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"Après la Chute, le Néant" [OS]

 :: Autour du monde :: Europe :: — France
Ven 8 Jan 2021 - 23:06

Après la Chute…
...Le Néant.



Du 27 avril au soir au 1er Mai



Ce Chaos, soit il explose et détruit ce qui l’entoure ; soit, il implose et se détruit lui-même.


Comment en arrivait-on là au juste?
Comment pouvait-on passer d’une vie bien rangée, droite, à suivre des préceptes dictés depuis l’enfance et qui n’entendaient aucun débordement, aucun écart de moral, à cette existence en dents de scie, à suivre un instinct fluctuant, sans savoir où on allait et pourquoi ? Comment arrivait-on au point de non retour où on sentait son être basculer, s’échouer, s’écraser sur un sol dur et froid alors que le corps éprouvait encore la brûlure cuisante de la distance parcourue trop vite ?

On en arrivait là...en s’essayant au désastre, en lâchant complètement, en décidant que de toute façon, tout ce que l’on avait fait auparavant ne comptait pas et n’aurait pas du exister. On en arrivait là en se laissant vibrer trop fort, en envoyant bouler tout ce en quoi on pouvait croire...et en se surprenant à apprécier ça. En se surprenant à revendiquer quelque chose qu’on ne maîtrisait pas, qu’on ne connaissait pas. Elle avait voulu prendre à deux mains ce qui lui avait manqué toutes ses années et ses doigts s’étaient recouverts d’un liquide vermeille, gluant, chaud, fascinant, et elle s’en était recouverte le visage jusqu’à ne plus se reconnaître dans la glace. Ce reflet-là, de toute façon, n’avait aucun sens. Il n’en avait jamais eu. Son père lui avait donné une identité et cette identité avait été effacée à l’instant où il s’était éteint. Elle, elle était restée vide, creuse dans l’absence d’une vie écharpée dans la violence du déchirement sanglant. Creuse...vide...oui. Si vide que ses paroles n’avaient été que des échos de concepts lointains et dénués de sens. Tout était vide. Une coquille rincée par le sel de la mer. Rien à l’intérieur que de l’écho. Rien à l’intérieur que la disparition de tout. Et pourtant, des grains de sable qui se battaient en duel pour faire perdurer une illusion désuète et risible. Pourquoi s’acharner à remplir un truc vide de sens ? Toujours l’emplir...l’emplir de tout et n’importe quoi, lui dessiner des putain de motifs sur la coque pour le rendre plus joli, donner envie, se donner envie. Et merde.

Voilà. Les efforts du passé ? A gerber. Les efforts du présent ? Sans commentaire.
Quoiqu’elle faisait, ce n’était jamais bien, jamais assez, jamais ...ça. C’était comme chercher pendant des années un mot qu’on avait soit disant sur la langue. Imaginez comme ça pouvait rendre fou. Parce ce mot...c’était plutôt la réponse à une question, ou un tourbillon de questions. Qui es-tu ? Que veux-tu ?

J’en sais rien.
Et j’en ai plus rien à foutre.

Parce que ça ne sert à rien d’être qui que ce soit, de vouloir quoi que ce soit. A quoi bon s’acharner à être soi-même quand ça n’avait aucune réelle importance ? A quoi bon désirer quelque chose qui nous rendrait probablement malheureux, ou qui perdrait son intérêt à l’instant même où on l’obtiendrait ? A quoi bon être quelqu’un alors qu’on ne réussissait qu’à blesser les autres ? Etre quelqu’un juste pour être quelqu’un, ça n’avait pas de sens, si ? Si on avait personne pour nous voir exister, pourquoi s’acharner ? Si on décidait de s’en foutre, ce n’était pas plus simple ? Si on décidait de ne pas choisir, de ne pas penser, de ne pas être, c’était foutrement plus facile, non ? Alors peut-être que c’était ce qu’elle devait faire. Ne pas être. Tout simplement.

Et mon travail ? Je m’en passerai. Et la cause ? Elle n’a pas besoin de moi. Et les amis ? Ils m’oublieront. Et Margo ? Elle sera mieux sans moi. Et Logan ? Il s’en branle. Et Kezabel ?

...J’ai brisé la confiance...j’ai tout écrasé sous mon pied.
J’ai craché à la gueule des années partagées ensemble.
J’ai tout détruit.

