You and me were kids ▬ Sovahnn

La journée avait été longue et éreintante. C’était fait, le second patron était au courant de sa grossesse et du fait qu’elle s’était complètement servie de lui et des lois du pays pours s‘assurer un revenu dans les prochains mois. Non, ça n’était pas honnête, c’était certain, mais c’était comme ça, la jeune femme devait bien s’assurer un avenir. Elle ne resterait pas juste comme ça à espérer que les solutions lui tombent toutes seules dans le bec. Elle n’avait toujours pas de nouvelles de Warren et manifestement l’argent ne risquait pas de couler aussi facilement que ça alors la jeune femme avait bien fait d’anticiper. La veille, elle l’avait passée avec Ismaelle au téléphone à régler des problèmes administratifs du monde magique qui lui échappaient complètement. A vrai dire, ne pas se retrouver clairement sur les registres lui allait parfaitement et son ancienne professeur l’avait énormément aidée à s’y retrouver dans tout ce fatras… sans compter les conseils et l’apaisement qu’elle avait pu lui fournir sur certains points. Bref, Sovahnn ne contactait pas sa mère, bouleversant toutes les idées qu’elle s’était fait de cette période de sa vie. Mais Poudlard et ses emmerdes lui avait au moins fourni bien des choses en arrière plan. Une famille décousue, hétéroclite et parfaitement attachante, notamment.
Le problème ? C’était que la jeune femme s’était couchée tard et qu’elle venait d’enchaîner des heures à la boutique des parents de Caleb puis ses heures au « salon de thé »… deux fois. Elle n’avait pas fait toute la soirée à ce dernier, d’où sa présence actuelle sur les routes, pourtant, Sovahnn en avait clairement plein les jambes. Elle marchait lentement, commençait à désespérer de n’être toujours pas arrivée à son portoloin, bref, une galère. Alors l’idée d’être rejointe par Enzo qui risquait d’abréger sérieusement son retour ne pouvait qu’aider son moral à remonter.

Il n’y avait personne dans le coin. Pas à des kilomètres. D’ailleurs, il n’y avait jamais personne ici, ça n’était pas pour rien que les sorciers s’étaient décidés à poser un portoloin ici. Alors quand le craquement caractéristique s’était fait entendre, Sovahnn ne s’était pas inquiétée pour Enzo. Et Wax. Wax qui était dans ses jambes en quelques secondes, si vite qu’elle n’avait presque pas eu le temps de se retourner avant qu’il ne la rejoigne. Sourire accroché au visage, la jeune femme s‘était empressée de lui rendre son affection agitée. C’est vrai qu’un animal a un sacré pouvoir réconfortant. Elle devrait peut-être prendre un chien.

En attendant, son autre canis, lupus celui-là, n’avait pas tardé à la rejoindre avec la même fougue. Oui, à ce niveau là et étant donné sa fatigue à elle et leur agitation à eux, c’était de la fougue. Lâchant un cri de surprise, la jeune femme n’avait pas tardé à se retrouver dans ses bras, un baisé claqué sur sa joue.

« Le carrosse de Madame est avancé. »
« Ah ça y est t’es finalement décidé à me demander en mariage ? On fait comment avec Will ? Oh on forme un trouple ! … Le seul souci c’est que c’est pas trop mon genre. Ou sinon on s’enfuit tous les deux. Emmène-moi en lune de miel aux Bahamas ! »

Quoi ? Elle est crevée, pas amorphe ! Pas assez pour éviter de dire des conneries en tous cas !

« Tu sais que t’es vachement trop frais pour l’heure qu’il est. On croirait presque que tu démarres ta journée, c’est fou hein… »

Dingue !

« Ça va, j’suis pas devenue trop lourde pour ce genre de blagues ? »

Pas que son bidou poussait… mais si. Et à présent, elle aurait bien eu de la peine pour le cacher. Il aurait fallu un sacré paquet de pulls. Ou un plaid. Ça marche aussi un plaid. D’ailleurs, si elle ne s’était pas pesée, l’état de ses pieds à la fin d’une longue journée comme celle-ci, la jeune femme se doutait bien que sa fille et tout ce qui l’entourait devaient commencer à faire leur petit poids.

« Du coup ? C’est parti ? Bahamas ? »

Non mais c’est vrai quoi, ils avaient la possibilité de faire plein de choses et n’en profitaient pas ! Enfin, sauf Takuma. Mais ce sujet-là… il viendrait forcément sur le tapis ! Enfin… commençons par les Bahamas !

« Ah ça y est t’es finalement décidé à me demander en mariage ? On fait comment avec Will ? Oh on forme un trouple ! … Le seul souci c’est que c’est pas trop mon genre. Ou sinon on s’enfuit tous les deux. Emmène-moi en lune de miel aux Bahamas ! »
« Ouais alors il était déjà pas fan de mon ménage à trois avec Caem et Killian, donc si j'le plante pour une belle blonde qui en prime est enceinte du type qu'il a du mal à encadrer … Hum. »

Oui, je sais, ça peut être Warren aussi mais elle a dit que c'était Zach le père donc c'est Zach le père.

« Et puis tu me supporterais pas, au bout de deux minutes j'te soulerai déjà parce qu'il me manquerait. »

Vrai. Plus ou moins exagéré niveau timing, mais vrai. Tout ça balancé sur le ton de la conversation et en marchant, bien évidemment. Discussion normale, situation normale. Bonsoir. Bonjour ? Des fois j'ai du mal à comprendre comment mon cerveau fait pour suivre.

« Tu sais que t’es vachement trop frais pour l’heure qu’il est. On croirait presque que tu démarres ta journée, c’est fou hein… »
« Dingue. Comme si j'avais une tête à devoir aller en cours dans deux heures. Tss. »

Joie. Non en vrai ça va mais autant le dire clairement : J'en chie. Le rythme, tout ce qu'il faut apprendre, retenir, intégrer … J'ai vécu dans une bulle Magique pendant quasiment les 17 premières années de ma vie, m'adapter au monde Non-Magique donc à un cursus Non-Magique – même si c'est transitionnel – c'est pas évident. Soyez indulgents, je ne le serai probablement pas avec moi-même.

« Ça va, j’suis pas devenue trop lourde pour ce genre de blagues ? »
« Si mais heureusement j'suis hyper musclé. »

Sourire en coin, regard braqué devant moi avant de lui montrer toutes mes dents et mon plus bel air innocent. Derrière tout ça un élan de tendresse et d'affection, pour elle, pour la petite qui oblige sa mère a engranger quelques kilos en plus au fil des mois. Et ça lui va tellement bien. J'en sais rien, quand je la regarde … Tout ça me paraît tellement évident, normal. Ma meilleure amie est enceinte, le monde se casse la gueule mais dans ces moments-là je me dis que tout ira bien.
Wax s'éclate à pisser sur chaque par terre de fleur qu'on peut croiser – si, y a des fleurs qui fleurissent en février – et on s'éloigne gentiment vers un endroit plus discret. Précisément celui par lequel je suis arrivé.

« Du coup ? C’est parti ? Bahamas ? »
« Aller. »

Je siffle, Wax vient se coller à mes jambes, je relâche un bras pour poser ma main dans son pelage, baguette entre les doigts et … Ploc. Arrivé à destination. Chez Duncan, bien plus exotique que les Bahamas enfin ...

« Quoi ? J'ai jamais mis les pieds au Bahamas et toi non plus alors dis pas que c'est pas ici t'en sais rien ! »

Et qui sait, peut-être que quand la petite sera là, qu'elle sera suffisamment grande et Sovahnn suffisamment installée dans sa vie avec elle, on pourra aller faire un tour là-bas. Peut-être pas avec mon rafiot, ça fait une trotte, mais avec ce que nous permet la Magie pourquoi se priver ?
En attendant je la repose par terre et m'assure que Wax a bien supporté ce nouveau voyage lui aussi. Moi … Je dois bien admettre que je commence à sentir les effets de tout ça cumulé au fait que j'ai rien dans le ventre. J'en suis pas à voir des étoiles mais sans doute pas très loin.

« Tu sais qui s'est entrainé pendant 1h ce matin avec son frangin et a décidé de traverser le globe juste après en se payant le décalage horaire tout ça sans rien manger ? »

Aller, on lève le doigt. Non, on ne pointe pas son chien du doigt, c'est pas ce que j'ai dit.

« C'est Wax. Les entrainements avec Einstein sont éreintants. »

AHAHAHAH. Pardon. Un jour j'arrêterai de me moquer du chien de mon mec. Un jour. Peut-être. J'suis le premier à devenir gaga quand je le vois, ok ? Rectification, le deuxième. Peut-être même le troisième après sa mère. Bref, il est absolument super mignon mais faut admettre la différence – d'âge, déjà – de gabarit entre lui et Wax. Y en a un taillé pour la course, l'autre un peu plus pour le canapé du salon. Et il est parfait comme ça ! Ce p'tit boudin de porte.

« Comment vous allez toutes les deux ? »

Sans transition, bonjour.

« Ouais alors il était déjà pas fan de mon ménage à trois avec Caem et Killian, donc si j'le plante pour une belle blonde qui en prime est enceinte du type qu'il a du mal à encadrer … Hum. »
« Roh t’accorde trop d’importances aux détails franchement… »

Qu’est-ce qu’un détail parmi tant d’autres, me direz-vous ! Bien sûr, il y aurait des ajustements à faire au fur et à mesure du temps mais Sovahnn espérait bien que les tensions des uns et des autres finiraient par s‘apaiser. Concernant la réalité hein, pas sa fuite imaginaire avec Enzo bien sûr.

« Et puis tu me supporterais pas, au bout de deux minutes j'te soulerai déjà parce qu'il me manquerait. »
« Ah ça c’est fort probable. Merde ça fout mon plan en l’air. »

A défaut de t’envoyer en l’air, ça fait déjà un peu d’aérien…
Discussion normale entre deux copains ? Oui, tout à fait.

« Tu sais que t’es vachement trop frais pour l’heure qu’il est. On croirait presque que tu démarres ta journée, c’est fou hein… »
« Dingue. Comme si j'avais une tête à devoir aller en cours dans deux heures. Tss. »
« Ben non, c’est pas le cas alors tout va bien ! »


Ah la vie de sorciers et sa malléabilité ! Elle n’avait pas imaginé qu’il lui faille avoir une telle flexibilité une fois sortie de Poudlard. Etait-ce réellement la vie de tous les sorciers ou étaient-ils tous dans des situations particulières ? La question se posait ! La jeune femme trouvait que le monde moldu semblait bien plus simple de part un tas de points de vue. Il demandait à être moins adaptables sans cesse. Ou bien était-ce parce qu’il était synonyme pour elle d’une enfance lors de laquelle elle n’avait rien à gérer ?

