Baby's story - Enzo

Le salaire était tombé et ça, ça faisait un bien assez incroyable. Très vénal comme réflexion pourtant, pour un hérité dans la dèche, il fallait avouer que ça faisait un sacré bien. D’autant qu’ils allaient tous pouvoir déménager et arrêter de vivre dans ce trou à rat beaucoup trop serré pour autant de personnes. S’il habitait avec Jayden et Mack, ça ferait harem ou pas ? Et si Jordane sortait, elle viendrait également. Et Sovahnn ? L’idée d’un enfant dans l’appartement l’emportait sur le fantasme total d’une baraque remplie de… on se calme et on arrête avec les réflexions complètement con. D’autant que c’était pour elle qu’il était là justement. Takuma ne lui avait pas dit et l’appartement était vite devenu irrespirable au petit matin.  Il avait envoyé un message à Enzo sans vraiment réfléchir avant d'en parler avec les autres... autres qui en savaient bien plus que ce qu'il imaginait. Mais après tout, ça n'était pas abbérant d'en parler avec Enzo non ? Sovahnn et lui étaient très proches et il valait mieux qu’il le sache non ? Sans doute.

Ça n’était probablement pas très correct de sa part car il aurait été logique qu’elle puisse annoncer les choses elle-même et de la façon dont elle le souhaitait. Tout comme il l’aurait été de lui laisser la possibilité de garder ça secret si elle le souhaitait. Mais les temps étaient durs et s’il y avait une autre attaque ou il ne savait quoi, il valait mieux qu’elle ait des personnes ici au courant pour prendre la décision de la faire passer en priorité non ? Enfin, même si ni lui ni Enzo ne se retrouveraient sans doute dans cette position, toujours était-il qu’il valait sans doute mieux agir ainsi.
C’est donc autour de ce sujet épineux que Takuma, Jayden et lui s’étaient retrouvés à débattre pendant une grande partie de la veille. La belle rousse leur avait apprit tout ce qu’elle savait sur l’insistance du jeune homme. Jusque là, le nippon et elle avaient tout gardé pour eux, en tant que bons détenteurs du secret. Takuma savait même depuis des semaines ! Et il n’avait rien dit merde ! Oui, deux jours après qu’Alec l’ait apprit, il allait le répéter, bah comme quoi, il était clair qu’il n’était pas sur la même ligne éthique que les autres.

Au bar, un verre à la main et des courbatures plein les pecs (ayez en, vous verrez le rapport), le jeune homme cogitait encore tout ça quand celui qu’il avait contacté se pointa finalement à l’heure dite.

« Hey ! Ça va ? »

Oui bah écoutez les choses changent hein.

« Tient, Takuma m’a dit de te commander ça de sa part. »

Il l’avait fixé avec un air tant moqueur qu’interrogateur, se gardant son alcool pour lui et poussant un mug de chocolat chaud rempli de chantilly et blindé de petits cœurs en sucre.

« Vous êtes un poil grave, vous le savez ça ? »

Et moi je le fais. Tout va bien.

« J’y ai pensé, mais… Pour être honnête, j’ai pas vraiment le courage de leur parler… Je me souviens encore de quoi mon père avait l’air après que ma mère et ma sœur aient été tuées alors je… Ils ont besoin de temps et d’espace, chose que je comprends. Mais j’enverrai un SMS à Kezabel. Je pense que c’est le mieux que je puisse faire pour l’instant. Merci pour ton conseil. »

Je crois que le sourire qu'il m'adresse est sincère, je suis personnellement pas capable de le lui rendre. Je sais ce que c'est de parler de la mort des membres de sa famille avec un certain « détachement », pour autant ça me plombe le moral de l'entendre l'évoquer comme ça, me rappelant de manière cruellement réelle que Charleen a été assassinée. Je peux juste hocher la tête, anesthésié, pas mécontent que cette conversation se termine. Enfin j'ai l'impression qu'elle en prend la tournure en tout cas, et sincèrement tant mieux.