Ah, peut-être était-ce ça la liberté ?
Ne pas compter pour les autres.
Ne pas compter sur les autres.
Ne pas compter, tout court.
Profiter de la destruction de tout pour s’échapper, s’extraire, laisser derrière soi le vide de son existence. Et laisser surtout sur le chemin...l’écho de son propre tumulte comme la dernière trace de son passage, avant le silence.



Elle n’avait pas fait sa valise, n’avait prévenu personne. Elle s’était contentée de rester un moment debout, le souffle court, les cheveux barrant son visage….oui, debout au milieu du chaos de son appartement dévasté par sa propre fureur. Le mur des dessins de Kezabel n’était qu’un pan de mur fissuré, sur lequel pendait un pauvre dessin rattaché par un coin, à moitié déchiré, tandis que le reste gisait par terre. La cible de fléchettes avait rejoint le sol et les fléchettes s’étaient plantées un peu partout : dans un coussin éventré, dans le pied de la table basse, dans les tableaux renversés...Tous ses bouquins avaient été déchirés, tordus, balancés par ses gestes incontrôlés, avides de détruire tout ce qu’elle voyait. Rien n’était plus à sa place. Les ampoules avaient explosé.

J’ai tout détruit, oui.
Et je laisse seulement des choses brisées sur ma route.


Non, elle n’avait prévenu personne, n’avait rien pris d’autre qu’un téléphone et ses papiers fourrés dans un petit sac. Une veste noire en cuir sur le dos, et les mêmes vêtements. Elle disparut dans l’obscurité de son appartement où sa vie venait d’être écartelée. Un CRAC et elle n’était plus là.

Oui, il suffisait parfois d’un « crac »…

Le reste ? Le reste...fut confus. Etrange envolée de jours qui n’avaient aucun sens, aucun but, aucune réelle pensée. Elle continuait à bouffer jusqu’à vomir, à baiser jusqu’à ne plus avoir de voix pour hurler, à boire jusqu’à ne plus rien voir ou comprendre.

Paris avait été sa destination. Un lieu plein de symboles auxquels elle n’avait pas vraiment réfléchi : le choix avait été instinctif. Elle connaissait cette ville comme l’on connaît une ville lors d’une visite éclair entre deux vols d’avion : peu. Parce que durant ses années de formation, elle n’avait fait que sortir par simple nécessité ; elle n’avait profité de rien, s’était juste languie de pouvoir retourner dans le Sud auprès de son père. Alors peut-être était-ce pour cette raison qu’elle revenait maintenant...par simple revanche. Elle n’était pas retournée à son vieil appartement. Trop douloureux. Elle avait pris une chambre d’hôtel qui, pendant plusieurs jours, devint son repère. Chambre bordélique, alternativement secouée par ses états nocturnes et plongée dans le silence de ses longs coma de jour. Elle vivait principalement la nuit, émergeant en fin de journée derrière des lunettes noires, les cheveux en bataille, la gueule défoncée par ce qu’elle s’injectait tous les jours : l’oubli. Sous toutes formes.