« Ça va, j’suis pas devenue trop lourde pour ce genre de blagues ? »
« Si mais heureusement j'suis hyper musclé. »
« Ouf, on a frôlé le drame ! »

Heureusement qu’il y avait ça. Ce genre de répliques toutes bêtes, ce genre d’échanges qui respiraient la joie. Il était parfois sa bouffée de légèreté et elle n’aurait pu faire sans ça.
C’était sa dose de normalité dans un monde qui lui échappait parfois complètement. Sa dose de stabilité.

« Du coup ? C’est parti ? Bahamas ? »
« Aller. »

Oui, on parle de normalité quand il est question de se téléporter aux Bahamas dans les bras de son meilleur ami, accompagnés d’un chien qui gère manifestement mieux ces allers retours aux quatre coins du globe qu’elle. Que voulez-vous ? C’est son monde.

Un craquement, un vertige, une nausée passagère et ils étaient arrivés. Un jour elle s’y ferait, promis ! Déjà, avec lui, la jeune femme ne s’inquiétait pas, consciente qu’il gérait parfaitement ces déplacements un peu particuliers et que, si ça n’avait pas été le cas, il n’aurait jamais pris ce risque avec elle. Avec elles.

« Quoi ? J'ai jamais mis les pieds au Bahamas et toi non plus alors dis pas que c'est pas ici t'en sais rien ! »
« Ok, tu marques un point. Mais point de vue météo locale, tu m’excuseras d’avoir quelques doutes. »

La jeune femme avait retrouvé le plancher des vaches, accordant de nouveau un câlin au chien qui se portait manifestement comme un charme et puis, elle s’était redressée.

« Tu sais qui s'est entrainé pendant 1h ce matin avec son frangin et a décidé de traverser le globe juste après en se payant le décalage horaire tout ça sans rien manger ? ... C'est Wax. Les entrainements avec Einstein sont éreintants. »
« Ah ben oui tu m’étonnes, faut dire qu’il le dépasse en carrure et de loin, alors forcément ça épuise ! »

Parle-t-on d’Einstein ou de Derek ? Le flou artistique était clairement fait pour laisser flotter une incertitude afin d’embêter le principal intéressé.

« Ça va, t’as pas des matinées chargées toi sinon ! »

Elle n’aurait jamais imaginé ça si elle n’avait pas assisté à ce genre d’habitudes de son ami.

« Allez viens, on va vous requinquer ! »

S’avançant vers la maison de Duncan, elle avait tapoté sa jambe pour inviter Wax à la suivre. Ou Enzo. Trop d’incertitudes bon dieu on s’y perd !

« Comment vous allez toutes les deux ? »
« Ça va. Elle, bien, RAS de ce côté. Moi… Crevée. En fin de journée j’ai l’impression de peser une tonne et d’avoir des rondins de bois à la place des jambes. Mais ça va. J’ai reçu mon premier double chèque et les deux périodes d’essai sont passées donc je me détends enfin. Le premier gros objectif de cette remise sur les rails est fait. Plus que tout le reste… Et ma cheville ne pose plus souci donc c’est top ! »

Tu sais que tu ne lui as pas dit, ça ? Non ? Bah il risque de tilter plus que toi et ton mononeurone de fin de journée.

Ils étaient arrivés à l’entrée et si Sovahnn avait lancé un appel général, indiquant son arrivée, elle n’avait reçu que du vent… et une tornade. La fille de Duncan était sortie de là, la saluant à son tour, rapidement – plus que la future maman - tout en mettant ses chaussures et son manteau.

« Ton père sait que tu sors ? Il est là ? »
« Oui, il le sait, ça va, à ce soir ! »

Pas le temps de la saluer qu’elle avait déjà contourné Enzo, sortant en courant sous le regard sceptique de Sovahnn qui la regardait s’éloigner.

« Pas de conneries hein ?! …. Quoi ? Je m’entraîne ! »

Une main sur le ventre et la voix tendre : « Oui ma chérie, je serais très chiante, note le tout de suite comme ça t’auras le temps de t’y faire… Tu veux quoi, des œufs ? »

La dernière phrase était évidemment adressée à Enzo hein. A priori elle ne parlait pas gastronomie à son enfant à naître via le filtre du cordon ombilical. Oubliez, elle en serait capable.

« Oh attends ! Avant tout… »

Si elle avait fait deux pas vers la cuisine, elle était rapidement revenue vers Enzo, passant ses mains autour de lui et posant sa tête quelques secondes dans un air de bonheur béat.

« Voilà… ça c’était nécessaire. Cherche pas j’ai le cœur guimauve et la tête.... bah guimauve aussi en fait. »

Un clin d’œil.

« Ça va. Elle, bien, RAS de ce côté. Moi… Crevée. En fin de journée j’ai l’impression de peser une tonne et d’avoir des rondins de bois à la place des jambes. Mais ça va. J’ai reçu mon premier double chèque et les deux périodes d’essai sont passées donc je me détends enfin. Le premier gros objectif de cette remise sur les rails est fait. Plus que tout le reste… Et ma cheville ne pose plus souci donc c’est top ! »
« Ta … Ok. J'vais faire comme si j'avais rien entendu. »

Cette histoire de cheville ? Jamais entendu parlé. Les deux boulots, si. Mais qu'est ce que je peux dire ? Bien sûr que je m'inquiète pour elle, bien sûr que j'ai toujours cet instinct ultra protecteur vis à vis de mes proches et doublement avec elle depuis que je sais qu'elle est enceinte, mais j'ai aussi appris à mettre ce côté là de moi en sourdine en faisant simplement confiance. Je sais ce que tout ça représente pour elle, alors je suis là, je la soutiendrai toujours et ça commence par la laisser gérer les choses comme elle l'entend. Elle sait que je suis là, je sais qu'elle le sait tout comme je sais qu'elle acceptera de dire stop si jamais ça devient trop. Je la laisse vivre, c'est tout, en gardant sur elle cet œil à la fois impressionné et inquiet par tout ce dont elle est capable.

Et cette maison est vide. Est ce que c'est réellement possible vu le nombre d'habitant qui l'occupe ? Enfin, vide, pas totalement finalement.

« Salut Gwen. »
« Ton père sait que tu sors ? Il est là ? »
« Oui, il le sait, ça va, à ce soir ! »

Bref, mais intense. Sur mon visage c'est un sourire en coin qui s'étire alors que mains dans les poches mon regard va de la plus jeune à celle qui manifeste des réflexes de grande sœur – ou de mère, oui, bien sûr que je l'ai pensé. Un mélange d'amusement, de moquerie – gentille – et de tendresse, voilà ce que je ressens en la voyant réagir comme elle le fait vis à vis de Gwen.

« Pas de conneries hein ?! …. Quoi ? Je m’entraîne ! »
« J'ai rien dit. »

Paumes en l'air, face à elle, en signe de reddition – l'expérience m'a appris à ne jamais contredire une femme si je veux préserver mon intégrité physique.

« Oui ma chérie, je serais très chiante, note le tout de suite comme ça t’auras le temps de t’y faire… Tu veux quoi, des œufs ? Oh attends ! Avant tout… »

La surprise laisse rapidement place à un soupir, les yeux clos, mes deux bras qui se referment sur elle. En cet instant précis je presse sur pause et me laisse malgré moi envahir par tout un tas d'émotions, de ressentis et de pensées. Un peu de mélancolie, une certaine forme de manque mais surtout ce sentiment indéfectible qui me rappelle dans ces moments à que même si j'ai perdu une famille j'en ai gagné une autre. Personne ne remplacera jamais mes parents, c'est pas l'idée, c'est pas leur rôle, mais sans mes amis je ne serai plus de ce monde, ou en tout cas plus le même, et ils sont aujourd'hui mon roc tout simplement.

« Voilà… ça c’était nécessaire. Cherche pas j’ai le cœur guimauve et la tête.... bah guimauve aussi en fait. »

Mais je ne la laisse pas s'échapper, non, je la retiens en attrapant sa main et la ramène contre moi. Petite chose si fragile et pourtant si forte, un concentré de détermination, de courage, de folie et d'inconscience aussi. Un concentré de vie, tout simplement. Une des raisons pour lesquelles je n'ai jamais abandonné.

« J'suis fier de toi. Et je t'aime. »

Un baiser dans ses cheveux, un silence, un peu d'immobilité avant de m'écarter, poser mon sac par terre et rejoindre l'air de rien la cuisine où j'attrape le premier truc que je trouve pour le faire sauter entre mes mains.

« Moi aussi j'ai le cœur guimauve qu'est c'que tu veux. On a qu'a ouvrir un magasin de bonbons, on a déjà la matière première. Ou alors j'fais une grossesse nerveuse. »

Et peut-être que si je me pose j'arrêterai de courir partout jusqu'à l'épuisement pour avoir le temps de tout faire comme je le fais actuellement. Je ne veux rien perdre de tout ce que j'ai, je sais pourtant que je ne pourrais pas continuer à tenir ce rythme indéfiniment.
Assis sur un tabouret je récupère mon air de sale gosse, sans aller jusqu'à me comporter comme si j'étais chez moi parce que je ne suis pas comme ça. Wax se balade, c'est pas la première fois qu'il vient ici et je sais qu'il ne fera pas de conneries alors je le laisse faire tout en gardant un œil sur lui comme toujours.

« Tu sais qu'elle a eu un crush pour moi ? Tu l'aurais surveillé pareil si c'était moi qu'elle allait voir ? Et oui j'veux bien des œufs, merci. »

« Ta … Ok. J'vais faire comme si j'avais rien entendu. »

Oops. La jeune femme lui avait décroché une grimace avant d’entrer dans la maison. En effet, elle n’en avait pas parlé. Déjà parce qu’elle savait qu’il se serait inquiété, et parce qu’elle n’était pas particulièrement fière. Elle était cependant sur le point de faire sa confession quand ils avaient croisé Gwen, la fille de Duncan. A peine apparue, elle disparaissait déjà, manifestement poussée par l’envie de retrouver ses amis. Et voilà que Sovahnn jouait la grande sœur – ou la mère de substitution, comme on veut. La jeune femme passait plus de temps au boulot qu’ici finalement mais elle s’était vite attachée aux habitants de la bâtisse. Etait-ce son rôle ? Non, mais elle agissait par instinct sans vraiment se poser de questions. A vrai dire, elle avait largement assez à faire pour se mettre à s’interroger sur ce genre de choses.

« J'ai rien dit. »

Elle avait rit à cette réaction qu’il avait eu, mains en l’air en position de reddition. Ne surtout pas contrarier une femme ? Qui plus est enceinte ? Elle s’amusait de ça, surtout que c’était plus ironique qu’autre chose. Elle s’était d’ailleurs adressée à sa fille en construction un instant : qu’elle aussi, elle intègre qu’il valait mieux éviter de la contrarier. Ça serait toujours ça de pris pour la suite.
Et puis repas ? Non, câlin. C’était plus important là tout de suite, après une journée éprouvante. Oui, parce qu’elle faisait éveillée et active là, mais le coup de barre n’était pas encore arrivé ! Toujours était-il qu’il lui fallait du réconfort… et d’ailleurs, même sans ça, ça fait souvent du bien. Un peu de tendresse sans aucune raison.

