Under the Water - One Shot - Mexique

Impression de me noyer. De ne pas être capable, de ne pas y arriver.

La sensation était puissante. Celle qui vous fait croire que le monde s’écroule et nous étouffe, que rien ne sera jamais assez qu’aucun effort ne suffira. Il avait essayé, vraiment. Essayé de bouffer la vie, d’être plus fort que cette envie de se laisser emporter dans les profondeurs. Bien sûr, il aurait suffit de fuir plus tôt. Il aurait suffit de ne pas affronter la réalité, sa réalité, d’oublier tout ce qu’il avait vécu, de ne pas se battre. Il aurait suffit de se foutre de ses proches, de balancer tout ce qu’il avait construit. Il aurait pu se retourner bien plus tôt, fermer les yeux et disparaitre. Combien de fois l’avait-il fait ? Tout lâcher pour se réinventer. Oublier le gosse hyperactif, délaisser le pré-ado délaissé, détesté, mettre de côté l’ado droguer, balancer le type fauché des rues, ignorer la star montante. Juste oublier le géni aux troubles de l’attention qui ne savait finalement pas tout à fait qui il était. Après tout, c’est simple de se détourner. Il était passé pro dans cette discipline. D’ailleurs, aucun de ses anciens proches n’avait répondu à l’appel quand il avait cherché à les contacter. Pas même ses parents. Tout le monde s’en foutait. Il ne méritait pas la moindre attention, il suffisait d’ouvrir un peu les yeux pour le comprendre. Et puis, il n’était pas le seul si ? Jill n’était plus là depuis bien longtemps. Julian était partie aussi, Alec ne cessait de le répéter. Et puis Dakota. Elle s’était juste détournée de lui sans un putain de regard. Un message oui, il y avait peu. Dénué de sens, du moins à ses yeux. Elle allait bien. Cool. Parfait.

Pas lui.

Il s’était mouillé pour Logan, il s’était mouillé pour permettre à Aileen et Alec de se retrouver dans un appartement sans danger. Mais ils s’en foutaient sans doute comme de leur première chemise. Ou Chaussette. Oui, sans doute la chaussette. Ils avaient déménagé et bordel, Takuma avait tout fait pour ne pas se prendre la être, pour ne pas ressasser et pourtant il lui semblait que chacun de ses actes n’avait été qu’un foutu échec, que toutes ses tentatives pour faire les choses au mieux s’étaient révélées vaines. Il n’y arrivait pas, c’était aussi con que ça. Il se noyait dans ses bonnes intentions. Il étouffait à force d’échec. A vrai dire, de tous les futurs qu’il entre-apercevait, aucun ne le satisfaisait. Tous lui donnaient une satanée envie de sauter d’un pont, pour être plus honnêtes.

Il n’était même pas repassé par chez lui, ou par la boutique. Est-ce qu’un seul de ces lieux comptait de toute façon ? Son cœur tambourinait dans sa poitrine alors, les pensées fusaient, confuses. Il n’était pas passé récupérer le chien. Ce chiot préférait Alec, étrangement. Soit.

Lui, préfèrerai une autre latitude.

« Encore un »

Il avait marmonné une formule de politesse à la suite mais celle-ci n’avait pas été particulièrement audible, il devait l’avouer. Pour autant, le verre était arrivé.

Aussitôt servi, aussitôt vidé.

Takuma avait mis un moment à se lever, l’esprit bouillonnant de ces abandons qu’il laissait derrière lui. Est-ce qu’il reviendrait ? Là tout de suite, il avait besoin d’un break. Un break dans sa propre vie, ça se fait ça vous croyez ? Mais après tout, laquelle de toutes ces vies avait été la sienne ? A la fin, il ne se reconnaissait plus dans aucune d’entre elles. Finalement, il fallait croire que la première l’avait rattrapé. La dépression, la chape de plomb, le désespoir, l’impression d’avoir cessé de respirer il y avait bien longtemps maintenant. Mains cramponnées de chaque côté d’un lavabo crasseux, le jeune homme se regardait dans la glace sans pour autant reconnaître le visage émacié, fatigué qui le fixait là.

C’est ridicule non ? De se fuir soi-même à tel point qu’on ne se reconnaît plus dan la vitre le jour venu ?

Le soleil l’avait cueilli violemment en sortant de là. La chaleur comprimait sa poitrine. Mais fermer les yeux ici, sous le ciel lourd, c’était écouter les sirènes des voitures, c’était  s’attarder sur des langues qu’il ne connaissait pas bien. C’était déconnecter. L’illusion ne tiendrait pas, il le savait. Mais pour l’instant, il avait besoin de ça. De la brûlure du soleil sur sa peau, de la poussière dans ses yeux, des cloques sur ses pieds. Et de l’oubli.