Elle était devenue une ombre, allant et venant, capable d’être touchée, de parler, mais destinée à errer sans objectif. Une ombre qui s’asseyait sur les longues banquettes de boîtes de nuit mal fréquentées, entourée d’étrangers tout juste rencontrés et dont elle se foutait du nom, à enfiler les vodkas et les whisky comme de l’eau, incapable de s’arrêter si ce n’est lorsqu’une nouvelle envie la traversait, la décidant à partir. Alors elle traînait son corps brumeux jusqu’à une autre boîte, un autre bar, une allée sombre, un appartement d’un type tout juste rencontré et collait sa narine contre une ligne blanche qui disparaissait dans un bruit d’aspirateur humain. Un aspirateur, voilà ce qu’elle était sans doute : elle aspirait tout sans se soucier des conséquences. Pourquoi s’en préoccuper, n’est-ce pas ? Elle n’était qu’une ombre sans visage qui sortait, chancelante, de bâtiments vibrant au son d’une musique trop forte, pour s’engager dans une fraîcheur de soirée de fin d’avril, se prenant parfois la pluie mais s’en fichant éperdument, traînant sur les trottoirs jusqu’à passer devant une autre enseigne. Y entrer. Boire encore. Grignoter des chips sur un comptoir mal éclairé. Se faire aborder par quelqu’un. Ne pas même se soucier de qui il s’agissait, de pourquoi il ou elle était là. Tu veux baiser ? Oui, non. Quelle importance ? Sa carcasse aspirait et se vidait sans arrêt. Elle prenait les souvenirs de tous ses amants et amantes : je vous donne mon corps, vous me donnez votre esprit. L’alcool coulait autant que les gémissements éclataient dans les gorges : une migraine terrible attendait tous les malheureux qui croisaient sa route. Pas même l’envie d’oublietter. Elle disait toujours que c’était la coke, le shit, le whisky. T’as abusé. T’as vu des trucs. Ce que tu dis n’a pas de sens. Tu ferais mieux de dégager. Alors ils repartaient sans trop savoir quoi penser et elle gisait comme un estomac tout juste rempli et qui constatait qu’il avait encore de la place. Un trou béant l’agitait au fond d’elle. Rien ne la faisait sourire à part la violence des gestes, des sensations, de la fulgurante domination. Et à chaque corps qui se crispait de plaisir, elle grimaçait intérieurement de toutes les images qui défilaient derrière ses paupières closes. Si elle fermait les yeux, c’était parce qu’elle n’avait pas envie de voir leurs visages. Pas à eux. Mais le sien, à Elle. Il crevait ses rétines à chaque baiser échangé, dénué de sens, à chaque caresse qui n’était pas de sa main, à chaque gémissement qui n’égalait jamais le plaisir qu’elle aurait pu lui procurer. Et si elle grimaçait, c’était parce que ces images la transperçaient trop violemment. Si elle grimaçait, c’était parce que l’oubli qu’elle réclamait instituait la métamorphose de ces images en simples souvenirs. Emprunts du regret de ne plus les vivre. Il fallait qu’elle oublie, oui. Oublier les boucles blondes éparses sur l’oreiller. Oublier le sourire, les prunelles claires, l’odeur de la peau, la voix susurrée à l’oreille. Oublier les possibilités, les désirs sincères, la complicité qui se tissait.

Tais-toi corps infâme à la trop grande mémoire…
Oublie, oublie…

Les jours défilaient comme les trains sur les railles, grinçant, le frottement créant de légères étincelles éphémères. Pas le temps de voir passer le paysage. Trop rapide. Le regard était tantôt dans le vague, tantôt voilé. Jamais vraiment clair. Elle ne voulait pas voir, pas ressentir – ou plutôt, elle laissait les émotions et les sensations passer sans réellement les attraper, s’y investir. Et finalement, tous ces jours ressemblaient à un vague souvenir flou et distant, dont même les bruits parvenaient par saccades, mais qui soudainement se stabilisait sur une vision précise, éclairé par un moment particulier…

Nuit du 30 Avril au 1er mai


Il devait être environ trois heures du matin, dans la nuit du trente avril au premier mai marquée par l’humidité ambiante et la légère brise qui traversait le fin tissu de son haut. Une pellicule de sueur s’était formée sur son front, et sur son décolleté, alors qu’elle sortait de la boîte encore bondée ; samedi soir, beaucoup plus de monde. Un monde qui vrillait la tête, donnait le tournis. Ce soir-là, elle avait rencontré un mec qui l’avait intégré au groupe d’amis qui l’accompagnait, et les shots de vodkas défilèrent assez rapidement. Trop rapidement, sans doute. Elle n’oubliait pas qu’elle ne tenait pas l’alcool ; elle s’en fichait, très simplement. La porte de la boite se referma derrière elle et à part les quelques fêtards qui fumaient leurs clopes sur le trottoir, il n’y avait personne dans la rue. Son regard chercha de chaque côté sans savoir ce qu’elle voulait trouver. La brise venait transformer la sueur de son corps encore chaud en morsure glaçante. Ses longs cheveux noirs s’étalaient sur ses épaules dénudées, une mèche barrant sa bouche entrouverte. Elle avait eu comme un sursaut à l’intérieur de cette boîte, une envie de partir, de décamper, de s’extraire alors elle était sortie. Un sursaut qui l’avait prise à la gorge dans la réalisation sans doute banale qu’aujourd’hui, du moins depuis trois heures maintenant, c’était son anniversaire.