« J'suis fier de toi. Et je t'aime. »

Un petit sourire sur leurs visages respectifs et elle avait initié un mouvement pour s’éloigner… chose qu’il n’avait pas laissé faire. Lâchant un  petit rire, la jeune femme s’était de nouveau retrouvée contre lui. C’est bien ce qu’on dit : un peu de tendresse sans aucune raison, ça fait un bien fou. Paupières closes quelques secondes, la jeune femme avait profité de cet instant de quiétude, laissant le temps et les soucis s’évanouir un instant avant de revenir à la réalité.

« Merci, moi aussi je t’aime et je suis fière de toi. »

Ça peut paraitre con comme ça hein, mais parfois ça fait simplement du bien de se sentir aimer et considéré. Un petit rappel, comme ça, une fois de temps en temps, ça fait beaucoup, surtout quand on est isolés de certaines personnes, comme sa famille par exemple, et qu’on se sent à part, rejetés ou seuls pour x raisons. C’était leur cas et ils reconstruisaient ce qu’ils avaient perdu à leur façon.

Laissée en arrière, un petit sourire tendre aux lèvres, Sovahnn avait finalement suivi son ami dans la cuisine, le regardant du coin des yeux poser ses affaires.

« Moi aussi j'ai le cœur guimauve qu'est c'que tu veux. On a qu'a ouvrir un magasin de bonbons, on a déjà la matière première. Ou alors j'fais une grossesse nerveuse. »
« Ah c’est une idée ça. Oh tu fais une couvade pour me soutenir comme c’est mimi ! »

L’instant suivant, elle était passée devant lui, soulevant sans aucune gêne son t-shirt.

« Hm non, perdu, je suis déçue de voir ces abdos ! Ou pas, c’est toujours une vue agréable, mais manifestement pas de couvade désolée ! Ça sera donc la boutique de confiseries ! BONBONS ET CHOCOLATS VENEZ ACHETEEER ! »

Quoi ? Ça fait un peu vendeuse de poissons ? Juste un peu.

Elle avait lâché le t-shirt, partant déjà chercher de quoi préparer un petit déjeuné quelque peu tardif pour ce fuseau horaire. Le pack d’œufs en main, elle l’avait montré à Enzo, réitérant son interrogation muette.

« Tu sais qu'elle a eu un crush pour moi ? Tu l'aurais surveillé pareil si c'était moi qu'elle allait voir ? Et oui j'veux bien des œufs, merci. »

Tout en lançant le feu sous la poêle et en sortant quelques ingrédients, Sovahnn lui avait jeté un regard ébaubi.

« Nan t’es sérieux ? Gwen ? Merde alors ! T’as su ça comment ? »

Sentant l’odeur du lard, Wax était revenu près d’elle, se frottant à elle avant de se mettre sur ses pâtes arrières pour regarder ce qu’elle faisait et lui faire ses yeux tout tristes pour lui réclamer un peu du repas de son humain.

« Oh non, tu oublies monsieur le ventre sur pate, c’est uniquement pour l’AUTRE ventre sur pâte ! »

Et puis si elle lui en filait, il ne risquait pas de la lâcher ensuite.

« Si j’avais su, je vous aurais surveillé tous les deux ouais ! Quoi que c’est moi qui aime les ptits jeunes il parait. Ferme tes écoutilles, là-dedans, c’est pas d’ton âge ! »

La dernière phrase était évidemment destinée à sa fille. Ah nan mais quelle famille étrange moi j’vous le dit !

« Fromage ? »

Parce que le gras, c’est la vie !

« Alors, mis à part tes journées de ministres, tes entraînements de fou suivis de journées de cours et de voyages aux quatre coins du monde, ça va comment ? »
...

« Et oui j'me suis pétée la cheville en glissant dans ma douche sans être très réveillée. »

« Nan t’es sérieux ? Gwen ? Merde alors ! T’as su ça comment ? »
« Par son manque total de discrétion ? »

Ça remonte, un peu, disons que c’était l’époque de Poudlard. On a tous eu des crush, c’est mignon. Est ce que j'en ai joué ? J'vais pas mentir, ça a bien du m'arriver ... Mais gentiment ! Pas de ma faute si comme tout le monde mon égo aime bien être un peu flatté.
Et Wax qui passe en mode suricate, évidemment. J’peux pas l’en blâmer, ça sent vraiment trop bon.

« Oh non, tu oublies monsieur le ventre sur pate, c’est uniquement pour l’AUTRE ventre sur pâte ! »
« Hey ! Ça s’entretient tout ça, j’y peux rien. »

Un claquement de paume contre ma cuisse, signe de ralliement pour la team poilu. Je chope la tête de Wax entre mes mains et le secoue gentiment avant de poser un bisou sur sa tête. J’aime tellement ce chien.

« C’est pas bon pour toi ça mon p’tit pote. »

Quelques petits écarts de temps en temps mais globalement il ne manque que ses croquettes et … je sais pas trop ce que j’en pense. Je me suis renseigné, certains nourrissent leur chien avec autre chose que cette alimentation sèche, notamment de la viande, faudra que je demande à Isma et Fenella ce qu’elles en pensent. Si on me pose la question, en tant que carnivore, le choix est vite fait.

« Si j’avais su, je vous aurais surveillé tous les deux ouais ! Quoi que c’est moi qui aime les ptits jeunes il parait. Ferme tes écoutilles, là-dedans, c’est pas d’ton âge ! »
« T’en fais pas, tu sais bien que je préfère les femmes plus âgées. Et ouais c’est pas d’ton âge toi là d’dans ! »

D’ici une trentaine d’année ça sera éventuellement bon, avec son père on est au moins d’accord là-dessus c’est beau non ?

« Fromage ? »

Aller.

« Alors, mis à part tes journées de ministres, tes entraînements de fou suivis de journées de cours et de voyages aux quatre coins du monde, ça va comment ? Et oui j'me suis pétée la cheville en glissant dans ma douche sans être très réveillée. »

Rien d’autre qu’un soupir entre dépit et fausse contrariété. Evidemment que je m’inquiète mais elle est là, devant moi, fatiguée mais en pleine forme tout comme la crevette qui grandi tranquillement à l’intérieur de son ventre. Puis surtout, elle n’est pas seule. S’il lui arrive un truc ici …

« Au moins l’avantage d’être 40 ans dans une maison c’est que t’as toujours quelqu’un pour intervenir en cas de besoin. »

… Oui, très peu de chance que ça passe inaperçu, c’est ce que je me dis. Une cheville pétée c’est pas grand-chose, pas avec la Magie en tout cas. Quand à mon propre état … Inspiration, expiration, et ça tient plus du soupir qu’autre chose alors que je pose mes coudes sur le meuble contre lequel je suis. Mains autour de la nuque et regard plongé dans le sien.

« J’suis éclaté. »

Voilà, c’est dit, je crois qu’il était temps. Mes mains retombent à plat, l’une d’elle va se loger dans le pelage de Wax.

« J’fais trop de trucs, je sais, tout comme je sais que je vais devoir faire des choix, ralentir, et ça me fait chier mais j’peux plus continuer comme ça j’en ai conscience. »

L’admettre c’est déjà un premier pas, non ? En attendant, oui, ça fait chier mais je le sais je dois faire attention. La fatigue, le manque de sommeil, ça peut jouer sur le moral et j’ai pas envie de retomber dans mes idées sombres, à passer la journée dans le fond de mon lit. Aucune certitude que ça se produise mais dans le doute je crois que c’est pas la peine de prendre le risque. J’ai été pas mal secoué ces dernières semaines, en plus de ça. Tout ce truc autour des Lycans me tournent dans la tête et l’approche de la Pleine Lune n’arrange rien.

« J’ai pas envie d’arrêter de passer du temps avec mon frère, ni de m’entrainer magiquement parce qu’on sait jamais. Mon taf me manque, j’ai pas fait de skate depuis au moins un mois, la réno de mon rafiot n’avance pas comme je veux parce que j’ai pas le temps, je galère à trouver un créneau pour aller chez la psy, j’en chie en cours, j’vois mon mec entre deux portes et ça me soule, mes potes me manquent, j’ai pas rendu visite à mes cousins depuis des semaines, le décalage horaire me prend la tête parce que je dois choisir entre dormir et voir les gens que j’aime … Ah et j’fuis Londres comme la peste des fois qu’un tordu voudrait faire de moi sa carpette devant la cheminée, chose hyper pratique quand certains de tes amis les plus proches vivent et/ou bossent dans cette ville. »

Et puis c'est con mais être indépendant parfois c'est lourd, aussi. Devoir s'occuper de soi même en permanence ou presque ... Je pourrais choisir la facilité et aller vivre chez ma Grand-Mère mais j'ai pas envie de lâcher la maison, ni ce qu'on a avec Derek.

« Mais ça va sinon hein. »

Dit-il dans un léger éclat de rire, parce que dans le fond il n’y a rien de grave dans tout ce que je viens d’énoncer – ou presque – mais visiblement ça avait besoin de sortir.

« Par son manque total de discrétion ? »
« Ah c’est une raison légitime. »

Elle l’imaginait tout à fait ainsi. Si la jeune femme grandissait, elle pouvait parfois se montrer moins discrète  qu’elle ne l’imaginait donc oui, Sovahnn pouvait aisément visualiser le type de comportement qu’elle avait pu avoir.

« Hey ! Ça s’entretient tout ça, j’y peux rien. »
« Ben à vrai dire, si du coup, c’est toi qui entretient. »

Mis à part en cas de privation alimentaire non souhaitée et particulièrement malveillante bien sûr, mais si la réflexion lui avait traversé l’esprit, la jeune femme s’était fait forte de ne surtout pas l’évoquer à voix haute. Pas besoin de remuer le couteau dans la plaie et de balancer des trucs qui font mal juste pour faire mal.

« C’est pas bon pour toi ça mon p’tit pote. »

Petit sourire. Ils étaient adorables tous les deux.

« J’devrais prendre une bestiole. »

Oui, ça sort de nulle part. Est-ce qu’elle le pensait réellement ? Peut-être pas complètement, elle aurait bientôt une sacrée bestiole à charge qu’il faudrait apprendre à gérer et deux, ça ferait sans doute trop, d’autant qu’elle n’habitait pas chez elle et qu’elle dépendait complètement de Duncan, ce qui lui posait problème malgré l’accueil plus que chaleureux qu’il lui offrait.