« Je pense que je vais retourner directement à la maison, mais c’était sympa de te revoir. J’espère qu’on pourra se revoir bientôt dans de meilleures circonstances. Bonne journée. »  
« A toi aussi. »

A toi aussi … Comme si la journée pouvait être bonne pour lui après ce qui vient de se passer. Et la mienne ? Déjà bien avancée, décalage horaire inclus. Il fait nuit depuis un moment et planté là, tout seul au pied de l'immeuble, je regarde mon téléphone en me disant que j'ai qu'une putain d'envie : Rentrer chez moi et oublier tout ce qui vient de se passer.
Je suis à deux doigts d'envoyer un message à Alec pour lui dire que j'suis désolé mais que c'est mort … Ouais, mort, c'est le thème. C'est bien ça. Fais chier. Puis je me dis que finalement, plutôt que de broyer du noir tout seul dans mon coin la meilleure solution c'est peut-être de me pousser au cul et le rejoindre pour boire un verre.


Capuche sur la tête je décide de marcher un peu, mains dans les poches de mon manteau, les sens à l'affut comme toujours quand je suis à Londres mais la parano au point m... Est ce qu'on peut faire une putain de phrase sans ce putain de mot ? J'arrive à l'heure, je crois, rabaisse ma capuche et entre dans le bar où il m'a donné rendez vous. Il est déjà là, un verre à la main, je le rejoins en me frayant un passage jusqu'à lui.

« Hey ! Ça va ? »

Pour seul réponse un sourire qui planque la misère et une poignée de main. Plus rien ne me choque dans le fait de me comporter de manière civilisée avec ce type, le pire étant que ça se fait naturellement des deux côtés. Enfin pire, on se comprend.

« Tient, Takuma m’a dit de te commander ça de sa part. »

Ce sourire là, il est différent. Il arrive même à décrocher un rire et si Takuma était là je l'embrasserais. Sur la joue, vous emballez pas. Ce truc est magnifique, il faut le dire ! Une véritable œuvre d'art.

« Vous êtes un poil grave, vous le savez ça ? »
« Qu'est c'que tu veux, l'amour fait faire des choses folles … La preuve t'as accédé à sa requête. »

Sourire en coin, à mon tour de le fixer d'un air moqueur avant de prendre place, virer mon manteau et bloquer sur cette boisson improbable que je fais tourner entre mes mains pour être sûr de rien rater.

« J'dois dire que là tout de suite, ton verre me fait plus envie que ce truc aussi amoureusement soit-il offert. »

C'est peut-être pour ça que je ne réfléchis pas avant de commander une bière au passage parce que … merde. J'en ai envie. Avec ma gueule fatiguée j'ai pas vraiment à m'inquiéter de devoir sortir ma carte d'identité, ceci dit même frais comme un gardon j'ai pas vraiment l'air d'avoir mon âge pour autant et encore moins 16 ans. Oui, j'me suis renseigné sur l'âge légal pour picoler dans chaque pays où j'ai foutu les pieds. De toute façon, on va pas me demander un visa pour une bière, si ? En tout cas c'est bien un soupir mêlé d'aise que je pousse une fois la première gorgée dans le fond de mon œsophage et après avoir cogné ma bouteille contre son verre pour la forme.

J'attrape un des p'tits cœurs sur le chocolat et le tend à Alec.

« Tiens, ça c'est parce que j'suis venu les mains vides à notre premier rendez-vous. J'espère que tu me pardonneras si je t'offre mon cœur. »

Ça n’allait pas. Du moins sans doute pas, sinon il aurait probablement répondu. Ou peut-être était-ce à cause de leur passé tendu. Sans doute pas, pas vu la conversation surréaliste qu’ils avaient pu avoir la dernière fois, ni vu les textos qu’ils avaient échangé. Non, il devait y avoir autre chose. Et non il ne demanderait pas. En revanche, l’intervention muette d’un Takuma absent de la scène avait réussi à lui arracher sourire et rire. Comme quoi, il est bon le con ! En même temps vu la boisson, il fallait avouer qu’il y avait de quoi se moquer gentiment. Enfin, ce qu’il y avait entre ces deux là lui échappait depuis longtemps, ça n’était pas nouveau.

« Qu'est c'que tu veux, l'amour fait faire des choses folles … La preuve t'as accédé à sa requête. »
« Ouais on va dire ça. C’est fou comme on s’adore. »

Il avait répondu par un demi-sourire à son air moqueur. Oui, il avait fait ce que Takuma lui avait demandé, ça n’était pas faux. En même temps, il fallait avouer que… ben c’était drôle, tout connement. Il n’en faut pas plus.