Elle se pencha, mains sur les genoux, le souffle court. Et l’humidité ambiante semblait alors perler entre les cils de ses yeux. Premier anniversaire sans son père. D’un seul coup, comme on réalise brutalement qu’il n’y a rien ni personne autour de soi, la sorcière sentait ses mains appeler, se crisper, quémander la chaleur de sa sœur. Mais pas de Kezabel. La gifle résonnait toujours à ses oreilles, se jouait sans arrêt devant ses yeux. Claque sur claque sur claque dans son esprit embrumé par l’alcool. Un martèlement qui la prenait plus vivement encore que les souvenirs d’anciens anniversaires affluaient. Elles le fêtaient souvent ensemble, toutes deux du même mois, à quelques semaines près. Et finalement, c’était bien plus son anniversaire à Elle, qu’elle attendait, que le sien si dénué de sens… Etait-ce réellement le jour de sa naissance ? On l’avait déposée là, sur les marches d’un orphelinat. Pas d’acte de naissance, rien. On avait estimé qu’elle devait avoir quelques jours à peine, qu’elle devait être née le 1er et alors voilà...tant d’anniversaires basés sur une supposition. Tant de choses basées sur des illusions. Elle ne trouvait plus rien de vrai dans son existence. Plus rien de bon.

Pourtant, il y en avait du bon.
Mais pas ce soir. Pas maintenant. Pas derrière le voile des vodka ingurgitées. Pas après la gifle, pas après la chute. Pas après l’abandon, clair et net, et le silence laissé derrière.

Ce soir, il n’y avait plus que l’absence d’un père ; plus que la colère dirigée contre lui ; plus que la douleur de l’échec, de la cassure ; plus que le vide et le désespoir de ne jamais le voir combler ; plus que l’impasse dans laquelle elle se trouvait sans pouvoir voir au-delà. Il aurait fallu se hisser un peu, monter quelques marches, et regarder par-dessus le mur. Une infinité de possibles derrière un seul barrage. Mais elle ne hissait pas, elle restait par terre, face au mur. Dos au mur. Aux pieds du mur. Tant d’expressions pour dire une seule chose : elle était coincée. Elle se sentait coincée, sans issue.

Le Chaos ou la cage ?
Ce n’était pas un choix, n’est-ce pas ?
Et l’équilibre ? Le juste milieu ?
Elle n’y arrivait pas, s’en sentait incapable.

« Hey ! T’viens ? »
Une main lui attrapa le bras pour la redresser, la retournant. A travers sa vision floue, l’alcool ou les larmes qui demeuraient aux bordures des cils, elle reconnut le mec de tout à l’heure, celui qui avait enchaîné les verres avec elle. Pas de nom. Elle s’en fichait, ne cherchait même pas à s’en rappeler. Mais d’un seul coup, il lui rappelait pourquoi elle était là : pour oublier.