« Si j’avais su, je vous aurais surveillé tous les deux ouais ! Quoi que c’est moi qui aime les ptits jeunes il parait. Ferme tes écoutilles, là-dedans, c’est pas d’ton âge ! »
« T’en fais pas, tu sais bien que je préfère les femmes plus âgées. Et ouais c’est pas d’ton âge toi là d’dans ! »

La jeune femme avait lâché un rire franc, finissant de préparer sa petite mixture avant de sortir une assiette pour la remplir – tout en continuant de discuter - avant de la déposer devant Enzo qui répondait à ses interrogations.

« Au moins l’avantage d’être 40 dans une maison c’est que t’as toujours quelqu’un pour intervenir en cas de besoin. »
« C’est l’idée oui. Et c’est pour ça que je me suis retrouvée à poil secourue par Dorian. Un grand moment. »

Rien de bien méchant, mais pour Dorian que ce genre de proximité angoissait, il fallait dire que c’était un sacré pas en avant avec une gène mesurable sur l’échelle de Richter. C’est dire. Au final, ça leur avait permis de se rapprocher et de se connaître un peu mieux – un peu trop physiquement parlant ? – et c’était plutôt une bonne chose. Mais bref. Ils parleraient sans doute avant de l’équilibre du karma en termes de nudité.

L’assiette d’Enzo était déposée devant lui –oui, elle s’entraîne à être maman, et vu tous les repas qu’il lui avait servis et le fait qu’elle était ‘’chez elle’’ ça semblait plus que naturel – et Sovahnn n’avait pas tardé à s’installer en face de lui, une plaquette de chocolat à la main dont elle avait détaché un carré avant de le grignoter. Ses jambes lui faisaient un mal de chien et le fait d’enfin se poser ne faisait que le lui rappeler. Yeux clos une seconde. Ça passerait. Merde, elle aurait dû prendre un truc à boire. Elle verrait plus tard.

« J’suis éclaté. » Ah ? « J’fais trop de trucs, je sais, tout comme je sais que je vais devoir faire des choix, ralentir, et ça me fait chier mais j’peux plus continuer comme ça j’en ai conscience. » Pourtant, il faudrait sans doute car en effet, Sovahnn ne comprenait pas comment il faisait pour sembler enchaîner les activités comme il le faisait. Elle ne faisait que travailler et semblait au bout de sa vie, alors lui qui semblait en avoir plusieurs, comment faisait-il ?
« J’ai pas envie d’arrêter de passer du temps avec mon frère, ni de m’entrainer magiquement parce qu’on sait jamais. Mon taf me manque, j’ai pas fait de skate depuis au moins un mois, la réno de mon rafiot n’avance pas comme je veux parce que j’ai pas le temps, je galère à trouver un créneau pour aller chez la psy, j’en chie en cours, j’vois mon mec entre deux portes et ça me soule, mes potes me manquent, j’ai pas rendu visite à mes cousins depuis des semaines, le décalage horaire me prend la tête parce que je dois choisir entre dormir et voir les gens que j’aime … Ah et j’fuis Londres comme la peste des fois qu’un tordu voudrait faire de moi sa carpette devant la cheminée, chose hyper pratique quand certains de tes amis les plus proches vivent et/ou bossent dans cette ville. »

Ça en fait des doléances. Et ça lui pinçait le cœur.

« Mais ça va sinon hein. »

Petit rire jaune. C’était sans doute la bonne conclusion : mis à part tout ça, tout va bien.

« Tu te bouffes deux vies en une seule, tu m’étonnes que tu sois débordé et crevé. Ça fait combien de temps que tu ne t’es pas posé ? A part avec moi à rattraper notre pop-culture et à manger des cochonneries je veux dire. »

Dit la nana tout en mangeant un autre bout de chocolat.

« Je sais que t’es très doué pour tout gérer de front mais à un moment tu ne peux aller qu’à l’épuisement, il va falloir faire des choix… définir tes priorités quoi. Et accepter que certaines choses ne se fassent pas aussi souvent que tu le voudrais. Ou aussi vite. »

Pour le bateau en l’occurrence.

« Tu m’attraperais un bout de fromage derrière toi s’t’euplais ? Et un truc à boire genre jus d’orange. J’ai les pieds comme des jambonneaux là j’ai pas la foi de me relever. »

Elle le savait, que si elle mettait de nouveau un pied à terre, elle souffrirait… alors rester sur cette chaise paraissait une option plus qu’envisageable. Et puis, en cas de flemme, il avait toujours l’option magie lui. Même s’il fallait l’avouer, le sort de lévitation, Sovahnn le maîtrisait de mieux en mieux depuis qu’elle avait réussi à soulever Zach en urgence pour lui sauver la vie quelques mois plus tôt. Sans s’en rendre compte, à ce souvenir, la jeune femme avait posé une main tendre sur son bas ventre, croquant distraitement dans un autre morceau de chocolat. Trois, oui, quoi, t’as quelque chose à dire ? Non, bah voilà.

« En même temps c’est vrai qu’on fait chier à avoir choisi Londres comme point de rassemblement. T’as pas un boulot pour moi en Australie non ? De sorte à ce que je me liquéfie durant le dernier trimestre.. »

En réalité, elle l’avait envisagé, mais avec sa famille et ses proches ici… non. Notamment pour Zach et sa famille. Pourtant, l’idée restait tentante.

« C’est quoi le plus important pour toi actuellement ? »

Oui, elle en revenait à l’ordre des priorités de son ami.

« Tu te bouffes deux vies en une seule, tu m’étonnes que tu sois débordé et crevé. Ça fait combien de temps que tu ne t’es pas posé ? A part avec moi à rattraper notre pop-culture et à manger des cochonneries je veux dire. »

Bonne question. A laquelle une réponse m’apparait avec une une certaine évidence finalement.

« Après Noël, quand on est partis quelques jours avec Will. »

C'est-à-dire il y a plus ou moins deux mois. J’ai beau chercher, même si bien sûr il y a eu des semaines plus cool, non je ne me suis pas réellement posé depuis. Pas autant que j’aurai du le faire.
Je dois bien admettre que j’ai cette envie, ce réflexe plutôt, de me fermer comme une huitre parce que j’ai pas spécialement envie d’entendre la vérité. Pourtant je le sais, j’arrive à la croisée des chemins, à l’instant où le voile se lève sur les évidences, celui où j’admets les choses tout simplement.

« Je sais que t’es très doué pour tout gérer de front mais à un moment tu ne peux aller qu’à l’épuisement, il va falloir faire des choix… définir tes priorités quoi. Et accepter que certaines choses ne se fassent pas aussi souvent que tu le voudrais. Ou aussi vite. »

Ça fait chier, mais elle a raison. Je ne suis pas un surhomme, loin de là même, et j’ai peut-être eu tendance à foncer sur tout ce que je pouvais après ce qu’il s’est passé en septembre dernier. J’ai  peut-être voulu bouffer la vie pour ne pas qu’on me rattrape, pour prouver qu’on m’avait rien enlevé, que j’étais toujours bien là. J’en sais trop rien, j’ai pas calculé tout ça je crois, j’avais juste envie de profiter de mes proches et mes passions comme n’importe quelle personne sur terre non ? Mais force est de constater que je ne peux pas être sur tous les fronts. J’peux plus.

« Tu m’attraperais un bout de fromage derrière toi s’t’euplais ? Et un truc à boire genre jus d’orange. J’ai les pieds comme des jambonneaux là j’ai pas la foi de me relever. »

Réaction automatique, j’me lève et m’exécute, un peu hébété.

« En même temps c’est vrai qu’on fait chier à avoir choisi Londres comme point de rassemblement. T’as pas un boulot pour moi en Australie non ? De sorte à ce que je me liquéfie durant le dernier trimestre.. »

Premier sourire.

« C’est quoi le plus important pour toi actuellement ? »

Qui s’estompe pour laisser place à une certaine forme de concentration. Difficile de lister tout ça, de faire le point tout simplement. Ma priorité, ça a toujours été les autres. J’ai appris avec le temps, l’expérience, à ne plus me faire passer en dernier, à trop m’impliquer, à prendre des risques inconsidérés aussi. Je me traine un passif lourd, pas le genre de trucs qui s’oublie en un claquement de doigts et les vieilles habitudes parfois refont surface mais je trouve que globalement je m’en sors plutôt bien.
Un jus d’orange pour Mademoiselle, et un bout de fromage, avant de me rassoir et contenter mon estomac tout en laissant mes doigts glisser contre le pelage de Wax assis à mes pieds.

« Trouver un moyen de craquer le décalage horaire ? »

Ça résoudrait tellement de problèmes. Je me plains de ça, je sais que je suis loin d'être le seul à le subir et … c'est juste comme ça, c'est la vie, faut faire avec. Je ne compte pas tirer un trait sur mes amis, sur ceux que je considère comme ma famille et certainement pas sur l'homme que j'aime. C'est pas simple tous les jours et on ne se voit pas aussi souvent ou facilement que je l'aimerai mais c'est comme ça depuis des mois et on s'en sort très bien. Peut-être qu'un jour ce sera différent, d'une manière ou d'une autre, pour l'instant c'est pas le cas.

« Et acheter une île avec Will, y vivre à poil et distiller du rhum pendant qu'il y fait pousser sa beuh. C'est notre grand projet d'avenir. »

Je me laisse aller à un rire, à un peu de détente, conscient que le connaissant, nous connaissant, et parce que c'est un peu un running gag entre nous, ça finira peut-être par arriver. Parce que c'est un putain de junkie doublé d'un dealer et que j'ai probablement les moyens d'acheter une ile, alors quand il sera Docteur en je ne sais trop quoi ce sera cash machine pour nous deux. Deux gus qui se conteraient d'une cabane et trois fois rien.

« Plus sérieusement, je crois que le plus important pour moi aujourd'hui c'est d'aller bien. Si je vais bien alors le reste ça suit. Et aller bien ça veut dire prendre soin de moi. »

Garder du temps pour la psy si j'en ressens le besoin, me reposer, m'accorder du temps pour moi. Ça c'est la théorie, en pratique il faudrait pas oublier de tenir compte des kidnapings à répétition et autres meurtres sordides dans les rues de Londres qui font des lycans du coin des cibles mouvantes. Je ne suis pas obligé de m'en mêler, seulement je suis censé faire quoi quand c'est moi qu'on appelle ? J'ai envie de me dire que tout ça, ces doutes, cette baisse de régime, c'est juste une phase. J'y arrivai bien jusqu'ici alors pourquoi ça serait plus le cas ? Mais je sais que je dois me poser des limites.