« J'dois dire que là tout de suite, ton verre me fait plus envie que ce truc aussi amoureusement soit-il offert. »
« Tu vas le vexer le pauvre. »

Le nippon ne lui avait pas parlé de l’alcool et Alec n’avait pas plus posé de questions que ça sur cette boisson improbable. Il fallait avouer que l’autre était capable de tellement de choses improbables que le Rivers avait cessé depuis un moment de chercher.
Bientôt donc, Enzo s’était retrouvé avec une bouteille en verre à la main, qu’il avait fait tinter sur le verre de son acolyte…. Avant de lui offrir un cœur en chocolat, tout naturellement, sous l’air sceptique d’Alec qui l’avait attrapé pour le manger. Dédicace à Jayden : on ne laisse pas un cœur en chocolat libre il pourrait fondre. Et les cœurs qui fondent, c’est toujours la merde à gérer aurait-elle dit. Pas faux. Même vrai.

« Tiens, ça c'est parce que j'suis venu les mains vides à notre premier rendez-vous. J'espère que tu me pardonneras si je t'offre mon cœur. »

Sincèrement ? Outre le malaise qui s’était traduit par une grimace homophobe totalement assumée, ce genre de phrases lui faisait penser – à tors, oui – à Yassen, et à sa disparition. Mais que dire ? Ta gueule, j’aime pas ça et j’ai envie de t’exploser la tronche, et en prime ça me fait connement penser à un ami proche décédé il y a peu et je ne gère pas ça à l’heure actuelle ?

« Pourquoi vous faites tous ça ? Le but c’est de me m’habituer au fur et à mesure pour que j’arrête d’avoir envie de vous étrangler c’est ça ? Yassen a tenté et il est mort maintenant ! »
… Nope. Toi-même tu sais que non.
« Ouais, nan, définitivement, c’est trop tôt pour déconner sur la mort d’un ami. Bon, bref, c’est pas pour ça que j’t’ai fait venir, et certainement pas pour que tu gères mon homophobie latente à coup de fausse drague. T’es bien assis parce que comme nouvelle, ça se pose là. »

Avalant une gorgée qui vint lui brûler l’œsophage, Alec avait rassemblé ses pensées, toujours assez peu certain qu’il faisait le bon choix. Mais il préférait éloigner la conversation de la connerie qu’il venait de sortir et qu’il n’assumait absolument pas. Et de ce petit jeu étrange d’Enzo qu’il vivait sans doute encore plus mal. Regard circulaire. Pas d’oreilles indiscrètes.

« La pile électrique est enceinte. »

« Pourquoi vous faites tous ça ? Le but c’est de me m’habituer au fur et à mesure pour que j’arrête d’avoir envie de vous étrangler c’est ça ? Yassen a tenté et il est mort maintenant ! »

J’aurais sans doute dû le voir venir vu la grimace qu’il a fait de manière on ne peut plus spontanée mais ça … T’es sérieux mec ? Vraiment ? Je te donne un morceau de chocolat en plaisantant et toi tu me parles d’homicide ? D’acte homophobe ? Et de la mort de Yassen, en prime. Quand je disais que c’était le thème du jour.
Pendant qu’il reprend l’air de rien en moi ça boue. Les doigts serrés autour de ma bière je regarde droit devant moi sans voir l’étalage de bouteilles, d’autres images dans la tête et surtout un tas de pensées. Peut-être que pour lui ces mots-là c’est rien, pour moi ça n’est pas le cas. Pas quand le spectre de la mort flotte au-dessus de telles paroles que je reçois violemment en plein thorax.

« Ouais, nan, définitivement, c’est trop tôt pour déconner sur la mort d’un ami. Bon, bref, c’est pas pour ça que j’t’ai fait venir, et certainement pas pour que tu gères mon homophobie latente à coup de fausse drague. T’es bien assis parce que comme nouvelle, ça se pose là. »

On est d’accord, pour ce qui est de la mort d’un ami. En revanche on l’est pas quand t’as l’air de penser que le problème vient de moi. Je déconnecte un peu, c’est vrai, je fais pas attention à lui, au fait qu’il s’agite ou regarde autour de nous, mais quand les mots frappent à nouveau …

« La pile électrique est enceinte. »

… Ils font mouche eux aussi.