« M...ouais. J’arrive…, bredouilla-t-elle, se passant une main dans ses cheveux.
- T’es bourrée ? S’tu veux on reste dehors. Allez, viens... » Il l’entraînait vers le trottoir, au coin d’une ruelle adjacente et sortit un paquet de clopes. Il lui en tendit une qu’elle attrapa entre ses doigts tremblants. Allumant son briquet, il rapprocha la flamme du bout de la cigarette passée entre ses lèvres muettes et un instant, cette petite flamme se refléta dans ses prunelles et elle ne vit plus que ça. Plus que l’incandescence du feu qui inonda son esprit. Faisant un pas en arrière, un peu chancelante, elle ne tira pas tout de suite sur sa clope, clignant des paupières avant d’en prendre une bouffée, cramant sa gorge. « Allez viens, on marche un peu s’tu veux. Ca t’fera d’bien. » Il était tout aussi imbibé qu’elle sûrement mais quelle importance ? Ils firent quelques pas, et tournèrent dans la longue ruelle. Il lui tenait la taille et ils tanguaient tous les deux alors qu’il déblatérait elle-ne-savait-quoi. Bras replié contre elle, la sorcière tirait sur la cigarette sans faire de pause comme s’il s’était agi de la terminer au plus vite, de s’en emplir les poumons, le regard dans le vague. « ...t’sais que t’es vraiment b...belle. » Elle revint à la réalité, sûrement plus parce que les mots avaient été soufflés dans une haleine alcoolisée au creux de son oreille que par leur sens propre. « Hm. » fit-elle, désintéressée. « J’habite pas loin...hey...viens on s’barre, on va ch’moi... » Il eut un rire un peu euphorique auquel elle ne répondit pas. Ses pas s’arrêtèrent, son regard fixant sans la voir la ruelle qui s’étendait devant eux comme un couloir étroit semblant se rétrécir à chaque battement de paupières ; elle se tourna en silence vers lui, comme si elle découvrait sa présence. « On est bien ici nan ? » souffla-t-elle, sa clope tombant de ses doigts, s’écrasant sur le sol. Il eut un hoquet et sourit, ses prunelles aussi voilées que les siennes. « Ouais, c’toi qui choisi.. » fit-il, sa main sur son bras. « C’est moi...qui choisi. » répéta-t-elle, sourcils froncés, agrippant sa taille, le faisant reculer doucement, sans vraiment comprendre les mots qu’elle prononçait. Ou peut-être les disait-elle justement pour les comprendre. « C’est moi qui choisi. » fit-elle à nouveau dans un souffle avant de coller ses lèvres contre celle du moldu. Mais ce contact ne lui faisait plus rien. Rien. C’était froid, sans saveur. Elle ne sentait que le goût de l’alcool, de la clope. Rien d’autre. Sa chaleur à lui ne l’enveloppait pas. Le désir était mort. Il n’y avait plus qu’une étrange apathie, une demi léthargie. Elle se recula quelque peu, son regard allant et venant, son esprit embrouillé, tentant de faire sens.

Et puis, sans vraiment le décider mais plutôt guidée par son corps, elle croisa les bras sur son ventre, recula et s’éloigna de lui. Elle entendait sa voix mais elle n’écoutait pas. Il semblait protester. Tu vas où ? Tu restes pas ? Je ne sais pas où je vais, mais non, je ne reste pas.

Elle ne voulait pas rester, non.
Elle aurait pu retourner à son hôtel, se laisser retomber dans son lit et fermer les yeux. Mais elle continua à marcher, chancelante, la tête pleine et vide à la fois, laissant les pensées se succéder sans s’y accrocher, marchant, marchant… Les heures refroidissaient la nuit. Et il n’y avait pas même le silence complet pour l’accompagner ; il était troublé par les voitures qui passaient parfois, les vélos, les motos. Et elle continuait à marcher sans regarder où elle allait, traversant les rues, les quartiers, les routes, jusqu’à se trouver bien tard, ou bien tôt, sur un pont, son bras frôlant la rambarde sur son côté. La brise venait soulever ses cheveux et un bourdonnement incessant résonnait à ses tempes. Elle entendait plus vivement le son de ses propres pas martelant le sol, le son de sa propre respiration, que celui des voitures qui passaient. Les tous premiers rayons du soleil commençaient à peine à redonner un peu de luminosité au ciel, mais l’obscurité la berçait toujours, vacillante.

Vacillante, comme elle.
Là, sur ce côté du pont où les piétons pouvaient passer, et d’où, en contre bas, s’étendant une autre route, Sanae continuait à marcher lentement comme un fantôme. Elle errait plus qu’elle ne marchait. Coquille vidée de tout énergie mais à l’intérieur de laquelle la moindre chose tambourinait, les mots se heurtant les uns aux autres, les gestes, les regards, les odeurs, tous entremêlés dans un brouhaha qui ne lui laissait aucun repos. Elle était venue pour l’oubli et l’oubli l’avait fui. Il lui avait tourné le dos, tout comme elle l’avait fait au reste du monde.

N’y avait-il aucune solution, vraiment ?
Aucune issue ?
Rien ?

Elle se sentait épuisée, épuisée par le poids de sa propre existence. Epuisée de se sentir s’enfoncer davantage dans la fange, dans les méandres de tout ce qui était noir et chaotique au fond d’elle ; et lorsqu’elle se tournait vers ce qui était doux, rassurant, lumineux, elle n’y voyait que les anciens barreaux de sa cage, que le fardeau de l’illusion ignoble.
Je ne peux pas retourner en arrière.
Je ne peux pas avancer.
Je ne peux pas faire du sur-place.