« J'peux plus tout faire ou en tout cas moins souvent mais les autres, vous tous, vous restez ma priorité. Et les cours, même si j'avoue que pour l'instant j'ai plus envie de fuir qu'autre chose. »

J'vais m'accrocher, exactement comme je l'ai fait à Poudlard. J'vais m'accrocher et réussir, dépasser mes limites, dépasser les autres, atteindre les objectifs que je me suis fixé et s'ils changent en cours de route alors soit. Mais pas tout de suite, j'suis pas du genre à abandonner si près de la ligne de départ.

« Peut-être que j'peux essayer de limiter les trajets la semaine, et dormir plus aussi. Surtout. »

Exactement ce que je ne suis pas en train de faire en cet instant.

« Après Noël, quand on est partis quelques jours avec Will. »
« Ça fait foutrement loin ça… »

Pour une nuit complète. Cela dit, pour être tout à fait honnête, la jeune femme n’était pas complètement sûre d’en avoir réellement fait une depuis son départ de chez son ami mais ça, c’était un autre débat. Elle n’avait pas besoin de faire des allers-retours sur deux continents et de se taper les problématiques de fuseaux horaires elle. Dès qu’il venait ou qu’elle venait, ils s’arrangeaient pour limiter les heures aberrantes la concernant. Parce qu’il préférait se fatiguer lui, plutôt qu’elle(s), ce en quoi elle lui était reconnaissante. Mais sa fatigue actuelle l’inquiétait. Il devait ralentir le rythme, c’était évident. Cela dit, ça ne servait à rien de donner dans le mélo en présentant les choses de manière dramatiques. Et puis, le fromage, c’est la vie. On ne résous jamais un problème sans avoir mangé, c’est bien connu ! Certainement pas après une journée éreintante et alors que son meilleur ami mange allègrement ce qu’on lui a préparé et qu’on est enceinte jusqu’à … enfin vous avez l’idée.

Alors elle l’avait remercié avant de se couper une fine tranche qu’elle pouvait déguster en la laissant fondre tout en écoutant son ami. Son rituel du soir ces derniers temps.

« Trouver un moyen de craquer le décalage horaire ? »
« Ah, ça, ça serait fort. »

Pas simple, mais fortiche s’il s’en sortait. Lâchant un petit rire, la jeune femme s’était coupé une nouvelle lamelle. Quoi ? J’ai dit qu’elle était fine, pas unique.

« Et acheter une île avec Will, y vivre à poil et distiller du rhum pendant qu'il y fait pousser sa beuh. C'est notre grand projet d'avenir. »
« Ah, sympa comme projet d’avenir ! Ce qui est con c’est que c’est pas très baby safe pour les vacances. »

Quoi je pense déjà m’incruster dans tes projets d’avenir ? Oui, complètement, c’est pas en achetant une île que tu te débarrasseras de moi.

« Plus sérieusement, je crois que le plus important pour moi aujourd'hui c'est d'aller bien. Si je vais bien alors le reste ça suit. Et aller bien ça veut dire prendre soin de moi. »
 « Je pense que c’est déjà un objectif plus cohérent… il me plait assez celui-là. »

Il avait besoin de se poser un peu plus, c’était certain. Même si ça voulait dire mettre certaines choses de côté. Encore fallait-il qu’il accepte de ralentir le rythme. Il le semblait, là comme ça, bien sûr, mais pourtant la future maman savait bien qu’il avait souvent du mal à se canaliser sur ce type de sujet. Besoin et envie d’en faire toujours plus, d’être partout.

« J'peux plus tout faire ou en tout cas moins souvent mais les autres, vous tous, vous restez ma priorité. Et les cours, même si j'avoue que pour l'instant j'ai plus envie de fuir qu'autre chose. »

Elle lui avait jeté un regard interrogateur. Jusque là, il lui disait que tout allait bien. Après, bien… bien c’est aussi en partant du principe qu’il était un sorcier dans un monde de moldu, qu’il reprenait les cours après avoir vécu bien des choses complexes et qu’il vivait une double vie en parallèle de son existence à la fac. Le loup-garou du campus. Genre, littéralement. L’idée l’avait fait sourire malgré elle alors elle avalait quelques gorgées de jus de fruit. Et lui devait bien se demander ce qui lui passait par le crâne pour rire à ce qu’il venait de dire mais bref.

« Peut-être que j'peux essayer de limiter les trajets la semaine, et dormir plus aussi. Surtout. »
« Comme éviter de te réveiller aux aurores pour te bastonner avec Derek avant de traverser la moitié du globe pour débouler et prendre le petit dej avec moi tu veux dire ? »

Ouais, quelque chose dans ce goût-là sans doute.

« Imposes-toi des limites. Des temps uniquement consacrés à ta récupération et ce sans concession. »

Le truc que tu dois faire demoiselle.

« Tu sais… même si tu te retrouvais sur une île déserte avec ton dealer de mec je pense que ça ne changerait pas grand-chose. Là ce qui te bouffe ton temps… c’est ce que tu as choisi, personne ne te l’impose ou presque. Enfin je ne crois pas. Donc ça reviendra puisque tu auras toi aussi toujours plus ou moins les mêmes envies, les mêmes besoins etc… »

Il lancerait sans doute un nouveau projet bateau, chien ou quoi que ce soit d’autre, aurait toujours envie de passer du temps avec ses proches, chercherait à avancer dans la vie d’une autre façon parce que l’actuelle ne lui donnerait pas entière satisfaction. Et c’est un peu normal, on est fait pour se construire des plans de route qui ne marcheront jamais. Mais il faut accepter que ces choix, c’est bien nous qui en sommes à l’origine et que nécessairement, on peut choisir de changer d’avis.

« T’as le temps… Je sais que tu veux en profiter tout de suite parce que ces derniers temps, l’expression « on sait jamais » a tendance à être sacrément merdique concernant notre quotidien. Mais ça ne sert à rien si t’es trop crevé pour profiter de quoi que ce soit et que ça devient une contrainte plutôt qu’un plaisir quoi. »

Elle aurait bien aimé lui dire que tout allait bien, que ses proches n’allaient pas disparaître du jour au lendemain comme d’autres l’avaient fait. Mais vu le contexte, elle n’osait pas prononcer de telles paroles car l’avenir risquait de se foutre joyeusement de sa gueule (coucou Will du futur). Kezabel avait disparu du jour au lendemain. Aileen, plus récemment. Takuma faisait apparemment la fête aux Maldives sans la moindre foutue explication. Alors non, elle ne se risquait pas à dire une telle absurdité.

« Et puis bon, moi j’ai une échéance de trois mois, mais t’as pas ça toi … alors dors ! Ça fait pas d’mal y parait ! »

« Comme éviter de te réveiller aux aurores pour te bastonner avec Derek avant de traverser la moitié du globe pour débouler et prendre le petit dej avec moi tu veux dire ? »
« Plus ou moins, oui. »

Mais comment renoncer à ça ? Peut-être que juste arrêter de faire les deux à la suite serait déjà un premier pas.

« Imposes-toi des limites. Des temps uniquement consacrés à ta récupération et ce sans concession. »
« Comme ne pas cumuler deux boulots en étant enceinte de 6 mois tu veux dire ? »

Retour à l'envoyeur, comme on dit, mais tout ça avec amour et parce qu'on est suffisamment proches pour pouvoir s'envoyer ce genre de vérités sans se heurter mutuellement. Pas de faux semblants, et tout ça avec le sourire. Je fais attention à toi, tu fais attention à moi, on le sait tous les deux. Et comment ça je pourrais jamais être enceinte de 6 mois ?!

« Tu sais… même si tu te retrouvais sur une île déserte avec ton dealer de mec je pense que ça ne changerait pas grand-chose. Là ce qui te bouffe ton temps… c’est ce que tu as choisi, personne ne te l’impose ou presque. Enfin je ne crois pas. Donc ça reviendra puisque tu auras toi aussi toujours plus ou moins les mêmes envies, les mêmes besoins etc… »

Il est évident que je ne rejette la faute sur personne. Personne ne m'oblige à me lever aux aurores pour aller courir, surfer ou me battre avec mon frère. Pas plus qu'on m'oblige à me lancer dans la rénovation d'un bateau, la fabrication de planches de surf ou traverser le globe plusieurs fois par semaine. On ne m'a pas non plus mis un couteau sous la gorge pour reprendre mes études. En revanche il est clair que si on vivait tous sur le même continent les choses seraient complètement différentes. C'est pas le cas, reste plus qu'à faire avec. Le sans n'étant pas une option.

« T’as le temps… Je sais que tu veux en profiter tout de suite parce que ces derniers temps, l’expression « on sait jamais » a tendance à être sacrément merdique concernant notre quotidien. Mais ça ne sert à rien si t’es trop crevé pour profiter de quoi que ce soit et que ça devient une contrainte plutôt qu’un plaisir quoi. »

Je suis pas sûr que ce soit le fond du problème, pour moi le truc qui coince c'est vraiment d'être loin des autres, qu'on soit tous éparpillés. Je pense pas qu'en arrêtant de m'occuper de mon rafiot ou en surfant moins ça résoudra ce qui creuse réellement un manque chez moi. Ça ne changera rien aux fuseaux horaires, ça ne changera rien non plus au fait qu'on est tous en train de se construire une vie après Poudlard. J'ai réellement du mal à me dire que pour moins me sentir aussi dépassé je dois moins voir mes proches, pourtant je vois pas bien comment faire autrement. C'est juste … Oui, c'est comme ça, faut faire avec.

« Et puis bon, moi j’ai une échéance de trois mois, mais t’as pas ça toi … alors dors ! Ça fait pas d’mal y parait ! »
« C'est vrai, profites en bien d'ailleurs. »

L'empathie ? Connais pas. Évidemment que si mais où va le monde si on ne peut plus s'envoyer de vacherie au visage pour se montrer à quel point on s'aime ?
En voilà encore une preuve évidence de cette construction, le fait qu'on avance tous et pas forcément de la même manière, dans le même sens ni au même endroit. Je reste là un peu silencieux, un sourire absent sur le visage, les yeux rivés sur mon assiette dans laquelle je pousse nonchalamment les œufs.

« Tu sais j'me suis réellement ouvert au monde à Poudlard. Si cette école a pu m'apporter un truc de positif c'est ça et j'vais pas nier que certains soir quand je rentre chez moi ça me fait encore bizarre. »

Là bas j'avais toujours une espèce de folle pour débarquer et sauter sur mon lit, un Russe ou un Argentin pour m'entrainer à faire n'importe quoi à n'importe quelle heure ou l'inverse, Isma et ses bestioles, le basket avec Kim, Liam qui squattait mon lit ou moi le sien a peu près toutes les nuits les derniers temps ... Même si ça fait des mois j'ai encore du mal à accepter que ce soit plus pareil, que tout ce que je trouve en rentrant chez moi c'est le silence et l'immobilité tout en devant calculer à quel moment je vais pouvoir appeler mon mec, mes potes ou ceux que je considère comme ma deuxième famille là-bas dans le froid norvégien. J'ai des potes ici mais dans ma tête c'est exactement comme je l'ai dit à Caitlyn, je crois que j'ai peur de me rapprocher de nouvelles personnes et d'en oublier les autres. C'est peut-être stupide, mais c'est comme ça. On ne choisi pas forcément de quelle manière tourne son cerveau et ses émotions.