J’ai pas besoin de dessin, pas besoin de précision, je sais parfaitement de qui il parle. Et dans ma tête, c’est le bordel. Je pense à Keza l’espace d’une seconde, c’est furtif, mais surtout j’ai le visage de Sovahnn qui flotte devant mes yeux grand ouverts quand bien même ils fixent toujours le bar sans le voir.
Pas de réaction tout de suite. Pas de mots. Je crois que j’encaisse la nouvelle et là tout de suite, je sais pas quoi en penser. C’est comme si j’avais complètement freezé sur ma chaise. Le geste me parait démesurément lent quand je porte ma bière à mes lèvres, légère hésitation, j’en termine finalement le contenu d’une traite et repose la bouteille sur le comptoir en me disant que j’aurais préféré un truc plus fort. C’est peut-être pas la peine de tenter le diable.

Soupir.
Et toujours pas de regard dans sa direction.

« Je sais pas ce qui me laisse le plus sur le cul. »

La tête basse, mes doigts jouent avec le verre que je fais tourner sur la surface plane à laquelle on est accoudés.

« Ça ou le fait que tu parles d’avoir envie d’étrangler quelqu’un parce que sa sexualité de te dérange, comme ça en toute tranquillité. »

En ramenant en prime sur le tapis la mort d'un de tes potes, mais ça, c'est un autre débat.

J’ai cette réaction un peu étrange à chaque fois, celle de ne pas réellement me sentir concerné alors que je le devrais puisque dans les faits, je fais partie de ces gens-là – ceux qui dérangent les personnes comme lui. Pourtant c’est aux autres que je pense. A tous ces gosses qui souffrent de ça, à ceux qui ne sont plus là à cause de ça. J’ai souffert de l’homophobie, comme tout le monde j’imagine, mais pas au point de sentir ma vie menacée – faut dire que j’ai d’autres cases de cochées. Je vis avec un homophobe, mon propre sang, à qui je pardonne tout ou presque … Pourtant plus le temps passe plus j’ouvre les yeux sur la gravité de ce genre de propos, ce genre de pensées. Un rapport avec le fait que mon petit ami a vu son premier amour se faire massacrer à cause de ça ? Sans doute un lien, oui, ça m’a probablement fait ouvrir les yeux un peu plus grand.
Peut-être qu’il a dit ça l’air de rien mais ces mots-là, sans être une menace de mort, en dessine l’intention. Une envie intrinsèque. Ne pas supporter ce qu’est l’autre au point d’avoir envie de le tuer, j’suis même pas certain qu’on puisse encore parler de gravité – je crois que c’est un cran, voir plus, au-dessus.

« Si je mets de côté ma légère envie de « gérer » ton homophobie latente en te mettant la tête dans le comptoir, t’as plus de nouvelles ? Tu sais comment elle va ? »

Parce que c’est tout ce qui m’intéresse là tout de suite. Elle.

Ça l’avait mouché manifestement. Toute tentative de bonne humeur soufflée par des paroles sans doute trop dures pour la situation. Trop dur pour le passé du jeune homme autant que pour son présent. Chacun sa merde. Alec, c’était ses blagues de dragouille qui lui faisaient cet effet-là et manifestement, malgré toutes ses demandes d’arrêt, Enzo n’avait pas arrêté. Yassen oui, heureusement. Alors oui, lui savait ce qui pouvait blesser tandis que l’ancien Griffondor n’avait aucune idée de quelle enfance Alec avait pu avoir et certainement pas de ce qu’il y avait eu avec son oncle, c’était un fait. Au moins, le message serait peut-être passé. Et il préférait avoir de nouveau Enzo à dos qu’un Enzo dragouilleur sur le dos. Et, oui, à l’origine, sa réflexion était tout à fait humoristique et ce, même si son cynisme piquait.

« Je sais pas ce qui me laisse le plus sur le cul. »...« Ça ou le fait que tu parles d’avoir envie d’étrangler quelqu’un parce que sa sexualité de te dérange, comme ça en toute tranquillité. »
« Je parle aussi d’étrangler Takuma parce que sa personnalité me dérange si ça peut te calmer un poil. C’était une blague, respire mec. »

Et si on déconnait sur la Shoah maintenant ?! C’est tellement drôle de tuer des gens pour ce qu’ils sont, ce qu’ils vivent ou ce qu’ils ressentent. Allons-y gaiment et dansons sous les feuilles d’automne.

« Si je mets de côté ma légère envie de « gérer » ton homophobie latente en te mettant la tête dans le comptoir, t’as plus de nouvelles ? Tu sais comment elle va ? »

Sa menace à lui de lui encastrer la gueule dans le bar ? Rien à foutre. L'agacement d'en être toujours là dessus alors que ça devrait être annodin, en revanche...