L’image de son père l’envahissait.
Et celle de Kezabel, et celle de chaque visage qui attendait d’elle des choses, des mots, des décisions, un équilibre, enfin. Entourée d’eux tous, elle se sentait tiraillée, écartelée, perdue. Elle n’arrivait à rien, ni à être ce qu’on attendait d’elle, ni à être ce qu’elle-même attendait. Elle n’arrivait même pas à définir ce qu’elle voulait. Le miroir ne renvoyait plus qu’une forme vague, des contours indistincts.

Je suis fatiguée.
Ereintée.
Lessivée.


Et cette pensée persistante qui la piquait parfois à la gorge, au ventre, au crâne…
Il suffit parfois d’un crac, hein ?
Qu’avait-elle dit un jour ? Il n’y a pas de plus grand déshonneur que l’abandon ? Des paroles que lui avait répétées son père.

Elle s’arrêta un instant, immobile, une main sur la rambarde.

Pourtant, il y avait quelque chose de beau non dans l’abandon ?
Quelque chose de sincère, d’humain, de vulnérable.
De vrai.
Poser les armes. Se sentir léger après.

Pourquoi ne se sentait-elle pas légère alors ?
Au contraire, elle se sentait plus lourde, plus encrassée encore dans la mélasse qu’elle avait elle-même créée.

Son visage se tourna vers le vide, vers la route en bas sur laquelle sillonnaient quelques voitures matinales. Elle se surprit à se demander ce que ça faisait, de sauter dans le vide pour se crasher sur le goudron froid. Elle se demanda aussi si c’était bien différent de ce qui lui arrivait, si c’était plus douloureux encore, si au final, elle ne tomberait pas sur une voiture qui n’aurait rien demandé.

Son visage se tourna vers la gauche, vers cette route juste à ses côtés. Ah oui, il y avait ça aussi. Elle pouvait se jeter au passage d’une voiture, d’un camion, et voilà, l’impact qu’on espérait fatal. Fauchée. En combien de temps ? Est-ce que son crâne heurterait le véhicule avant de terminer sa course sur la route ? Est-ce qu’elle ne reculerait pas en se retrouvant au milieu des voitures qui tenteraient de l’éviter ? Elle se tourna entièrement vers la rambarde, posant ses deux mains dessus, agrippée à s’en faire blanchir les mains, le regard fixé, livide, sans émotions que le désespoir au fond des yeux, les traits tirés, les cheveux volant autour d’elle. Elle observait la route en bas, se disant que ce serait sûrement la meilleure manière : une fois passée par-dessus la rambarde, les jeux étaient faits, les dés lancés. On ne pouvait plus retourner en arrière, non ?

Il n’y avait plus rien à réparer lorsque tout était brisé…

Ses narines frémirent, ses sourcils se froncèrent, les larmes coulant dans la fraîcheur de la nuit qui se mourrait.

C’est trop dur. Et ça ne devrait pas être aussi dur de respirer, de bouger, de penser, d’être. Ça ne devrait pas être aussi compliqué de se trouver.

C’était dur avant, mais avant, il y avait quelqu’un pour lui dire comment agir, qui être, quoi faire. Quelqu’un pour la pousser dans une direction, pour décider à sa place, indirectement. Et la seule chose à laquelle elle pensait en cet instant, c’était à l’appeler, à lui dire de revenir, à lui hurler que non, il n’était pas mort, ce n’était pas vrai. Lui dire que depuis sa disparition, rien n’avait de sens, tout était brouillé, flou ; que depuis, elle n’arrivait plus à respirer normalement, elle n’arrivait plus à dormir sans rêver de lui, à manger sans espérer le voir à l’autre bout de la table, à être dans une foule sans fantasmer sa silhouette rigide et sévère mais si douce, et bienveillante. Elle voulait le frapper autant de son absence que de son aveuglement. Lui cracher toute sa rage, toute sa douleur.

Tu m’as caché que tu étais humain, toi aussi, que tu faisais des erreurs. Et j’ai cru que tu étais parfait, que tu savais mieux que moi, mieux que tout le monde, que tu détenais toutes les réponses à mes questions et que tu ne voulais simplement pas me les donner. J’ai cru que je pouvais caler ma respiration sur la tienne, prendre tes yeux et les mettre sur les miens pour voir comme toi, lier mon esprit au tien et faire comme toi, parler comme toi, penser comme toi. J’ai cru que j’étais toi et j’ai oublié de me demander qui j’étais, j’ai oublié que tu n’étais qu’un homme, qu’un père.

