se fit droit. « Touché. » Les coudes sur la table, elle relevait le menton en le regardant avec un étirement douloureux de lèvres. Ah c’était donc pour ça qu’il craignait de s’en prendre une. Pas faux. Elle aurait pu si elle ne se sentait pas si molle, si incapable de tout. La vérité crue faisait mal mais elle ne lui en voulait pas pour autant. Il fallait bien que quelqu’un le dise à voix haute. « Qui que tu sois, tu te le dois à toi-même. Prouves-toi que t’es plus forte que cette merde. » Il devenait plus dur, plus frontal. Elle reconnaissait cette rudesse dans le ton et c’était bien plus familier que le reste alors à mesure qu’il parlait, elle laissait son sourire s’étendre légèrement sur sa bouche, la tête penchée.  « C'est le seul vrai conseil que j'ai en réserve. »

Pinçant les lèvres, elle acquiesçait lentement en l’observant.
« Ça, c’est un conseil que je veux bien prendre. » dit-elle, amusée.

Levant une main dans la direction de la serveuse, Sanae commanda un autre café sans détacher ses yeux de Takuma, comme un accord tacite qu’elle resterait bien un peu plus. La serveuse partit en direction du comptoir.

« T’aurais été moins éloquent si t’avais pris ta merde hein... » fit la sorcière, appuyant son dos contre le dossier de la chaise. Une façon de lui faire comprendre qu’elle l’avait entendu, compris, et qu’elle savait qu’il avait visé juste. Elle soupira, comme résignée. « Je me souviendrai de ça... » Sans doute était-ce le plus avoisinant un « merci ».

Un nouveau café fut déposé devant elle, remplaçant l’ancien et elle fit un léger sourire au sorcier. A l’extérieur, la rue devenait complètement déserte sous la lumière orangée des lampadaires. On pouvait voir alors de derrière la vitre deux inconnus discutant plus allègrement au fil des heures. Ils parlèrent de musique, de comment il écrivait ses textes, de la dernière fois qu’ils étaient allés au Japon, de ces petits biscuits qu’ils mangeaient là-bas quand ils étaient petits, des différences avec Londres, de leurs métiers. Ils passaient le temps, à deux, changeant de sujet, allant vers des contrées plus légères, plus faciles, oubliant un instant l’objet de leur venue. Oubliant, sans doute, le manque qui les tiraillait. Se rappelant, surtout, qu’ils n’étaient pas seulement ça, et qu’ils étaient bien plus que des junkies.

Quand il fallut partir, ils se quittèrent en espérant ne pas se recroiser dans une ruelle sombre, la corde au cou et l’âme en charpie mais dans les rues éclairées d’une après-midi plus tranquille, parmi une foule qui ne les regarderait pas mais dans laquelle, eux, se reconnaîtraient.


FINI POUR MOI
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Sanae M. Kimura
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