« On a tous fait des choix, on vit tous aux quatre coins de la planète c'est comme ça. C'est normal que ça ne reste pas figé, qu'on avance tous moi y compris mais j'crois que jusqu'ici je m'en rendais pas trop compte et avec ma reprise des cours j'me le suis pris en pleine tête. »

Haussement d'épaules. Dingue ce qu'on peut se sentir con d'avoir peur de grandir alors qu'on est devenu quasiment blindé face à des choses bien plus graves et difficiles.

« J'suis un gros sensible et j'ai même pas l'excuse des hormones. »

Wait a minute.

« Quoi que ... »

Si j'abuse de ma lycanthropie et du dérèglement climatique qu'elle fait naitre dans mon organisme parfois ? Si peu. J'ai un alibi ! J'étais au cinéma.

« Plus ou moins, oui. »
Ben oui.
« Comme ne pas cumuler deux boulots en étant enceinte de 6 mois tu veux dire ? »
Outch.
« Touchée… »

C’était vrai, elle en était parfaitement consciente et ne le prenait pas mal. C’était une réalité, rien de plus. Oui, elle en faisait trop, elle le savait parfaitement. Tout comme il savait qu’il faisait de même. Enoncer une vérité sans jugement n’est pas une pique, juste un fait. C’est l’avantage quand entre amis, on se connait et on sait que l’autre ne veut rien d’autre que notre bien. Alors elle avait sourit, lâchant un petit rire.

« Quelque chose dans ce goût là ouais.. »

Sourire complice. Parler de ses difficultés dans un monde qu’on ne maîtrise pas fait du bien entre amis. Elle cherchait à aider comme elle pouvait. Il devait surtout cesser de s’en vouloir ou de mal vivre le fait de ne pas tout faire en même temps. Enzo ne pouvait pas être partout, malgré ce que son statut de sorcier semblait vouloir lui faire croire.

« C'est vrai, profites en bien d'ailleurs. »
« De mon échéance ? »

Petit rire.

« Je profite. Je profite à fond là même. J’ai les pieds en chou-fleur mais je profite. »

Elle grognait, elle s’agaçait de certaines choses, parce qu’elle était fatiguée. Mais en réalité, la jeune femme était heureuse de cette situation. Du moins la majorité du temps. Les doutes et les angoisses qui y étaient associés n’entachaient pas cette réalité.

« Tu sais j'me suis réellement ouvert au monde à Poudlard. Si cette école a pu m'apporter un truc de positif c'est ça et j'vais pas nier que certains soir quand je rentre chez moi ça me fait encore bizarre. »

Seuls.

« Ouais je comprends… c’est pareil pour moi. Je préférais vivre chez toi. C’est quand même con de se dire que ça nous manque malgré tout. »

A vrai dire, elle était surtout soulagée de se rendre compte que d’autres pensaient la même chose qu’elle. La jeune femme s’était réveillée en pleine adolescence, avec un besoin assez maladif d’être acceptée et entourée, de faire partie d’un groupe. Alors de groupes, elle en avait intégré bien sûr, jusqu’à se forger une nouvelle famille, complètement improbable mais bien à elle. Et là… eh bien mine de rien, il y avait des jours où le vide emplissait un peu trop l’espace. Où elle se rendait compte de ce qu’elle avait perdu, de ce qui lui manquait. Combien de soirs aurait-elle aimé aller se glisser dans le lit d’Enzo de nouveau. C’est sans doute pas ce que l’on fait lorsque l’on est adulte hein, elle en convenait. Mais toute enceinte qu’elle puisse être, elle avait toujours du mal à se voir autrement que comme la pile électrique qui courrait partout, se faisait sans doute un peu trop remarquer et cramait la vie par tous les bouts en s’entourant le plus possible malgré ses réticences. C’était sans doute toujours un comportement un peu trop adolescent pour ce qu’elle cherchait à construire. Mais ses proches lui manquaient. Ses amis lui manquaient.

« On a tous fait des choix, on vit tous aux quatre coins de la planète c'est comme ça. C'est normal que ça ne reste pas figé, qu'on avance tous moi y compris mais j'crois que jusqu'ici je m'en rendais pas trop compte et avec ma reprise des cours j'me le suis pris en pleine tête. »
« Ouais j’vois.. »
Haussement d’épaules de sa part, lèvres un peu pincées pour Sovahnn. Elle était navrée qu’il le vive mal. A vrai dire, elle était navrée de vivre la même chose.

« J'suis un gros sensible et j'ai même pas l'excuse des hormones. »... « Quoi que ... »

Petit rire.

« C’est ça, on va dire ça comme ça ! »

En réalité, oui, il était influencé par la lune et elle le savait parfaitement. Tout comme il savait qu’elle le savait et qu’elle ne prenait pas sa lycanthropie à la légère et ce, même s’il lui était arrivé de se balader au clair de lune avec lui… ou d’envoyer Alec l’aider.

« Je pense que c’est aussi un sentiment normal. On est passés d’une vie en communauté sur-blindée où on se protégeait tous les uns les autres... enfin plus ou moins… à ça. Ça fait bizarre et on va tous avoir besoin d’un temps d’adaptation. Je préférais aussi quand on se marchait dessus et qu’on se voyait sans arrêt. Quand on était… tu sais, un peu forcés de se côtoyer et de se rapprocher, que ça se faisait malgré nous. Là on peut penser à quelqu’un sans jamais la voir et du coup on s’éloigne sans trop se rendre compte et ça… c’est pesant. Je n’ai envoyé un message à Riley que récemment parce que je ne savais pas trop comment le faire.  Alors que c’est con, elle me manque, j’suis inquiète pour elle, j’aurais aimé être là et la voir depuis ma sortie et… j’sais pas. J’me suis pas bougée, ça s’est pas fait. Les autres c’est pareil. En fait j’ai l’impression qu’il n’y a que toi et Zach que je vois au final. Et Doryan, mais là pour le coup c’est un peu le même fonctionnement que Poudlard, on se rapproche parce qu’on vit ensemble. Et c’est cool… mais c’est pas suffisant. »

Pas pour arrêter de se sentir seuls parfois.
Un comble pour quelqu’un qui est H24 avec un autre qui vit littéralement en elle.

« Dès que j’accouche, je veux apprendre à transplanner, ça c’est obligatoire ! J’me sens isolée et ça m’emmerde de devoir compter sur vous tous. Je passe mon permis aussi d’ailleurs. »

Ouais, ça, ça sort comme ça, comme un cheveu sur la soupe.

« Parce que je ne fais pas assez de choses encore. »

Sourire de grande couillonne. Ouais, parce qu’ils se ressemblent un peu ces deux –là mine de rien.

« Sérieusement, ya pas moyen d’ensorceler une porte ici et une chez toi et pouf, j’y suis ?! »

Que ça serait bien.

« Va falloir un temps pour qu’on équilibre nos besoins de normalité et de solitude et notre habitude d’être toujours fourrés les uns chez les autres en meute quoi. Pour s’habituer à nos nouvelles vie… ou à les construire, parce que moi là je squatte chez les uns et les autres alors c’est pas encore gagné. Mais justement j’ai peur de m’isoler en me trouvant un chez moi justement. Même si c’est ce que je veux parce qu’il est hors de question que je … que j’assume pas, comme l’aurait dit Elias. »

« C’est ça, on va dire ça comme ça ! »

Je crois que pour le coup cette partie-là de moi n’a pas la moindre influence. C’est l’humain qui se sent paumé, fatigué, un peu déprimé par moment. Comme tout le monde.

« Je pense que c’est aussi un sentiment normal. On est passés d’une vie en communauté sur-blindée où on se protégeait tous les uns les autres... enfin plus ou moins… à ça. Ça fait bizarre et on va tous avoir besoin d’un temps d’adaptation. Je préférais aussi quand on se marchait dessus et qu’on se voyait sans arrêt. Quand on était… tu sais, un peu forcés de se côtoyer et de se rapprocher, que ça se faisait malgré nous. Là on peut penser à quelqu’un sans jamais la voir et du coup on s’éloigne sans trop se rendre compte et ça… c’est pesant. Je n’ai envoyé un message à Riley que récemment parce que je ne savais pas trop comment le faire.  Alors que c’est con, elle me manque, j’suis inquiète pour elle, j’aurais aimé être là et la voir depuis ma sortie et… j’sais pas. J’me suis pas bougée, ça s’est pas fait. Les autres c’est pareil. En fait j’ai l’impression qu’il n’y a que toi et Zach que je vois au final. Et Doryan, mais là pour le coup c’est un peu le même fonctionnement que Poudlard, on se rapproche parce qu’on vit ensemble. Et c’est cool… mais c’est pas suffisant. »

C’est complètement ça, totalement ce que je ressens moi-même. Et non, effectivement, ça n’est pas suffisant. En tout cas ça ne nous suffit pas. Peut-être aux autres mais ni à elle, ni à moi. J’ai pas envie de devenir un souvenir pour mes potes pas plus que je n’ai envie de les oublier et même si ça ne se passera peut-être pas comme ça … C’est comme ça que je ressens les choses, c’est tout. La transition s’est faite en douceur, avec le temps, mais malgré ça les angoisses et le manque s’installent. Et je ne peux pas m’empêcher de me dire que ça serait sûrement différent si les parents étaient encore là.

« Dès que j’accouche, je veux apprendre à transplanner, ça c’est obligatoire ! J’me sens isolée et ça m’emmerde de devoir compter sur vous tous. Je passe mon permis aussi d’ailleurs. Parce que je ne fais pas assez de choses encore. »
« Et c’est pas moi qui vais te blâmer. »

Sincèrement. Parce que même si je m’inquiète, que j’ai pas envie qu’elle s’épuise, je comprends ce besoin.

« Sérieusement, ya pas moyen d’ensorceler une porte ici et une chez toi et pouf, j’y suis ?! »
« En réalité y a toujours les cheminées, mais ça ne règle pas le problème du décalage horaire. »

Et je suis pas certain que prendre ce réseau en étant enceinte soit une très bonne idée mais ça c’est mon côté angoissé chronique qui s’exprime, probablement.

« Va falloir un temps pour qu’on équilibre nos besoins de normalité et de solitude et notre habitude d’être toujours fourrés les uns chez les autres en meute quoi. Pour s’habituer à nos nouvelles vie… ou à les construire, parce que moi là je squatte chez les uns et les autres alors c’est pas encore gagné. Mais justement j’ai peur de m’isoler en me trouvant un chez moi justement. Même si c’est ce que je veux parce qu’il est hors de question que je … que j’assume pas, comme l’aurait dit Elias. »

Grimace. Parce qu’il y a toujours une petite pointe, quelque chose qui fait mal, quand Elias est mentionné mais surtout parce que je perçois l’inachevé dans ses mots. La rancœur aussi, surtout, ou plutôt l’amertume. Un truc qui ne passe pas.