« Roh ça va à un moment oui ?! T’en es conscient, c’est pas nouveau il me semble. Et tu en joues. Consciemment. Va pas faire ta prude outrée parce que soudainement tu te prends une réponse qui te plait pas. J’te montre que ça m’emmerde, tu continues. Que ce soit en rapport avec l’homosexualité ou pas, tu fais chier quelqu’un, il répond : rien de nouveau sous le soleil. »

A un moment, ça va quoi. Tu cherches, tu trouves. Surtout qu’il n’avait rien dit de particulier. Si ça avait été un autre sujet, il aurait sans doute rit et serait passé à autre chose. Donc, oui, le problème venait aussi de lui.

« Bon, t’es vraiment ok pour qu’on parle d’elle ou on s’engueule à propos de ton cul ? Dont tu fais ce que tu veux, sincèrement. »

Ce qui était vrai, tant qu’il ne jouait pas avec ses nerfs. Ce qui était affreusement trop courant durant leurs dernières interactions à son humble avis. Et oui, il possédait un seuil de tolérance très bas. Comme Enzo concernant les « blagues merdiques homophobes blessantes qui ne font rire personne et devraient être proscrites ».

« Roh ça va à un moment oui ?! T’en es conscient, c’est pas nouveau il me semble. Et tu en joues. Consciemment. Va pas faire ta prude outrée parce que soudainement tu te prends une réponse qui te plait pas. J’te montre que ça m’emmerde, tu continues. Que ce soit en rapport avec l’homosexualité ou pas, tu fais chier quelqu’un, il répond : rien de nouveau sous le soleil. »

Donc on en est là. C’est con, c’était bien partie, mais au fond est ce que ça a de l’importance ? Tout ce que je vois c’est que tout ça me fout une bonne grosse claque dans la gueule, un truc auquel je ne m’attendais pas, et ça fait mal. C’est violent.
C’est de ma faute, visiblement. Pourtant – et j’dis pas que c’est pas arrivé – j’ai vraiment pas le souvenir de l’avoir entendu me demander d’arrêter. Pour moi c’était pas grave, ça l’est pour lui, c’est bon c’est enregistré désormais et de la colère noire je passe à un détachement presque triste.

Mais j’en démordrais pas, pour moi rien ne justifie d’employer ces mots-là donc j’imagine que chacun va rester sur ses positions.

« Bon, t’es vraiment ok pour qu’on parle d’elle ou on s’engueule à propos de ton cul ? Dont tu fais ce que tu veux, sincèrement. »
« Merci, t’es grand prince. »

Et un rire amer pour la 12, un.

J’ai pas le souvenir d’avoir ramené mon cul sur le tapis mais soit, si tu veux. Parce que non, tout ça, je ne l’ai pas pris pour moi – stupidement ou non, c’est comme ça – mais là encore aucune importance.

« Si pour toi ces deux trucs là sont au même niveau alors j’crois qu’on va s’arrêter là. T’as tes problèmes émotionnels, j’ai les miens, désolé d’avoir heurté ta sensibilité mais pour la mienne rien ne justifiera jamais ce genre de mots. »

Pas quand des gens meurent et vivent l’enfer à cause de ça. Et j’ai plus envie de prendre ce genre de choses à la légère, tout simplement. Chacun ses limites, ses ressentis, ses perceptions. On va dire ça.
En attendant la démarche est sincère, je m’excuse réellement si ce que j’ai fait l’a froissé mais non, à aucun moment je n’ai eu le sentiment d’aller trop loin et s’il me l’a fait remarquer j’ai pas capté. Pas plus que le fait d’être au courant de ses problèmes avec l’homosexualité – c’est pas comme si on était proches, ni qu’on s’intéressait réellement l’un à l’autre.
J’aurais agis de la même manière avec n’importe quel « hétéro » mais soit, je crois que c’est de toute façon pas la peine de continuer cette discussion.

En tout cas, moi, j’en ai pas envie.

« J’me démerderais pour avoir des nouvelles, merci de m’avoir prévenu. »

C’est la lassitude qui prime, dans mon ton comme dans mon attitude. Je pose un billet sur le comptoir pour payer ma bière, lui adresse un vague sourire accompagné d’un signe de tête en me levant, remet mon manteau tout en me dirigeant vers la sortie et taille la route.