Regarde ce que j’ai fait depuis que tu n’es plus là…
...que des erreurs, et sûrement en suis-je une aussi...


Ses doigts se resserrèrent sur la rambarde et elle ferma un instant les paupières.
Son pied se planta dans les barreaux de la rambarde, un peu en hauteur. Juste un pied. On avait dit quoi ? Qu’il fallait parfois se hisser pour voir au-delà ? Oui, juste se hisser. Son autre pied trouva le même endroit, dans les barreaux voisins. Une mèche vint trouver la commissure de ses lèvres. Un vertige la prenait soudain, là, dans la brise, avec rien que le vide en-dessous d’elle. Et l’aube, juste en face. Et la route derrière elle. Et personne à ses côtés.

Attention Keza’ ! Tu vas tomber !

Paupières closes, elle s’était perdue dans son esprit et un souvenir la transperça aussi vivement qu’une lame. Sa propre voix faisant crisser l’intérieur de son crâne.

La petite fille de six ans escaladait un grand rocher sur la plage, proche de l’eau.

Mais regaaaaaaaarde ! Y a un coquillage ! Il est beauuuuuuuuu !

Dans la brise du réel, elle sentait presque l’air iodé lui fouetter le visage. Et le rire de la petite fille envahissait ses oreilles. Sa petite main tendue vers le bas du rocher, là où était coincé un coquillage dans une cavité. Et les vagues qui léchaient la roche, venait tremper les petits doigts...avant qu’une main, plus grande, vienne recouvrir la sienne pour attraper la merveille étincelante comme un escargot doré, légèrement rosé.

Là, tu vois...tu peux demander et je le fais pour toi. Mais ne vas pas si près du bord, tu aurais pu te faire mal.

Ne vas pas si près du bord.

Colle-le à ton oreille, ...on entend la mer.

Autant que dans ma coquille vide, pleine d’échos.
Je vais le donner à Maman!

En voilà un autre d’écho…

Sur la plage, la petite fille arrivait en courant et se jetait dans les bras de sa mère, le coquillage fièrement présenté dans sa petite main d’enfant qui s’émerveille de tout. Et à côté, deux pères qui souriaient de l’image...tandis qu’elle demeurait sur le bord du rocher, un sourire aux lèvres, avant de poser son regard sur l’eau qui éclaboussait le rocher.

Oui, pas trop près du bord...tu pourrais te faire mal.

Si elle sautait, est-ce qu’elle deviendrait un écho elle aussi ?

Rien qu’un écho.
Un souvenir.
Comme ceux qui peuplaient son esprit.

Elle déglutit, ses joues noyées dans le sel.

Je veux revenir sur cette plage.
Juste une seconde.
Donnez-moi une seconde dans le passé, pour les rejoindre, là, pour m’extasier encore une fois d’un coquillage trouvé, pour faire semblant de découvrir le son de la mer au creux de mon oreille. Juste pour voir son sourire, entendre son rire, voir ses grands yeux me regarder comme si c’était moi qui avais toutes les réponses.


Mais elle ne les avait pas.
Et de même que son père avait chuté de son piédestal...elle aussi, c’était fracassée au sol.

Sauf qu’elle ne savait pas comment recoller les morceaux.
Ni dans quel sens, ni avec quoi.

Elle ouvrit les yeux et à travers ses larmes, la lumière rosée du faible matin l’aveugla.

Elle ne savait pas grand-chose, mais peut-être cette seule et unique pensée la fit descendre de la rambarde pour toucher le sol, fébrile, tremblante, les larmes perlant sur ses lèvres.

Elle n’avait pas envie d’être un écho pour Elle.