« Tu sais, s’il voyait comment tu t’en sors aujourd’hui je pense qu’il fermerait sa bouche. Sérieux, regarde-toi. T’as deux boulots, tu fais tout ce que tu fois faire pour qu’elle ne manque de rien. Tu gères bien Sova, ok ? Et Monsieur le donneur de leçon – repose en paix – aurait peut-être dû se remettre parfois en question ça ne fait jamais de mal à personne. »

C’est pas un manque de respect vis-à-vis de lui mais ça me fait chier qu’elle reste bloquée sur ce qu’il a pu lui dire – et qu’elle n’avait manifestement pas besoin d’entendre.

« On est comme deux cons à pas être prêt à vivre seul, à mal le vivre en tout cas. Soit, te prive pas de ce que t’as ici, précipite pas les choses, juste pour prouver que tu peux tout gérer par toi-même parce qu’Elias n'aa pas vu ou n’a pas voulu voir plus loin que le bout de son nez. Il aurait jamais pu comprendre de toute façon. »

Je ne m’énerve pas, c’est dit avec le cœur certes mais ça sort de manière relativement calme. Je ne cherche pas à retenir mes mots, pourquoi je le ferai alors que c’est ce que je pense ? C'est peut-être cash vis à vis de lui mais c'est comme ça. Lui n'a visiblement pas mâché ses mots avec elle.

« Et mes parents me manquent. »

Voilà, ça aussi c’est dit. Ça n’a aucun rapport mais faut croire que ça avait besoin de sortir, entre une tranche de bacon et un bout d'omelette.

« Dès que j’accouche, je veux apprendre à transplanner, ça c’est obligatoire ! J’me sens isolée et ça m’emmerde de devoir compter sur vous tous. Je passe mon permis aussi d’ailleurs. Parce que je ne fais pas assez de choses encore. »
« Et c’est pas moi qui vais te blâmer. »

Petit sourire. Ils en faisaient trop, c’était certain. Mais voilà, ils avaient ce besoin essentiel de se retrouver, d’être entourés. Deux mômes finalement bien perdus qui faisaient souvent semblant de savoir ce qu’ils faisaient. On joue tous parfois aux adultes, on croit qu’on s’en sort, qu’en mimant ce qu’on suppose être  la posture de personnes matures capables d’affronter le monde.
Sovahnn avait toujours vu ses parents comme ceux qui savaient tout sur tout. Qu’ils étaient capables d’apporter les réponses à tous les problèmes. Capables de résoudre toutes les situations complexes à laquelle elle avait pu être confrontés. Elle avait toujours eu l’impression qu’ils pouvaient tout affronter, qu’ils ne doutaient pas, qu’ils étaient des rocs face au monde. C’était sans doute parce que l’image la plus tenace qu’elle gardait d’eux, c’était celle qu’elle avait alors qu’elle était enfant et que le coma l’avait séparée de cette image. Ceux qu’elle croisait à présent ne semblaient juste pas être ses parents. Elle n’avait sans doute jamais pu faire ce deuil du parent parfait. Lui non plus. Leur manque venait peut-être de là.


« Sérieusement, ya pas moyen d’ensorceler une porte ici et une chez toi et pouf, j’y suis ?! »
« En réalité y a toujours les cheminées, mais ça ne règle pas le problème du décalage horaire. »
« Ouais c’est vrai. Mais bon ça serait plus simple quand même. »

A ses yeux, sans doute. Après tout, c’était elle qui ne pouvait se déplacer si loin sans aide. A voir ses amis disparaitre et réapparaitre ailleurs à leur guise, la jeune femme se sentait mise à l’écart. Laissée sur le bas côté, plus précisément. C’était con hein, ils étaient nombreux à se plier en deux pour venir l’aider si elle le demandait ou pour simplement jouer le taxi et profiter un peu de sa compagnie quand elle faisait signe, comme Enzo à l’instant. Mais voilà, si l’idée lui venait de débouler chez lui, elle ne pouvait pas, et ça l’agaçait de voir que pour d’autres, c’était la chose la plus naturelle qui soit. Ou du moins, ça lui semblait l’être.

« Tu sais, s’il voyait comment tu t’en sors aujourd’hui je pense qu’il fermerait sa bouche. Sérieux, regarde-toi. T’as deux boulots, tu fais tout ce que tu fois faire pour qu’elle ne manque de rien. Tu gères bien Sova, ok ? Et Monsieur le donneur de leçon – repose en paix – aurait peut-être dû se remettre parfois en question ça ne fait jamais de mal à personne. »

Le petit cœur qui se serre. Parce que ça fait toujours du bien de se l’entendre dire, parce qu’elle doutait toujours du bien-fondé de ses actions, parce qu’elle n’avait pas toujours l’impression d’être à la hauteur malgré l’énergie qu’elle y mettait.

« Je sais que c’est con. Parce que je ne vois pas comment je pourrais assumer plus. C’est juste que bon… il a touché une corde sensible quoi. J’ai l’impression de cramer toutes les étapes et que je ne pourrais pas être à la hauteur. J’ai déjà du mal à ne pas me sentir comme une môme paumée alors une mère qui assure, c’est compliqué. »

Quand la jeune femme toujours souriante et sûre d’elle se révèle être une gamine un peu larguée qui fait comme elle peut pour avancer du mieux possible.

« Mais au final j’ai l’impression que c’est pas moi et qu’on est  tous un peu comme ça. »

C’est sans doute ça d’être adulte. Ne pas toujours se sentir capable de gérer, baisser les bras parfois, parce qu’on est humains avant tout et qu’on est finalement tous plus ou moins perdus face à la marche à suivre, face à l’avenir qu’on se construit sans trop savoir ce que l’on fait et parce qu’on avance pas à pas, à tâtons sans avoir LA MOINDRE IDEE de ce que ça pourra donner au final. Et que c’est normal. C’est comme ça que ça marche.

Elle, eh bien, elle enchaînait juste les difficultés, parce que c’était ainsi. Parce qu’elle faisait certains choix également. Mais oui, ça lui faisait peur. Parce qu’elle savait qu’elle n’avait rien de bon dans son profil de future maman. Alors la réflexion était celle qu’elle craignait et elle n’avait pas manqué de se la prendre en pleine gueule. Pas simple à encaisser ce genre de conneries. Pour autant, mieux valait que ça vienne de lui plusieurs semaines avant qu’elle ne se le prenne de la part de sa mère non ? Au moins, avait-elle eu le temps de se construire deux ou trois répliques. Mais dans le fond, elle était à la fois sûre de faire ce qu’elle voulait et morte de trouille de se planter sur toute la ligne.

« On est comme deux cons à pas être prêt à vivre seul, à mal le vivre en tout cas. Soit, te prive pas de ce que t’as ici, précipite pas les choses, juste pour prouver que tu peux tout gérer par toi-même parce qu’Elias n'aa pas vu ou n’a pas voulu voir plus loin que le bout de son nez. Il aurait jamais pu comprendre de toute façon. »
« Non c’est vrai… »

Elle n’avait d’ailleurs accepté l’avis que de la part de Jayden qui, elle, avait vécu une situation un peu similaire. Un peu seulement, bien sûr, car toute personne est différente et qu’elle avait elle-même un sacré bagage derrière elle qui l’empêchait de se sentir parfaitement sereine. Mais personne ne l’est. Accident ou pas. Coma ou pas. Guerre de fanatiques dégénérés ou pas.

Une main sur son ventre. La volonté profonde et féroce de lui donner vie, de l’accompagner à chaque instant et de tout donner pour qu’elle ai la plus belle des existences était là, brûlante, impossible à taire. Et pourtant, elle avait peur de se planter, peur d’être seule, peur de ne pas avoir les conseils qu’elle espérait, peur d’avancer à l’aveuglette, tout simplement. Parce que cette fois, il n’y avait pas qu’elle et son goût immodéré pour la vie. Elles étaient deux.
Bien sûr, Zach était là, et Enzo mais…

« Et mes parents me manquent. »

La jeune femme avait relevé le menton, plongeant le regard dans celui de son ami. Ces mots faisaient mal. Foutrement mal. Une vérité si douloureuse qu’elle pouvait vous empêcher de respirer un moment. Une réalité si banale pourtant à présent. Une remarque abominable car elle résonnait affreusement en elle alors qu’elle ne devrait pas. Pourtant, elle avait beau faire des efforts, elle ne voyait plus de parents autour d’elle. Où était passé son père affectueux et attentionné ? Ou était passé sa mère, si forte tigresse pour se battre contre le monde entier dès qu’il s’agissait d’elle. Ces gens n’étaient plus là. Elle avait cru son père mort pendant des années, et s’il avait beau être physiquement en vie, elle n’en avait jamais autant douté. Et pourtant ils étaient là merde. Enzo n’avait même pas ça à quoi se raccrocher. Elle n’avait pas le droit de le vivre comme ça, si ? Pas le droit de faire un parallèle injuste quand il vivait une situation bien plus dramatique. Qu’est-ce que cela faisait de grandir sans parents, de se construire sur un énorme vide, d’avancer sans aucun filet, sans personne qui vous regarde dans ces putains d’ombres. Dans ce foutu silence.

Qu’elle détestait ce regard triste, affecté, douloureux quand il se posait sur elle. Est-ce qu’elle l’avait, là maintenant, accroché à ses prunelles ? Oui, sans doute. Parce qu’ils n’étaient rien d’autre que deux mômes paumés, un peu trop seuls, sans vraiment de sécurité et que s’ils faisaient tout pour s’en sortir avec le sourire eh bien… merde, c’était dur. Vraiment. Tous les jours. Parfois un peu moins. Mais bordel, c’est dur de vivre parfois.

Elle s’était levée, oubliant un peu ses pieds douloureux, venant sans un mot le prendre dans ses bras, y déversant son courage à peu près autant qu’elle cherchant dans sa chaleur un peu de réconfort.

« Je sais. »

Les miens aussi.