HRP:

Il n’avait pas vraiment compris comment il avait fait pour briser toutes les tentatives qu’ils avaient tout deux pu faire pour s’entendre ces dernières années. Sincèrement, il n’y avait rien de méchant ou d’agressif dans ce qu’il avait dit ou voulu dire. Simplement, voilà, tu me saoules à faire ce truc de vouloir me draguer et je ne le vis pas bien. Ça n’avait pas été bien exprimé. Ça n’avait pas été bien reçu ou interprété. C’était arrivé sur un sujet bien plus global, mettant en question une communauté entière discriminée pour leur attirance sexuelle alors qu’il s’agissait à l’origine de quelques individus dont les habitudes dérangeaient le jeune Rivers. Bref, ça avait dérapé, il avait bien comprit qu’il avait blessé quelqu’un et l’avait ramené à des choses assez peu faciles à gérer mais il n’avait absolument pas imprimé comment il avait réussi à faire ça avec une boutade puis une remise à plat de la question. Sans doute n’étaient-ils pas faits pour se comprendre. Il y avait un fossé entre eux, entre leur quotidien, leurs habitudes et manifestement celui-ci ne se comblerait pas comme ça. Pas si vite ni si facilement. D’autant plus quand d’anciennes blessures, rancœurs ou traumatismes prenaient le dessus. Et certainement pas tant qu’ils seraient tous deux si mal. Ni même tant que l’un des deux ne saurait pas mieux s’exprimer qu’il ne le faisait à l’heure actuelle.

Pourtant, Alec avait essayé. Réellement. Il avait même tenté de dire les choses clairement. De dire un truc genre « hey ça me blesse ce que tu fais là, mais c’est pas contre toi, tu fais ce que tu veux, tout le monde fait ce qu’il veut et c’est cool, ça ne me concerne pas. » Mais ça n’était pas sorti comme ça. Peut être cela n’aurait-il pas été bien prit comme ça non plus cela dit, il n’en savait rien.

Il avait réagit à ce qu’il considérait être une agression contre sa personne et avait blagué là-dessus pour faire passer un message. Tout comme il blaguait sur un peu tout ce qui le mettait mal à l’aise. Comme la mort de celui qui était sans doute son meilleur ami par exemple. Car oui, c’était ainsi. Il ne faisait pas ça pour rabaisser les gens, juste pour évoquer des choses qu’il maîtrisait mal, qu’il ne savait pas exprimer. Parce que… simplement, peut-être l’interlocuteur comprendrait-il ce qu’il y avait derrière et lui donnerait les clés. Peut-être pourraient-ils en rire car évoquer un ami, surtout s’il n’est plus là et ne pourra plus jamais l’être, ça fait du bien ; et que l’humour est la manière la moins douloureuse d’accéder à ça.

« Si pour toi ces deux trucs là sont au même niveau alors j’crois qu’on va s’arrêter là. T’as tes problèmes émotionnels, j’ai les miens, désolé d’avoir heurté ta sensibilité mais pour la mienne rien ne justifiera jamais ce genre de mots. »

Non, il n’avait pas prit ces excuses pour des vraies excuses mais comme une pique agacée. Mais il s’était tut. Manifestement, chaque fois qu’il l’ouvrait, c’était pire que mieux, alors autant se taire.
Sincèrement, il n’avait pas voulu ça. Mais au moins, là, il se retrouvait dans une certaine zone de confort. Celle de la violence. Celle du conflit. Celle de l’éloignement physique. Et une partie de lui préférait de loin ça.

Bref, ils ne se comprendraient pas de ci-tôt.

« J’me démerderais pour avoir des nouvelles, merci de m’avoir prévenu. »

Un vague sourire. Le même en réponse.

Et Alec s’était retrouvé seul face à son verre qu’il n’avait pas tardé à siffler à son tour en regardant Enzo quitter les lieux.
Une grande inspiration, les deux mains sur le visage puis le crâne, comme pour faire partir une migraine imaginaire. Il aurait aimé avoir une excuse pour tout ça. Il aurait aimé que ça se passe bien. Pourtant, ses efforts manquaient encore manifestement de finesse.

« Oh il y a eu un souci avec votre ami ? »
« C’est pas mon ami. Et j’suis un con c’est ça le souci. »

Il avait commandé un autre verre sans plus épiloguer que ça, avant de rentrer d’une humeur massacrante.