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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
Lun 11 Jan 2021 - 23:08
1er Mai 2016



Elle n’avait pas rallumé son téléphone.
Éteint depuis des jours. Elle le gardait dans la poche de sa veste et elle avait l’impression qu’il lui brûlait la peau à travers le tissu. La veste reposait depuis des heures sur le sol de sa chambre d’hôtel qu’elle n’avait pas quitté depuis qu’elle était rentrée bien des heures auparavant. On aurait pu croire qu’elle s’était immédiatement affalée sur son lit pour cuver son alcool...et pourtant…
Sa silhouette floue s’était traînée jusqu’à la salle de bains, bras ballants, regard vide, traces de maquillage dessinées par ses larmes incrustées sur ses joues et le dessous de ses grands yeux noirs. Corps poisseux de la longue nuit passée dehors, cheveux emmêlés. Elle ne ressemblait plus à rien. Et pour quoi faire, de toute façon ? Elle n’était plus vraiment quoi que ce soit et il n’y avait plus personne à qui plaire. Elle s’était alors arrêtée devant le grand miroir de la salle de bains, et l’image piteuse qu’elle vit lui fit horreur. Une horreur muette, sanguinolente au fin fond de ses entrailles. Le dégoût l’avait prise violemment.

Plus rien. Plus rien, ni de la clémente, ni de la guerrière. Plus rien de la sœur, plus rien de l’amie, plus rien de l’amante. Elle n’avait pas utilisé la magie depuis des jours alors sans doute, n’y avait-il également plus rien de la sorcière. Que faire lorsqu’on était plus rien qu’une ombre, qu’une forme vague dans un miroir peu flatteur ? Que faire lorsqu’on voulait s’en punir aux yeux de tous ?

Elle le savait, ce qu’il fallait faire…
...ce qu’elle avait toujours fait.

En silence, ombre muette, elle ouvrit un tiroir et en extirpa une paire de ciseaux. Elle les déposa sur le bord du lavabo. Gestes lents, irréels. Les vêtements furent enlevés avec la même lenteur : ils retombèrent tous un à un sur le carrelage froid, jonchant le sol tout autour de ses pieds nus comme une terre parsemée de feuilles d’automne, les arbres se défaisant de leurs habits des beaux jours, pour demeurer nus dans l’air glacé. Et au milieu des feuilles, les branches trop frêles tombaient sous la force du vent.

Ça ne devait pas être joli. Ça ne devait pas faire beau, être agréable. C’était une punition. Comme les samouraï coupant leurs cheveux lorsqu’ils tournaient le dos à leurs maîtres, lorsqu’ils devenaient ces êtres errants sans cause, ni combat. Ces histoires, elle les connaissait par coeur, pour les avoir tant réclamées à son père. Les traditions, les légendes, les contes...ils virevoltaient dans son esprit dans un tourbillon nostalgique du temps où ils étaient racontés par une seule voix masculine, profonde, tranquille, déclenchant le sommeil d’une enfant en manque d’imaginaire et qui voulait apprendre à rêver.

Le rêve n’était plus. Elle appliquait les punitions d’anciens temps. Guerrière sans combat, sans but, sans famille, sans clan, sans nom, sans arme. Même pas capable de s’extraire définitivement, encore et toujours rattachée à la vie par un file fin, craquelé par endroit, mais qui tenait malgré tout. Errer semblait la seule solution. L’entre-deux. Ni morte, ni vivante. Présente dans les ombres. Loin de ceux qui l’avaient un jour aimée. Avec un peu de recul, sans doute aurait-elle compris qu’elle faisait exactement ce qu’elle avait reproché à Logan autrefois ; perdu entre deux choses, refusant de choisir, refusant d’avancer, préférant se considérer comme rien ni personne. S’il était le déshonneur, elle l’était elle aussi à présent.

Alors les gestes rageurs avaient scellé l’issue de la punition...les mèches noires de ses longs cheveux s’étaient prises entre les ciseaux et étaient tombées au sol petit à petit. Tout couper. Entailler. Amputer. Ne laisser que la trace de ce qui avait été jadis là, comme un souvenir de ce que l’on avait perdu. Et dans le miroir, elle ne voyait plus que les contours d’elle-même, presque effacés, à travers les pleurs silencieux. Lèvres frémissantes, dents serrées, grinçantes, claquantes. A chaque bruit sec des ciseaux, les soubresauts de son âme prenaient également son corps. Des gémissements d’animal blessé perçaient parfois sa gorge enrouée avant d’être écrasés à nouveau dans le silence. Et bientôt, ses cheveux n’atteignirent plus que sa nuque, inégaux.

Les ciseaux retombèrent sur le sol.
L’ombre glissa ses pieds sur le carrelage, jusqu’à son lit, et vint se replier sur les draps en une seule forme nue et pathétique.

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Sanae M. Kimura
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Sanae M. Kimura
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