« Je sais que c’est con. Parce que je ne vois pas comment je pourrais assumer plus. C’est juste que bon… il a touché une corde sensible quoi. J’ai l’impression de cramer toutes les étapes et que je ne pourrais pas être à la hauteur. J’ai déjà du mal à ne pas me sentir comme une môme paumée alors une mère qui assure, c’est compliqué. »

Un truc que je ne pourrais probablement jamais réellement comprendre, en tout cas pas en totalité, mais je peux être là, je suis là, et je ne suis pas le seul. Elle n’est pas seule. Pas de parents dans le décor pour des raisons que je connais, pas de frangin non plus, mais le père de la petite, sa marraine, quelques amis, puis Duncan, Ismaelle si besoin à n’en pas douter quand bien même elle est bien occupée avec Marcia … Elle comme moi on est loin d’être livrés à nous-même mais ça ne change rien au fait qu’on doit trouver comment avancer d’un point de vue personnel. Et je suis sincère quand je dis qu’elle gère. J’imagine que quand la petite sera là ce sera une dynamique complètement différente mais … à chaque jour suffit sa peine non ?

« Mais au final j’ai l’impression que c’est pas moi et qu’on est  tous un peu comme ça. »

Des mômes paumés ? On en a au moins deux dans l’assemblée, oui. Avec ce sentiment de ne pas rendre totalement justice à tous ceux présents quand ce sont les absents qui prennent le plus de place. Ismaelle et Leiv m’ont accueilli chez eux comme si j’étais leur propre fils, j’ai la chance d’avoir encore deux de mes Grands-Parents, des oncles et tantes, des cousins, un grand-frère même … Mais malgré tout ça elle est là, bien présente, cette carence, ce manque qui brûle parfois les yeux et tort le ventre. Ils m’ont toujours fait défaut ces quatre dernières années mais j’ai l’impression que c’est dans un quotidien complètement simple, complètement con, qu’ils me manquent le plus.
T’as fait tes devoirs ? A quelle heure tu rentres ? Non pas ce soir, tu te reposes, tu sortiras ce weekend. Et quand est-ce que tu nous le présente ? Mets la table. Tous ces trucs qui font râler chaque adolescent mais que je tuerai pour entendre à nouveau. Ça n’arrivera plus, ça n’est pas arrivé depuis quatre ans et je me dis que cette date fatidique qui approche est peut-être la raison inconsciente de cette plaie de nouveau à vif. Sans doute pas seulement, mais ça ne doit pas aider.

« Je sais. »

Les yeux fermés, un peu d’humidité coincée sous chaque paupière, je me laisse aller à ce qui me permet de continuer à tenir debout depuis tout ce temps. Cette réalité non négligeable, cette douleur partagée même si les raisons sont différentes, puis ces deux cœurs que je perçois qui me redonnent le sourire au fil des secondes. Et visiblement il y en a une que ça fait réagir là-dedans, alors que mes bras sont enroulés autour de sa mère et réciproquement.
A nos pieds Wax gémit, me montre qu’il est là en posant son museau contre ma cuisse et ma main droite vient se poser sur sa tête.Je laisse échapper un profond soupir, m’écarte en douceur et me passe la main gauche sur les yeux avant de les relever vers Sovahnn.

« Ça gigote là-d’dans. M’étonne pas qu’elle tienne pas en place vu sa génétique. »

Elle est probablement déjà en train de se faire un match de Quidditch à elle toute seule bien au chaud et loin des émotions trop fortes. Quoi que, je suppose qu’elle ressent celle de sa mère ? Sa mère. La plus part du temps j’intègre l’info et puis parfois ça me frappe comme ça, je réalise ce que ça implique, je réalise que ma meilleure amie va avoir un enfant. Un enfant. Il y a deux secondes on était deux gamins paumés, et on l’est encore, mais cette réalité change une partie de la donne et elle redonne de l’élan. J’attrape sa main avec la mienne et ne sors pas l’attirail du sale gosse qui veut donner le change ou retrouver un peu d’aplomb. Non, je me contente de lui sourire sans essayer de planquer ces failles qu’elle connait parfaitement.

« Désolé de t’avoir fait te lever, j’te porte jusqu’au canapé pour me faire pardonner si tu veux. »

Rapide coup d’œil sur ma montre, ça file tranquillement.

« Il me reste un peu de temps, on se mate un film ? »

Ouais, je m'incruste. Jusqu’à ce que tu t’endormes comme une merde contre moi et que je file en silence pour pas te réveiller.

La douleur de la solitude qui prend aux trippes, parfois, parfois sans raisons même. Celle qui glace jusqu’aux os, qui vous serre à la gorge, qui vous prends la poitrine, qui essouffle toute force l’espace de quelques instants. Qui englobe tout autour d’elle, maîtresse toute puissante d’émotions, qui se dresse face à tout le reste, les domine, les fait taire. Elle est rageuse la bougresse, toujours trop virulente, trop bavarde pour qu’on l’oublie tout à fait. Elle hurle soudainement plus fort que la tempête, assomme tout ce qui l’entoure comme si elle était seule à jamais. Et pourtant elle s’essouffle. Elle a beau briser des digues, elle s’effondre bien vide face au temps. Il suffit parfois d’un souffle, un contact, une caresse pour qu’elle se taise, épuisée, vide, idiote presque. Parce qu’elle n’est pas maligne. Elle oublie tout le reste, elle peste sans entendre ce qu’on a à lui dire. Enragée, elle est violente et soudaine mais se brise sur les rivages d’une tendresse assumée. S’il ne lui faut qu’un souvenir parfois pour gronder, elle se tait souvent, épuisée lorsqu’on répond à sa détresse.

Elle reviendra, bien sûr. Mais elle s’éloigne alors pour un temps, soulagée, ses blessures béantes comblées. Rien qu’un temps. Jusqu’à ce qu’elle oublie, comme autour d’elle, d’autres réalités, forces calmes, se contentent bien souvent de murmurer. Et qu’il faut les laisser s’exprimer.

Son ami serré contre elle, le visage posé dans sa tignasse, Sovahnn avait fermé les yeux quelques instants. Il leur fallait ça. Un moment de tendresse, de chaleur pour mettre de côté de nouveau la douleur de l’absence. Une main qui s’abandonnait à des allers-retours sur son avant bras sans même qu’elle n’y prête la moindre attention, Sovahnn s’était redressé après quelques instants. Elle n’aurait pas su dire si elle lui apportait du réconfort ou si c’était l’inverse. Mais Wax avait compris ce dont son humain avait besoin, se joignant à elle pour lui apporter son soutien. C’était tout ce qu’ils pouvaient faire non ? Un soupire et il s’était redressé alors qu’elle l’imitait.

« Ça gigote là-d’dans. M’étonne pas qu’elle tienne pas en place vu sa génétique. »

Un petit sourire.

« J’oublie parfois que tu la perçois aussi bien que moi… voir plus. »

Elle savait qu’il surveillait ses battements mine de rien. Que s’il y avait eu un problème avec son petit cœur, il l’aurait immédiatement décelé et l’en aurait prévenue. Chacun sa façon de voir son côté lycan hein. Elle, c’était ça qu’elle voyait.
Un sourire franc, sincère, miroir entre les deux amis.

« Désolé de t’avoir fait te lever, j’te porte jusqu’au canapé pour me faire pardonner si tu veux. »

Petit sourire. C’est vrai, elle a mal au pied. On l’oublierait peut-être.

« Il me reste un peu de temps, on se mate un film ? »
« Ça marche. J’en ai encore quelques uns que je t’avais piqué et que j’ai pas encore vu en plus. »

Ce qu’ils avaient donc fait. Et se poser après une longue journée, ça faisait un bien assez fou. Un plaid sur les jambes, la jeune femme s’était étirée comme un chat, lâchant un petit soupire tout en pliant et dépliant ses orteils pour faire circuler le sang. Se logeant contre Enzo, elle n’avait pas endigué un bâillement. Oui, ok, elle dormirait sans doute avant la fin de ce film, c’était vrai.

« Tient, viens. Zach l’a sentie la dernière fois. »

Une main tendue. Elle n’avait fait ça qu’avec Zach jusque là, mais le moment s’y prêtait bien. En effet, elle la sentait là dedans, faire la foire. Ces sensations étaient toujours plus marquées quand elle se reposait enfin en fin de journée.

« J’oublie parfois que tu la perçois aussi bien que moi… voir plus. »

Je sais que parfois c'est frustrant, pour certains et dans certaines situations ça l'est en tout cas et je n'en veux à personne au même titre qu'ils ne m'en veulent pas non plus. Pour elle, ça l'est rarement, pas pour ça en tout cas. Je peux le sentir, je peux le voir, je le sais tout simplement.

« Ça marche. J’en ai encore quelques uns que je t’avais piqué et que j’ai pas encore vu en plus. »

Me piquer des films, quelle drôle d'idée. En réalité ils viennent tous ou presque de mes potes ou de Will alors sans être la certitude d'un gage de qualité disons que c'est sans doute plus sécure qu'avec moi. Surtout, j'ai tout découvert ou presque par l'intermédiaire des autres et il ne m'arrive que très rarement de mater un truc tout seul au final. Question d'habitude probablement.
Et je me dis qu'avec le sport que j'ai fait ce matin, le déplacement jusqu'ici, cette séquence émotion qui me secoue, aller crasher sur le canapé c'est sans doute pas l'idée du siècle. Morphée va menacer de venir me choper aussi sûrement qu'elle mais c'est un risque que je suis prêt à prendre, tant pis, et la journée sera longue mais je m'en remettrais. Parce qu'on est bien là, posés, l'un contre l'autre et Wax couché sur un tapis en train de jouer tranquillement avec son bout de corde. Parce que c'est exactement ce dont j'avais besoin tout simplement.

« Tient, viens. Zach l’a sentie la dernière fois. »

Elle me tend sa main et j'ai un moment d'hésitation. Pas parce que je ne veux pas, simplement parce qu'il me faut une demi seconde pour comprendre et ensuite parce que j'appréhende. C'est un geste que je ne me suis jamais permis, question de respect, et à vrai dire je ne sais même pas si l'idée m'a déjà traversé l'esprit. Ni avec elle, ni avec Isma. Je finis par lui donner ma main et je la laisse faire, un peu intimidé je dois bien le dire, jusqu'à ce qu'un hoquet de surprise m'échappe quand je sens le premier coup. Là je me prends une décharge d'émotions, sur mon visage un sourire qui s'élargit alors que je regarde son ventre comme si je pouvais voir à travers. Je reste quelques seconde comme ça et relève finalement les yeux vers elle sous le regard intrigué de Wax qui nous observe, tête penchée sur le côté.

« Ça fait bizarre. »

Et … Je dois bien avouer que là tout de suite je suis bien content d'être un homme. Non, sérieusement, c'est vraiment hyper étrange et si je suis content de vivre ce moment je ne suis pas certain que j'aimerai le vivre en étant à sa place.
Oui, tout ça c'est un sacré mélange de ressentis mais ce qui pèse le plus lourd dans la balance finalement c'est la tendresse. Envers Sovahnn et envers la petite.

« J'ai hâte de la rencontrer. »

Je retire ma main de son ventre, viens passer un bras autour de ses épaules et embrasse son front avant de me laisser aller contre le dossier du canapé dans un soupir. Apaisé.